La premiĂšre chose que je fais en me levant le matin c'est de penser Ă  mes pull-ups!» ï€Ș . Gabriel - thĂ©rapeute du sport agréé, prĂ©parateur physique Ă  Bloquerau 2Ăšme niveau sur le jeu mobile 94% ? Avec ce tutoriel nous allons vous aider Ă  finir le jeu, pour le thĂšme “PremiĂšre chose que je fais le matin” LesTrĂ©sors de Margaux 22 Articles. À lire pour plus tard. Je suis devenue une maman qui crie. Je ne sais pas Ă  quel moment ça a commencĂ©. Pourtant tout avait bien dĂ©butĂ© ce n’était pas prĂ©vu. Pendant ma premiĂšre grossesse j’étais trĂšs Ă©panouie et trĂšs enthousiaste Ă  l’idĂ©e de commencer cette nouvelle aventure : ĂȘtre maman ! Jefais les choses pour les gens. Il se peut que j'arrĂȘte du jour au lendemain, avant qu'on dise qu'il faut que M. Plaza s'en aille. Je sais que ce milieu est comme ça. "Nagui et CymĂšs sont Jepense pouvoir m'arranger avec le MNS de mon cours de vendredi matin pour qu'il me laisse travailler ces points dans mon coin. Aymar a Ă©crit : Pour moi la mĂ©thode d'entrainement "classique" devrait convenir : faire des sĂ©ries de 50m Ă  la vitesse maxi qui te permet de conserver une bonne technique, avec 10 sec de pause entre chaque 50. Bonjour Voila ca va faire 3 jours que j'ai des symptomes qui me font peur, tout commence par un mal du cou qui dure toute la journĂ©e, ensuite vertiges, impossible pour moi de bouger et je sais que je tomberais et aprĂšs j'ai des vomissements, tremblements , des que je bouge la tete quand je fais ce genre de crise je vomis direct: je n'ai pas de fievre, ni de mal de ventre, ni de diarrhĂ©e . Coucou tout le monde ça fait longtemps que j'ai pas fait d'articles, je suis dĂ©solĂ©e ! Mais je suis de retour donc aujourd'hui je vous retrouve pour un article sur les "10 choses que je fais tous les matins " 😌C'est parti ! 1-Alors la premiĂšre que je fais le matin bah comme tout le monde je me lĂšve vers 7h sauf quand je commence plus tard ! 2- Ensuite je vais prendre mon petit dĂ©jeuner en gĂ©nĂ©ral je prends un bol de chocolat chaud avec une tartine et de l'eau oui je dĂ©jeune pas beaucoup ! ☕ 3- Je vais me laver les dents et la figure. 😌 4- Je m'habille en fonction du temps 👕 5- Je me mets du mascara et mon mascara vient de chez Kiko 💄 6- Je prĂ©pare les affaires sacs, manteaux... 7- Je fais du tĂ©lĂ©phone đŸ“± 8- Je regarde si j'ai tout fait sur ma liste car j'ai une liste pour le matin 😌👌 9- Je vais dans ma voiture 🚗 10- Je vais au collĂšge et aprĂšs je fais ma journĂ©e de cours en fonction de mon emploi du temps 🎓 VoilĂ  j'espĂšre que mon article vous as plu, dites moi dans les commentaires si ça vous as plus ou pas et dites moi aussi si vous faites comme moi et ce que vous vous faites le matin. VoilĂ  pendant ce temps je vous fait de gros bisous et je vous dis Ă  trĂšs bientĂŽt pour un nouvel article ! 😉😘 -Romane 💘 f, -Ăź %s . * WV * > y I >,* * 3 yg .>‱.» > ‱ Sais tÜÜÜ mm , i ; &=>‱ >. isiis SSÉIsSg .' \ '-' v, '.. ‱? , P ; V p2fS ĂźSr-Si wm StiKr fl SgS*fc5R ^ÂŁss*' >f-saÉÎ; '‱^ C V Wtl -? *}ÂŁ*'ÂŁ ‱- - M§ É» '**.. ‱tSĂźM 1^3T 0 ‱ V. ^ »Ë ij&ĂŻfgPl &-5S J-S?.; i-'i'vV S* irs* ab'ĂŒĂ‰ S frĂźV iijĂź*. Y~^ ’V . ; .‱ -* -MĂ Z. >Vf**' **>.; iVi y&r*- %Æfe ffiPK ' kĂŻt?Z 'fl RK, 'fcf ‱^'W; >. *‱*'. ĂŒ^ĂŠ 7 ^. \fctf -;‱§£ 4iV l=? 'V f ttfe’ ‱>.> .; P?!*. Ü *V^ ’€?$-' ’0ji& St^V ^->>-7 c , ’ v -W,taSĂź Ă©. m-ĂŻ -triĂŻ&i' VĂŽ.^Sw - ÂŁ&' "' 4*? ,- 55 tesP O ; -S- ‱ ^ ÊiiibĂ‰ĂŒĂ ĂżKi LE MAGNÉTISME ANIMAL EXPLIQUÉ OUVRAGES DE L’AUTEUR Manuel pratique de MagnĂ©tisme animal. Exposition mĂ©thodique des procĂ©dĂ©s employĂ©s pour produire les phĂ©nomĂšnes magnĂ©tiques et leur application Ă  l’étude et au traitement des maladies. Nouvelle Ă©dition augmentĂ©e. Paris, 1843 , i vol. grand in- 18 . 4 f' ‱ De la Goutte, de ses Causes et du Traitement le plus rationnel a lui orrosEB. Broch. in- 8 , Paris, 1840 . Prix 1 fr. 5o c. Chez l’auteur, rue de Seine, 45. Sous presse. Essai sur la MĂ©decine des somnambules, ln-18. Des Sorciers, des PossĂ©dĂ©s et des Convulsionnaires, ou du MagnĂ©tisme en France avant Mesmer, a vol. in-8. DE LIMPR1ME1UE DE CHAPELET, 9, RUE DE VÀUG1RARD. IJK MAGNÉTISME ANIMAL EXPLIQUÉ OU LEÇONS ANALYTIQUES SUR LA NATURE ESSENTIELLE DU MAGNETISME , SUR SES EFFETS SON HISTOIRE , SES APPLICATIONS LES DIVERSES MANIÈRES DE LE PRATIQUER, ETC. Par Alph. TESTE DOCTEUR EN MEDECINE DE LA FACULTE DE PARIS MEMBRE DE PLUSIEURS SOCIETES SAVANTES Us imposeront les mains sur les malades et les malades seront guĂ©ris. Evangile selon suint Luc, ch. vut. Tout est prodige pour l’ignorance qui dans le cercle Ă©troit de ses habitudes voit le cercle oĂč se meut l’univers. Eus. Salyerte , des Science s ^occultes. A PARIS CHEZ BAILLIÈRE LIBRAIRE DE L’ACADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE 17 , RUE DE L’ÉCOLE-D E - MËDEC INE A LONDRES, CHEZ H. BAILLIÈRE, 219, REGENT-STREET 18A5 S’il Ă©tait permis Ă  un auteur d’exprimer son opinion sur ses propres ouvrages, je dirais sans hĂ©siter que celui-ci me paraĂźt de beaucoup supĂ©rieur Ă  tout ce que j’ai publiĂ© jusqu’à prĂ©sent. Mais je sens qu’en pareille cause je n’ai pas voix dĂ©libĂ©rative. D’ailleurs, si mon livre a quelque mĂ©rite, je n’ai pas besoin d’en prĂ©venir les lecteurs pour qu’ils s’en aperçoivent, et, s’il n’en a aucun, je n’aurais que mieux prĂ©parĂ© sa chute en essayant de prouver le contraire. Je ne dirai donc rien de ce volume, sauf qu’il contient en substance mes leçons orales de l’hiver dernier. Ces leçons Ă©taient alors suivies par des savants, des philosophes, des magistrats, des mĂ©decins et des gens de lettres. L’extrĂȘme assiduitĂ© de cet auditoire d’élite me prouva qu’elles n’étaient pas dĂ©pourvues d’intĂ©rĂȘt, et telle fut la raison qui me dĂ©cida Ă  les publier. — 'j — Mou excellent ami, M. Mialle, l’homme de France qui peut-ĂȘtre a le mieux Ă©tudiĂ© le magnĂ©tisme , a bien voulu prendre la peine de revoir avec moi toutes les Ă©preuves. Ses sages observations m’ont Ă©pargnĂ© beaucoup d’erreurs rien au monde ne m’est plus doux que de l’en remercier publiquement 1 . Ce livre s’adresse indistinctement Ă  toutes les classes de lecteurs, car le sujet les intĂ©resse tous il s’agit de l’homme, Ă©tudiĂ© physiquement et moralement d’un point de vue nouveau. Plai se Ă  Dieu que ces incrĂ©dules Ă  moitiĂ© convertis , qui commencent Ă  dire du magnĂ©tisme Il y a quelque chose lĂ -dessous, » ajoutent aprĂšs avoir lu mes pages Il y a quelque chose lĂ  dedans. » Quant aux incrĂ©dules systĂ©matiques qui, aprĂšs s’ĂȘtre inconsidĂ©rĂ©ment prononcĂ©s contre le magnĂ©tisme , n’ont pas assez de courage pour revenir sur leurs pas et se contentent de fermer les yeux en criant au charlatanisme, je ne leur demande qu’une chose, c’est de me laisser tranquille. — Esprits 1 M. Mialle, aux opinions duquel je n’ai pu toujours sacrifier les miennes, ne saurait partager avec moi la responsabilitĂ© de celles-ci. A l’égard de Mesmer, par exemple, M. Mialle et moi nous sommes restĂ©s en plein dĂ©saccord. — V1 J — vains, bornĂ©s et faux , qu’ont-ils Ă  dĂ©mĂȘler avec nos vĂ©ritĂ©s? Elles n’ont que faire de leur appui pour grandir dans le monde, et lorsqu’ils affichent la prĂ©tention d’en arrĂȘter le cours, ils me rappellent ce paysan qui, mettant un pied sur la source du Danube, se persuadait qu’il allait priver d’eau toutes les contrĂ©es que ce fleuve arrose. 1 \ \ \ I LE MAGNÉTISME ANIMAL EXPLIQUÉ. PREMIÈRE LEÇON. GÉNÉRAI.. — NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME. Messieurs , Je vais vous entretenir d’une chose Ă  la fois fort ancienne ou fort nouvelle, suivant la maniĂšre dont il vous conviendra de l’envisager. Si par ces mots, magnĂ©tisme animal , vous dĂ©signez seulement l’ensemble des diffĂ©rents phĂ©nomĂšnes que l’opinion publique, que la voix populaire, embrassent ordinairement sous cette dĂ©nomination, la chose est aussi ancienne que le monde, car elle est du domaine de ces vĂ©ritĂ©s physiologiques qui sont inhĂ©rentes, essentielles Ă  la nature de l'homme, et partant, aussi vieilles que l’espĂšce humaine. Mais si, au contraire, vous entendez par ces mĂȘmes expressions de magnĂ©tisme animal un systĂšme raisonnĂ© 1 2 PREMIÈRE LEÇON, des phĂ©nomĂšnes dont je parle, oh! alors, la chose est nouvelle, si nouvelle, que je serais tentĂ© de vous dire qu’elle n’existe point encore. Cependant, des hommes enthousiastes ou peu Ă©clair rĂ©s, des nĂ©ophites ardents, en proie Ă  cette sorte de vertige que donne aux esprits faillies la vue inopinĂ©e des faits extraordinaires, des fanatiques enfin car toutes les vĂ©ritĂ©s ont eu les leurs, pensent et proclament que le magnĂ©tisme est une science accomplie. Que dis-je! c’est Ă  leurs yeux la science par excellence, l’arhre du fruit dĂ©fendu qui donne toutes les connaissances ou qui du moins dispense d’en possĂ©der aucune. Convaincus d’ailleurs que cette science ne s’apprend pas, qu’elle est l’apanage innĂ© de tout ĂȘtre vivant, les hommes que je vous signale joignent l’exemple au prĂ©cepte, et, pratiquant avec confiance une doctrine inconnue, ils Ă©rigent en principes les effets incohĂ©rents qu’ils produisent, et dont ils n’ont jamais songĂ© Ă  se demander la cause. Parsuite de circonstances que, plus tard, il vous sera facile d’apprĂ©cier, l’art obscur de guĂ©rir est la premiĂšre carriĂšre qu’ils envahissent. Pour eux, dĂšs lors, plus d’autre systĂšme mĂ©dical que celui qu’ils professent; plus d’autres remĂšdes Ă  nos maladies que le fluide magnĂ©tique , et c’est pourquoi les mĂ©decins, froissĂ©s Ă  la fois dans leurs croyances et peut-ĂȘtre aussi dans des intĂ©rĂȘts plus temporels , repoussent aveuglĂ©ment une dĂ©couverte qu’ils flĂ©trissent au lieu de l’étudier. De lĂ  ce conflit ridicule entre la sottise et la mauvaise foi, entre l’ignorance qui prĂ©tend tout savoir et la science qui ne veut rien ignorer. 3 A’ATÜRE ET fMÊFIKITIOiV DU MAGNÉTISME. Quant Ă  moi, je ne serai ici ni magnĂ©tiseur ni mĂ©decin. Entre le crĂ©puscule d’une Ă©colequi s’éteint et l’aurore d’une Ă©cole nouvelle, c’est dans les tĂ©nĂšbres du doute cpi’il faut se rĂ©signer Ă  attendre la lumiĂšre; j’attends donc..., telle est ma profession de foi. Oui, en matiĂšre de magnĂ©tisme, comme en beaucoup d’autres choses, j’avoue que je suis sceptique , c’est-Ă -dire, ainsi que vous tous, chercheur de vĂ©ritĂ©s. Sans cesse en garde contre les prĂ©jugĂ©s d’autrui et contre mes propres prĂ©ventions, c’est avec de la glace sur le front que je m’efforce de voir et de juger. Mais une fois la cer* titude acquise que mes sens ne m’ont pas trompĂ©, je rassemble mes souvenirs, je les rapproche , je les coin? pare, et j’enregistre,quels qu’ils soient, les rĂ©sultats que j’ai obtenus. — Ce sont ces rĂ©sultats que je me suis proposĂ© de vous soumettre. Le magnĂ©tisme est-il une rĂ©alitĂ©? Oui, j’en suis aussi sĂ»r que de mon existence, parce que j’en ai des irrĂ©fragables, et ces preuves, je vous fournirai en temps et lieu les moyens de les acquĂ©rir. Mais le magnĂ©tisme est-il une science, on est-il susceptible d’en devenir une? Comment le dĂ©finirons-nous? Quelle est enfin sa place dans le cercle de nos connaissances? — Tels sont les premiers points qu’il nous importe d’éclaircir. Le magnĂ©tisme est-il une science? Il est de toute Ă©vidence que, pour rĂ©soudre cette premiĂšre question, il faut prĂ©alablement s’entendre sur le sens du mot science. Or, par une singularitĂ© sans exemple dans les fastes de l'entendement humain, cette expression n’a jamais ctĂ© dĂ©finie d’une maniĂšre rigoureuse. Aristote, dans l’antiquitĂ©, Bacon, Ă  la fin du moyeu Ăąge, Am- K PREMIÈRE LEÇON, pĂšre, clans les temps modernes, ces trois beaux gĂ©nies qui nous reprĂ©sentent comme les jalons de la saine philosophie, se sont tous trois occupĂ©s du classement de nos connaissances, sans dĂ©finir le mot qui en gĂ©nĂ©ralise l’idĂ©e. Aussi, les auteurs du Dictionnaire de /’AcadĂ©mie, qui dĂ©finissent la thĂ©orie une spĂ©culation et la spĂ©culation une thĂ©orie, n’ont-ils rien trouvĂ© de mieux Ă  nous dire au mot Science, que ceci Une science est la connaissance que nous avons d’une chose; dĂ©finition pleine de candeur et qui prouve incontestablement que le Dictionnaire de VAcadĂ©mie n’a pas plus Ă©tĂ© fait pour les magnĂ©tiseurs que pour les grammairiens ou les philosophes. Toute science en effet, loin de porter seulement sur une seule chose, sur un seul fait, embrasse toujours une multitude d’élĂ©ments l’un Ă  l’autre coordonnĂ©s, c’est-Ă -dire suppose toujours un certain enchaĂźnement de propositions dĂ©rivĂ©es les unes des autres et pouvant se rĂ©duire, par le raisonnement, Ă  un petit nombre de propositions fondamentales qui , dans les mathĂ©matiques, ont reçu le nom d 'axiomes. Toute science, en un mot, est la connaissance d’un systĂšme , plus la thĂ©orie qui en lie les principes, plus les corollaires pratiques qui en dĂ©coulent. Or, d’aprĂšs la dĂ©finition des philosophes, ou plutĂŽt, d’aprĂšs celle que j’ai donnĂ©e moi-mĂȘme dans un travail spĂ©cial rĂ©cemment publiĂ© 1 , un systĂšme est un ensemble d’ĂȘtres ou de faits, comparĂ©s entre eux par celles de leurs propriĂ©tĂ©s qui leur sont communes, et disposĂ©s soit dans un ordre 1 EncyclopĂ©die dit xjx siĂšcle, art. SistĂšme. 5 NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME. invariable que leur assigne la nature, soit de maniĂšre, aformer les termes d'une progression dont le raisonnement peut suivre la marche au delĂ  des limites ou Vobservation s'arrĂȘte. Ceci posĂ©, il nous est logiquement permis de transformer celte question le magnĂ©tisme est-il une science ? en cette autre question le magnĂ©tisme est-il un systĂšme? Eh bien, sans faire aucune pĂ©tition de principes, c’est-Ă -dire sans emprunter mes documents Ă  un ordre de faits que vous ne connaissez pas ou que du moins vous n’ĂȘtes pas censĂ©s connaĂźtre, je puis dĂšs Ă  prĂ©sent vous rĂ©pondre affirmativement, et, tout en ne vous prĂ©sentant qu’un aperçu gĂ©nĂ©ral du magnĂ©tisme, vous prouver qu’il n’est point inaccessible Ă  nos procĂ©dĂ©s habituels de systĂ©matisation. Toutefois, je vous l’ai dĂ©jĂ  fait pressentir,ce systĂšme, s’il existe , n’est encore qu’une Ă©bauche. Le magnĂ©tisme, en un mot, est une science de formation nouvelle qui peut-ĂȘtre n’est pas susceptible d’acquĂ©rir un haut degrĂ© de certitude; mais qui nĂ©anmoins a dĂšs aujourd’hui sa place entre les plus belles acquisitions de l’intelligence humaine. Je vais essayer de vous montrer dans son essence le fait-principe dont il est le dĂ©veloppement. Tout le monde sait que les philosophes spiritualistes n’admettent dans l’homme que deux substances, l’esprit et la matiĂšre, l’ñme et le corps. A leur avis, ces deux agents suffisent pour expliquer tous les phĂ©nomĂšnes de la vie l’ñme commande et le corps agit; Ă  la mort, la premiĂšre rentre au sein du CrĂ©ateur, tandis que l’autre pĂ©rit par dissolution. 11 est d’autres philosophes, au contraire, Spinosa, par exemple, au 6 PREMIÈRE LECOĂźb ‱ xvii' siĂšcle, le cĂ©lĂšbre Broussais 1 parmi les modernes, qui, tenant compte de certaines propriĂ©tĂ©s inhĂ©rentes Ă  la matiĂšre, ont eu la prĂ©tention d’expliquer par la seule intervention de ces propriĂ©tĂ©s tout ce que les premiers attribuent Ă  l’Ame dont ceux-lĂ  nient l’existence. Vous dirai-je, enfin, qu’entre ces deux Ă©coles contradictoires, il'fut un temps oĂč l’on vit surgir une troisiĂšme secte de prĂ©tendus philosophes, qui, Ă  l’inverse des matĂ©rialistes, niaient, en dĂ©pit de leur sens et du sens commun, la rĂ©alitĂ© des corps, et prouvaient imperturbablement que l’esprit est la substance unique dont l’univers est formĂ© ceci n’est rĂ©ellement Ă  mentionner que pour mĂ©moire, car l’examen critique de toutes les folies humaines n’entre pas, Dieu merci, dans la lĂąche que j’ai entreprise. Mais, une chose qui, plus d’une fois, embarrassa sĂ©rieusement les spiritualistes raisonnables, fut Y instinct des animaux, instinct qui, dans certaines espĂšces, semble s’élever jusqu’à l’intelligence. Les bĂȘtes avaient- elles une Ăąme? Cette Ăąme ctait-elle analogue Ă  celle des hommes? Etait-ce comme celle-ci une substance immatĂ©rielle, indivisible, immortelle, etc.? Quels sujets de conjectures et de controverse pour les reprĂ©sentants de la vieille Sorbonne! Tandis que des arguments spĂ©cieux semblaient militer pour l’affirmative, le problĂšme, ainsi rĂ©solu, renversait toutes les croyances et conduisait au panthĂ©isme, la plus dĂ©sespĂ©rante des doctrines philosophiques. L’Eglise eut la prudence de ne pas se prononcer dans cette question difficile 1 Voyez De l’Irritation et de la Folie, Paris, i83g. 2 vol. Ăźn-8°. NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME. 7 seulement, elle rejeta, sous peine d'anathĂšme, toute espĂšce d'assimilation entre l’ñme incontestable des animaux et l ame incontestĂ©e des hommes. Peut-ĂȘtre Ă©tait-ce pour rĂ©pondre Ă  ses vƓux, d’ailleurs mal exprimĂ©s, que d’illustres rĂȘveurs du xvn e siĂšcle repoussĂšrent jusqu’à l’ombre de l’analogie entre les actes instinctifs des animaux et les actes intellectuels des hommes , et s’obstinĂšrent Ă  ne voir dans les premiers que de simples automates. On devine quelles rĂ©clamations dut provoquer une semblable hypothĂšse. Les bĂȘtes, Ă  la vĂ©ritĂ©, ne songĂšrent point Ă  s’en plaindre, mais elles curent, sans en chercher, d’éloquents dĂ©fenseurs. Le bon la Fontaine, entre autres, qui avait donnĂ© tant d’esprit aux siennes, protesta contre Descaries et FĂ©nelon dans une admirable Ă©pĂźtre Ă  madame de la SabliĂšre. Qui de nous n’a lu souvent la jolie fable des Deux Bats, cette satire innocente et si pleine de raison oĂč le fabuliste dĂ©montre que les bĂȘtes quelquefois raisonnent, et, qui plus est, raisonnent bien, Ă  l’inverse des philosophes, qui souvent divaguent. L’opinion d’un poĂšte, bien mĂȘme que ce poĂšte fĂ»t la Fontaine, ne pouvait ĂȘtre d’un grand poids dans une question de cette nature. Mais la science ne tarda pas Ă  venir en aide Ă  l’allĂ©gorie, et la plume de Buffon tomba dans la balance; c’était l’épĂ©e de Bren- nus. Alors, au milieu de la mĂȘlĂ©e, oĂč le pour et le contre se dĂ©battaient sur un ton d’aigreur.... fort peu philosophique, alors, dis-je, des hommes sensĂ©s, convaincus par les raisons du grand naturaliste, proposĂšrent un moyen terme qui concilia tous les partis. La sublimitĂ© de notre intellect, s’écriĂšrent - ils 8 PREMIÈRE LEÇON. prouve assez qu’il existe eu nous quelque parcelle de la DivinitĂ©; mais, indĂ©pendamment de cette aine immortelle que le CrĂ©ateur n’a dĂ©volue qu’à la seule espĂšce humaine, il y a chez l'homme comme chez tous les animaux une autre Ăąme, d’essence plus terrestre, sorte d’intermĂ©diaire entre les deux substances, et qui prĂ©side aux sensations comme elle rĂšgle les mouvements.» VoilĂ  donc comment les animaux, depuis le ciron Ă  l’élĂ©phant, depuis l’infusoire au singe, furent tous gratifiĂ©s d’une Ăąme qu’on appela Ăąme sensitive '. Cette opinion d’ailleurs Ă©tait loin d’ĂȘtre nouvelle les disciples de Platon l’avaient Ă©mise bien des siĂšcles auparavant, et depuis, l’apĂŽtre saint Paul l’avait dĂ©veloppĂ©e dans son EpĂźtre aux habitants de Thessalonique. Mais cette hypothĂšse , une fois admise, devait ouvrir une nouvelle carriĂšre aux spĂ©culations des mĂ©taphysiciens. En effet, ils ne tardĂšrent pas Ă  s’apercevoir qu’en expliquant par l’intervention d’une Ăąme les actes vitaux des bĂȘtes, ils s’étaient interdit tout autre moyen d’expliquer la vitalitĂ© des plantes. Cependant le fait Ă©tait flagrant si naĂźtre et mourir caractĂ©risaient la vie, il n’y avait point Ă  douter que les plantes ne vĂ©cussent. Puis oĂč Ă©tait, aprĂšs tout, l’inconvĂ©nient d 'animer les vĂ©gĂ©taux? Les chĂȘnes ni les bruyĂšres ne dĂ©mentiraient personne. Donc, comme de coutume, l’expression courant avant l’idĂ©e, le vocabulaire s’enrichit d’une nouvelle association do mots on venait d’inventer sans trop d’efforts une Ăąme vĂ©gĂ©tative. Remarquez, au surplus, que je ne blĂąme point celte 1 On peut consulter Ă  ce sujet le T mile.' de t Ame sensitive de 1,,-iunov. 9 NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME, conception, et qu’il n’entre pas dans mon intention d’en ridiculiser les auteurs. Loin de lĂ , je la trouve ingĂ©nieuse et parfaitement logique. Tout le mallieur est qu’aprĂšs avoir adoptĂ© le principe on n’en ait pas Ă©puisĂ© les consĂ©quences. AprĂšs l’ñme sensitive, il eĂ»t fallu trouver une Ăąme gravitative, car vous verrez plus loin que les minĂ©raux y avaient droit ; ou plutĂŽt, de toutes ces Ăąmes il n’en fallait imaginer qu’une, qui les eĂ»t remplacĂ©es toutes. J’aurai bientĂŽt Ă  vous prĂ©senter les dĂ©veloppements que comporte cette proposition fondamentale d’une Ăąme universelle ; mais je devais, auparavant, vous signaler le pressentiment qu’en eurent la plupart des philosophes, pressentiment qui se rĂ©vĂšle dans cette tendance inquiĂšte Ă  gĂ©nĂ©raliser dans une expression commune les manifestations mĂ©taphysiques de la vie chez tous les ĂȘtres L Cette Ăąme de l’univers, cause unique et primordiale d’effets multiples et divers, qui deviennent causes Ă  leur tour, est, suivant notre croyance, le souffle du CrĂ©ateur, ou, suivant quelques rĂȘveurs, l’essence incrééc des que soient, au surplus, sa nature et son origine, nos sens ou notre raison la rencontrent partout; dans le mouvement des globes cĂ©lestes comme dans le mouvement de la pierre qui tombe; dans la circulation de la sĂšve comme dans la circulation du sang; dans l’attraction de l’aimant comme dans l’attraction magnĂ©tique 2 . Ces rapprochements 1 Les stoĂŻciens et plusieurs pĂ©ripatĂ©liciens soutenaient la doctrine de l’ñme universelle , doctrine que, trĂšs-probablement, ils tenaient des Indiens et des Persans, puisque les mĂȘmes notions se retrouvent dans les antiques croyances de ces peuples. 2 Nous ne savons pas si le principe de la vie est le mĂȘme qce celui de la pensĂ©e ; mais il est Ă©vident que le principe de la vie n’est 10 PREMIÈRE leçon. d’ailleurs sont loin d’ĂȘtre nouveaux ; mais ce qu’il im* porte que vous sachiez et que vous reteniez Ă  tout jamais, c’est que le magnĂ©tisme animal, celte vieille vĂ©ritĂ© perdue que nous entreprenons de rĂ©habiliter, est aussi bien que le mouvement des astres, aussi bien que l'attraction terrestre ou que l’attraction atomique, aussi bien, en un inot, que toutes les puissances abstraites de la nature, une manifestation dĂ©terminĂ©e quoique mĂ©connue de PĂąme universelle. Disons seulement par anticipation que Cette propriĂ©tĂ© singuliĂšre des corps qui constitue le fond du magnĂ©tisme, n’existe ou du moins ne se manifeste que dans la matiĂšre organisĂ©e. Peut- ĂȘtre mĂȘme est-elle, comme l’instinct et l’intelligence, un des privilĂšges exclusifs de la vie animale. Quoi qu’il en soit, vous voilĂ  fixĂ©s sur le sens actuel de ces deux mots, magnĂ©tisme animal mais nous allons bien mieux encore prĂ©ciser Fobet de nos Ă©tudes, en parcourant d’un coup d’Ɠil rapide la succession des phĂ©nomĂšnes qui conduisent insensiblement de la force gravitative des minĂ©raux Ă  ce que nous appellerons bientĂŽt la puissance magnĂ©tique de l’homme. Entre l'homme et l’atome, ces deux extrĂ©mitĂ©s de l’échelle ontologique, rĂšgne un admirable enchaĂźnement d’ĂȘtres et de faits successifs, chacun desquels semble le dĂ©veloppement de celui qui le prĂ©cĂšde, et point matĂ©riel. Il est probable cpic , Je mĂȘme que le CrĂ©ateur a imprimĂ© Ă  la matiĂšre des formes diverses qui constituent les diffĂ©rents corps, il a douĂ© la substance spirituelle de divers degrĂ©s de perfection , depuis Celui qui produit la vie des polypes, peut-ĂȘtre mĂȘme celle des plantes, jusqu’à celui qui donne Ă  l’homme la raison, l’imagination et la mĂ©moire. » f DĂ©leuze, Annales du Magn. ttnim., p. 026. il NATURE ET DÉFINITION tÜ MAGNÉTISME, l'Ă©lĂ©ment gĂ©nĂ©rateur de celui qui le suit. C’est sur les divers degrĂ©s de cette Ă©chelle immense que toutes iĂźos sciences sont assises. Chacune d’elles embrasse un ensemble d’ĂȘtres ou de faits distincts en apparence, mais, au fond* tous enchaĂźnĂ©s par quelque loi commune. Plus les sciences sont haut placĂ©es sur l’échelle dont nous parlons, moins elles sont positives, parce qu’à mesure qu’elles s’élĂšvent, leurs Ă©lĂ©ments se compliquent en se multipliant. Le magnĂ©tisme, hĂątons- nous de le dire, occupe peut-ĂȘtre le dernier Ă©chelon du sommet aussi sera-t-il probablement toujours la plus vague et la plus incertaine de nos connaissances. Cependant, que la chaĂźne de la nature soit pour nous le fil d’Ariane, et, s’il nous est interdit de dĂ©couvrir jamais l’essence du magnĂ©tisme, peut-ĂȘtre, au moins, parviendrons-nous Ă  pĂ©nĂ©trer quelques- unes de ses lois. Alors la science du magnĂ©tisme sera chose accomplie, ou tout au moins bien commencĂ©e. Mais, une rĂ©flexion encore, avant de passer outre Je vous ai dit tout Ă  l'heure que la dĂ©finition acadĂ©mique du mot science pĂšche par insuffisance, c’est- Ă -dire parce qu’elle n’exprime pas assez; il me serait facile maintenant de vous dĂ©montrer, en vous la prĂ©sentant sous un autre aspect, qu’elle ne vaut rien encore parce qu’elle exprime beaucoup trop. Le mot science, en effet, vient du verbe latin scire, qui signifie savoir, ce que l’AcadĂ©mie nous traduit par connaĂźtre. Or, en admettant cette dĂ©finition dans toute sa rigueur, il n’y aurait pas de science possible, car, il n’est pas une seule chose, pas une seule, entendez-vous, qu’il nous soit donnĂ© de connaĂźtre d’une maniĂšre absolue; et c’est 12 PREMIÈRE LEÇON, justement de cette imperfection de nos moyens de connaĂźtre que provient le plus souvent l’impossibilitĂ© oĂč nous sommes de saisir les rapports qui existent entre tel fait rĂ©putĂ© connu et tel autre que l’on avoue ne l’ĂȘtre point encore. De lĂ  des faits sans analogie apparente, et qui ne semblent avoir d’autre raison de leur existence que cette existence mĂȘme; de lĂ  les miracles si communs autrefois, si rares aujourd’hui, et dont le nombre diminua progressivement Ă  mesure que la raison les dĂ©pouilla de leur prestige en les expliquant. On comprend, d’ailleurs, que ees conquĂȘtes successives de l’intelligence aient enfantĂ© tour Ă  tour et cet orgueil insensĂ© dont Voltaire, an siĂšcle dernier, fut la personnification , et cette incrĂ©dulitĂ© nonchalante qui n’est guĂšre, chez nos contemporains, que l’impuissance de pĂ©nĂ©trer plus avant dans les secrets de l'univers. Ajoutons, enfin, que l'orgueil et l’incrĂ©dulitĂ© se sont rĂ©unis pour nous inculquer la manie des raisonnements, bons ou mauvais, manie si gĂ©nĂ©rale aujourd’hui, surtout en France, que, pour y accrĂ©diter l’existence d’une chose, il est plus sĂ»r d’y prouver que cette chose peut exister que de dĂ©montrer qu’elle existe. Contradictoires en apparence Ă  toutes les lois connues de la physiologie, les faits magnĂ©tiques qui passaient autrefois pour des miracles sont simplement aujourd’hui niĂ©s par les savants *. Faisons donc Ă  leur profit l’application d’une mĂ©thode devenue nĂ©ces- 1 GĂ©nĂ©ralement serait peut-ĂȘtre beaucoup dire Ă  l’heure qu’il est les jĂ©suites viennent de donner le mot d’ordre Ă  leurs adeptes afin que le magnĂ©tisme soit acceptĂ©. 13 NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME, saire, en prouvant que non - seulement ils existent, mais qu’ils peuvent exister, qu’ils offrent des rapports d’analogie frappants avec les faits les plus simples, enfin qu’ils n’ont rien dans leur essence de plus Ă©trange que ces derniers. Ce que je vais vous dire a donc pour objet d’éclaircir la proposition que nous avons Ă©tablie, Ă  savoir que le magnĂ©tisme est, comme la gravitation, comme l’affinitĂ©, comme tous les mouvements, comme toutes les forces organiques et inorganiques, une des manifestations naturelles de la vie. Je procĂ©derai, pour ĂȘtre logique, du simple au composĂ©, et c’est dans les minĂ©raux que nous rechercherons les premiĂšres analogies qui justifient mon assertion. Parmi tous les ĂȘtres de la nature que nous nommons inanimĂ©s, il serait impossible d’en trouver un qui, mieux qu’un bloc de marbre, rĂ©alisĂąt l’idĂ©e de repos et d’inertie. Cependant j’ose avancer qu’en dĂ©pit de toute apparence, ce bloc de marbre est un corps vivant, un corps animĂ©. Je devine qu’à ces paroles votre bon sens rĂ©voltĂ© suspecte le mien. Cependant, rĂ©primez vos prĂ©ventions et raisonnons avec sang-froid. Que signifient ces mots, corps vivant, corps animĂ©, sinon l’association d’une substance inerte tombant sous les sens, et d’une substance mĂ©taphysique que les sens ne saisissent pas? Voyons donc s’il n’y aurait pas dans le marbre quelque trace de cette association, quelques-unes des propriĂ©tĂ©s qui caractĂ©risent l’une et l’autre des deux substances. Les propriĂ©tĂ©s physiques du marbre n’ont pas besoin de dĂ©monstration je le vois, je le touche, donc 14 PREMIÈRE IBÇQ?». il existe proposition qui, je l’avoue, me semble aussi rationnelle que le fameux principe de la philosophie cartĂ©sienne je pense , donc j’existe. Mais l’existence matĂ©rielle d’un objet n’implique nullement dans cet objet la prĂ©sence d’une substance immatĂ©rielle; celle- ci n’a guĂšre d’autre critĂ©rium que le mouvement, et le marbre en est dĂ©pourvu.— Peut-ĂȘtre, rĂ©pondrai-je, et j’espĂšre que sur ce point yotre raison va bientĂŽt dĂ©mentir vos sens. En effet, approchons-nous de ce marbre si parfaitement immobile, essayons de le soulever, de le sĂ©parer du sol, et nos efforts sont impuissants pour vaincre sa rĂ©sistance. Jusque-lĂ  nĂ©anmoins il n’y a rien qui vous Ă©tonne le marbre rĂ©siste parce qu’il est pesant, et la pesanteur, bien que relative aux diffĂ©rents corps, est Ă  notre connaissance un fait constant chez tous. Rien de mieux; mais la reproduction constante d’un mĂȘme fait ne suffit pas Ă  beaucoup prĂšs pour en faire ressortir la cause, et je suis dans mon droit lorsque je demande qu’est-ce que la pesanteur? Les physiciens aussitĂŽt me rĂ©pondent La pesanteur est l’attraction exercĂ©e par le globe sur chacun des diffĂ©rents corps qui reposent Ă  sa surface Ă©trange dĂ©finition qui recule un peu la difficultĂ©, mais qui ne la rĂ©sout point. Gardons-nous, en effet, de nous payer de vaines paroles, et dĂ©clarons franchement que ce mot ééattraction ne nous fait pas mieux comprendre que celui de pesanteur la nature de ce lien invisible qui unit entre eux tous les corps de l’univers, de pet agent iinmatc-r riel qui Ă©mane de la nature, comme la pensĂ©e d’un homme Ă©mane de son cerveau. NATDBE ET DÉFINITION DD MAGNÉTISME. 1 5 Nous voilĂ  donc, dĂšs nos premiers pas dans la carriĂšre de l’observation,en prĂ©sence d’un fait, au premier abord aussi simple que vulgaire, et pourtant, en dĂ©finitive, tout aussi inexplicable que les miracles du magnĂ©tisme. Et, sur ce fait, vous demanderiez eu vain des Ă©claircissements Ă  la science ou aux gĂ©nies qui la reprĂ©sentent la science et les savants sont muets. Interrogez Newton, ou Lalande, ou Laplace; ces grands hommes vous enseigneront les lois dĂ©couvertes par le premier d’entre eux, lois qui sont devenues entre leurs mains les clefs de la mĂ©canique cĂ©leste, et leur ont suggĂ©rĂ© une explication plausible des grandes harmonies de l’univers; mais aucun d’eux ne vous Ă©clairera sur la nature essentielle du phĂ©nomĂšne de la pesanteur. Au surplus, poursuivons; car ce fait lui- mĂȘme, malgrĂ© la valeur trĂšs-significative que vous ne manquerez pas de lui trouver en mĂ©taphysique, si vous prenez la peine d’y rĂ©flĂ©chir assez longtemps, ce fait, dis-je, ne vous dĂ©terminerait guĂšre Ă  admettre chez les corps du rĂšgne minĂ©ral qu’une sorte de rĂ©sistance passive et trĂšs-distincte d’une vĂ©ritable viabilitĂ©, et comme j’ai Ă  ma portĂ©e des moyens de dĂ©r- monstration plus explicites et plus concluants, j’ai hĂąte de m'en servir. Puisque nous avons pris le marbre pour exemple, qu’il serve cette fois encore Ă  notre dĂ©monstration. RĂ©pandons Ă  sa surface un liquide douĂ© comme lui en apparence d’une inertie complĂšte, de 1 'acide sulfurique. AussitĂŽt, une secrĂšte activitĂ© se rĂ©vĂšle, la scĂšne s’anime, et des puissances inconnues se mettent en jeu. Les molĂ©cules du marbre s’agitent et se dĂ©composent, 16 PREMIÈRE LEÇON, un des Ă©lĂ©ments qui le constituaient se dĂ©gage dans l’atmosphĂšre, tandis que sur le sol un corps nouveau s’est formĂ© le marbre est devenu du sulfate de chaux. Comment donc s’est effectuĂ©e cette Ă©trange mĂ©tamorphose? Quel gĂ©nie mystĂ©rieux a opĂ©rĂ© ce miracle, et par quelle vertu magique la matiĂšre morte a-t-elle ainsi contractĂ© subitement la facultĂ© de se mouvoir ? Rien au monde de plus simple ; voici ce qui s’est passĂ© Le marbre, comme la plupart des corps qui tombent sous nos sens, est un composĂ© de matiĂšres diverses; il est formĂ© de chaux et d’acide carbonique. Un de scs Ă©lĂ©ments, la chaux, avait pour l’acide sulfurique plus d’affinitĂ© que pour l’acide carbonique avec lequel elle Ă©tait combinĂ©e d’abord, et c’est en raison de ce plus d’affinitĂ©, de cette attraction Ă©lective, que le mouvement a eu lieu et que la chaux et l’acide sulfurique se sont unis en se rapprochant. Ainsi, vous le voyez, les minĂ©raux ont comme les hommes leurs sympathies et leurs antipathies. Tous recĂšlent dans leur sein des tendances particuliĂšres, qui n’attendent, pour ainsi dire, que l’occasion de se mettre en jeu. Qui de vous eĂ»t soupçonnĂ©, avant que l’expĂ©rimentation chimique le lui eĂ»t appris, que ces pierres immobiles et glacĂ©es sur lesquelles nous marchons, sont cependant toutes animĂ©es de forces diverses, n’ayant besoin que d’ĂȘtre mises en prĂ©sence pour agir, c’est-Ă -dire pour constituer le mouvement, ce fait culminant de la vie? Certes, je ne suis ni athĂ©e ni matĂ©rialiste un magnĂ©tiseur ne saurait ĂȘtre ni l’un ni l’autre. Je recon- NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME. 17 nais donc avec respect le gĂ©nie du CrĂ©ateur dans les admirables transformations que nous prĂ©sente incessamment la nature, mais je ne vois ni la nĂ©cessitĂ© ni mĂȘme l’utilitĂ© de faire intervenir, sans interruption, la volontĂ© divine dans des phĂ©nomĂšnes dont le principe Ă©mane Ă©videmment de sa toute-puissance, mais dont la succession n’est que le dĂ©veloppement naturel du mĂȘme principe. Or, ce principe, cette cause primordiale, essentielle, de toute activitĂ©, c’est l’ñme universelle, dont l’existence n’est rien moins que chimĂ©rique et dont chaque sĂ©rie de manifestations est, ainsi que je vous l’ai dit dĂ©jĂ , l’objet spĂ©cial d’une de nos sciences. Ainsi, les physiciens ont circonscrit le domaine de celle qu’ils cultivent aux influences que les corps inertes exercent Ă  des distances plus ou moins considĂ©rables; tandis que les chimistes Ă©tudient les mĂȘmes phĂ©nomĂšnes dans des conditions plus limitĂ©es, et poursuivent jusque dans les Ă©lĂ©ments irrĂ©ductibles de la matiĂšre les affinitĂ©s particuliĂšres dont est pourvu chacun d’eux. Les uns et les autres, les chimistes et les physiciens, ont en outre portĂ© leur attention sur divers phĂ©nomĂšnes accessoires auxquels donnent lieu certains faits du rĂšgne inorganique; je veux parler de la lumiĂšre, de la chaleur et de l’électricitĂ©. Et voyez dĂ©jĂ  quelle complication de mouvement, d’activitĂ©, dans les manifestations de cette matiĂšre qu’on nous dit inanimĂ©e' Regardez autour de vous, Messieurs, sur cette terre qu’on a crue si longtemps immobile et qui se meut si violemment dans l’espace; sur les deux rivages de cet ocĂ©an, dont le flux et le reflux sem- 2 18 PREMIÈRE LEÇON, blent la respiration ; entre ces deux pĂŽles qui s’élĂšvent et s’abaissent tour Ă  tour, comme le balancier de l’éternitĂ©, comme les deux ailes du temps, que de force, que de vie! Mais ce n’est pas tout encore; laissez la nature suivre son cours et se charger du soin de rassembler elle-mĂȘme les Ă©lĂ©ments Ă©pars des millions d’existences qu’elle enfante chaque jour. Ces Ă©lĂ©ments, qu’un mystĂ©rieux pouvoir rapproche et rĂ©unit, se coordonnent par groupes autour de germes qui semblent ĂȘtre en quelque sorte la vie posthume d’ĂȘtres analogues Ă  ceux qu’ils doivent fournir, et bientĂŽt surgissent ces individualitĂ©s dont le mĂ©canisme Ă©chappe aux investigations de nos sens comme Ă  celles de notre esprit, ici sous la forme d’un homme, lĂ  sous l’aspect plus humble d’une mousse ou d’un lichen. ArrĂȘtons- nous un instant au plus simple de ces ĂȘtres que nous nommons organiques c’est lĂ  peut-ĂȘtre, Ă  cette vĂ©gĂ©tation Ă©quivoque que nous voyons naĂźtre Ă  la surface d’un liquide en putrĂ©faction; c’est lĂ , dis-je, que pour les savants commence seulement la vie. Mais n’est-il pas Ă©vident que celte premiĂšre individualisation de l’existence, tout en se caractĂ©risant par des phĂ©nomĂšnes qui lui sont propres, ne suppose pas nĂ©cessairement des Ă©lĂ©ments vitaux d’un nouveau genre, et peut trĂšs-rationnellement s’expliquer par une combinaison, dans certaines proportions, des forces inhĂ©rentes Ă  la matiĂšre inorganique. En d’autres termes l’activitĂ© vitale des vĂ©gĂ©taux, comme celle des animaux, n’est vraisemblablement qu’une modification particuliĂšre de la pesanteur, de l’affinitĂ©, etc. Quoi qu’il en soit, cette merveilleuse transforma- NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME. 19 tion, cette sorte de condensation de la vie dans des ĂȘtres distincts, dĂ©finis, donnant lieu Ă  une sĂ©rie de manifestations, ayant entre elles plus ou moins d’analogie, devait ĂȘtre le sujet d’une science spĂ©ciale. Cette science, en effet, existe; c’est la physiologie , ou la science de la vie \ Mais la physiologie, d’aprĂšs ce qui prĂ©cĂšde, devait aussi bien comprendre l’étude de la vie chez les ĂȘtres organiques que l’étude de la vie chez les ĂȘtres organisĂ©s, et , personne de vous n’ignore qu’il n’en est point ainsi. Cela tient Ă  ce que la nature est grande, et l’esprit de l’homme petit; car si l’admirable systĂšme de l’univers ne constitue rĂ©ellement pour le CrĂ©ateur qu’une seule et mĂȘme vĂ©ritĂ©, les lambeaux Ă©pars de cette vĂ©ritĂ© la multiplient Ă  nos yeux. VoilĂ  donc pourquoi nous avons tant de peine Ă  comprendre comment le magnĂ©tisme, ou la puissance magnĂ©tique appartenant exclusivement, au moins en apparence, aux espĂšces animales, peut avoir quelques rapports avec les propriĂ©tĂ©s abstraites de la matiĂšre inerte. Telle est pourtant la vĂ©ritĂ© que j’espĂšre vous faire comprendre. Établissons, en attendant, que le magnĂ©tisme est, ainsi que vous le soupçonnez dĂ©jĂ , une des branches les plus curieuses de la physiologie gĂ©nĂ©rale ce qu’il me reste Ă  vous dire aujourd’hui vous fournira les Ă©lĂ©ments d’une dĂ©finition plus prĂ©cise. On l’a dit depuis longtemps rien n’est plus difficile que de dĂ©finir la vie. Suivant Locke, c’est le mouvement et suivant Bicliat l ’ensemble des phĂ©nomĂšnes 1 Voyez J. Manuel de Physiologie. Paris, 1 845. In-8°, avec figures. 20 PREMIÈRE LEÇON. qui rĂ©sistent a la mort y dĂ©finition qui, pour avoir Ă©tĂ© rĂ©pĂ©tĂ©e Ă  satiĂ©tĂ© depuis ce cĂ©lĂšbre anatomiste, n’en est pas moins, selon nous, un pur et simple paralogisme. Mais Locke exprimait-il une opinion plus raisonnable, en considĂ©rant le mouvement comme essence de la vie ? J’ose affirmer, quant Ă  moi, que cette assertion Ă©tait dĂ©fectueuse, et vous allez le comprendre La vie, loin d’ĂȘtre constituĂ©e par un fait unique, indivisible, Ă©mane, chez tous les ĂȘtres, de deux Ă©lĂ©ments distincts, de deux facultĂ©s corrĂ©latives la facultĂ© iĂŻagir et la facultĂ© de sentir. Mais, prenez-y garde ces deux mots, sentir et agir, ont, dans mon esprit, un sens fort Ă©tendu. Tout sent dans la nature; mais cette facultĂ© universelle se modifie dans chacun des ĂȘtres, suivant son mode particulier d’existence. L’homme ne sent pas comme la bĂȘte, celle-ci comme le vĂ©gĂ©tal, et les vĂ©gĂ©taux, Ă  leur tour,ne sentent pas comme les minĂ©raux, qui ont aussi, je vous l’ai prouvĂ©, leurs excitants, leurs modificateurs. Tout, pareillement, agit dans la nature la pierre qui gravite, la plante qui croĂźt, la bĂȘte qui se meut, l’homme qui pense. U est Ă©vident d’ailleurs que, sous le rapport de leur perfection, ces deux facultĂ©s de sentir et d’agir subissent un dĂ©veloppement parallĂšle, depuis le minĂ©ral oĂč elles commencent,jusqu’à l’homme oĂč elles sont Ă  leur apogĂ©e. Rien ne nous serait plus facile que de suivre les traces de ce dĂ©veloppement dans toute la sĂ©rie des ĂȘtres. N’est-il pas vrai, par exemple, que, dans la propriĂ©tĂ© double dont sont douĂ©s les minĂ©raux d’exercer et de subir l’attraction, nous 21 NATÜKE ET DÉFINITION DD MAGNÉTISME, pourrions sans un grand effort d’esprit reconnaĂźtre le double principe de l’activitĂ© et de la sensibilitĂ© chez les ĂȘtres des ordres supĂ©rieurs. Je sais que les physiologistes ne consentiront jamais Ă  nous accorder ce point; mais pour leur faire la partie plus belle, plaçons-nous sur leur domaine et prenons avec eux pour premier sujet d’examen un ĂȘtre organisĂ©. La truffe, par exemple, qui se reproduit au sein de la terre, sans organes apparents de reproduction, la truffe vCagil-eWc point sur les sucs du sol en se les appropriant, et n’est-elle pas Ă  son tour modifiĂ©e dans son existence par les diffĂ©rentes qualitĂ©s du milieu oii elle croĂźt? L’action et l’impression sont ici, comme dans la pierre, les deux pĂŽles de la vie. Montons de quelques degrĂ©s encore dans la hiĂ©rarchie ontologique, et ces deux conditions vitales se caractĂ©risent de plus en plus. Ici, c’est l’herbe qui respire activitĂ©, et qui a besoin pour vivre de chaleur et de lumiĂšre Un- pressionabililĂš ; lĂ , c’est la belle-de-nuit qui ouvre ses pĂ©tales Ă  la fraĂźcheur du crĂ©puscule, et plus loin, la sensitive qui contracte ses feuilles au plus lĂ©ger contact. Puis se prĂ©sentent, enfin , ces racines intelligentes, ou que du moins une sorte d’instinct semble diriger, lorsqu’elles tournent si habilement les rochers et les murailles, pour aller s’immerger dans le sol qui les doit nourrir. Ce dernier exemple suffit pour faire comprendre par quelles transitions insensibles, l’observateur qui suit fidĂšlement la nature, passe d’un rĂšgne Ă  un autre rĂšgne. Disons, toutefois, qu’à partir de ce point indĂ©terminable oĂč l’animalitĂ© commence, la vie se centra- 22 PREMIÈRE LEÇON. * lise de plus en plus dans des appareils spĂ©ciaux qui semblent en ĂȘtre les foyers, mais qui vraisemblablement n’en sont que les rĂ©ceptacles. Enfin, des sens apparaissent, se perfectionnent en se multipliant, et diversifient, suivant leur nombre, les impressions qui arrivent Ă  l’ĂȘtre, dont l’individualitĂ© est alors si distincte et si tranchĂ©e que nous serions tentĂ©s de voir en lui, ainsi que nous l’avons dĂ©jĂ  fait remarquer, l’expression d’une vie Ă  part et complĂštement affranchie des lois de la matiĂšre inerte. Quoi qu’il en soit, c’est par suite de cette concentration de la vie que la facultĂ© de sentir, chez l’animal, semble dĂ©plus en plus se rapporter Ă  un certain point central qui serait en mĂȘme temps le principal foyer des voĂ»tions, c’est-Ă -dire de l’activitĂ©. Ces voĂ»tions, d’abord purement instinctives comme dans les plantes ou les mollusques, deviennent, Ă  mesure qu'on s’élĂšve d’espĂšces en espĂšces, une vĂ©ritable volontĂ©. Chez l’homme, le plus parfait des ĂȘtres organisĂ©s, la volontĂ© n’est plus Ă  mettre en doute ; et chez l’homme de gĂ©nie, la mĂȘme facultĂ©, dirigĂ©e par une Ăąme d’essence divine, est devenue l’indĂ©pendance absolue de la pensĂ©e et des actes *. La volontĂ© humaine, cette sorte de subtilisation de 1 De lĂ , sans doute, ces incessantes aspirations vers la libertĂ© morale , politique, religieuse, etc., qui, dans toutes les histoires, caractĂ©risent les nations intelligentes ; car ce besoin d’indĂ©pendance qui tourmente et soulĂšve les peuples n’est que l’exprtssion synthĂ©tique du mĂȘme besoin dans chaque individu. — Le libre arbitre, admis par la plupart des philosophes , est vĂ©ritablement, Ă  mes veux, le critĂ©rium de l’humanitĂ©. 23 NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME, l'activitĂ© vitale, jointe Ă  la sensibilitĂ©, si dĂ©licate et si variĂ©e dans ses moyens, qui nous est dĂ©volue, nous reprĂ©sentent donc les deux faces de la vie individuelle dans toute sa perfection, et c’est dans ces deux admirables facultĂ©s que nous allons trouver enfin les Ă©lĂ©ments du magnĂ©tisme. D’une part, en effet, cette volontĂ© qui constitue, dans le monde moral comme dans le monde physique, la suprĂ©matie de l'homme, qui rĂšgle tous nos actes de relations et h laquelle sont subordonnĂ©es toutes les parties de notre ĂȘtre, cette volontĂ©, dis-je, est susceptible de faire expansion hors de nous et d’embrasser plus ou moins, dans sa sphĂšre d’activitĂ©, les ĂȘtres qui nous environnent. D’un autre cĂŽtĂ©, la facultĂ© de sentir, ou la sensibilitĂ©, nous livre continuellement aux influences du monde ambiant. De lĂ  une perpĂ©tuelle rĂ©ciprocitĂ© d’action entre tous les ĂȘtres de la nature, et voilĂ  le MagnĂ©tisme. Vous verrez d’ailleurs comment l’habitude et certaines conditions physiques peuvent augmenter indĂ©finiment l’influence extĂ©rieure de la volontĂ© *. Vous verrez Ă©galement comment, par suite d’une concentration artificielle de la vitalitĂ©, la sensibilitĂ© s’exalte et acquiert un tel degrĂ© de perfection et de dĂ©licatesse que l’homme, dans son Ă©tat ordinaire, ne saurait s’en * Tout le monde sait que cette action expansive de la volontĂ© n’appartient pas exclusivement Ă  l’homme. Plusieurs animaux en donnent des preuves relativement Ă  des ĂȘtres plus faibles qu’eux. L’oiseau fascine par le serpent peut servir d’exemple. Le serpent est, Ă  son tour, un des animaux qui ressentent le mieux l’influence de la volontĂ© humaine. 24 PREMIÈRE LEÇON, faire une idĂ«e prĂ©cisĂ©, et ne se dĂ©cide mĂȘme Ă  croire aux phĂ©nomĂšnes qui eu rĂ©sultent qu’à l’instant ou il voit les faits. Quoiqu’on en ait pu dire, le magnĂ©tisme ainsi prĂ©sentĂ© n’a rien de miraculeux, c’est-Ă -dire rien de contradictoire aux autres vĂ©ritĂ©s connues il ne faut qu’un peu de rĂ©flexion pour le concevoir, qu’un peu d’esprit pour le comprendre. Mais si le magnĂ©tisme consiste uniquement dans cette incessante rĂ©ciprocitĂ© d’action de toutes les volontĂ©s, nous vous ferons voir par la suite que l’intermĂ©diaire de ces influences est aussi le principal agent qui prĂ©side aux actes intimes de tous les ĂȘtres organisĂ©s. Cela posĂ©, j’ai donc le droit d’appeler la science qui a pour objet l’ensemble de phĂ©nomĂšnes aussi importants la science de la vie par excellence, ou la physiologie transcendante , et telle est, en effet, la dĂ©finition que je donne du magnĂ©tisme. Mes leçons vous rĂ©vĂ©leront une partie du rĂŽle immense qu’il joue nĂ©cessairement dans nos relations sociales ; mais je dois consacrer les plus prochaines Ă  son histoire, c’est-Ă -dire aux notions successives que les hommes en ont eues. DEUXIÈME LEÇON. HISTOIRE DU MAGNÉTISME. Messieurs, Si vous avez eu la patience de nie suivre attentivement dans les considĂ©rations gĂ©nĂ©rales qui ont fait le sujet de ma premiĂšre leçon , vous comprendrez facilement aujourd’hui que l’histoire du magnĂ©tisme ait pour objet de rechercher et de constater, dans les Ă©vĂ©nements accomplis, la succession des effets produits par le jeu simultanĂ© des deux facultĂ©s corrĂ©latives sur lesquelles j’ai appelĂ© votre attention la facultĂ© dont sont douĂ©s les ĂȘtres organisĂ©s d’influencer, au moyen d’un intermĂ©diaire invisible, tous les ĂȘtres qui les environnent, et la facultĂ© qu’ils possĂšdent tous de subir cette influence. J’avoue qu’au premier coup d’Ɠil la question, ainsi posĂ©e, ouvre Ă  nos investigations une carriĂšre tellement vaste, tellement illimitĂ©e, que l’esprit le plus rĂ©solu peut s’effrayer Ă  l’idĂ©e de la parcourir; mais ce n’est pas ma faute si l’histoire du magnĂ©tisme, ainsi que je la conçois se lie intimement Ă  l’histoire philosophique du genre humain tout entier. J’ai d’ailleurs la cer- 26 DEUXIÈME LEÇON, titude que, malgrĂ© son Ă©trangetĂ©, ma pensĂ©e, Ă  cet Ă©gard, obtiendra votre adhĂ©sion quand l’analyse raisonnĂ©e des faits en aura justifiĂ© l’expression. Lorsque Rabelais imaginait sa fable des moutons de Panurge, il Ă©tait loin, sans doute, de soupçonner tous les genres d’enseignements que renfermait celte plaisante allĂ©gorie. FrappĂ© comme tant d’autres penseurs de ce servilisme intellectuel qui semble spontanĂ©ment infĂ©oder les hommes, l’ingĂ©nieux auteur de Pantagruel n’avait d’autre intention que de personnifier dans un type ridicule ce sot instinct d’imitation dont Horace s’était moquĂ© bien des siĂšcles avant lui. Mais quelle surprise ne lui eĂ»t-on pas causĂ©e en lui apprenant que ce besoin d’imiter, qui le choquait si fort, dĂ©pendait de certaines conditions physiologiques essentielles et communes Ă  tous les ĂȘtres organisĂ©s! L’observation la plus vulgaire multiplie continuellement sous nos yeux les preuves qui justifient cette assertion, contre laquelle cependant s’élĂšvent, au premier abord, notre raison et nos sens, Ă©galement blasĂ©s par l’habitude. Si le raisonnement rĂšgle la plupart de nos actes physiques, personne n’oserait prĂ©tendre qu’il en soit toujours ainsi; personne, du moins, ne serait en droit d’affirmer que cette surveillance de l’ñme sur le corps n’est jamais interrompue; en un mot, que nous n’agissons jamais sans nous ĂȘtre prĂ©alablement consultĂ©s sur la nĂ©cessitĂ© d’agir. Loin de lĂ , tout le monde convient que les mouvements automatiques, ou, si l’on veut, instinctifs, ne sont guĂšre moins frĂ©quents chez l’homme que les mouvements raisonnĂ©s. Cette 27 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, proposition qui est fondĂ©e relativement aux hommes, relativement surtout aux enfants, acquiert le plus haut degrĂ© d’évidence si ou l’applique aux animaux. Or, une distinction qu’il nous importe infiniment d’établir, puisqu’elle est la base de notre systĂšme, c’est que, si les mouvements raisonnĂ©s Ă©manent nĂ©cessairement de l’esprit, si, en d’autres termes, ces mouvements ont leur principe dans l’organisation mĂȘme de l’individu qui les exĂ©cute, il n’en est pas ainsi des mouvements automatiques, dont la cause peut ĂȘtre Ă©trangĂšre Ă  l’organisme qui se meut. instinct, dans ce dernier cas, est, suivant tous les philosophes, le mot explicatif du phĂ©nomĂšne qui a lieu. Mais ce mot instinct a-t-il un sens dans la bouche des philosophes? Au moins faut-il convenir que, dans l’idĂ©e confuse qu’ils en expriment, il est impossible de dĂ©couvrir autre chose qu’une pure entitĂ© de convention encore plus insaisissable que le sentiment ou la pensĂ©e. Cependant il me semble qu’en complĂ©tant d’une certaine façon le sensorium des mĂ©taphysiciens, je parviens Ă  concevoir l’instinct d’une maniĂšre satisfaisante. Selon moi, c’est une espĂšce de centre vital, de foyer d’animation vers lequel convergent toutes les effluves du monde ambiant et d’oĂč rayonnent continuellement les diverses manifestations de la vie individuelle. Dans un degrĂ© supĂ©rieur, ou plutĂŽt dans un autre compartiment de la substance nerveuse, la pensĂ©e rĂ©side ou s’organise d’aprĂšs des lois inconnues. L’instinct, sorte d’intermĂ©diaire entre le phĂ©nomĂšne intellectuel et le phĂ©nomĂšne de gravitation, entre l’ñme et la matiĂšre, entre la vie individuelle et la vie universelle, l’instinct reçoit, de 28 DEUXIÈME LEÇON, deux sources diffĂ©rentes, les excitations qu’il transmet Ă  l’économie. Les influences de la raison et les influences du monde extĂ©rieur y aboutissent tour Ă  tour ou simultanĂ©ment. Ces deux forces opposĂ©es s’y combinent sans se neutraliser l’état normal consiste dans leur parfait Ă©quilibre, et de la prĂ©dominance de la raison ou de la prĂ©dominance de l’impressionabilitĂ© rĂ©sultent deux Ă©tats contradictoires diversement qualifiĂ©s dans le langage ordinaire. La foi-ce cl'cime et la faiblesse d’espril n’existent jamais d’ailleurs d’une maniĂšre absolue , et dĂ©pendent indirectement, comme personne ne l’ignore, de certaines conditions physiologiques qu’il serait ici hors de propos d’énumĂ©rer. Cette hypothĂšse , hasardĂ©e peut-ĂȘtre, sur les lois de la vie organique me paraĂźt nĂ©anmoins fournir une explication assez plausible de la tendance instinctive Ă  imiter qu’on observe chez tous les animaux, et sur nous-mĂȘmes, lorsqu’une prĂ©occupation intellectuelle nous abandonne, pour ainsi dire, dans notre partie physique, aux influences extĂ©rieures. C’est alors une puissance Ă©trangĂšre Ă  notre propre individualitĂ© qui rĂšgle nos voĂ»tions, et secondairement nos actes. Qui d’entre vous quelquefois n’a ri en voyant rire? qui n’a rĂ©pĂ©tĂ© machinalement le geste d’un comĂ©dien ’ ? 1 Les deux anecdotes suivantes prouvent jusqu’à quel point les impressions peuvent se transmettre, mĂȘme lorsqu’elles ne sont qu’imaginaires et mĂȘme lorsqu’elles sont feintes Eu l’an 1686, pendant les mois de juin et de juillet, dit un chroniqueur, bien des gens encore vivants peuvent rendre tĂ©moignage que, dans les environs de Crossford-Boat, Ă  deux milles au- dessous de Lanark, et particuliĂšrement Ă  Mains, sur la Clyde, un grand nombre de personnes se rassemblĂšrent pendant plusieurs HISTOIRE DE MAGNÉTISME. 29 Quelle bouche n’a redit, sans la moindre participation de la pensĂ©e, les mots incohĂ©rents que l’oreille avait soirĂ©es, et il y avait une pluie de bonnets, de chapeaux, de fusils et de sabres qui couvraient les arbres et la terre; des compagnies d’hommes armĂ©s marchant en bon ordre sur le bord de l’eau; des compagnies rencontrant des compagnies, se traversant les unes les autres, puis tombant Ă  terre et disparaissant ; d’autres compagnies paraissaient aussitĂŽt et marchaient de la mĂȘme maniĂšre. Je m’y rendis trois soirĂ©es consĂ©cutives, et je remarquai qu’il y avait les deux tiers des spectateurs qui voyaient ce prodige et un tiers qui ne le voyait pas; et quoique je ne pusse rien voir, il y avait une telle frayeur et un tel tremblement parmi ceux qui voyaient que ceux mĂȘme qui ne voyaient pas pouvaient s’en apercevoir. Il y avait debout, Ă  cĂŽtĂ© de moi, un homme qui parlait comme parlent trop de gens et qui disait et Une troupe de maudits sorciers et sor- ciĂšres qui ont la seconde vue! Du diable, si je vois quelque chose ! » Et au mĂȘme instant il se fit sur sa physionomie un changement remarquable. Avec autant de crainte et de tremblement qu’aucune des femmes que je voyais lĂ  , il s’écria n Vous tous qui ne voyez pas, ne dites rien, car c’est un fait, et chacun peut le n voir, Ă  moins qu’il ne soit complĂštement aveugle ! » Et ceux qui voyaient disaient quels chiens avaient les fusils, et leur longueur et leur calibre, et quelles poignĂ©es avaient les sabres, si elles Ă©taient petites ou Ă  trois barres, ou Ă  la maniĂšre des montagnards, et quels nƓuds terminaient les bonnets, et s’ils Ă©taient noirs ou bleus ; et ceux qui virent ce prodige, quand ils faisaient un voyage, voyaient des bonnets et des sabres tomber sur leur chemin. Ce phĂ©nomĂšne singulier, auquel crut tout une multitude, quoique les deux tiers seulement eussent vu ce qui, si le prodige eĂ»t Ă©tĂ© rĂ©el, devait ĂȘtre Ă©galement visible pour tous, peut se comparer Ă  l’exploit d’un plaisant qui, s’étant plantĂ© dans une attitude d’étonnement, les yeux fixĂ©s sur le lion de bronze bien connu qui orne la façade de Northumberland-Honse, dans le Strand, et ayant attirĂ© l’attention de ceux qui le regardaient, en murmurant » De par le ciel, il remue la queue! il la remue encore! » rĂ©ussit, en quelques minutes, Ă  bloquer le passage dans cette rue par un attroupement immense, quelques-uns s’imaginant avoir rĂ©ellement vu le lion de Percy remuer sa queue, les autres s’attendant Ă  voir le mĂȘme phĂ©nomĂšne. » Scott, De la De'monalogie. 30 DEUXIÈME LEÇON, saisis. Ces distractions, j’en conviens, ne sont ordinairement que des Ă©ventualitĂ©s Ă©phĂ©mĂšres, et dont le peu de durĂ©e prouve suffisamment l’anomalie. Mais imaginez qu’elles se prolongent indĂ©finiment,et vous aurez fait des hommes de vĂ©ritables automates dont les actes auront pour principes les fantaisies de votre cette imitation automatique, cette activitĂ© d’emprunt, qui constitue chez l’homme une facultĂ© accidentelle, mais susceptible de dĂ©veloppement, comme vous le verrez par la suite, est un des traits dominants et caractĂ©ristiques de l’animalitĂ© dans les espĂšces infĂ©rieures. Regardez, par exemple, paĂźtre un troupeau de moutons. Ne dirait-on pas qu’un rĂ©seau invisible unit entre eux tous ces animaux et les entretient continuellement dans une parfaite communautĂ© de mouvements et d’instincts? Ils marchent ou s’arrĂȘtent avec le berger qui les conduit. Tous le suivent ou se suivent Ă  la file sans que jamais personne ait songĂ© Ă  leur faire une vertu de ce genre de fidĂ©litĂ©. Qu’un pied d’herbe fraĂźche suspende la marche d’un d’entre eux, tous s’arrĂȘtent Ă  son exemple; que le chien, au contraire, harcĂšle le dĂ©linquant, la frayeur que celui-ci en Ă©prouve se communique de proche en proche, et l’émotion est gĂ©nĂ©rale. Tous les moutons, enfin , sont les moutons de Panurge.... Eh bien! changeons la scĂšne; Ă©largissons un peu ces cerveaux incomplets ; qu’une Ă©tincelle de raison Ă©claire l’instinct qui les anime; remontons enfin vers le CrĂ©ateur, et arrĂȘtons-nous Ă  son image. Un million d’hommes est actuellement Ă  la place du troupeau. Avons-nous donc la certitude que les Ăąmes immortelles, logĂ©es par la Providence dans ces tĂȘtes 31 HISTOIRE DÜ MAGNÉTISME, privilĂ©giĂ©es , rĂ©sisteront en tontes circonstances au terrible contre-poids d’impulsions analogues Ă  celles que je viens de dĂ©crire? Mais quoi! nous serait-il dĂ©montrĂ© que la pure raison, la froide et impassible raison, a seule prĂ©sidĂ© jusqu’à prĂ©sent aux destinĂ©es humaines? que ces effrayantes convulsions qui, d’intervalle en intervalle, ont bouleversĂ© les sociĂ©tĂ©s, ne furent que les solutions nĂ©cessaires et logiques de problĂšmes froidement posĂ©s et froidement rĂ©solus? Les passions elles-mĂȘmes, s’il Ă©tait dans leur essence de rester individuelles, n’expliqueraient pas mieux que les gĂ©nies inventĂ©s par les poĂštes, ou que les dĂ©mons dĂ©crits par Tertullien dans Y ApologĂ©tique ', ces accĂšs de dĂ©lire furieux, dont furent si souvent atteintes les nations les plus intelligentes et les plus Ă©clairĂ©es. Mais voici le mot de l’énigtne Les passions sont contagieuses. Ouvrez l’une aprĂšs l’autre les histoires de tous les peuples; Ă©voquez toutes les traditions; apprĂ©ciez dans leur cause, dans leur marche et dans leur objet les rĂ©volutions des temps antiques et les rĂ©volutions des temps modernes, et toujours vous reconnaĂźtrez, eu remontant jusqu’à leur source ces courants irrĂ©sistibles qui emportĂšrent dans leurs flots des gĂ©nĂ©rations entiĂšres, la puissance surnaturelle qui en a fixĂ© la direction. Cette puissance, quelle est-elle? un seul homme, quelquefois aussi un grand gĂ©nie, mais, le plus souvent, un homme de plus surprenant , de plus incomprĂ©hensible que les innovations subites dans les croyances ou dans les mƓurs, * Traduction de Yassoult, p. i58 et suiv. 32 DEUXIÈME LEÇON, que nous voyons de loin en loin renouveler la face du monde. Au souffle puissant des MoĂŻse, des CĂ©sar, des Mahomet, des Charlemagne, l’humanitĂ© s’agite, s’échauffe, s’embrase et se refond. Mais est-ce Ă  l’intelligence seule de ces hommes extraordinaires qu’il faut rapporter exclusivement l’honneur des rĂ©gĂ©nĂ©rations accomplies sous leur empire? en vĂ©ritĂ©, je ne le crois pas. Si la force physique ne convainc personne , la raison ne sĂ©duit que les sages lorsqu’elle n’est point corroborĂ©e par un pouvoir indestructible, plus fort que la pensĂ©e, plus fort que le gĂ©nie, plus puissant que la force elle-mĂȘme. Je parle de cet agent invisible qui trouble avant de convaincre et rayonne de certaines tĂȘtes comme une aurĂ©ole de feu ; je parle de cette vertu magique que l’histoire et la fable ont tour Ă  tour divinisĂ©e, l’une dans la verge de MoĂŻse, l’autre dans le thyrse de Bacchus; je parle, enfin , de cette puissance qui fascine sans raisonner, qui subjugue sans se faire connaĂźtre, de ce prestige qui fanatisait la France pour l’empereur NapolĂ©on, etconfie aujourd’hui les destinĂ©es de l’Irlande Ă  la volontĂ© capricieuse d’un illustre dĂ©magogue *. Qu’en jugeant les Ɠuvres des chefs de sectes ou des chefs de partis, Mahomet, Calvin, Cromwel, Owen ou Saint-Simon, on fasse une large part Ă  la pensĂ©e qui conçoit, Ă  la vigueur qui exĂ©cute, et mĂȘme Ă  l’admiration que l’une et l’autre excitent, tout cela ne suffit point pour expliquer la succession rapide cl la spontanĂ©itĂ© de ccr- * J’admire autant que qui que ce soit le caractĂšre et le talent de M. O’Connell; mais cela ne m’empĂȘche pas de dire que l’Irlande est fanatisĂ©e pour sa personne, et n’en est plus Ă  discuter ses opinions pour les adopter et les soutenir. 33 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, tains Ă©vĂ©nements qui impliquent le fanatisme. Essentiellement incompatible avec les inductions mĂ©thodiques de l’intelligence, le fanatisme, cette conviction quand mĂȘme , ce sentiment dĂ©sordonnĂ© qui entraĂźne fatalement vers un but incompris, est Ă©videmment la nĂ©gation de tout raisonnement, de tonte logique, et caractĂ©rise en psychologie un ordre de faits spĂ©cial. Susceptible d’ailleurs d’affecter toutes les formes comme d’envahir toutes les organisations, le fanatisme peut engendrer les rĂ©sultats les plus divers, et mĂȘme, en apparence , les plus contradictoires il a pour type l’amour, mais l’amour dans toute la vĂ©ritĂ© du mot, celui qui s’attache indiffĂ©remment Ă  la vierge la plus pure comme Ă  la plus infĂąme des prostituĂ©es. Loi suprĂȘme des bonzes, des fakirs, des marabouts, etc., le fanatisme inspira l’abnĂ©gation sublime des pĂšres de la Merci, dans le mĂȘme pays oĂč il alluma les bĂ»chers de l’inquisition. Cent fois plus contagieux que le typhus ou la variole, il se propage de proche en proche, s’étend comme un incendie, et souvent, tous tant que nous sommes, nous atteint Ă  notre insu. Que sont, je vous le demande, nos convictions politiques? La certitude en cette matiĂšre aurait-elle son critĂ©rium? Eh mon dieu! qui s’en soucie? La tĂȘte pleine des impressions que nous ont transmises nos amis ou nos pĂšres, nous nous lions par le cƓur au parti qui nous adopte ou dans lequel nous sommes nĂ©s, et, voilĂ  comment le fanatisme devient sous une main habile et puissante le levier avec lequel on soulĂšve les nations, lorsqu’il s’agit d’ériger ou de renverser un trĂŽne. Le fanatisme, enfin, est l’instinct collectif, l’ñme sensitive des sociĂ©- 3 34 DEUXIÈME LEÇON, tĂ©s que presque dans aucun cas la raison ne domine. Quelquefois nĂ©anmoins la raison et lui s’accordent pour concourir Ă  un mĂȘme but ; mais l’opposition flagrante qui presque toujours rĂšgne entre eux me paraĂźt une preuvesans rĂ©plique qu’il existe positivement d’homme Ă  homme, et surtout au profit de certains hommes, un moyen puissant d’agir sur leurs semblables tout aussi indĂ©pendant de rinlelligence que de la force physique, et ce moyen est le magnĂ©tisme. Les abus qu’on en a faits ajoutent Ă  sa certitude ; elle me paraĂźt irrĂ©fragable dans une foule d’évĂ©nements dont l’histoire n’a pas toujours dĂ©terminĂ© la vraie cause. C’est surtout dans les affaires de sentiments, c’est- Ă -dire Ă  l’occasion des croyances qui, au lieu de s’appuyer sur des documents positifs, ne reposent que sur l’interprĂ©tation Ă©quivoque de faits douteux ou con- trouvĂ©s; c’esl dans l’histoire des religions, en un mot, que les exemples d’entraĂźnement magnĂ©tique sont aussi nombreux que dĂ©plorables. Que, par exemple, on lise sans prĂ©jugĂ©s les annales du christianisme 1 , et en examinant, avec sang-froid, la maniĂšre dont se sont formĂ©es les sectes innombrables qui ont troublĂ© la paix du monde depuis les apĂŽtres jusqu’à nos jours, on reconnaĂźtra dans chacune d’elles le dĂ©veloppement d’une vĂ©ritable Ă©pidĂ©mie, dont le point de dĂ©part est 1 On peut consulter, Ă  cet Ă©gard, le Dictionnaire des Cultes, par Delacroix, le Dictionnaire de ThĂ©ologie de Bergier, et pardessus tout VHistoire de l'Eglise de M. l'abbĂ© Receveur, incontestablement supĂ©rieure Ă  celle de Fleury comme Ă  celle de BĂ©rault- Bercastel. — U Histoire de l’Eglise par M. l’aLbĂ© Receveur est un livre de fonds qui doit se trouver dans toute bibliothĂšque bien composĂ©e. 35 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, le cerveau d’un fou, quelquefois mĂȘme d’un fou furieux. Quelques exemples pris au hasard vont prouver ce que j’avance. Saint IrĂ©nĂ©e, saint Epiphane, Tertullien , ThĂ©odoret et saint Augustin, placent au 11' siĂšcle la secte des CaĂŻniles, mais ils ne nomment pas le dĂ©mon incarnĂ© qui en inventa la doctrine. Les caĂŻnites vĂ©nĂ©raient la mĂ©moire de CaĂŻn, des sodomites , d’EsaĂŒ, de CorĂ©, de Judas, etc. Ils reconnaissaient un principe supĂ©rieur a Dieu, et prĂ©tendaient que CaĂŻn en provenait, tandis qu’Abel, disaient-ils, n’était que le fils du CrĂ©ateur, et ils exaltaient la trahison de Judas comme une Ɠuvre mĂ©ritoire, attendu que sa haute sagesse lui avait fait voir tout le bien que JĂ©sus-Christ ferait aux hommes, ce qui Ă©tait en opposition directe avec leurs maximes. Ils admettaient qu’une certaine classe d’anges prĂ©sidait aux pĂ©chĂ©s et aidait Ă  les commettre; en consĂ©quence, ils enseignaient, d’aprĂšs le contenu d’un livre Ă  leur usage, intitulĂ© Ascension de saint Paul, qu’il fallait renverser et dĂ©truire les ouvrages du CrĂ©ateur, et qu’à cet effet, il Ă©tait licite, mĂȘme obligatoire de se livrer Ă  tous les vices, Ă  tous les crimes, si Von 'Voulait faire son salut. Que de pareilles monstruositĂ©s germent et s’élaborent dans une tĂȘte en dĂ©lire; que mĂȘme, quelque infernal gĂ©nie, tel que le marquis de Sade, coordonne en prĂ©ceptes la morale inqualifiable que je viens d’exposer, on conçoit jusqu’à un certain point que les bagnes ou les maisons d’aliĂ©nĂ©s prĂ©sentent, de loin en loin, de ces terribles anomalies. Mais que cette morale trouve des apĂŽtres de bonne foi, parmi des gens qui ne sont ni des 36 DEUXIÈME LEÇON. monstres, ni des fous reconnus pour tels, c’est ce qui dĂ©passe toute conception, et c’est pourtant ce qui eut lieu. Une femme nommĂ©e Quintilla, dit Tertullien, porta le caĂŻnisme en Afrique, et, comme elle y introduisit Ă  son tour de nouvelles abominations, ses adhĂ©rents furent appelĂ©s quint illianites. » Ainsi, les quin- tillianites volaient, violaient, assassinaient pour le salut de leur Ăąme et pour la plus grande gloire du principe Ă©ternel. Quelle plus affreuse contagion a jamais dĂ©solĂ© le monde, et comment parviendrait-on Ă  en expliquer les progrĂšs, sans l’intervention fatale d’un aveugle instinct d’imitation et d’un pouvoir fascinateur qui annihile l’intelligence. Cependant, je veux bien encore vous accorder qu’un horrible Ă©goĂŻsme, qu’une infĂąme sensualitĂ© aient suffi pour propager le dogme des caĂŻnites ' ; mais combien n’est-il pas d’autres sectes Ă  l’égard desquelles il n’est plus possible d’évoquer l’intĂ©rĂȘt personnel sacrifiĂ© dans leurs principes presque autant que la raison. La secte des valĂ©sicns peut en fournir la preuve 11 faut, dit l’apĂŽtre saint Paul, pour ĂȘtre Ă  JĂ©sus- Christ, qu’on crucifie sa chair avec ses vices et ses convoitises 2 . » Chacun sait quelle application firent de ces paroles les ascĂštes des premiers siĂšcles le grand fakir de l’Inde ne les a pas tous surpassĂ©s. L’Arabe ValĂ©sius m' siĂšcle, se mutilant pour combattre le dĂ©mon de la concupiscence, ne me surprend donc pas plus qu’Ori- 1 Les caĂŻnites, dans celte hypothĂšse, eussent fort, mal raisonnĂ©, puisque enfin la pratique de leurs vertus devait conduire au dernier supplice avant de mener au ciel. * 37 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, gĂšne opposant le mĂȘme acte de rĂ©signation sauvage Ă  la calomnie qui lui faisait un crime d’ouvrir son Ă©cole Ă  de jeunes filles. Mais que YalĂ©sius Ă©rige son martyre en doctrine ’, qu’il prĂȘche et qu’il ait des apĂŽtres, enfin, que des milliers d’eunuques volontaires se rĂ©fugient Ă  sa suite dans un dĂ©sert de l’Arabie; voilĂ  certes ce qu’on ne peut expliquer sans l’intervention d’un agent psychique, plus entraĂźnant que la raison. Les m* et iv e siĂšcles furent fĂ©conds en Ă©pidĂ©mies du mĂȘme genre. C’était l’ñge d’or de Y hĂ©rĂ©sie, sous toutes les formes imaginables; mais pour ne point m’écarter inutilement de mon sujet, je vous renvoie aux livres spĂ©ciaux, si vous ĂȘtes jaloux de vous Ă©difier sur toutes les pitoyables rĂ©bellions contre l’Eglise et le sens commun qui, dans l’espace de dix-huit cents ans, ont * AprĂšs s’ĂȘtre mutilĂ©, il soutint hautement que la qualitĂ© d’eunuque, bien loin d’ĂȘtre un obstacle pour arriver an sacerdoce, devait ĂȘtre regardĂ©e, au contraire, comme le plus sĂ»r garant de la chastetĂ© qu’un prĂȘtre doit garder. En consĂ©quence, il demanda d’ĂȘtre Ă©levĂ© Ă  la prĂȘtrise; mais, au lieu de lui accorder cette faveur, on le chassa de l’ retirĂ© dans un canton de l’Arabie avec ses partisans, dont le tempĂ©rament Ă©tait conforme au sien, et qui en avaient apaisĂ© la fougue par le mĂȘme remĂšde, travailla , autant qu’il put, Ă  grossir le nombre des eunuques. Il ne tint pas Ă  lui que la terre ne fĂ»t bientĂŽt dĂ©peuplĂ©e d’habitants; car il enseignait publiquement que tout homme Ă©tait obligĂ©, en conscience, de se mutiler, et que, sans cette opĂ©ration nĂ©cessaire, il n’y avait point de salut Ă  espĂ©rer. Son zĂšle ne s’en tint pas aux simples exhortations tous ceux qui, malheureusement, tombaient entre ses mains, ou dans celles de ses disciples, Ă©taient Ips victimes de son fanatisme. ValĂ©sius les mettait, malgrĂ© eux, Ă  l’abri des tentations. Aussi jamais retraite de brigands ne fut Ă©vitĂ©e avec plus de soin que le canton habitĂ© par YalĂ©sius. » DelacĂŒoix, Dictionnaire des Cultes religieux, art. YalĂ©sius. 38 DEUXIÈME LEÇON, si souvent donnĂ© lieu Ă  des collisions sanglantes. Je ne vous dirai donc rien, ni d’Arius, ni d’Apollinaire, ni d’Eutiehes, ni de SĂ©vĂšre 1 , ni bien moins encore de ces sectaires obscurs dont le rĂŽle, de JĂ©sus-Christ Ă  Mahomet et de Mahomet Ă  Luther, fut d’infecter de leur folie quelque petit coin du globe. Mais Ă  Luther je m’arrĂȘte, et je vous demande la permission de jeter avec vous un coup d’Ɠil rapide sur l’ensemble et la succession des Ă©vĂ©nements de la rĂ©forme, dont la plupart me semblent porter le cachet de l’entraĂźnement magnĂ©tique. La rĂ©forme fut en Europe la contre-partie des croisades; c’est-Ă -dire que cet engouement irraisonnĂ©, ce zĂšle ardent et fanatique que les prĂ©dications de saint Bernard et de Pierre l’Hermite avaient autrefois suscitĂ© contre les infidĂšles, se tourna tout Ă  coup contre l’Église catholique, et surtout contre la papautĂ©. Martin Luther fut le boute-feu de cette rĂ©volution, dont Zwingle et Jean Calvin rĂ©gularisĂšrent les effets. De ces trois hommes, dont l’apparition fut le grand Ă©vĂ©nement du xvi e siĂšcle, et dont les doctrines,, aprĂšs avoir coĂ»tĂ© * Les sĂ©vĂ©riens, pourtant, mĂ©riteraient bien une mention. SĂ©vĂšre, un des plus lĂ©gitimes aĂŻeux du manichĂ©isme, enseignait que le corps humain, depuis la tĂȘte jusqu’au nombril, avait Ă©tĂ© créé par le bon principe , et le reste du corps par le mauvais. Passanten- suite Ă  tout ce qui environne l’homme, il enseignait que l’ĂȘtre bienfaisant avait placĂ© autour de lui des objets propres Ă  entretenir l’organisation du corps sans exciter les passions, et que l’ĂȘtre malfaisant, au contraire, avait mis autour de lui tout ce qui pouvait Ă©teindre la raison et allumer les passions. Ainsi, l’eau, qui calme et dĂ©saltĂšre, Ă©tait l’Ɠuvre de Dieu ; le vin et les femmes, les oeuvres du diable. » BĂ©rault-Beucastel , Histoire de l’Eglise. HISTOIRE DU MAGNÉTISME. ?.9 tant de sang Ă  l’Europe , se partagent encore aujourd’hui la moitiĂ© delĂ  chrĂ©tientĂ©, le premier Ă©tait un simple professeur de Wurtemberg, qui, s’avisant un jour de f prĂȘcher contre les indulgences, se fit en quelques annĂ©es ! un parti si nombreux qu’il put dĂ©fier impunĂ©ment j Charles-Quint et LĂ©on X. Le second Ă©tait un contro- versiste habile, mais moins influent que ses collĂšgues, parce qu’il se montrait plus modĂ©rĂ©; le troisiĂšme enfin, j. fanatique enragĂ©, qui brĂ»lait ses adversaires quand il \ ne pouvait les convaincre se distinguait bien plus encore par la violence de son caractĂšre que par son talent d’écrivain. Je suis loin d’ailleurs d’en disconvenir, Luther, Zwingle et Calvin Ă©taient tous trois hommes d’intelligence, sinon mĂȘme hommes de gĂ©nie; mais qu’eussent-ils fait de cette intelligence, sans l’art de mettre en jeu le grand levier dont j’ai parlĂ©, sans le secret d’émouvoir les cƓurs en bouleversant la raison, sans le secours du fanatisme? En effet, c’est par fanatisme que le peuple tient Ă  la religion qu’il pratique j. sans la comprendre, comme c’est par fanatisme qu’il ĂŻ l’abjure lorsqu’il se prend Ă  en changer. Je crois parce l que c’est absurde, » disait saint Augustin Ă  propos des t miracles; mais cette proposition supposait une subtilitĂ© , de dialectique dont le peuple est incapable; il croit parce qu’il croit, c’est-Ă -dire sans jamais se demander compte des motifs de sa foi. Les inductions de l’histoire sembleraient mĂȘme prouver que la foi est d’autant plus vive qu’elle est moins raisonnĂ©e, de mĂȘme que, dans 1 TĂ©moin l’infortunĂ© Servet, brĂ»lĂ© en 1 553 pour avoir niĂ© le mystĂšre de la Sainte-TrinitĂ©. 40 DEUXIÈME LEÇON, l’amour vrai, l’esprit n’entre pour rien Je veux donc bien supposer puisqu’on assure que les thĂ©ologiens se comprennent que les arguments allĂ©guĂ©s par Luther, Zwingle et Calvin, en faveur de la nouvelle doctrine, Ă©taient de nature Ă  sĂ©duire les ennemis Ă©clairĂ©s de la cour de Rome; mais j’ajoute avec conviction que le fond de cette doctrine Ă©tait lettre close pour la majeure partie des masses qui se passionnaient pour elle. YoilĂ  pourquoi Bossuet prenait une peine inutile en rĂ©futant Calvin; car le livre des Variations n’empĂȘchait nullement le bon peuple d’Allemagne d’abjurer le catholicisme avec la mĂȘme passion, avec la mĂȘme frĂ©nĂ©sie que, quelques siĂšcles auparavant, il se faisait Ă©gorger pour lui. On peut d’ailleurs suivre jusque dans ses derniers rameaux la marche de la rĂ©forme le porte-Ă©tendard de la foi nouvelle est presque toujours un homme du peuple. Tandisque Carlostadt,OEcolampade, etc., modifient les idĂ©es de leur maĂźtre en se les appropriant, un car- deur de laine 3 devient en France le principal apĂŽtre du calvinisme, et prĂȘche en qualitĂ© de ministre dans la premiĂšre association protestante formĂ©e dans notre pays. Que vous dirai-je enfin? Des triumvirs de la rĂ©forme, l’erreur ou la vĂ©ritĂ© rayonnait sur toute l’Europe, et la fiĂšvre qui les dĂ©vorait avait passĂ© dans toutes les tĂȘtes. A la main de chacun d’eux aboutissaient en faisceau les fils conducteurs qui les mettaient en rapport avec les millions d’organismes subjuguĂ©s par leur puissance. ' VoilĂ  pourquoi les femmes, qui gĂ©nĂ©ralement raisonnent moins que les hommes, sont plus qu’eux susceptibles de piĂ©tĂ© et d’amour. a Cet homme s’appelait Jean Leclerc. Il finit, comme tant d’autres, par se faire brĂ»ler Ă  Met?. par excĂšs de dĂ©votion. 41 HISTOIRE BU MAGNÉTISME. Quelques fils Ă  la fin se rompirent dans l’espace,et voilĂ  comment des enfants perdus du luthĂ©ranisme ou du calvinisme, rĂ©flĂ©chissant Ă  leur tour, mais en la rĂ©fractant, la prĂ©tendue lumiĂšre qu’ils avaient reçue de leurs maĂźtres, fondĂšrent ces sectes sans nombre, dont deux seulement vont nous occuper, celles des quakers et des camisards. Voici comment Voltaire fait l’histoire du quakerisme Ce fut dans le temps que trois ou quatre sectes dĂ©chiraient la Grande-Bretagne par des guerres civiles entreprises au nom de Dieu qu’un nommĂ© George Fox, du comtĂ© de Leicester, fils d’un ouvrier en soie, s’avisa de prĂȘcher en vrai apĂŽtre, Ă  ce qu’il prĂ©tendait, c’est- Ă -dire sans savoir ni lire ni Ă©crire; c’était un jeune homme de vingt-cinq ans, de mƓurs irrĂ©prochables, et seulement fou. Il Ă©tait vĂȘtu de cuir depuis les pieds jusqu’à la tĂȘte ; il allait de village en village, criant contre la guerre et contre le clergĂ©. S’il n’avait prĂȘchĂ© que contre les gens de guerre, il n’aurait eu rien Ă  craindre; mais il attaquait les gens d’église, il fut bientĂŽt mis en prison on le mena Ă  Derby devant le juge de paix; Fox sĂ© prĂ©senta au juge avec son bonnet de cuir sur la tĂȘte; un sergent lui donna un grand soufflet en lui disant Gueux , ne sais-tu pas qu’il faut paraĂźtre tĂȘte nue devant monsieur le juge? » Fox tendit l’autre joue, et pria le sergent de vouloir bien lui donner un autre soufflet pour l’amour de Dieu. Le juge de Derby voulut lui faire prĂȘter serment avant de l’interroger Mon ami, sache, dit-il au juge, que je ne prends jamais le nom de Dieu en vain.» Le juge, en colĂšre d’ĂȘtre tutoyĂ©, et voulant qu’on jurĂąt, l’envoya 42 DEUXIÈME EEÇON. aux Petites-Maisons de Derby pour y ĂȘtre fouettĂ©. Fox alla en louant Dieu Ă  l’hĂŽpital des fous, ou l’on ne manqua pas d’exĂ©cuter la sentence Ă  la rigueur. Ceux qui lui infligĂšrent la pĂ©nitence du fouet furent bien surpris quand il les pria de lui appliquer encore quelques coups de verges pour le bien de son Ăąme. Ces messieurs ne se firent pas prier Fox eut sa double dose, dont il les remercia trĂšs-cordialement ; puis il se mit Ă  les prĂȘcher; d’abord on rit, ensuite on l’écouta, et comme l’enthousiasme est une maladie qui se gagne, plusieurs furent persuadĂ©s, et ceux qui l’avaient fouettĂ© devinrent ses premiers disciples. DĂ©livrĂ© de la prison , il courut les champs avec une douzaine de prosĂ©lytes, prĂȘchant toujours contre le clergĂ© et fouettĂ© de temps en temps. On jour, Ă©tant mis au pilori, il harangua tout le peuple avec tant de force qu’il convertit une cinquantaine d’auditeurs, et mit le reste tellement dans ses intĂ©rĂȘts qu’on le tira en tumulte du trou oĂč il Ă©tait; on alla chercher le curĂ© anglican dont le crĂ©dit avait fait condamner Fox Ă  ce supplice, et on le piloria Ă  sa place. 11 osa bien convertir quelques soldats de Crom- wel, qui renoncĂšrent au mĂ©tier de tuer, et refusĂšrent de prĂȘter le serment. Cromwel ne voulait pas d’une secte oĂč l’on ne se battait point, de mĂȘme que Sixte Y augurait mal d’une secte dove non si chiavciva il se servit de son pouvoir pour persĂ©cuter ces nouveaux venus. On en remplissait les prisons; mais les persĂ©cutions ne servent presque jamais qu’à faire des prosĂ©lytes ils sortaient de leurs prisons affermis dans leur crĂ©ance, et suivis de leurs geĂŽliers qu’ils avaient convertis. 43 HISTOIRE DU MAGNÉTISME. Mais voici ce qui contribua le plus Ă  Ă©tendre la secte Fox se croyait inspirĂ©; il crut par consĂ©quent devoir parler d’une maniĂšre diffĂ©rente des autres hommes. Il se mit Ă  trembler,Ă  faire des contorsions et des grimaces, Ă  retenir son haleine, Ă  la pousser avec violence la prĂȘtresse de Delphes n’eĂ»t pas mieux fait. En peu de temps il acquit une grande habitude d’inspiration, et bientĂŽt aprĂšs il no fut guĂšre en son pouvoir de parler autrement. Ce fut le premier don qu’il communiqua Ă  ses disciples. Ils firent de ferme foi toutes les grimaces de leur maĂźtre; ils tremblaient de toutes leurs forces au moment de l’inspiration. DelĂ  ils eurent le nom de quakers , qui signifie trembleurs. Le petit peuple s’amusait Ă  les contrefaire; on tremblait, on parlait du nez, on avait des convulsions, et on croyait avoir le Saint-Esprit '. » Ce rĂ©cit, en vĂ©ritĂ©, n’a pas besoin de commentaire. Mais voulez-vous Ă  prĂ©sent que je finisse en quatre mots l’histoire du quakerisme? Ce Fox qu’on traitait d’illuminĂ©, cet Ă©nergumĂšne qui ne savait pas lire 2 , gagna pourtant Ă  sa doctrine le cĂ©lĂšbre Guil laume Penn 3 , qui Ă©tablit la puissance des quakers en AmĂ©rique, et qui les aurait rendus respectables en Europe si les hommes pouvaient respecter la vertu sous des apparences ridicules. Guillaume Penn, Ă  son ’ Voltaire , MĂ©langes de Litl. , t. I, p. 4 1 et suiv. * Mahomet avait Ă©tĂ© dans le mĂȘme cas voilĂ  pourquoi il n’ Ă©crivit pas le Coran, mais le dicta Ă  ses disciples. s Guillaume Penn, ou William Penn, un deshommes les plus intelligents de la Grande-Bretagne, Ă©tait le fils unique du chevalier Penn, vice-amiral d’Angleterre et favori du duc d’York, depuis Jacques II. U BBÜXIÈMB LEÇON, tour, convertit le philosophe Barclay, qui eĂ»t fait un quaker du roi Charles II si la conversion d’un roi eĂ»t Ă©tĂ© chose possible. Remarquez, au reste, que dans tout ceci il n’entre pas dans ma pensĂ©e de me moquer des quakers. Loin de lĂ , je les tiens pour les plus honnĂȘtes gens du monde, et je ne leur trouve que deux torts celui de se croire les seuls vrais catholiques, et celui, beaucoup plus grave peut-ĂȘtre, de ne point porter de boutons sur leurs habits, car ce fut lĂ  ce qui les perdit leurs enfants, dit Voltaire, se faisaient protestants pour ĂȘtre Ă  la mode. En dĂ©finitive, l’histoire du quakĂ©risme nous prouve que, heureusement, la vertu est contagieuse comme le vice, et que'le bien sait voler, comme le mal, sur les ailes du magnĂ©tisme. Parlons maintenant des camisards. En i685, aprĂšs la rĂ©vocation de l’édit de Nantes, cet acte impolitique et dĂ©loyal du grand Roi, trompĂ© par son confesseur et ses maĂźtresses, les protestants desCĂ©venues et du GĂ©vaudan, ancien foyer de l’hĂ©rĂ©sie manichĂ©enne des Albigeois, privĂ©s de leurs ministres, dont la plupart avaient pris la fuite, de leurs temples qu’on avait abattus, se rĂ©unissaient dans la solitude des forĂȘts pour y vaquer aux pratiques de leur culte. En butte Ă  toutes les vexations imaginables, poursuivis, traquĂ©s comme des bĂȘtes fauves par les vrais catholiques et par les agents de l’autoritĂ©, l’état de crainte et d’anxiĂ©tĂ© perpĂ©tuelles dans lequel ces malheureux se virent condamnĂ©s Ă  vivre ne tarda point Ă  altĂ©rer la raison d’un grand nombre d’entre eux, et Ă  provoquer chez quelques-uns des accĂšs d 'extase et diverses aber- HISTOIRE DU MAGNETISME. 45 rĂąlions nerveuses qui se communiquĂšrent aux autres. L’extase, en effet, peut, Ă  l’aide de certaines conditions particuliĂšres, devenir rapidementcontagieuse dans une rĂ©union d’hommes elle les gagne de proche en proche comme le bĂąillement sympathique qui circule dans une sociĂ©tĂ© dont quelques membres s’ennuient. Cette contagion du bĂąillement est un fait magnĂ©tique connue celle de toutes les nĂ©vroses. Dans les conjonctures dont il s’agit, le rapprochement forcĂ© des infortunĂ©s camisards 1 favorisait donc la propagation des phĂ©nomĂšnes insolites qu’un petit nombre prĂ©senta dans le principe, et qui, plus tard, se multipliĂšrent d’une façon si prodigieuse. Mais ce qui est digne de remarque, c’est que ces phĂ©nomĂšnes n’eurent point la spontanĂ©itĂ© que leur attribuent, en gĂ©nĂ©ral, des historiens mal informĂ©s. Ici comme toujours, l’épidĂ©mie eut son point de dĂ©part, l’infection eut son foyer. Les camisards avaient des chefs dont l’esprit les dominait, et dont l’exaltation les poussa bientĂŽt aux derniers termes du fanatisme. Affaiblis par les privations et par les jeĂ»nes qu’on leur imposait, l’exubĂ©rance d’une sensibilitĂ© factice les livrait Ă  la merci de quelques fous furieux. Afin que pas un de vous ne suppose que, pour mettre ces faits en harmonie avec mou systĂšme et mes idĂ©es, je les altĂšre et les dĂ©nature en vous les racontant, la narration que je vais vous soumettre est celle d’un thĂ©ologien qui ne songeait guĂšre au magnĂ©tisme 1 Ils Ă©talent ainsi nommĂ©s d’une sorte de blouse blanche en languedocien, camise que portaient les habitants desCĂ©vennes et qu’ils avaient adoptĂ©e. 46 DEUXIÈME LEÇON. Un vieux calviniste, nommĂ© Du Serre, choisit dans son voisinage quinze jeunes garçons, que leurs parents lui confiĂšrent volontiers, et il fit donnera sa femme, qu’il associa Ă  son emploi, pareil nombre de filles. Ces enfants n’avaient reçu pour premiĂšre leçon du christianisme que des sentiments d’horreur et d’aversion pour l’Eglise romaine. Ils avaient donc une disposition naturelle au fanatisme; d’ailleurs ils Ă©taient fort ignorants; ils Ă©taient placĂ©s au milieu des montagnes du DauphinĂ©, dans un lieu couvert d’épaisses forĂȘts, environnĂ© de rochers et de prĂ©cipices, Ă©loignĂ© de tout commerce, et pleins de respect pour Du Serre, que tous les protestants du canton rĂ©vĂ©raient comme un des hĂ©ros du parti protestant. » Du Serre, leur dit que Dieu lui avait donnĂ© son esprit, qu’il avait le pouvoir de le communiquer Ă  qui bon lui semblait, et qu’il les avait choisis pour les rendre prophĂštes et prophĂ©tesses, pourvu qu’ils voulussent se prĂ©parer Ă  recevoir un si grand don de la maniĂšre que Dieu lui avait prescrite. Les enfants, enchantĂ©s dç leur destination, se soumirent Ă  tout ce que Du Serre leur ordonna. La premiĂšre prĂ©paration Ă  la prophĂ©tie fut un jeĂ»ne de trois jours, aprĂšs lequel Du Serre les entretint d’apparitions, de visions, d’inspirations. Il remplit leur imagination des images les plus effrayantes et des espĂ©rances les plus magnifiques, il leur fit apprendre par cƓur les endroits de l’Apocalypse oĂč il est parlĂ© de l’anteehrist, de la destruction de son empire et de la dĂ©livrance de l’Église; il leur disait que le pape Ă©tait cet antechrist, que l’empire qui devait ĂȘtre dĂ©truit Ă©tait HISTOÏKE DU MAGNÉTISME. 47 le papisme, et que la dĂ©livrance de l'Eglise Ă©tait le rĂ©tablissement de la prĂ©tendue rĂ©forme. Du Serre apprenait en mĂȘme temps Ă  ses prophĂštes Ă  accompagner leurs discours de postures propres Ă  en imposer aux simples 1 ; ils tombaient Ă  la renverse, fermaient les yeux, gonflaient leur estomac et leur gosier, tombaient dans un assoupissement profond, se rĂ©veillaient tout Ă  coup, et dĂ©bitaient avec un ton audacieux tout ce qui s’offrait Ă  leur imagination. Lorsque quelqu’un des aspirants au don de prophĂ©tie Ă©tait en Ă©tat de bien jouer son rĂŽle, le maĂźtre-prophĂšte assemblait le petit troupeau, plaçait au milieu le prĂ©tendant, lui disait que le temps de son inspiration Ă©tait venu; aprĂšs quoi, d’un air grave et mystĂ©rieux, il le baisait, lui soufflait dans la bouche, et lui dĂ©clarait qu’il avait reçu l’esprit de prophĂ©tie ; tandis que les autres, saisis d’étonnement, attendaient avec respect la naissance du nouveau prophĂšte, et soupiraient en secret aprĂšs le moment de leur installation. BientĂŽt Du Serre ne put contenir l’ardeur dont il avait embrasĂ© ses disciples; il les congĂ©dia, et les envoya dans les lieux oĂč il croyait qu’ils jetteraient un plus grand Ă©clat. Au moment de leur dĂ©part, il les exhorta Ă  communiquer le don de prophĂ©tie Ă  tous ceux qui s’en * Il est probable que l’historien fait une supposition purement ' gratuite en avançant que du Serre apprenait Ă  ses prophĂštes Ă  accompagner leurs discours de postures propres Ă  en imposer aux simples. Ces postures n’étaient pas plus Ă©tudiĂ©es que ne l’étaient autrefois les contorsions de la Pythie de Delphes, ou celles des convul iannaires de Saint-MĂ©dard. Mais nous devons pardonner cette critique, si naturelle de la part d’un homme sensĂ©, condamnĂ© Ă  raconter des choses auxquelles il ne comprend rien. 48 DEUXIÈME LEOOX. trouveraient digues, aprĂšs les y avoir prĂ©parĂ©s de la mĂȘme maniĂšre dont ils avaient Ă©tĂ© disposĂ©s eux- mĂȘmes, et leur rĂ©itĂ©ra les assurances qu’il leur avait donnĂ©es que tout ce qu’ils prĂ©diraient arriverait infailliblement. Deux des disciples de Du Serre se signalĂšrent entre les autres, la bergĂšre de Crest, surnommĂ©e la belle Isabeau, et Gabriel Astier, du village de Clien, en DauphinĂ©. La bergĂšre de Crest alla Ă  Grenoble, oĂč, aprĂšs avoir jouĂ© son rĂŽle quelque temps, elle fut arrĂȘtĂ©e, et quelque temps aprĂšs convertie; mais sa dĂ©fection n’éteignit pas l’esprit de prophĂ©tie. Les autres disciples de Du Serre se rĂ©pandirent dans le DauphinĂ© et dans le Vivarez,oĂč l’esprit prophĂ©tique se multiplia si prodigieusement qu’il y avait des villages qui n’avaient plus que des prophĂštes pour habitants. On voyait des troupes de deux ou trois cents petits prophĂštes se former dans une nuit, prĂȘcher et prophĂ©tiser sans cesse, en public, au milieu des villages, et Ă©coutĂ©s par une multitude d’auditeurs Ă  genoux pour recevoir leurs oracles. Si dans l’assemblĂ©e il y avait de plus grands pĂ©cheurs que les autres^ les prĂ©dicateurs les appelaient Ă  eux; ils tombaient dans des tourments terribles, dans des convulsions, jusqu’à ce que les pĂ©cheurs se fussent approchĂ©s d’eux. Ils mettaient les mains sur eux, et criaient sur leurs tĂȘtes, misĂ©ricorde et grĂące, exhortant les pĂ©cheurs Ă  la repentance et le public Ă  prier Dieu qu’il leur pardonnĂąt. Si les pĂ©cheurs se repentaient sincĂšrement , ils tombaient eux- 49 HISTOIRE 1U MAGNÉTISME, mĂȘmes par terre, comme morts; rendus Ă  eux, ils sentaient line fĂ©licitĂ© inexprimable. Cette espĂšce de ministĂšre n’était pas exercĂ© seulement par des personnes d’un Ăąge mĂ»r et d’un caractĂšre respectable, mais par des bergers de quinze ou seize ans, quelquefois de huit ou de neuf, qui s’assemblaient, tenaient consistoire, et y faisaient faire Ă  cinquante ou soixante pĂ©nitents rĂ©paration de leur apostasie, c’est-Ă -dire de leur retour Ă  l’Eglise romaine; ces enfants s’acquittaient de ces fonctions avec une autoritĂ© de maĂźtres, questionnaient avec sĂ©vĂ©ritĂ© les pĂ©cheurs, leur dictaient eux-mĂȘmes la priĂšre par laquelle ils devaient tĂ©moigner leur repentance, et la finissaient par une absolution exprimĂ©e par ces paroles Dieu vous en fasse la grĂące ! Les accĂšs de prophĂ©tie variaient dans leur forme, la rĂšgle ordinaire Ă©tait de tomber, de s’endormir, ou d’ĂȘtre surpris d’un assoupissement, auquel se joignaient des mouvements convulsifs; les exceptions Ă  la rĂšgle furent de s’agiter et de prophĂ©tiser en veillant, quelquefois dans une extase simple, souvent avec quelques convulsions. Ces prophĂštes avaient formĂ© des attroupements dans le DauphinĂ© et dans le Vivarais, qui furent dissipĂ©s par M. de Broglie, lieutenant gĂ©nĂ©ral, et par M. de Barville, intendant de la province. Lefeu du fanatisme ne fut cependant pas Ă©teint,et l’esprit prophĂ©tique se perpĂ©tua secrĂštement et entretint dans les calvinistes l’espĂ©rance du rĂ©tablissc- 4 50 DEUXIÈME LEÇON, ment de leur secte. Les habitants de ces provinces Ă©taient presque tous des protestants Ă©levĂ©s et nourris grossiĂšrement. Ils roulĂšrent toujours dans leurs tĂȘtes ces idĂ©es d’inspiration que la solitude, leur maniĂšre de vivre, et peut-ĂȘtre le zĂšle indiscret et dur des catholiques fortifiaient en sorte que dans ces contrĂ©es l’enthousiasme et le fanatisme n’attendaient pour agir qu’une occasion. L’impuissance prĂ©textĂ©e ou rĂ©elle de payer la capitation fut ou la cause ou l’occasion qui fit Ă©clater le fanatisme et le mĂ©contentement de ces peuples. Ils se rĂ©voltĂšrent, les prophĂštes parurent aussitĂŽt sur la scĂšne, les puissances qui Ă©taient en guerre avec la France les secondĂšrent, et le Languedoc fut le théùtre d’une des plus cruelles et des plus horribles guerres civiles qu’on ait vues, etc., etc. 1 » L’ouvrage auquel nous empruntons ces dĂ©tails fut imprimĂ© Ă  Paris en i 762,c’est-Ă -dire environ quinze ans avant l’arrivĂ©e de Mesmer en France. L’auteur n’avait donc pu emprunter Ă  la thĂ©orie mesmĂ©rienne la couleur trĂšs-caractĂ©ristique rĂ©pandue sur son rĂ©cit. InterprĂšte fidĂšle et dĂ©sintĂ©ressĂ© des tĂ©moins oculaires, il raconte avec impartialitĂ© les Ă©vĂ©nements tels qu’il les a trouvĂ©s dans les chroniques contemporaines , et tout nous porte Ă  croire que les choses se sont passĂ©es de la maniĂšre dont il les rapporte. Or, consultez sans prĂ©vention les ouvrages spĂ©ciaux publiĂ©s depuis sur le magnĂ©tisme par les disciples de Mesmer. ArrĂȘtez-vous * PtUQUET, MĂ©moires pour servir Ă  l’Histoire des Ă©garements de l’esprit humain, t. I, p. 3g'2 et suiv. HISTOIRE DU MAGNÉTISME. 51 dans ces ouvrages Ă  la description des procĂ©dĂ©s en usage parmi les magnĂ©tiseurs modernes, ainsi qu’à la description des phĂ©nomĂšnes physiologiques qui rĂ©sultent de leur application, et vous reconnaĂźtrez avec nous qu’il existe entre l’insufflation cabalistique de Du Serre et l’art actuel de magnĂ©tiser la plus frappante analogie, de mĂȘme qu’entre l’état symptomatologique de nos somnambules et les Ă©tranges manifestations de l 'esprit prophĂ©tique parmi les inspirĂ©s des CĂ©vennes. Nos leçons ultĂ©rieures vous apprendront mĂȘme qu’il y a entre les deux faits plus que de l’analogie, et qu’une Ă©tude plus approfondie en dĂ©montre l’identitc. Le calviniste Du Serre pratiquait donc, Ă  la fin du xvn° siĂšcle, ce que Mesmer ou de PuysĂ©gur dĂ©couvraient cent ans plus tard. On conçoit au reste Ă  merveille comment, Ă  l’époque des eami- sards, personne ne se soit avisĂ© de donner une explication scientifique des prodiges qui s’accomplissaient dans les retraites de ces malheureux. Le fanatisme jetait un voile sacrĂ© sur tout ce qui, de prĂšs ou de loin, touchait Ă  la religion. La France Ă©tait en feu, l’esprit de vertige gagnait les plus sensĂ©s; on se battait pour sauver son Ăąme, et tous les intĂ©rĂȘts d’ici-bas s’effacaient en prĂ©sence des intĂ©rĂȘts de l’autre vie. Dans le Midi, par exemple, il n’y avait plus de Français, mais des Ă©lus et des damnĂ©s les damnĂ©s Ă©taient les calvinistes qu’on Ă©gorgeait au nom du Christ, et leurs bourreaux Ă©taient les Ă©lus. Chacun, au reste, avait son tour, et les reprĂ©sailles Ă©taient terribles. Victimes ou bourreaux, tous Ă©taient en dĂ©mence ; et avec la croyance 52 DEUXIÈME LEÇON'‱ stupide oĂč l’on Ă©tait que dans cette horrible mĂȘlĂ©e le CrĂ©ateur lui-mĂȘme Ă©tait aux prises avec l’esprit du mal, il Ă©tait juste qu’on rapportĂąt directement Ă  l’une ou Ă  l’autre de ces deux puissances tous les Ă©vĂ©nements extraordinaires que faisait naĂźtre un pareil dĂ©sordre. Tout dans ces temps maudits venait du ciel ou de l’enfer, et les miracles, en consĂ©quence, n’étonnaient plus personne. C’était, au dire des protestants, le Saint-Esprit que Jean Du Serre soufflait Ă  scs prophĂštes, et le mĂȘme Du Serre, pour les catholiques, Ă©tait l’agent du diable. Cela convenu, tout Ă©tait dit, et malheur au calviniste qui eĂ»t niĂ© le Saint-Esprit, aussi bieii qu’au catholique qui n’eĂ»t pas cru au diable ! l’un ou l’autre eĂ»t payĂ© de sa vie cet imprudent anachronisme. C’est avec ce systĂšme d’intimidation que l’aveugle moyen Ăąge a perpĂ©tuĂ© son ignorance; car si l’ignorance engendre le fanatisme, le fanatisme, Ă  son tour, la protĂšge et l’entretient. VoilĂ  donc comment les xv% xvt' et xvu e siĂšcles ne nous ont laissĂ© sur leurs sorciers, leurs possĂ©dĂ©s, leurs convulsionnaires, etc., que des lĂ©gendes dĂ©figurĂ©es par l’esprit de superstition et totalement dĂ©nuĂ©es de critique. Une Ă©poque intĂ©ressante de l’histoire du magnĂ©tisme est pourtant dans ces lĂ©gendes; malheureusement, le peu de certitude et de garanties quelles prĂ©sentent ĂŽtera toujours aux Ă©rudits le courage de les dĂ©pouiller. Je vous dirai pourtant tout Ă  l’heure quelques mots des magiciens et des sorciers du moyen Ăąge; mais je veux, avant tout, attirer votre attention sur une particularitĂ© 53 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, commune aux quakers, aux camisards et Ă  une foule d’autres sectaires je veux parler du tremblement qui accompagnait Xinspiration, ou qui plutĂŽt marquait l’instant oĂč l’inspiration Ă©tait donnĂ©e. Le tremblement et la convulsion sont deux faits de mĂȘme nature ; l’un et l’autre consistent dans un mouvement involontaire et dĂ©sordonnĂ©, qui suppose ou quelque lĂ©sion physique des centres nerveux, ou quelque autre cause entraĂźnant Ă©ventuellement aprĂšs elle une sorte de dĂ©sassociation momentanĂ©e ou persistante entre le corps et l’intellect; l’expĂ©rience vous prouvera par la suite que le magnĂ©tisme produit quelquefois cette espĂšce de dĂ©sordre. C’est alors que l’agent extĂ©rieur, qu’une puissance mystĂ©rieuse et Ă©trangĂšre Ă  l’organisme, prend possession du corps et soustrait momentanĂ©ment ses actes Ă  l’empire de la raison. Le tremblement et les convulsions sont donc, Ă  mon avis, des symptĂŽmes de la domination magnĂ©tique. Ces symptĂŽmes, qui se manifestaient frĂ©quemment autour des baquets de Mesmer, rĂ©sultent peut-ĂȘtre d’une lutte tacite entre l’intelligence qui dĂ©fend ses droits et la volontĂ© du magnĂ©tiseur qui cherche Ă  s’en emparer. Au moins nous est-il dĂ©montrĂ©, par de nombreuses observations, que le mouvement convulsif provient frĂ©quemment d’une action magnĂ©tique incomplĂšte 1 ,ou provoquant, par un excĂšs d’activitĂ©, une rĂ©- ' VoilĂ  pourquoi les personnes magnĂ©tisĂ©es malgi’é leur volontĂ© sont si exposĂ©es Ă  Ă©prouver des convulsions qui ne cessent qu’à l’instant oĂč leur volontĂ© vaincue les abandonne Ă  leur magnĂ©tiseur. 54 DEUXIÈME LEÇON. sistance involontaire du magnĂ©tisĂ©. Le tremblement des quakers et les convulsions des earnisards 4 ont 1 Le fait suivant, rapportĂ© rĂ©cemment par les journaux, peut servir de complĂ©ment Ă  l’histoire des quakers et des earnisards 11 vient de se fonder tout rĂ©cemment Ă  Kuenheiin, petite commune situĂ©e Ă  i a kilomĂštres de Colmar, une secte religieuse, une sociĂ©tĂ© de convulsionnaires, sur laquelle nous avons recueilli des dĂ©tails assez curieux. Cette sociĂ©tĂ©, qui procĂšde Au piĂ©tisme, comme le piĂ©tisme procĂšde du protestantisme, se compose de trente Ă  quarante membres, hommes, felnmes, enfants, presque tous journaliers et assez misĂ©rables. Elle se rĂ©unit trois fois par semaine dans la maison de son chef, qui est un cultivateur peu aisĂ©, jeune encore, et qui s’est toujours fait remarquer par son exaltation religieuse. Sur la table se trouve une Bible ouverte, dans laquelle le chef lit Ă  haute voix aux sectaires assis sur des bancs ou se tenant debout autour de lui. Cette lecture se fait d’un ton solennel, d’abord en allemand, seule langue que comprennent les assistants, puis arrive un jargon incomprĂ©hensible pour tout le monde, et mĂȘme pour l’orateur lui- mĂȘme Si, aprĂšs la sĂ©ance, vous demandez au chef dans quelle langue il a parlĂ©, il vous rĂ©pondra que c’était, tantĂŽt en latin, tantĂŽt en hĂ©breu; qu’il ne connaĂźt ni le latin ni l’hĂ©breu, mais que, dans ces moments-lĂ , il est inspirĂ© par Dieu, qui lui fait parler la langue qu’il veut. A mesure que le jargon de l’orateur devient plus rapide, plus fort et plus inintelligible, l’assemblĂ©e murmure, s’agite, parle haut, et enfin tous se mettent Ă  rugir, Ă  hurler d’une maniĂšre si terrible qu’on les entend jusque dans la forĂȘt voisine, Ă  plus d’un kilomĂštre de lĂ . Au milieu de cette agitation, les femmes se lĂšvent ce sont presque toujours les plus jeunes, agitent les bras au-dessus de la tĂȘte, tournant sur les talons en jetant des cris perçants qui dominent ce bruit sauvage; puis un mouvement convulsif s’empare de tout leur corps, et elles tombent comme Ă©puisĂ©es de fatigue. Des filles de douze Ă  quinze ans sont atteintes aussi de ce paroxysme d’exaltation. Lorsque ces femmes se relĂšvent, aprĂšs un intervalle de dix minutes, elles se remettent Ă  danser, Ă  chanter et Ă  rire, mais d’un rire nerveux comme celui de l’ivresse ou de la folie ; leurs danses et leurs chants sont incohĂ©rents, dĂ©vergondĂ©s ; leurs yĂ©ux sont brillants, et les larmes coulent sur les joues de ces malheureuses. Ce spectacle a quelque chose de triste et de poignant. Pendant cet hor- 55 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, donc en physiologie une valeur significative. L’histoire des uns et des autres devait nous conduire, par une transition naturelle, des faits magnĂ©tiques purement moraux , dont je vous ai entretenus d’abord, aux faits magnĂ©tiques purement physiques , dont je vais Ă  prĂ©sent vous parler. Dans certaines circonstances , sur lesquelles j’aurai plus d’une fois, par la suite, l’occasion de revenir, le magnĂ©tiseur ayant la conscience de son pouvoir, et agissant sciemment, s’empare d’une maniĂšre tellement absolue de l’organisation du magnĂ©tisĂ© que celui-ci ne s’appartient plus et fait involontairement au premier l’abandon le plus explicite de toutes les parties de son ĂȘtre. Son corps n’est plus alors qu’un instrument passif dont l’ñme semble ĂȘtre sĂ©parĂ©e, dont il ne reçoit plus d’impressions,enfin,dont les mouvements ou l’immobilitĂ© ne dĂ©pendent plus de lui. Le magnĂ©tiseur, au contraire, en dispose Ă  son grĂ©; les convulsions ou la roideur tĂ©tatique s’y forment Ă  sa voix *, il est l’ame , rible vacarme, l’orateur conserve le calme d’un chef inspirĂ©. Il s’avance au milieu de ses disciples au moment oĂč l’agitation va se calmer; alors ceux qui sont un peu attiĂ©dis par la fatigue s’approchent de lui ; ils se penchent en avant et le touchent au corps, qui de la tĂȘte, qui de la main ; quelques-uns parviennent seulement Ă  le toucher du hout du doigt. Ainsi entourĂ©, le chef recommence son jargon et ses gesticulations emphatiques, en tournant et en faisant tourner autour de lui tous ces individus. Cinq minutes ne sont pas Ă©coulĂ©es que le paroxysme redouble et que de nouvelles convulsions s’emparent des femmes, pour se prolonger pendant neuf ou dix heures, et fort avant dans la nuit, etc. » Estafette du 4 octobre . 844 - * M. Marcillet, que je suis heureux de remercier publiquement de l’aimable concours qu’il a bien voulu me prĂȘter Ă  mes leçons, 56 DKÜXIÈMB LFCON. en un mot, de celte imicliiue inerte dont le vĂ©ritable maĂźtre est actuellement dĂ©possĂ©dĂ©. Faisons d’ailleurs remarquer, par anticipation, que ces sortes d’actions magnĂ©tiques n’ont pas lieu seulement d’homme Ă  homme, mais bien de certains hommes Ă  certains animaux, et enfin qu’elles s’exercent sur les objets inanimĂ©s, auxquels du moins elles semblent communiquer des propriĂ©tĂ©s particuliĂšres. Quoi qu’il en soit, ces faits sont rares, et, si l’on en juge par l’analogie, ils ont dĂ» l’ĂȘtre dans tous les temps. 11 n’est donc pas Ă©tonnant que, dans l’antiquitĂ©, on les ait pris pour des miracles, et qu’il se soit trouvĂ© des imposteurs, des ambitieux, et peut-ĂȘtre aussi des sages qui s’en soient fait un moyen d’accrĂ©diter leur doctrine ou leur puissance, en se donnant aux yeux des peuples, pour les interprĂštes de la DivinitĂ© *. Si l’on juge encore de ce qui dut se passer autrefois d’aprĂšs ce qui se passe aujourd’hui, les actions physiques du magnĂ©tisme furent dĂšs le principe, comme Ă  ne manque jamais d’ouvrir ses sĂ©ances par des expĂ©riences de cette nature. Lejeune Alexis, qu’il magnĂ©tise, est assis dans un fauteuil que plusieurs personnes vigoureuses sont chargĂ©es de maintenir, tandis qu’un et mĂȘme deux des assistants montent brusquement sur ses jambes Ă©tendues, que ce poids Ă©norme ne fait pas flĂ©chir. Cette expĂ©rience, faite publiquement chez moi Ă  plusieurs reprises, a pu ĂȘtre vĂ©rifiĂ©e par la moitiĂ© de Paris. ' DĂšs les temps les plus anciens, les hommes supĂ©rieurs qui voulaient imposer Ă  leurs semblables le frein fie la religion prĂ©sentĂšrent les miracles et les prodiges comme des signes certains de leur mission, comme des Ɠuvres inimitables de la DivinitĂ©, dont ils Ă©taient les interprĂštes. Saisie d’effroi, la multitude se courba sous le joug, et l’homme le plus superbe frappa les marches de l’autel de son front humiliĂ©. » E. , Des Sciences occultes, Paris. i8j5, p. 2 . 57 HISTOIRE IU MAGNÉTISME, prĂ©sent, les seuls Ă©lĂ©ments embrassĂ©s par l'Ă©tude dogmatique du sujet qui nous occupe. entraĂźnement moral, en effet, considĂ©rĂ© isolĂ©ment, ne prĂ©senta jamais rien d’assez distinct des autres actes psychologiques pour devenir, a priori, l’objet d’une doctrine spĂ©ciale. Quant aux faits mixtes, ils furent de tout temps abandonnĂ©s aux investigations des physiologistes, qui n’y virent que des anomalies, de bizarres exceptions Ă  l’ordre naturel, et qui n’en tirĂšrent, en consĂ©quence , aucune induction gĂ©nĂ©rale. Ainsi compris et circonscrit dans ces limites Ă©troites, le magnĂ©tisme fut pratiquĂ© sous diffĂ©rents noms, depuis les premiers hommes des temps historiques jusqu’aux temps oĂč nous vivons. L’histoire de la magie est Ă©videmment son histoire, et les Ɠuvres des magiciens, rĂ©pĂ©tĂ©es de nos jours pour la plupart par les disciples de Mesmer, ne laissent plus Ă  cet Ă©gard subsister l’ombre du doute. Longtemps, dit E. Salverte *, la magie a gouvernĂ© le monde. Art sublime d’abord, elle parut une participation au pouvoir de la DivinitĂ© admirĂ©e encore au commencement de notre Ăšre par des philosophes religieux, comme la science qui dĂ©couvre sans voile les Ɠuvres de la nature 2 , et conduit Ă  contempler les puissances cĂ©lestes 3 , » cent cinquante ans plus tard, le nombre et surtout la bassesse des charlatans qui en faisaient un mĂ©tieravait livrĂ© son nom au mĂ©pris des hommes Ă©clairĂ©s; tellement que le biographe d’Apollonius de Tyane, Philostrate, s’empresse d’assurer que 1 Ouvrage citĂ©, p. 87. * Plui. Jud,, lib. De specialibus Legibus, 5 Idem, lib. Qtiod omnin probus liber. 58 DEUXIÈME LEÇON, son hĂ©ros n’était pas un magicien *. Dans les tĂ©nĂšbres du moyen Ăąge, la magie, en reprenant de l’importance, devint un objet d’horreur et d’effroi. Depuis un siĂšcle, le progrĂšs des lumiĂšres en a fait un objet de risĂ©e. a Les Grecs imposĂšrent Ă  la science qui leur avait Ă©tĂ© enseignĂ©e par les mages 1 2 * le nom de magie, et lui donnĂšrent pour inventeur le fondateur de la religion des mages; mais, selon Annnien Marcellin s , Zoroastre ne fit qu’ajouter beaucoup Ă  l’art magique des ChaldĂ©ens, Da ns les combats soutenus contre Ninus par Zoroastre, roi de la Baclriane, Arnobe 4 assure que de part et d’autre on employa les secrets magiques, non moins que les armes ordinaires. Suivant les traditions conservĂ©es par ses sectateurs, le prophĂšte de l 'AriĂ©ma fut, dĂšs le berceau, en butte aux persĂ©cutions des magiciens; et la terre Ă©tait couverte de magiciens avant sa naissance 5 . Saint Epiphane 6 raconte que Nembrod, en fondant Bactres, y porta les sciences magiques, dont l’invention fut depuis attribuĂ©e Ă  Zoroastre. Cassien parle d’un traitĂ© de magie 7 qui existait au v e siĂšcle, et qu’on attribuait Ă  Cliatn, fils de NoĂ©. Le pĂšre de l’Eglise que nous avons citĂ© tout Ă  l’heure fait remonter au temps 1 Philostrat , Vit. Apollon, lib. i, cap. i et 2. 4 Les mobeds, prĂȘtres des GuĂškres, ou Parsis, se nomment encore, en langage pelilvy, magoi. Zend-Avesta , t. Il, p. 5o6. 5 Amian. Marcell., lib. xxvi, cap. 6. * Arnob., lib. i. Zend-Avesta , Vie de Zoroastre, t.. I, 2° partie, p. io, 18 et suiv. * S. Epiphane, Adver. heeres., t. I, lib. i. 7 Cassien, Confer., lib. i, cap. 21. 59 HISTOIRE DĂŒ MAGNÉTISME. deJarad, quatriĂšme descendant de Seth, fils d’Adam, le commencement des enchantements et de la magie. La magie joue un grand rĂŽle dans les traditions hĂ©braĂŻques. Les anciens habitants de la terre de Chanaan avaient encouru l’indignation divine, parce qu’ils usaient d’enchantements '. A la magie recourent, pour se dĂ©fendre, et les AmalĂ©cites combattant les HĂ©breux Ă  leur sortie d’Égypte 2 , et Balaam assiĂ©gĂ© dans sa ville par le roi des Éthiopiens, et ensuite par MoĂŻse 3 . Les prĂȘtres d’Égypte Ă©taient regardĂ©s dans l’indoustan mĂȘme 4 comme les plus habiles magiciens de Funivers. Non moins versĂ©e qu’eux dans leurs sciences secrĂštes 5 , l’épouse de Pharaon put en communiquer les mystĂšres Ă  l’enfant cĂ©lĂšbre que sa fille avait sauvĂ© des eaux , et qui^ instruit dans toute la sagesse des Égyptiens , devint puissant en paroles et en Ɠuvres 6 .» Justin, d’aprĂšs Trogue-PompĂ©e, raconte que Joseph, amenĂ© comme esclave en Égypte, y apprit les arts magiques, qui le mirent en Ă©tat d’expliquer les prodiges et de prĂ©voir longtemps d’avatice l’horrible famine qui, sans son secours, aurait dĂ©peuplĂ© ce beau royaume 7 . Et, Ă  une Ă©poque bien plus rapprochĂ©e de nous, les hommes qui attribuaient Ă  la magic les miracles du fondateur du christianisme l’accusĂšrent d’en avoir dĂ©robĂ© les secrets ' Sapient., cap. 12, vers. 4 - s De Fita et Moite Mosis, etc., p. 55 . 5 Ibid., p. 18-21. 4 Les Mille et Une Nuits, t.. VU, p. 58 trad. d’ÉnoĂŒAna Gauthier . * De Fita et Morte Mosis, etc., note, p. 199. * Act. apost., cap. 7, vers. 22. 7 Justin, lib. xxxvi, cap. 2. 60 DEUXIÈME merveilleux dans les sanctuaires Ă©gyptiens 1 . »— Celse, le premier philosophe paĂŻen qui ait attaquĂ© la religion chrĂ©tienne, reproche Ă©galement Ă  JĂ©sus-Christ d’avoir opĂ©rĂ© ses miracles au moyen de procĂ©dĂ©s magiques empruntĂ©s aux prĂȘtres Ă©gyptiens; et, si l’on tient compte du caractĂšre de Celse, cette circonstance jette sur la nature de l’art magique une lumiĂšre Ă©clatante. En effet, il ne nous reste de ce philosophe que les fragments rapportĂ©s par OrigĂšne et par Tertullien, qui tous deux l’ont rĂ©futĂ©; mais ces fragments suffisent pour nous le faire connaĂźtre. C’était un Ă©crivain habile, joignant Ă  une Ă©rudition aussi vaste que variĂ©e un esprit sceptique et railleur qui, se dĂ©fiant des hommes et des choses, rejetait volontiers l’extraordinaire comme invraisemblable et l’invraisemblable comme impossible. Cependant cet incrĂ©dule croyait Ă  la magie, puisqu’il s’en faisait un argument contre la religion nouvelle. JĂ©sus-Christ, au dire de Celse , n’était qu’un magicien ; ses miracles n’étaient que des Ɠuvres de magie, et il avait dĂ©robĂ© aux prĂȘtres d’Egypte le secret de les opĂ©rer. Mais pour que ces assertions fussent trouvĂ©es raisonnables, pour que le public en tĂźnt compte, pour que les plus illustres pĂšres de l’Eglise daignassent les rĂ©futer, il fallait bien qu’à cette Ă©poque, c’est-Ă -dire au 11 e siĂšcle , la vĂ©ritĂ© de la magie fĂ»t chose accrĂ©ditĂ©e ; il fallait de plus que Celse possĂ©dĂąt sur elle des documents prĂ©cis, il fallait enfin qu’il y eĂ»t. entre les miracles Ă©vangĂ©liques et les opĂ©rations magiques des anciens prĂȘtres d’Orient quelque 1 Magusest clandestinis artibus omnia ilia perfecit Ægyp- iiorum ex adyiis, angclorum pntentium nomina et romains fura tus est disciplinas. » Arnob., Disp. adv. gcntes, lib. i. 61 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, apparence d’identitĂ©. Si JĂ©sus-Christ, en un inot, guĂ©rissant les malades 4 en leur imposant les mains ou en les touchant de sa salive, pouvait passer pour un magicien, il Ă©tait donc admis et prouvĂ© que, bien des siĂšcles avant lui, les magiciens faisaient ces prodiges ou des prodiges analogues. Qu’avec OrigĂšne et Tertullien on rejette les conclusions que Celse tirait de ce rapprochement Ă  l’égard de JĂ©sus-Christ, j’y souscris sans hĂ©siter; mais il n’en reste pas moins dĂ©montrĂ© que l’ancienne magie consistait principalement Ă  guĂ©rir les maladies par l’imposition des mains. L’art divin de Zoroastre et de ses successeurs n’était donc que le magnĂ©tisme. Aussi le magnĂ©tisme nous fournit-il une explication plausible des miracles racontĂ©s dans l’Ancien Testament. Je n’en veux examiner qu’un c’est le miracle des verges transformĂ©es en dragons 2 . Voici la traduction de la Vulgate d’aprĂšs Le Maistre de Saci * Retirez-vous; car cette fille n’est pas morte, mais elle n’est qu 'endormie. Et ils se moquaient de lui. AprĂšs donc qu’on eut fait sortir tout le monde, il entra et lui prit la main, et cette petite fille se leva. » Evangile selon saint Mathieu, ch. 9, vers. 242. Et quelques-uns lui ayant prĂ©sentĂ© un homme qui Ă©tait sourd et muet, le suppliaient de lui imposer les mains. Alors JĂ©sus, le tirant de la foule et le prenant Ă  part, lui mit ses doigts dans les oreilles et de sa salive sur la langue. {Evangile selon saint Marc, ch. 7, vers. 32-53. Et JĂ©sus, voyant que le peuple accourait en foule , parla avec menace Ă  l’esprit impur et lui dit Esprit sourd et muet, sors de cet enfant ! je le le commande, et n’y rentre plus. » Alors cet esprit ayant jetĂ© un grand cri, et l’ayant agitĂ© par de violentes convulsions, sortit, et l’enfant demeura comme mort, de sorte que plusieurs disaient qu’il Ă©tait mort. » Id., ch. 8, vers. 24-20, etc. * Salverte, dans son Traite des Sciences occultes, explique tous 62 DEUXIÈME LEÇON- MoĂŻse et Aaron Ă©tant donc allĂ©s trouver Pharaon firent ce que le Seigneur leur avait commandĂ©. Aaron jeta sa verge devant Pharaon et ses serviteurs, et elle fut changĂ©e en serpent. Pharaon ayant fait venir les sages d 'Egypte et les magiciens, ils firent aussi la mĂȘme chose par les enchantements du pays et par les secrets de leur art. Et chacun d’eux ayant jetĂ© sa verge, elles furent changĂ©es en serpents, etc. 4 » VoilĂ  donc MoĂŻse et les magiciens qui luttent de puissance, MoĂŻse faisant des miracles et les magiciens de la magie. Mais, si les chrĂ©tiens ont Ă©tabli cette distinction quelque peu subtile entre des faits absolument semblables, il paraĂźtrait que ni Pharaon ni les sages ne reconnurent aussi facilement la puissance surnaturelle que le chef des IsraĂ©lites se flattait de possĂ©der, car Alors le coeur de Pharaon s’endurcit, et il n’écouta point MoĂŻse et Aaron, selon que le Seigneur l’avait ordonnĂ© 2 . » Le miracle des verges mĂ©tamorphosĂ©es en serpents fut d’ailleurs rĂ©pĂ©tĂ© depuis par de nombreux profanes. Les bateleurs du Caire et d’Alexandrie en donnent actuellement des reprĂ©sentations quotidiennes sur les places publiques de ces deux villes, et les rares demeurants de la sorcellerie dans nos provinces de l’Ouest endorment ençore aujourd’hui les serpents de les autres de la façon la plus satisfaisante celui-lĂ  seul paraĂźt l’avoir embarrassĂ©. C’est que Salverte Ă©tait Ă©tranger au magnĂ©tisme. 4 Exode, ch. y, vers, io, ii, 12 . * Ibid., vers. i3. 63 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, ces contrĂ©es 1 . Voici la raison scientifique de tous ces faits sous l’influence du contact humain et d’une volontĂ© ferme, le serpent, animal essentiellement magnĂ©tique, contracte une roideur gĂ©nĂ©rale qui le fait ressembler Ă  un bĂąton, roideur qui cesse aussitĂŽt que le reptile est lĂąchĂ©. Il est Ă  prĂ©sumer qu’en opĂ©rant ce prodiqe, les bateleurs d’Alexandrie n’en connaissent pas plus la cause que les paysans de l’Anjou; mais trĂšs-certainement il n’en Ă©tait pas de mĂȘme des magiciens d’Egypte. Ces derniers cultivaient la science, et particuliĂšrement la science magique , c’est-Ă -dire le magnĂ©tisme. Si maintenant vous me demandez comment il a pu se faire que cette science ne soit pas tout d’abord tombĂ©e dans le domaine public, et que, par la suite, elle se soit perdue, je vous rĂ©pondrai qu’à l’époque des Pharaons il y avait en Egypte, comme dans tout l’Orient, des castes scientifiques qui, formĂ©es surtout par les prĂȘtres, Ă©taient intĂ©ressĂ©es Ă  ne pas laisser sortir des temples les vĂ©ritĂ©s secrĂštes auxquelles elles devaient leur puissance; qu’il existait Ă  l’usage de ces castes une langue de convention inconnue du vulgaire, et qui les mettait en possession exclusive de toutes les traditions, qui passaient ainsi mystĂ©rieusement de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration sous l’ombre des hiĂ©roglyphes 2 . Je vous dirai encore qu’en l’annĂ©e 640, de prĂ©cieux documents sur l’art magique pĂ©rirent * Voj. Elien, de Animalium natura , 1 , 5 y, de Cerastis ; vi, 33 , de Ægypiiorum in aves et serpentes incantatione; xvi, de Psyllis .— Sonnini, t. II, p. 43 et suiv. 4 MichaĂŻus, de VInfluence des opinions sur la langue, etc., p. 164. 64 DEUXIÈME LEÇON, probablement avec la bibliothĂšque d’Alexandrie, lorsque le lieutenant du calife Omar * fit chauffer pendant six mois avec les livres qu’elle renfermait les quatre mille bains de cette capitale. Enfin , je vous rĂ©pondrais, si je n’étais point chrĂ©tien, que les traditions du magnĂ©tisme ne se sont jamais perdues, que tous les prĂ©ceptes en sont rĂ©sumĂ©s dans un livre divin devant lequel s’arrĂȘtera toujours la fureur des biblio- lythes; que ce livre vous est connu, qu’il est entre vos mains Ă  tous. ChrĂ©tien, ou non chrĂ©tien, je puis, en dĂ©finitive, vous le nommer sans blasphĂšme ce livre, c’est Y Evangile. Oui, messieurs, l’Évangile; et que cette allĂ©gation ne vous surprenne ni ne vous scandalise; car, s’il arrive que le magnĂ©tisme soit un jour Ă  vos yeux comme aux miens une grande et belle vĂ©ritĂ© et de toutes les vĂ©ritĂ©s la plus utile aux hommes, vous n’aurez plus le droit de vous Ă©tonner que le Fils de Dieu lui-mĂȘme en ait joint les notions Ă  toutes les notions du juste, du vrai et du beau, qu’il a entassĂ©es dans son livre. JĂ©sus-Christ met en deux versets tout le code du magnĂ©tisme Ils imposeront' les mains sur les malades, et les malades seront guĂ©ris 2 . » 1 Le calife Omar, consultĂ© par Amrou sur ce que celui-ci devait faire des livres, lui Ă©crivit Si ce que ces livres contiennent s’accorde avec le livre de Dieu , le livre de Dieu nous suffit ; s’ils contiennent quelque chose qui y soit contraire, nous n’en avons pas besoin ainsi, il faut s’en dĂ©faire.» Aboulfar , Hisl. univers. — Amacin, Hist. sarac. 3 Evangile selon saint Luc , ch. 16. — Il y a dans le mĂȘme verset Us prendront les serpents avec les mains, et, s’ils boivent quelques breuvages mortels, ces breuvages ne leur feront aucun mal. » HISTOIRE DO MAGNÉTISME. 65 Si vous aviez de la foi, gros comme un grain de sĂ©nevĂ©, vous diriez Ă  cette montagne transporte-toi d’ici lĂ , et elle s’y transporterait,et rien ne vous serait impossible '. » Je n’ignore pas qu’en prenant Ă  la lettre ces deux passages de l’Ecriture, je suis en contradiction avec l’Eglise,qui les interprĂšte tout diffĂ©remment. Mais une question d’orthodoxie est-elle de nature Ă  nous interdire la discussion philosophique d’un sujet sur lequel l’Église elle-mĂȘme, Ă©clairĂ©e par des documents nouveaux, se fut, Ă  n’en pas douter, prononcĂ©e autrement? Je le pense d’autant moins que les rĂšgles de l’orthodoxie ont variĂ© avec les progrĂšs des sciences, et que les savants ont forcĂ© plus d’une fois les conciles Ă  revenir sur leurs dĂ©cisions. Je n’en veux d’autres preuves que l’exemple de GalilĂ©e, condamnĂ© au feu pour avoir avancĂ© que la terre tournait. Ee texte de la GenĂšse, d’abord si inflexible, a fini par concilier la tradition avec l’évidence , et je doute qu’il se trouvĂąt de nos jours, je n’ose dire en Europe, mais en France, un Ă©vĂȘque qui de nouveau condamnerait GalilĂ©e. D’ailleurs n’est-il pas Ă©vident que la religion, autrement entendue, serait le foyer de l’ignorance et l’obstacle le plus invincible Ă  toute espĂšce de progrĂšs? Dans tous les temps, cette maniĂšre de voir fut celle des hommes sensĂ©s; Pascal lui-mĂȘme, le plus fervent des philosophes chrĂ©tiens, oubliait volontairement sa foi lorsqu’il voulait appliquer sa seule raison Ă  la recherche de la vĂ©ritĂ© Je frappe Ă  la porte de l’éternitĂ©, disait-il, et il me ’ livangile selon saint Mathieu, ch. 17 , vers. icj. 5 66 DEUXIÈME LEÇON, semble que le vide seul me rĂ©pond 1 . » Jamais doute plus dĂ©sespĂ©rant fut-il exprimĂ© par l’athĂ©isme? Remarquez, au reste, que l’interprĂ©tation littĂ©rale des deux versets citĂ©s plus haut n’implique en rien contradiction Ă  l’essence divine de JĂ©sus-Christ; elle suppose tout au plus que le fils de Dieu, en se faisant homme, se serait contentĂ© d’ĂȘtre l’emblĂšme irrĂ©prochable de de toutes les vertus, qu’il nous donnait pour modĂšles, comme le type de toutes les puissances dont il nous a permis l’usage. Je ne dis donc point, avec Arnobe et Celse, que tous les miracles de JĂ©sus-Christ furent des Ɠuvres de magie; mais je crois pouvoir avancer, avec toute la rĂ©serve et tout le repect que m’impose la plus pure des religions, que le fondateur du christianisme n’aurait point failli Ă  sa mission divine en nous lĂ©guant, iat., lib. xxx, cap. 1. 3 Ibid, lib. xvi, cap. 14.; lib. xxiv, cap. 11; lib. xxv, cap. 9; lib. xxix, cap. 5 . 4 Monter , De la plus ancienne Religion du Nord, avant le temps d'Odin. 68 DEUXIÈME LEÇON, fĂźt chez les autres peuples du Nord , s’accordent merveilleusement sur la chose que ce mot dĂ©signe, et que cette chose, on n’en peut douter, est toujours le magnĂ©tisme. Ainsi, au dire de Plutarque 1 , Pyrrhus, roi d’Epire, pratiquait la magie lorsqu’il guĂ©rissait les personnes qui souffraient de la rate, en les touchant lentement et longtemps sur Vendroit douloureux; de mĂȘme que, d’aprĂšs Celse, AsclĂ©piade faisait aussi de la magie lorsqu’il endormait au moyen de frictions ceux qui Ă©taient atteints de frĂ©nĂ©sie 2 . Ainsi, l’existence des faits magnĂ©tiques est aussi incontestable dans l’antiquitĂ© que de nos jours. Quant Ă  l’interprĂ©tation dogmatique qu’ils reçurent des initiĂ©s, aux diffĂ©rentes Ă©poques des temps historiques, elle n’a pu nous parvenir directement; nous avons dit pourquoi. Les ministres des religions, qui, dans les premiers temps, en furent les dĂ©positaires, Ă©taient trop intĂ©ressĂ©s Ă  en garder le secret pour qu’aucun deux le divulgĂąt. Aussi, lorsqu’en Asie le culte de Zoroastre succĂ©da au sabisme, Ă  l’adoration deShiva,deWishnouetde Brahma, les prĂȘtres hindous et les ChaldĂ©ens emportĂšrent-ils dans l’exil leur silence inviolable. Mais enfin, aprĂšs la chute de Smerdis, les mages se dispersĂšrent, et plusieurs d’entre eux portĂšrent en GrĂšce le secret des sciences occultes. La guerre du PĂ©loponĂšse, pendant laquelle Cyrus le le jeune devint l’arbitre de la GrĂšce, multiplia les relations des habitants de cette contrĂ©e avec les savants de la Perse, et voilĂ  comment, 'eut cinquante ans plus 1 Plut., in Pyrrho. 2 , ih Re merlicn , lib. m. HIST01BE 1U MAGNÉTISME. >!» tard, la magie avait dans l’Attique ses apĂŽtres et ses croyants Quelques siĂšcles plus lard, des thaumaturges, contemporains de CicĂ©ron et de CĂ©sar, opĂ©raient publiquement leurs prodiges dans la capitale du monde 2 ; ils guĂ©rissaient les malades par des moyens magiques. Vers le milieu du vi e siĂšcle, les Francs et les Visi- goths portent des lois sĂ©vĂšres contre la magie, et ces lois sont renouvelĂ©es dans les Capitulaires de Charlemagne. Mais est-ce Ă  la suite des annĂ©es romaines que les thĂ©urgistes de l’Orient avaient franchi les Alpes et s’étaient rĂ©pandus dans les Gaules? Cette hypothĂšse n’est pas soutenable; car si, avant l’invasion de CĂ©sar, les druides n’étaieut pas initiĂ©s Ă  toutes les sciences occultes de la ChaldĂ©e et de l’Egypte, il est certain pour nous qu’ils pratiquaient le magnĂ©tisme 8 . Au surplus, l’Orient demeura toujours le foyer oĂč se rĂ©chauffĂšrent ' DĂ©mostii. , in Aristoget. — TiiĂ©ocrite, dans sa 2 e idylle, parle d’une magicienne nommĂ©e Agamide,qui guĂ©rissait les maladies. * Origeke, Contra Gels., lib. i. — Si l’on ne consultait que les poĂštes, on admettrait sans examen cette multitude d’enchantements opĂ©rĂ©s par les CircĂ©, les MĂ©dĂ©e et autres semblables prodiges par lesquels ils ont prĂ©tendu rĂ©pandre du merveilleux dans leurs ouvrages Mais il paraĂźt difficile de rĂ©cuser le tĂ©moignage de plusieurs historiens, d’ailleurs vĂ©ridiques, de Tacite, de SuĂ©tone, d’Ammien Marcellin , qu’on n’accusera pas d’avoir adoptĂ© aveuglĂ©ment et faute de bon sens ce qu’ils racontent des opĂ©rations magiques. D’ailleurs pourquoi tant de lois sĂ©vĂšres de la part du sĂ©nat et des empereurs contre les magiciens, si ce n’eussent Ă©tĂ© que des imposteurs et des charlatans propres tout au plus Ă  duper la mullitude, mais incapables de causer aucun mal rĂ©el et physique? Encyct. de Diderot et d’Alembert, art. Sorciers 5 Nous reviendrons sur ce point Ă  l’occasion du somnambulisme. 70 DEUXIÈME LEÇON, de temps en temps des croyances que la religion , les mƓurs et les lois tendaient continuellement Ă  Ă©teindre dans l’Occident. DĂšs le vm e siĂšcle, dit Salverte 1 , tranquilles au sein de leurs conquĂȘtes, les Arabes s’adonnĂšrent avec passion Ă  l’étude de la magie. Au xi* siĂšcle, lorsque les musulmans, civilisĂ©s, redoutĂšrent Ă  leur tour le fanatisme de leurs nouveaux frĂšres, les rapports des EuropĂ©ens avec les Arabes et les Maures avaient pris une grande activitĂ©; et l’on observe qu’alors le commerce de ceux-ci infecta de superstitions magiques 2 les sciences qu’ils avaient apportĂ©es en Occident. De diverses contrĂ©es de l'Europe, les Ă©tudiants accouraient pour frĂ©quenter les Ă©coles de sciences occultes ouvertes Ă  TolĂšde, Ă  SĂ©govie, Ă  Salamanque 3 . L’école de TolĂšde Ă©tait la plus cĂ©lĂšbre; l’enseignement s’y perpĂ©tua du xu c siĂšcle jusqu’à la fin du xv e *. Les sociĂ©tĂ©s occultes de l’Europe prirent une part active Ă  ces communications c’est par les adeptes dont elles se composaient que nous avons connu la plupart des inventions physiques et chimiques des Arabes. » — C’est Ă  CĂ©sar de Neisterbach, Ă©crivain du xm* siĂšcle, que Salverte a empruntĂ© le passage que je viens de citer, et dont voici en partie le texte original Com- plures ex diversis regionibus scholares apud Toletum student in arie necromantica. C’était donc la nĂ©cromancie que les Arabes enseignaient en Espagne, c’est- * Ouvrage citĂ©. a Thiedmann , De Questione, etc., p, 97. ' Fromakn, Tract, de Fascinalione, p. 7a. * llhatr. mira. et. Uni. mie., lib. v, cap. 4- HISTOIRE DU MAGNÉTISME. 71 Ă -dire l’ensemble des sciences occultes. Mais les sciences occultes elles-mĂȘmes comprenaient l’astronomie, la physique, l’alchimie et la magie, et chacune de ces branches devait naturellement ĂȘtre cultivĂ©e par des hommes spĂ©ciaux. Aussi cette distinction est-elle Ă©tablie clairement dans les auteurs contemporains tandis que, la magie, ou le magnĂ©tisme car ces deux mots dĂ©sormais doivent avoir le mĂȘme sens pour vous, a, dans Albert le Grand, un apĂŽtre zĂ©lĂ©, elle rencontre dans Roger bacon un ardent dĂ©tracteur* .Roger Bacon, aussi bien qu’Albert le Grand, cherchait la pierre philosophale, et tous deux devaient aux Arabes les connaissances et la philosophie qu’ils enseignaient Ă  leurs disciples. La dissidence que nous signalons entre ces deux hommes Ă©minents du xm e siĂšcle prouve donc Ă©videmment l’importance qu’on attachait alors au point de doctrine qui en fait le sujet; c’est-Ă -dire que, dĂšs cette Ă©poque, le magnĂ©tisme Ă©tait dĂ©jĂ , parmi les savants , l’objet de ces controverses violentes qui sc sont depuis si souvent renouvelĂ©es. A partir du xin" siĂšcle jusqu’à la fin du xvi% c’est- Ă -dire depuis Albert le Grand Ă  Robert Flud exclusivement, il est Ă  peu prĂšs impossible de suivre l’histoire dogmatique du magnĂ©tisme, Ă  travers les tĂ©nĂšbres Ă©paisses de ces temps d’ignorance et de superstition. Il est hors de doute qu’il occupait une place importante dans les Ă©tudes des philosophes hermĂ©tiques; mais l’impossibilitĂ© absolue de les comprendre ne nous permet aucune conjecture fondĂ©e sur l’idĂ©e qu’ils s’eu fai- 4 R. Epis loin de secretis operibus et nullitatn magica. 72 DEUXIÈME LEÇON, saient. Je prĂ©sume cependant qu’il existait, Ă  cet Ă©gard, un ensemble de prĂ©ceptes, un corps de doctrine dont les Ă©lĂ©ments Ă©taient conservĂ©s et transmis d’ñge en Ăąge par les membres des sociĂ©tĂ©s occultes. Au dire de tous les chroniqueurs, ces sociĂ©tĂ©s Ă©taient fort nombreuses ' en France et surtout en Allemagne. La plus cĂ©lĂšbre de toutes fut celle de rose-croix , fondĂ©e , dit- on , Ă  la fin du xiv° siĂšcle, par un gentilhomme allemand, nommĂ© Rosenkreutz Rose-Croix, qui, si l’on en croit ses disciples, avait rapportĂ© d’un voyage en Turquie les secrets merveilleux auxquels il les initia. Quelques auteurs ne font remonter qu’au commencement du xvn e siĂšcle, l’origine de l’association de rose-croix, Ă  laquelle ils donnent pour fondateur Valentin Andrea, qui rendit publique, en r5i6, une partie des choses dont s’occupaient ses adeptes 1 2 . La sociĂ©tĂ© de Rosenkreutz, qui paraĂźt s’ĂȘtre liĂ©e par des affiliations intimes avec les premiĂšres associations maçonniques, eut pour dernier reprĂ©sentant le fameux comte de Cagliostro, dont la vie et la mort sont Ă©galement connues. A l’exemple des anciens mages, les membres des sociĂ©tĂ©s occultes gardaient le silence le plus inviolable sur toutes les connaissances dont ils Ă©taient les dĂ©positaires. Ces connaissances, malgrĂ© l’esprit de mystĂšre qui en entravait les progrĂšs, Ă©taient vastes et variĂ©es. Un des plus beaux gĂ©nies dont se puisse honorer l’Europe et le genre humain , Leibnitz, pĂ©nĂ©tra Ă  Nuremberg, dans une des sociĂ©tĂ©s dont nous parlons, et, 1 II en est plusieurs fois question dans la seconde partie du Roman de la Rose. 2 Valejntin. AnduĂŠ, C-onfessio RosƓ-Crucis. Paris, 1 5 1 5. 73 [histoire du magnĂ©tisme. tic l'aveu de son panĂ©gyriste 1 , il y puisa une instruction qu’en vain peut-ĂȘtre il eut cherchĂ©e ailleurs. On s’y livrait Ă  l’étude de la magie, de l’alchimie, de l’astronomie, de la thĂ©ologie et des sciences exactes. Robert Flud,dont Kepler et Gassendi ont rĂ©futĂ© les opinions, fut un des membres de ces sociĂ©tĂ©s qui eurent le plus de crĂ©dit et de considĂ©ration. Malheureusement ses Ă©crits sur la magie sont aussi inintelligibles que tous ceux des autres philosophes hermĂ©tiques. Les savants du moyen Ăąge avaient, comme les savants de l’antiquitĂ©, leurs hiĂ©roglyphes, c’est-Ă -dire une langue de convention, pour laquelle il n’est plus aujourd’hui d’interprĂšte. Les prĂ©tendus signes cabalistiques que l’on voit dans les traitĂ©s d’alchimie ne sont vraisemblablement que des symboles gĂ©nĂ©ralisant, comme nos formules algĂ©briques, des proportions, des quantitĂ©s abstraites ou mĂȘme des procĂ©dĂ©s 2 . Quant aux invocations magiques, ellĂ©s ont une origine qu’il est aise de dĂ©couvrir, et sur laquelle la lecture des traitĂ©s de philosophie occulte m’a parfaitement Ă©clairĂ©. ' , Eloge de Leibnitz. 2 L’aiialvse de quelques-unes de ces formules fournil une nouvelle preuve Ă  l’appui de l’origine orientale des sciences occultes. On sait, par exemple, quel pouvoir sublime est attachĂ© Ă  la syllabe om oum qui dĂ©signe la trimurti hindoue , composĂ©e de Shiva, Wislmou et Bramlia. En la prononçant, l’homme pieux s’élevait Ă  Y intention intellectuelle des trois divinitĂ©s nom divin et son image mystĂ©rieuse sont rappelĂ©s dans deux livres de magie publiĂ©s en Allemagne au commencement du xvi' siĂšcle. Ils ont Ă©tĂ© citĂ©s dans la BibliothĂšque magique de Horst. N’est-ce point lĂ  un dernier anneau de la chaĂźne qui, malgrĂ© l’éloignement des contrĂ©es et des Ăąges, malgrĂ© la diffĂ©rence des idiomes et des religions, rattache aux doctrines transcendantes de l’ilindoustan les dĂ©bris qu’en avaient conservĂ©s les adeptes modernes? 74 DEUXIÈME LEÇON. Tout fait magnĂ©tique consiste dans un acte de la volontĂ© , qui n’est jamais plus ferme et plus Ă©nergique qu’à l’instant oĂč elle croit avoir pour appui quelque puissance cĂ©leste ou infernale. Le prophĂšteËlie s’écrie, en s’étendant sur le fils de la veuve de Sarepta Seigneur, mon Dieu, faites, je vous prie, que l’ñme de cet enfant rentre dans son corps 1 . » Et l’enfant fut rendu Ă  la vie. Or, n’est-il pas infiniment probable que si quelque IsraĂ©lite se fĂ»t avisĂ© de rĂ©pĂ©ter sur d’autres moribonds le miracle du prophĂšte, l’invocation faite par Elie se fĂ»t prĂ©sentĂ©e Ă  son esprit, et que peut-ĂȘtre mĂȘme il y eĂ»t trouvĂ© le secret de sa puissance? Ce seul exemple suffit pour nous faire comprendre l’histoire des formules magiques dont les guĂ©risseurs de nos campagnes conservent encore le secret comme un don du Tout-Puissant. Ces formules Ă©taient jadis variĂ©es Ă  l’infini, et cela devait ĂȘtre pour satisfaire aux croyances mystiques du moyen Ăąge. Si j’en juge par le TraitĂ© de philosophie occulte 2 de Corneille Agrippa, la doctrine des magiciens consistait dans une sorte de polythĂ©isme ridicule, monstrueux , et qui personnifiait sous la forme d’anges ou de dĂ©mons toutes les puissances de la nature. Les sorciers ou magiciens subalternes, qui pratiquaient la science sans trop se douter qu’elle existĂąt, partageaient nĂ©anmoins ces crovances. C’est par quelques rĂ©flexions sur cette sorte de gens que je terminerai ma leçon. 1 Rois, liv. iii , ch. 17. a II est trĂšs-intelligible, Ă  l’exception de quelques passages hiĂ©roglyphiques, mais il n’offre , Ă  mon avis, rien qui soit digne d’intĂ©rĂȘt. 75 HISTOIRE DU MAGNÉTISME. En appelant les sorciers des magiciens subalternes et ignorants, je crois bien les dĂ©finir. Il y en eut dans tous les temps, comme il en est encore de nos jours; la superstition les multipliait Ă  l’infini dans les siĂšcles d’ignorance la terreur qu’ils inspiraient alors, et la foi qu’ils avaient en eux-mĂȘmes, faisaient toute leur puissance ;cette puissance, ils l’aliĂ©nĂšrent du jour oĂč ils commencĂšrent Ă  en douter. Ceci vous explique comment la sorcellerie s’éteignit avec l’esprit religieux. L’homme, qui croyait volontiers aux miracles opĂ©rĂ©s par le dĂ©mon , n’osa pas ajouter foi Ă  ses propres miracles, quand il fallut en prendre pour soi la responsabilitĂ©. Le pouvoir des magnĂ©tiseurs, subordonnĂ© aux mĂȘmes lois que le pouvoir des sorciers, exclut, comme lui, le scepticisme et cesse d’ĂȘtre dĂšs l’instant oĂč il croit n’ĂȘtre plus. Le vrai magnĂ©tiseur ne doute de rien qu’il soit fort, nerveux, ignorant et fanatique, et vous avez en lui le vrai sorcier du moyen Ăąge, placĂ© toutefois dans un autre milieu moins favorable Ă  son empire. — Cependant, que le magnĂ©tisme se propage, et, dans toutes les classes de la sociĂ©tĂ©, se reproduiront bientĂŽt, plus ou moins, sur un fond scientifique, tous les prĂ©tendus actes impossibles attribuĂ©s aux sorciers. Au surplus, les documents historiques desquels ressort l’existence de ces derniers dans tous les temps et dans tous les pays sont aussi prĂ©cis que nombreux; en voici d’irrĂ©fragables Une des lois de MoĂŻse condamne Ă  mort ceux qui font des malĂ©fices '. Est-ce des magiciens ou des sor- Maleficos non palicris vivere. Exode, cap. au, vers. 18. 76 DEUXIÈME LKÇOX. tiers qu’il s’agit clans ce passage de l’Exode? le texte n’établit point cette distinction, apparemment aussi indiffĂ©rente pour le lĂ©gislateur que pour nous. — Sorciers ou magiciens Ă©taient Ă©galement magnĂ©tiseurs, car voici pour leurs somnambules Qu’il n’y ait personne parmi vous qui fasse des malĂ©fices, qui soit enchanteur, etc.; ou qui consulte ceux qui ont des pythons, etc. K . 11 est impossible de ne pas reconnaĂźtre dans ces deux passages le double Ă©lĂ©ment du magnĂ©tisme. Le mĂȘme systĂšme se reproduit dans la sorcellerie des Grecs l ’enchanteur et l 'enchantĂ© ont un nom particulier, le mot eitccvidoc dĂ©sigue le premier et le mot ftotvnç le second. Les Romains Ă©tablissent encore des distinctions plus nombreuses, parce qu’ils spĂ©cifient dans leur langage toutes les branches des sciences occultes. Ils ont leur venenarii ou venefici qui prĂ©parent les poisons, les genethliaci qui tirent les horoscopes, les augures et les aruspices dont on sait les fonctions; les Thessali et les ChaldƓi , lĂ©gitimes hĂ©ritiers des mages; puis enfin, les sortiarii et les sortiariƓ qui n’ont pas de doctrine acquise comme les fils de la ChaldĂ©e, mais qui n’en font pas moins des malĂ©fices, et sont condamnĂ©s Ă  mort par les lois lombardes, sous le nom de Marcce. Les sortiarii des Romains Ă©taient donc les mĂȘmes ' ĂŒeute’ron., ch. 27, v. 10. — M. Victor Manequin a commentĂ© ces leux versets de la Bible dans son Introduction Ă  VHistoire de la LĂ©gislation française p. 587, ouvrage qui renferme sur le peuple juif des considĂ©rations d’un intĂ©rĂȘt majeur et que nous recommandons Ă  nos lecteurs comme une des productions les plus originales et les plus remarquables de l’époque. 77 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, que nos sorciers du moyen Ăąge, si impitoyablement condamnĂ©s au feu par les ordonnances de nos rois Mais en quoi consistaient, en dĂ©finitive, les malĂ©fices des sorciers? Gardez-vous bien de vous en rapporter sur ce point aux actes d’accusations dirigĂ©es contre ces malheureux, non plus mĂȘme qu’aux aveux que leur arrachait la torture. 11 n’est pas de fable absurde, pas de monstruositĂ©s , que , dans ces temps d’ignorance, n’aient inventĂ©es la calomnie, la sottise ou la cupiditĂ©. Qu’on en juge par le fait suivant, auquel l’auteur qui le raconte a joint ses rĂ©flexions En cette annĂ©e i/j5g, dit Monstrelet, en la ville d’Arras, au pays d’Artois, advint un terrible cas et pytoyable, que l’on nommoit Vaudoisie, ne sai pourquoi mais l’on disoit que c’étoient aucunes gens, hommes et femmes, qui de nuit, se transportoient, par vertu du diable, des places oĂč ils Ă©toient, et soudainement se trouvoient en aucuns lieux arriĂšre de gens, Ăšs bois ou Ăšs dĂ©serts, lĂ  oĂč ils se trouvoient entre grand nombre d’hommes et de femmes, et trouvoient illec un diable en forme d’homme, duquel ils ne vesitent jamais le visage ; et ce diable leur lisoit ou disoit ses commandements et ordonnances, et comment et par quelle maniĂšre ils le dĂ©voient avrer et servir, puis fai— soit par chacun d’eux baiser son derriĂšre, et puis il bailloit Ă  chacun un peu d’argent, et finalement leur administroit vins et viandes, en grande largesse, dont ils se repaissoient; et puis, tout Ă  coup chacun prenoit ' Celles, entre autres, de Charles VIII en 1490 et de Charles IX en i 56 o.— Ce ne fut qu’en 1672 que Louis XIV dĂ©fendit Ă  tous les tribunaux d’admettre les simples accusations de snrcelhrit, 78 DEUXIÈME LEÇON. sa chacune, et en ce point s’estaindoit la lumiĂšre, et connaissoient l’un l’autre charnellement, et ce fait, soudainement se retrouvoit chacun en sa place dont ils Ă©toient partis premiĂšrement. Pour cette folie furent prins et emprisonnĂ©s plusieurs notables gens de la dite ville d’Arras, et autres moindres gens, femmes folieuses et autres, et furent tellement gehinĂ©s et si terriblement tormentĂ©s que les uns confessĂšrent le cas leur ĂȘtre tout ainsi advenu, comme dit est; et outre plus confessĂšrent avoir veu et cogneu en leur assemblĂ©e plusieurs gens notables, prĂ©lats, seigneurs et autres gouverneurs de bailliages et villes voire tels, selon commune renommĂ©e, que les examinateurs et les juges leur nommoient etmettoient en bouche si que par force de peines et torments ils les accusoient et disoient que voirement ils les y a voient veus; et les accusĂ©s, ainsi nommĂ©s, Ă©toient tantĂŽt aprĂšs prins et emprisonnĂ©s et mis Ă  torture, et tant et si longuement et par tant de fois que confesser le leur convenoit; et furent ceux-ci qui Ă©toient de moindres gens, exĂ©cutĂ©s et brĂ»lĂ©s inhumainement. Aucuns autres plus riches et plus puissants se rachetĂšrent par force d’argent, pour Ă©viter les peines et les hontes qu’on leur faisoit. Plusieurs gens de bien cogneurentassez que cette maniĂšre d’accusation fut une chose controuvĂ©e par aucunes mauvaises personnes, pour grĂšver et destruire, ou deshonorer, ou par ardeur de convoitise, aucunes notables personnes, que ceux bayaient de vieille haine, 79 HISTOIRE BU MAGNÉTISME, et que malicieusement ils feirent prendre ineschantes gens tous premiĂšrement, auxquels ils faisoient par forces de peines et de torments, nommer aucuns notables gens tels que l’on leur mettoil Ă  la bouche, lesquels ainsi accusĂ©s Ă©taient prins et tormentĂ©s, comme dit est *. » Ainsi, les tribunaux français du xv* siĂšcle en usaient avec les sorciers comme les inquisiteurs d’Espagne Ă  l’égard des hĂ©rĂ©tiques ils inventaient le dĂ©lit pour avoir Ă  dĂ©pouiller le coupable. Cependant, Ă  cĂŽtĂ© de ces machinations diaboliques, qui suffisent pour caractĂ©riser l’époque oĂč elles Ă©taient possibles, l’histoire de la sorcellerie nous prĂ©sente quelques Ă©pisodes qui, pour ĂȘtre plus incroyables encore, n’ont pourtant pas Ă©tĂ© inventĂ©s Ă  plaisir; mais la science a depuis longtemps dĂ©chiffrĂ© cette autre Ă©nigme. Les sorciers avaient comme leurs maĂźtres , les magiciens, leurs sociĂ©tĂ©s secrĂštes, dont l’institution portait l’empreinte Ă©vidente des traditions druidiques. Il serait d’ailleurs hors de propos de rechercher si ces sociĂ©tĂ©s se formĂšrent dans le principe , comme je le suppose, des dĂ©bris du culte gaulois, et si le sabbat Ă©tait vĂ©ritablement l’image dĂ©figurĂ©e des danses et des festins nocturnes que jadis cĂ©lĂ©braient les druides en l’honneur de Nera. Mais ce qu’il m’importe de vous faire savoir, c’est qu’à chaque assemblĂ©e nouvelle, de nombreux et ardents nĂ©ophytes subissaient ‱ Chroniques, 3* vol., p. 8L Ă©dition de Paris, 1072, in-fol. 80 DEUXIÈME LEÇON, l’initiation dans une ceremonie bizarre, dont il vous sera facile d’apprĂ©cier les consĂ©quences. AprĂšs les avoir mis tout nus, en prĂ©sence du bouc et du chat noir, on les frottait de la tĂȘte aux pieds avec le suc d’une plante Ă  laquelle on attribuait plusieurs vertus magiques, et qui avait rĂ©ellement celle de plonger les patients dans un sommeil profond et agitĂ©, dont ils ne se rappelaient, au rĂ©veil, que les rĂȘves effrayants. En effet, la plante dont il s’agit n’était autre, suivant Gassendi, que le datura-stramonium, narcotieo-Ăącre dont on a depuis constatĂ© l’excessive Ă©nergie. Telle Ă©tait la vĂ©ritable cause des visions extravagantes que les stupides initiĂ©s eux-mĂȘmes transmettaient Ă  leurs amis comme autant de rĂ©alitĂ©s, et dont la lĂ©gende perpĂ©tuait le souvenir. — Ainsi, vous lĂ© voyez, en vous rapportant les faits et gestes des sorciers, je fais largement la part des circonstances controuvĂ©es et des circonstances imaginaires. Mais si, dans tous les temps, il y eut des fous et des esprits faibles pour les imiter, faudrait-il en conclure qu’il n’y eut jamais de sorciers? Au moins est-il, Ă  l’appui de l’existence de ces derniers, certains faits qu’on ne peut rĂ©cuser sans s’élever contre l’assentiment unanime des historiens qui les racontent. Si d’ailleurs l’expĂ©rience vient Ă  vous dĂ©montrer un jour que, par le seul moyen d’une volontĂ© forte et soutenue, il est possible d’agir physiquement en bien ou en mal sur les individus, comme de modifier relativement l’aspect et les propriĂ©tĂ©s des ĂȘtres inanimĂ©s, l’analogie vous forcera bien de voir autre chose que des visionnaires ou des monstres dans les juges qui condamnĂšrent le HISTOIRE DÜ MAGNÉTISME. 81 duc de Glocester Pierre de Latilly, Raoul de Presles 2 , Guichard 3 , Enguerrand de Marigny 4 , CĂŽme de Rug- gieri 5 , la marĂ©chale d’Ancre, etc., etc. On se souviendra avec Ă©tonnement, dit Voltaire dans son Essai sur le siĂšcle de Louis XIV, jusqu’à la derniĂšre postĂ©ritĂ©, que la marĂ©chale d’Ancre fut brĂ»lĂ©e en place de GrĂšve comme sorciĂšre , et que le conseiller Courtin, interrogeant cette femme infortunĂ©e, lui demanda de quel sortilĂšge elle s’était servie pour gouverner l’esprit de Marie de MĂ©dicis; que la marĂ©chale lui rĂ©pondit Je me suis servie du pouvoir qu'ont les Ăąmes fortes sur les esprits faibles, et qu’enfin celte rĂ©ponse ne servit qu’à prĂ©cipiter l’arrĂȘt de sa mort. » C’est qu’apparemment les juges de la marĂ©chale avaient devinĂ© le magnĂ©tisme, oubliĂ© ou mĂ©connu au temps oĂč Ă©crivait Voltaire. * AccusĂ© par lord Hastiugs de lui avoir dessĂ©chĂ© le bras par sortilĂšge. 2 Pierre de Latilly et Raoul de Presle furent emprisonnĂ©s tous les deux sous la double prĂ©vention d’avoir fait mourir Philippe le Bel et Philippe le Hardi. 5 AccusĂ© d’avoir abrĂ©gĂ© par sorcellerie les jours de la reine femme de Philippe le Bel . 4 Enguerrand de Marigny, surintendant des finances de Louis le Ilutin. Il avait, dit son historien , piquĂ© le monarque, messire Charles et autres barons, de maniĂšre que, si on n’y apportait remĂšde, ils ne feraient chaque jour que amenuiser, sĂ©cher, dĂ©chirer, et, en brief, mourroienl de maleworl. 5 AccusĂ© de s’ĂȘtre servi de magie pour faire pĂ©rir Charles IX. 6 TROISIÈME LEÇON. O SlITtE DE L’HISTOIRE MJ MAGNÉTISME. — OPINIONS DES ANCIENS SUR LE FLIJIOE. — PREMIÈRES THÉORIES MAGNÉTIQUES. — RENAISSANCE DE CES THÉORIES AU XV e SIÈCLE. Messieurs, S’il est vrai qu’en commençant mon cours, j’aie eonçtl la pensĂ©e hardie d’autres diront tĂ©mĂ©raire d’ériger le magnĂ©tisme en systĂšme, je dois m’attacher par-dessus tout Ă  fixer votre attention sur l’enchaĂźnement de mes idĂ©es, de maniĂšre Ă  ce que vous ne perdiez jamais de vue ni notre point de dĂ©part, ni le Lut vers lequel nous marchons. Je vais, en consĂ©quence, vous rappeler sommairement les considĂ©rations que je vous ai soumises dans mes deux leçons prĂ©cĂ©dentes. Dans la premiĂšre, je vous ai prĂ©sentĂ© comme Ă©lĂ©ments primordiaux du magnĂ©tisme les deux facultĂ©s qui, dans tous les ĂȘtres, paraissent constituer la vie, la facultĂ© de sentir et la facultĂ© d’agir. Je les ai prises toutes deux Ă  leur point initial, dans leur germe, pour ainsi dire, et je vous ai fait voir comment, par une suite de transformations insensibles, elles finissent par devenir en se perfectionnant la sensibilitĂ© et la volontĂ© humaines. Je vous ai dit Ă©galement comment, THÉORIES ANCIENNES DÜ MAGNÉTISME. 83 entre cos deux facultĂ©s, l'ampliation de la vie dĂ©veloppe progressivement, d’ĂȘtres en ĂȘtres, ou d’espĂšces en espĂšces, un foyer central, qui paraĂźt manquer dans les minĂ©raux, et dont l’importance dans les animaux semble se proportionner Ă  la prĂ©pondĂ©rance physique et exclusive des centres nerveux. Peut-ĂȘtre eussĂ©-je dĂ» ajouter que ce foyer central de l’existence rompt en quelque sorte dans les ĂȘtres supĂ©rieurs l’harmonie primitive des deux facultĂ©s qui nous occupent, et dont chacune dans l’atome pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme la consĂ©quence immĂ©diate de l’autre. Tel est donc le point dont nous sommes partis la double manifestation de la vie, considĂ©rĂ©e dans l’atonie, Ă  son Ă©tat rudimentaire, a Ă©tĂ© pour nous l’unitĂ© gĂ©nĂ©sique d’un systĂšme rĂ©gulier dont je vous ai marquĂ© dĂ©jĂ  les principaux dĂ©veloppements, en vous signalant les divers degrĂ©s auxquels peuvent atteindre chez l’homme la facultĂ© de sentir et la facultĂ© de vouloir. EnfermĂ©es toutes deux dans le cercle Ă©troit de l’organisation individuelle, la volontĂ© et la sensibilitĂ© n’ont eu presque jusqu’à prĂ©sent pour le sensualisme grossier de nos Ă©coles d’autre champ d’action que le corps vivant que fait mouvoir la premiĂšre, et dont la seconde perçoit les actes. Mais, indĂ©pendamment des cas anormaux oĂč l’une et l’autre acquiĂšrent Ă  dĂ©faut d’extension visible une perfection incontestable, nous avons Ă©tabli, d’une part, sur des notions physiques gĂ©nĂ©ralement adoptĂ©es, d’autre part, sur des documents historiques non moins inattaquables, que les deux facultĂ©s dont il s’agit sont au moins, dans certains cas, susceptibles d’entretenir entre les ĂȘtres des relations lointaines, tout 84 TROISIÈME LEÇON. aussi positives que les relations plus Ă©videntes qui proviennent des sens. Ainsi, aprĂšs avoir appelĂ© votre attention sur l’analogie frappante qui existe entre les phĂ©nomĂšnes de gravitation et les actes magnĂ©tiques proprement dits, j’ai empruntĂ© Ă  des faits connus, quoique jusqu’à prĂ©sent mal interprĂ©tĂ©s , les preuves de l’action qu’un homme peut exercer sur d’autres hommes sans l’intervention visible d’aucun de ses organes. Ces faits ont Ă©tĂ© par moi divisĂ©s en trois ordres. J’ai fait consister ceux du premier ordre dans ces sortes d’entraĂźnements purement moraux, mais irrĂ©sistibles, que certains esprits effervescents ont souvent provoquĂ©s en dĂ©pit de la raison, de l’intĂ©rĂȘt individuel comme de l’intĂ©rĂȘt public. Ceux du second ordre , ou faits mixtes, sont, vous ai-je dit, caractĂ©risĂ©s par les symptĂŽmes physiques qui accompagnent l’effet moral, produit seul dans les prĂ©cĂ©dents. Enfin, dans ceux du troisiĂšme ordre, faits si rares qu’entre les mains des anciens prĂȘtres, des magiciens et des thaumaturges ils ont passĂ© pour des miracles, je vous ai fait voir l’annihilation absolue de volontĂ©s humaines, si complĂštement absorbĂ©es par d’autres volontĂ©s plus puissantes que, par suite de la plus Ă©trange association , la pensĂ©e d’un individu semble devenir le centre volitif d’un autre individu. Tous ces faits, au moins ceux des deux derniers ordres, ont Ă©tĂ© maintes fois soumis on n’en saurait douter Ă  l’analyse scientifique et au contrĂŽle de la raison. Mais, ainsi que je vous l’ai fait observer, les inductions systĂ©matiques qu’ils ont dĂ» fournir aux savants des diffĂ©rentes Ă©poques 11e nous sont point par- THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 85 venues. Elles se sont perdues avec tant d’autres vĂ©ritĂ©s qui n’ont dĂ©chirĂ© le voile Ă©pais des hiĂ©roglyphes Ă©gyptiens que pour se dĂ©rober derechef aux yeux profanes sous les formules indĂ©chiffrables que le moyen Ăąge nous a laissĂ©es. Cependant la dĂ©couverte des effets Ă  distance de la volontĂ©, est loin d’ĂȘtre nouvelle, et les traces de cette croyance se produisent Ă  chaque instant dans la plupart des Ă©crits mystiques antĂ©rieurs au xvi e siĂšcle. 11 est vrai qu’elle s’y trouve mĂȘlĂ©e aux conjectures les plus absurdes, les plus extravagantes, mais qui, pour cela mĂȘme, n’en prouvent que mieux que le fait dont elles sont des interprĂ©tations vicieuses avait Ă©tĂ© constatĂ©. L’intervention du diable, par exemple , est une thĂ©orie tout comme une autre, mais une thĂ©orie qui implique Ă©videmment un ordre de choses que le concours d’une puissance surnaturelle est seul capable de produire. Aussi ne serais-je pas trop Ă©loignĂ© de voir dans l’idĂ©e du diable que tous les peuples paraissent avoir conçue le reflet de certaines anomalies qui de tout temps durent se montrer, soit dans l’ordre physique, soit dans l’ordre physiologique. Remarquez, d’ailleurs, que ces anomalies, que ces prĂ©tendus Ă©vĂ©nements contre nature ne nous semblent tels qu’autant que nous en ignorons la cause; d’oĂč il suit qu’ils se multiplient toujours en raison directe de l’ignorance des peuples. VoilĂ  justement pourquoi, au moyen Ăąge, le diable se trouve partout, dans le dogme, dans les sciences, et surtout dans la magie. Mais, indĂ©pendamment de ce que nous penserions avec le P. Malebranche' faire trop d’honneur au diable * Malebranche, Rech. de la VĂ©ritĂ©, liv. m, ch. 8. 86 TROISIÈME LEÇON. en attribuant Ă  sa puissance toutes les histoires qu’on en raconte, nous tenons, en gĂ©nĂ©ral, pour essentiellement dĂ©fectueux tout systĂšme scientifique dont il est le principe. Nous laisserons donc aux thaumaturges du xv e siĂšcle le soin d’utiliser dans leur doctrine ce principe inconnu, et nous ne demanderons pas plus Ă  l’enfer qu’au paradis les raisons des phĂ©nomĂšnes dont nos sens nous rendront tĂ©moins. Sentir et vouloir, tels sont les axiomes du magnĂ©tisme, et, si l’on y regarde de prĂšs, les axiomes de la physiologie tout entiĂšre. Mais, aprĂšs avoir Ă©tabli ces deux pivots de rotation, il s’agit Ă  prĂ©sent d’en chercher l’engrenage en d’autres termes, comment, par quel mĂ©canisme, par quel agent intermĂ©diaire la volontĂ© opĂšre-t-elle sur la sensibilitĂ©? C’est lĂ  le secret du magnĂ©tisme, l'Ă©nigme qu’on s’est posĂ©e bien des siĂšcles avant moi, et qui, entre les griffes du sphinx, eĂ»t coĂ»tĂ© la vie Ă  plus d’un OEdipc. Enfin je vous ai fait entrevoir le systĂšme, je vais actuellement vous initier Ă  ce que nous nommons la thĂ©orie. Si l’idĂ©e d’une Ăąme immatĂ©rielle n’était la seule issue qui soit ouverte Ă  l’espĂ©rance des hommes, si Ă  cette idĂ©e ne se rattachait l’attente des biens destinĂ©s Ă  nous consoler dans une autre vie de tous nos maux d’ici-bas, il est probable que jamais mortel n’eĂ»t conçu cette idĂ©e. Daignez en effet y rĂ©flĂ©chir un esprit ! quelque chose qu’on ne peut voir, qu’on ne peut entendre, qu’on ne peut sentir! quelque chose qui est et qui n’est pas, qui a sa place dans votre cerveau, et qui ne serait rien dans l’espace! Convenez que tout cela est si profondĂ©ment incomprĂ©hensible qu’il faut 87 THÉORIES ANCIENNES ÇU MAGNÉTISME. avoir bien besoin d’y croire pour ne pas s’en moquer. Cependant, loin de nous en moquer, nous y croyons tous avec ferveur, et rien , en dĂ©finitive, n’est plus logique que cette croyance; car, si l’ñme immatĂ©rielle n’est pas comprĂ©hensible, Dieu ne l’est pas davantage, et nous tenons pour incontestable la rĂ©alitĂ© de Dieu. Aussi, soit orgueil, soit Ă©goĂŻsme, soit piĂ©tĂ© instinctive, il n’est presque plus personne aujourd’hui qui rejette explicitement l’existence de l’ñme humaine. Mais, en mĂȘme temps il n’est personne qui ne convienne volontiers qu’elle soit d’une conception difficile, si difficile qu’il est Ă  peu prĂšs impraticable d’en faire aux sciences, c’est-Ă -dire aux choses raisonnĂ©es, la moindre application, Ă  moins de la considĂ©rer sans cesse comme un point mathĂ©matique. Si les psychologistes , personnifiant l’homme moral dans l’ñme qui le fait agir et penser, attribuent Ă  celle-lĂ  toutes sortes de facultĂ©s, d’autre part, ils nous accordent que ces facultĂ©s ne se manifestent qu’au prix d’un appareil organique, autrement dit, par l’intervention d’une substance matĂ©rielle. Ainsi, dans l’ordre naturel, les organes sont regardĂ©s par eux comme indispensables Ă  toutes les perceptions et Ă  toutes les volitions de l’ñme. Le magnĂ©tisme, au premier abord, semble renverser ce principe, puisque les organes paraissent n’entrer pour pieu diju 1 certains effets de la volontĂ©. Mai§ quoi ! faudra-t-il donc admettre qu’en pareil cas l’ñme dont Ă©mane cette volontĂ© se dĂ©place, abandonne la glande pinĂ©ale ou la moelle allongĂ©e dont les philosophes ont fait sa demeure, pour aller elle-mĂȘme accomplir ce qu’elle veuf? Cela peut ĂȘtre, aprĂšs tout, parce qu’une fois 88 TROISIÈME qu’on a mis le pied sue le domaine de l'inconnu, toute supposition devient raisonnable ; mais on se demande nĂ©anmoins s’il n’y aurait point Ă  faire Ă  cet Ă©gard quelque hypothĂšse plus satisfaisante, et surtout plus accessible Ă  notre infime raison? Si, par exemple, entre l’ñme impressionnante et l’ñme impressionnĂ©e, il n’y aurait pas possibilitĂ© d’admettre quelque moyen d’action, quelque chaĂźne physique, quoique invisible, enfin quelque substance subtile, intermĂ©diaire, pour ainsi dire, Ă  la matiĂšre et Ă  l’esprit. Or, 1 & fluide admis par les magnĂ©tiseurs est cet ĂȘtre conjectural, dont nous essaierons nĂ©anmoins plus tard de vous prouver l’existence, et auquel vous accorderez peut-ĂȘtre avec moi par la suite une importance infinie dans la production de tous nos actes vitaux. Toutefois, je comprends sans peine que ce fluide magnĂ©tique , qui Ă©chappe en mĂȘme temps Ă  la vue et au toucher, passe encore pour une chimĂšre dans l’esprit de beaucoup de gens. Quant Ă  moi, sans vous le prĂ©senter comme une vĂ©ritĂ© mathĂ©matique, je vous dĂ©clare que j’y crois, mais comme les physiciens croient Ă  l’électricitĂ©. C’est-Ă -dire que notre fluide n’est peut- ĂȘtre, ainsi que celle-lĂ , qu’une fiction ingĂ©nieuse, un moyen de s’entendre, un agent de convention que nous sommes prĂȘts Ă  vous sacrifier, si vous avez mieux Ă  nous offrir. N’allez pas d’ailleurs vous imaginer, Ă  l’exemple de beaucoup de gens du monde et de quelques magnĂ©tiseurs, que Mesmer l’ait inventĂ©. Trois mille ans avant lui, cette chose Ă©tait admise sous un autre nom, et cent ans avant que Mesmer fĂ»t connu, un grand mĂ©decin, un grand penseur, un grand 89 THÉ0K1ES ANCIENNES DU MAGNÉTISME, philosophe, notre maĂźtre Ă  tous, Van Helmont, enfin . dont je vous ferai connaĂźtre tout Ă  l’heure les principales idĂ©es, avait tirĂ© de cette hypothĂšse les plus admirables inductions. Mais, avant de vous exposer la thĂ©orie de Yan Helmont, je dois vous rapporter Jes opinions de quelques philosophes qui l’avaient prĂ©cĂ©dĂ© dans une carriĂšre oĂč ses successeurs n’ont pas mĂȘme eu l’intelligence de le suivre. Sanchoniathon, le plus ancien des historiens connus, attribuait la conservation de l’univers Ă  un esprit subtil qui, rĂ©pandu dans l’air, animerait les hommes, et serait la cause des sympathies et des antipathies '. Il est probable que Sanchoniathon n’était point l’auteur de cette thĂ©orie Ă  laquelle j’ai donnĂ© moi-mĂȘme avant de la connaĂźtre un large dĂ©veloppement. Est-ce donc le hasard ou la force de la vĂ©ritĂ© qui, Ă  plusieurs milliers d’annĂ©es d’intervalle, conduit ainsi les hommes Ă  professer les mĂȘmes idĂ©es? L'immortel fondateur de l’école italique, Pythagorc rĂ©pandit en GrĂšce la doctrine d’un fluide qu’il nommait la force productrice de l'univers a . EmpĂ©dode admettait Ă©galement pour principe gĂ©nĂ©ral , un esprit qui mettait tout en mouvement, et il croyait que les parties matĂ©rielles des corps avaient entre elles amour et haine 3 . Cet amour et cette haine dont parle EmpĂ©dode sont Ă©videmment Xattraction et la rĂ©pulsion atomiques 1 EusĂšbe, PrĂ©paration et DĂ©monstration Ă©vangĂ©liques, i vol. iu-fol. Paris, 1628. 2 Times, de Loc., t. III. s OiugĂšne , cap. 3, et FrĂ©ret, MĂ©moires de l’Acad. des Inscrip., 90 TROISIÈME LEÇON- de nos physiciens modernes, double facultĂ© qu’ils attribuent aussi Ă  un fluide. Zenon, le cĂ©lĂšbre panthĂ©iste de l’antiquitĂ©, faisait du Dieu qu’il enseignait un air ardent, une espĂšce de feq universellement rĂ©pandu, qui animait chaque chose, et qui, par sa providence, dirigeait tous les ĂȘtres selon les lois immuables de l’ordre ou de la raison. Enfin les stoĂŻciens qui succĂ©dĂšrent Ă  ZĂ©non, reproduisirent sous toutes les formes la grande pensĂ©e de leur maĂźtre. Ainsi que lui, ils admettaient l’existence d’un fluide infiniment dĂ©liĂ©, et qui seul, suivant eux, vivifiait toute la nature. Dans leur systĂšme, nos Ăąmes et celles des bĂȘtes Ă©taient des particules sĂ©parĂ©es du grand tout, et qui, Ă  la mort de l’individu, devaient retourner Ă  leur source commune. Pour faire entendre leur idĂ©e, ils comparaient les animaux Ă  des bouteilles remplies d’eau qui flotteraient dans la mer, et dont le contenu, si on les brisait, se rĂ©unirait Ă  l’OcĂ©an. C’est ce qui arrive aux Ăąmes, disaient- ils, quand la mort brise, pour ainsi dire, les organes oĂč elles sont renfermĂ©es, et les rĂ©unit Ă  la grande Ăąme du monde. FĂ©nelon, dans son TĂ©lĂ©maque, a rendu avec autant d’élĂ©gance que de prĂ©cision cette pensĂ©e des stoĂŻciens l’ñme universelle, dit-il, est un vaste ocĂ©an de lumiĂšre; nos Ăąmes sont autant de petits ruisseaux qui y prennent leur source et retournent s’y perdre. » Ainsi, l'idĂ©e d’un fluide universel, que Mesmer, au xvm e siĂšcle, promulgua comme une nouveautĂ©, est aussi vieille que le monde. Jusqu’ici, nĂ©anmoins, je ne vous ai rapportĂ© que de pures abstractions philosophiques dont peut-ĂȘtre vous ne saisissez pas les rapports avec le magnĂ©tisme moderne. C’est que, en effet, vous ne 91 THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME, supposiez pus et vous aviez raison qu’il y eĂ»t de la philosophie dans les passes des magnĂ©tiseurs, dont la plupart, je vous l’accorde, moins Ă©rudits que charitables, oublient volontiers, dans leur dĂ©vouement, de se demander la cause du bien qu’ils font. Mais il n’en Ă©tait point ainsi lors des premiĂšres applications qu’on fit des doctrines stoĂŻciennes Ă  l’art de guĂ©rir- AsclĂ©piade, par exemple, qui n’était pas moins philosophe que mĂ©decin, agissait bien certainement avec connaissance de cause lorsque, rejetant la doctrine d’Ilippocrate, il ordonnait seulement Ă  ses malades l’exercice et les frictions Plotin, au 111 e siĂšcle, Ă©tonnait ses contemporains par une bizarrerie du mĂȘme genre. Il guĂ©rissait, sans employer de remĂšdes, les malades qu’il traitait; et tandis que ses confrĂšres attribuaient ses cures Ă  un dĂ©mon familier, lui leur disait sou secret au iv e livre de ses EnnĂšades ce secret consistait dans l’application qu’il faisait Ă  la mĂ©decine d’un systĂšme de sympathie et d’antipathie, naissant, suivant lui, d’une force unique qu’il nominaityb/re magique de la nature 2 . 1 Pune, lib. xvi, cap. 3. * Plotin, nĂ© l’an ao5 de JĂ©sus-Christ, Ă  Lycopolis, dans la haute Egypte, appartenait Ă  la secte des nĂ©oplatoniciens. Il s’attacha Ă  l’àge de vingt-huit ans au philosophe Ammonius Saccas, dont il suivit les leçons pendant onze ans, accompagna, en 244, l’empereur Gordien dans une expĂ©dition contre les Perses, pour puiser Ă  sa source la philosophie des Orientaux, vint, aprĂšs PavĂ©- nement de Philippe, se fixer Ă  Rome, vers l’àge de quarante ans, y ouvrit une Ă©cole de philosophie oĂč afflua bientĂŽt un immense concours, et obtint la vĂ©nĂ©ration universelle aussi bien par ses vertus que par sa science. Plotin se retira, dans sa vieillesse, en Campanie, et y mourut vers 270. 11 avait, dit-on , obtenu de l'empereur Gallien la permission de bĂątir dans la Campanie une ville oĂč il devait rĂ©aliser la rĂ©publique idĂ©ale de Platon ; mais 92 TROISIÈME Je ne sais si les rois de France Philippe 1 er et Charles Y, qui, Ă  l'exemple de Pyrrhus et de Vespasien , guĂ©rissaient les malades par l’attouchement jetaient initiĂ©s Ă  la doctrine et au secret mĂ©dical de Plotin; mais, depuis ce philosophe, jusqu’aux mĂ©decins thaumaturges du xv e siĂšcle, la thĂ©orie des fluides cessa d’ĂȘtre professĂ©e, et fut remplacĂ©e, comme je vous l’ai dit, par la thĂ©orie des mauvais auges. Pomponace et Paracelse, premiers restaurateurs ou divulgateurs de l’art magique, firent tous deux leur entrĂ©e dans le monde cent ans avant l’époque oĂč Spinosa devait rĂ©habiliter en philosophie la doctrine des stoĂŻciens. Puis vinrent Robert Boyle, Sebastien Wirdig, Maxwel et enfin Van Helmont. Pierre Pomponace ou Pomponazzi, nĂ© Ă  Mantoue en 1462, Ă©crivit un traitĂ© ex professo sur la puissance occulte des enchantements ’. MalgrĂ© les hypothĂšses hasardĂ©es et les croyances mystiques que renferme cet ouvrage, le dĂ©mon des enchanteurs 11’v est pas moins dĂ©trĂŽnĂ© par cette assertion remarquable Certains hommes ont une vertu inhĂ©rente de guĂ©rir, et peuvent ses ennemis firent Ă©chouer ce projet. — Le but de la philosophie, selon Plotin, est l’union immĂ©diate de l’ñme humaine avec l’ĂȘtre divin, ce qu’il appelle l’ unification ou la simplification henosis, haplosis on y arrive par la contemplation et par l'extase. Plolin prĂ©tendait avoir plusieurs fois lui-mĂȘme joui de la vue de Dieu. — Il laissa sur sa doctrine cinquante-quatre traitĂ©s que son principal disciple Porphyre se chargea de reviser et de publier sous le titre d 'EnnĂ©ades c’est-Ă -dire Neuvaines. — Cette co’- lection, dont il existe une traduction latine Oxford, v855, 5 vol. in- 4 0 , mĂ©rite d’ĂȘtre consultĂ©e. Je la tiens pour un monument dans l’histoire du magnĂ©tisme. * Etienne du Conti , Histoire de France. t De incantalionum potestale. 93 THÉORIES ANCIENNES DĂŒ MAGNÉTISME, opĂ©rer des cures par attouchement sans magie. » Remarquez d’ailleurs que cette magnifique observation ne paraĂźt nullement suggĂ©rĂ©e Ă  Pomponace par l’étude de l’antiquitĂ©. Mais comment se fit-il qu’une semblable dĂ©couverte, qu’une vĂ©ritĂ© de fait qui renfermait en elle, sinon tout le magnĂ©tisme, du moins tout l’art pratique du magnĂ©tisme mĂ©dical, ne soit pas devenue plus fĂ©conde entre les mains de son auteur ? Paracelse 1 fit dans le monde beaucoup plus de bruit que Pomponace; il fut l’idole de ses apologistes, il fut pour ses dĂ©tracteurs un effrontĂ© charlatan. Croirons- nous ses apologistes ou bien ses dĂ©tracteurs? en vĂ©ritĂ©, je n’ose vous le dire, car il y a dans la vie de cet homme presque autant d’obscuritĂ© que dans ses Ă©crits. Paracelse, aprĂšs avoir voyagĂ© dans toute l’Europe, aprĂšs s’ĂȘtre fait par de belles cures la plus brillante rĂ©putation, se fixa en iÔ 2 y Ă  BĂąle, oĂč il fut nommĂ© professeur de mĂ©decine. 11 prĂ©tendait faire une rĂ©volution dans les sciences mĂ©dicales, et dĂ©truire l’autoritĂ© d’Hippocrate, de Galien, d’Avicenne; mais bientĂŽt il laissa apercevoir le vide profond de ses dĂ©clamations, et perdit Ă  la fois ses malades et son auditoire. Ce fut alors que, reprenant son ancien mĂ©tier de mĂ©decin ambulant, il promena sa science de ville en ville jusqu’à Salzbourg, oĂč il mourut Ă  l’hĂŽpital de Saint- Etienne a . » Ce rĂ©cit est-il exempt de toute partialitĂ©? Le mĂ©decin dont toute l’Europe avait admirĂ© les ' Paracelse Bombast de Hohenheim, dit, nĂ© en 1 49^, Ă  Einsiedeln canton de Scliweitz, et mort en i54i. — Ses Ɠuvres complĂštes forment 3 vol. in-fol. GenĂšve, i658. ’ Bouillet, Diction, univers, d’histoire et de gĂ©ographie- Paris, i843, in-8, 94 TROISIÈME tEtiONi succĂšs, le novateur infatigable Ă  qui la thĂ©rapeutique doit Xopium et le mercure, n’était-il rĂ©ellement , comme nous l’insinue son biographe, qu’un dĂ©elama- teur vain et prolixe? Peut-ĂȘtre faudrait-il appliquer Ă  Paracelse le mot de NapolĂ©on sur Robespierre Son procĂšs a Ă©tĂ© jugĂ©, mais il n’a point Ă©tĂ© plaidĂ©. Combien de fois, en effet, ne prit-on pas pour le vide de l’esprit la profondeur du gĂ©nie ! et qui peut dire si Paracelse ne fut pas honni de son siĂšcle pour l’avoir devancĂ©. Nous savons, dieu merci, par expĂ©rience, Ă  quel l'idi- cule expose la prĂ©tention de faire croire Ă  des faits dont l’inconstance ne permet pas toujours la vĂ©rification. Que dis-je! ne suffĂźt-il pas qu’un fait soit nouveau, ou nouvellement signalĂ©, pour paraĂźtre paradoxal ? Quelles contradictions n’eut pas Ă  vaincre, avant de prĂ©valoir, la belle Ă©cole psychologique d'Edimbourg ! et Gall % le plus grand observateur des temps modernes , ne passe-t-il pas encore aux yeux de la moitiĂ© de nos contemporains pour un sophiste et un rĂȘveur? Quant Ă  moi, je vous le rĂ©pĂšte, je n’ose me prononcer sur le compte de Paracelse; mais je ne serais pas Ă©loignĂ© de croire que cet homme singulier eĂ»t jouĂ© prĂ©cisĂ©ment au x\u e siĂšcle le rĂŽle hasardeux que reprit Mesmer Ă  la fin du xvm e . IndĂ©pendamment des controverses qu’ont soulevĂ©es leurs doctrines, ces deux personnages ont entre eux plus d’un point de ressemblance. Tous deux, fauteurs enthousiastes et opiniĂątres d’innovations qu’on traita d’extravagances, ils excitĂšrent tour Ă  tour l’un et l’autre la haine et l’envie, le ‱ Voyez son ouvrage Sur les fonctions du cerveau et sur celles de chacune de ses parties. Paris, i8a5, 6 vol. in-8. 95 THÉORIES ANCIENNES DĂŒ MAGNÉTISME. mĂ©pris et l’admiration. Tous deux, enfin, prĂ©conisĂšrent une panacĂ©e universelle; rĂȘve sublime, lorsqu’il Ă©mane d’une conception gigantesque dont la trame Ă©chappe au vulgaire; rĂȘve absurde, qui lie mĂ©rite Palteution de personne lorsqu’il n’est que le caprice d’une imagination bizarre. Dans laquelle de ces deux catĂ©gories rangerons-nous la panacĂ©e de Paracelse ? dans la premiĂšre, messieurs, car l 'onguent des armes f , n’en doutez pas, Ă©tait moins une drogue qu’un systĂšme. Il lut le drapeau de ralliement de cette fameuse doctrine des sympathies qui occupa pendant plus d’un siĂšcle tous les savants de l’Europe, et qui a sa place dans les annales de l’entendement humain. Cette doctrine reposait essentiellement sur l’existence d’un fluide, universellement rĂ©pandu, entretenant dans chaque corps de la nature une harmonie perpĂ©tuelle et une telle solidaritĂ© entre leurs que la sĂ©paration mĂȘme des parties n’en dĂ©truisait pas les rapports. De lĂ  Ă  l’idĂ©e de traitements par des actions Ă  distance, le passage Ă©tait facile aussi vit-on de toutes parts prĂ©coniser la vertu dĂ©s traitements par sympathie. Il suffisait d’avoir l’épĂ©e ensanglantĂ©e qui avait produit une plaie, ou un linge teint du sang du blessĂ© pour guĂ©rir ce dernier Ă  distance eu appliquant seulement au linge ou Ă  l’épĂ©e le spĂ©cifique propre Ă  agir par l’intermĂ©diaire du fluide. Le spĂ©cifique, comme vous le pensez bien, Ă©tait l 'onguent des armes. Quel 1 L'onguent des armes Ă©tait un composĂ© d’usnĂ©e ou mousse du crĂąne humain et de divers corps gras. On s’en servait pour frotter le sabre ou l’épĂ©e qui avait fait une blessure. Cette mĂ©thode Ă©tait dĂ©signĂ©e par le nom de cure magnĂ©tique des blessures. 96 TROISIÈME LEÇON, malheur que Paracelse ait souillĂ© sa gloire de cette imposture ou de cette ineptie! A cela prĂšs de ce grossier mensonge, jamais fiction plus ingĂ©nieuse ne rĂ©unit la mĂ©taphysique et la mĂ©decine, ces deux sciences si malheureusement irrĂ©conciliables depuis la scission que le matĂ©rialisme a opĂ©rĂ©e entre elles. N’allez pas croire cependant que je me fasse aveuglĂ©ment le champion de la doctrine des sympathies. Je sens tout aussi bien que nos modernes esprits forts ce qu’il y avait d’insoutenable et d’absurde dans la thĂ©rapeutique de Paracelse; mais puissent-ils comprendre Ă  leur tour aussi bien que je le comprends moi-mĂȘme ce qu’il y avait de rationnel et d’élevĂ© dans sa thĂ©orie Ă  cela prĂšs, je le rĂ©pĂšte, de la spĂ©cificitĂ© imaginaire du trop fameux onguent des armes, cette thĂ©orie n’était que la consĂ©quence extrĂȘme d’un principe dont rien, en dĂ©finitive, ne prouvait la faussetĂ©. Ce fut d’ailleurs sur la mĂȘme donnĂ©e mĂ©taphysique que reposa l’invention de certaines pratiques, depuis longtemps abandonnĂ©es, et dont l’objet commun Ă©tait de communiquer Ă  distance. Le sel de sang, la lampe de vie et Xalphabet sympathique ne sont-ils que de poĂ©tiques souvenirs? J’ai la faiblesse de l’avouer, je voudrais que l’expĂ©rimentation ne dĂ©daignĂąt pas de s’enquĂ©rir s’il n’y aurait pas parmi ces rĂȘveries quelques rĂ©alitĂ©s. Le sel de sang Ă©tait une composition dans laquelle entrait du sang de la personne Ă©loignĂ©e dont on voulait avoir des nouvelles. Cette composition , qui restait rouge et vermeille tant que la personne se portait bien , se ternissait dans le cas de maladie ou de mort. THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 97 La lampe de vie, qui brĂ»lait d’un feu clair tant que la personne qui en avait fourni la substance se portait bien, pĂąlissait Ă  ses souffrances et s’éteignait Ă  sa mort. L alphabet sympathique supposait une rĂ©ciprocitĂ© d’affection et de dĂ©vouement si rares au temps oĂč nous vivons, que cette seule circonstance suffirait pour expliquer la dĂ©suĂ©tude dans laquelle est tombĂ©e la pratique dont il s’agit. Deux amis qui voulaient s’entendre Ă  toutes lĂšs distances imaginables Ă©changeaient stoĂŻquement quelques parties de leur chair. Sur chacun de ces deux lambeaux de forme Ă©gale qui se remplaçaient mutuellement sur le bras droit des deux amis, oĂč certaines lois trĂšs-positives de la vie organique ne tardaient pas Ă  les faire adhĂ©rer, on traçait en rond les lettres de l’alphabet. Lorsqu’une des deux personnes touchait avec un stylet ces caractĂšres magiques, l’autre en Ă©tait instruite par une piqĂ»re aux endroits oĂč se trouvaient les lettres dĂ©signĂ©es. Un fait trĂšs-extraordinaire confirma, ditThouret*, la doctrine des sympathies. Un habitant de Bruxelles s’étant fait faire un nez artificiel par la mĂ©thode de Ta- liacot 1 2 , il s’en Ă©tait retournĂ© ainsi rĂ©parĂ© dans ses traits au lieu de son sĂ©jour ordinaire, oĂč il continua de vivre assez bien portant, l’opĂ©ration ayant rĂ©ussi. 1 Tiiouret, et Doutes sur le MagnĂ©tisme animal. Paris, 1784, in-12. 2 Taiiacot, cĂ©lĂšbre chirurgien, professeur de mĂ©decine Ă  l’UniversitĂ© de Bologne, naquit en i 546 , et mourut en 1600. U Ă©crivit sur les procĂ©dĂ©s qu’il mettait en usage. Quand il mourut, les magistrats de Bologne lui Ă©levĂšrent une statue; et pour faire connaĂźtre Ă  la postĂ©ritĂ© le genre d’opĂ©ration par lequel il s’était illustrĂ©, on lui mit un nez dans la main. 7 98 TROISIÈME LEÇON. Mais tout Ă  coup, dit-on, la partie factice qu’il s’était procurĂ©e devint froide, pĂąle, livide, se pourrit et tomba. On ne savait Ă  quelle cause attribuer ce changement imprĂ©vu dont on ne voyait aucune raison plausible; mais on apprit bientĂŽt que le jour mĂȘme de la chute du nez factice Ă  Bruxelles, un crocheteur de Bologne qui, pour de l’argent, avait fourni une portion de peau prise Ă  son bras, Ă©tait mort dans cette ville oĂč avait Ă©tĂ© pratiquĂ©e l’opĂ©ration. Peu de temps aprĂšs, plusieurs faits du mĂȘme genre furent recueillis et publiĂ©s, et l’on devine aisĂ©ment l’interprĂ©tation qu’en donnĂšrent les successeurs de Paracelse '. Wirdig publia Ă  Hambourg, en 167 3 , sa Nova Me- dicina Spirituum, livre singulier qui rĂ©pandit en Allemagne les principales idĂ©es du mĂ©decin d’Einsiedeln. Toute la nature est magnĂ©tique, dit cet auteur ; le magnĂ©tisme est la base du monde, toutes les vicis- situdes des choses d’ici-bas arrivent par son fait ; 4 Ces faits eurent un tel retentissement qu’ils suggĂ©rĂšrent Ă  Voltaire la plaisanterie suivante Ainsi Taliacotius, Grand Esculape d’Étrurie, RĂ©para tous les nez perdus Par une admirable industrie. Il vous prenait adroitement Un morceau du cul d’un pauvre homme, L’appliquait au nez proprement ; Enfin, il arrivait qu’en somme, Tout juste Ă  la mort du prĂ©teur, Tombait le nez de l’emprunteur ; Et souvent, dans la mĂȘme biĂšre , Par justice et par bon accord, On remettait, au grĂ© du mort, Le nez auprĂšs de son derriĂšre. THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 99 c’est le magnĂ©tisme qui conserve la vie, comme il dĂ©- termine la fin de toutes choses. » Guillaume Maxwell, mĂ©decin du roi d’Angleterre, reprit en sous-Ɠuvre les principes Ă©tablis par Paracelse et Wirdig, et leur donna de longs dĂ©veloppements dans sa MĂ©decine magnĂ©tique Son systĂšme est une sorte de panthĂ©isme bĂątard,qui, tout en admettant une Ăąme universelle et l’expansion des volontĂ©s individuelles, donne Ă  celles-ci pour intermĂ©diaire un ridicule mĂ©lange de sang et d’humeurs excrĂ©mentitielles L’ñme, dit-il, n’est pas seulement au dedans, mais elle est mĂȘme au dehors de son propre corps; elle n’est point circonscrite dans l’enceinte d’un corps organisĂ©. L’ñme opĂšre hors de ce qu’on appelle communĂ©ment son propre corps. 11 Ă©mane de tout corps des rayons corporels, qui sont autant de vĂ©hicules par lesquels l’ñme transmet son action, en leur communiquant son Ă©nergie et sa puissance pour agir ; et ces rayons non-seulement sont corporels, mais ils sont mĂȘme composĂ©s de diverses matiĂšres, etc. » Un peu plus loin, Maxwell fait Ă  la thĂ©rapeutique l’application de ces idĂ©es On doit se proposer, dit-il, dans tous les maux, de fortifier, multiplier et rĂ©gĂ©nĂ©rer l’esprit vital; c’est ainsi qu’on parviendra facilement Ă  guĂ©rir toutes les maladies. » Enfin, Maxwell rĂ©sume toute sa philosophie mĂ©dicale dans la proposition suivante, qui, dans la suite, devint l’axiome de la doctrine mesmĂ©rienne Qu’il puisse y avoir un remĂšde universel, c’est ce dont on ne peut douter, car, en se fortifiant, l’esprit ' De re Magnetica, lib. ni, 1679. 100 TROISIÈME LEÇON, vital particulier devient capable de guĂ©rir toutes sortes de maladies. Il n’y en a aucune en effet que cet esprit n’ait quelquefois dissipĂ©e sans le secours des mĂ©decins. La mĂ©decine universelle n’est rien autre chose que l’esprit vital augmentĂ©, multipliĂ© dans une proportion convenable.» Los principes de Maxwell eurent en Angleterre de nombreux partisans sous le rĂšgne de Charles II. Robert Boyle', le fondateur de la SociĂ©tĂ© royale de Londres, leur donna de la consistance en les appuyant de son immense autoritĂ©. Boyle, dit un de ses biographes, s’éleva constamment contre la doctrine d’Aristote, encore enseignĂ©e de son temps dans les Ă©coles, et, convaincu comme Bacon de l’indispensable nĂ©cessitĂ© des faits pour s’élever Ă  la dĂ©couverte de la vĂ©ritĂ©, il ne voulut pas mĂȘme connaĂźtre les ouvrages de Descartes, qui faisaient alors beaucoup de bruit, dans la crainte d’y puiser plus d’imagination que d’observation, et des hypothĂšses sĂ©duisantes plutĂŽt que des faits. » Ce Robert Boyle ri’était donc ni un rĂȘveur, ni un visionnaire; mais un esprit positif, grand mathĂ©maticien et surtout grand observateur, dont les assertions, mĂȘme les plus Ă©tranges, Ă©taient dignes d’attention. Aussi les savants de son temps daignĂšrent-ils lire son traitĂ© De mira corporum sublilitate, dans lequel il admettait i° un fluide universel; a 0 une rĂ©ciprocitĂ© d’action Ă  distance entre les corps organisĂ©s. Mais cet ouvrage ne fut pas mieux compris 1 Robert Boyle, de la famille des comtes de Cork et d’Orrery, nĂ© Ă  Lismore, en Irlande, le 25 janvier 1626, et mort Ă  Londres le 5 o dĂ©cembre 1691. — Ses ouvrages, tous Ă©crits en anglais, ont Ă©tĂ© recueillis par Birel en 5 vol. in-fot. Lond , iy 44 , avec une vie de l’auteur. — lien existe une traduction latine incomplĂšte, formant 4 vol. in- 4 °. GenĂšve, 1680. THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 101 que ceux de Wirdig ou de Paracelse; il n’était d’ailleurs pas Ă  la hauteur des Ă©crits de Van Helmont sur le mĂȘme sujet. De tous les hommes qui se sont livrĂ©s jusqu’à prĂ©sent Ă  l’étude du magnĂ©tisme, je viens de vous nommer le plus cĂ©lĂšbre et celui qui a le plus de droit Ă  votre admiration. Van Helmont est un des plus grands gĂ©nies que le genre humain ait produits. De quelque cĂŽtĂ© qu’on l’envisage, qu’on juge en lui le mĂ©decin, le physiologiste, le philosophe ou l’écrivain, cet homme est prodigieux. Aucun autre, peut-ĂȘtre, ne joignit au mĂȘme degrĂ© l’art d’observer la nature et le talent de l’induction. Vous avez tous entendu parler de la rĂ©volution qu’il fit dans les sciences mĂ©dicales, en substituant l’étude des lois vitales Ă  la routine des galĂ©nistes et des mĂ©decins arabes. Eh bien! cette rĂ©volution, dont les effets durent encore, il l’opĂ©ra par la seule puissance de sa raison, et sans le secours de ces passions fougueuses qui distinguent la plupart des novateurs, et qui sont, le plus souvent, la moitiĂ© de leur gĂ©nie. Permettez-moi donc de faire prĂ©cĂ©der de quelques mots sur la vie de cet homme extraordinaire l’examen critique de ses idĂ©es. Jean-Baptiste Van Helmont, seigneur de MĂ©rode, Royenboch, Oorschot et Pellines, naquit Ă  Bruxelles, en 1577, d’une famille noble et considĂ©rĂ©e dans le pays. Son pĂšre Ă©tant mort en i58o, il demeura confiĂ© aux soins de sa mĂšre et d’un oncle, qui, frappĂ©s l’un et l’autre de sou intelligence prĂ©coce, se firent un devoir de la cultiver. C’était alors un enfant curieux, voulant tout savoir, et comprenant merveilleusement tout ce qu’on lui enseignait. AprĂšs avoir passĂ© dans sa famille 102 TROISIÈME LEÇON. les premiĂšres annĂ©es de sa vie, il alla suivre Ă  Louvain son cours d’humanitĂ©s; mais aprĂšs l’avoir achevĂ©, il ne prit pas, selon l’usage, le titre de maĂźtre Ăšs arts, parce qu’il regardait, disait-il, les titres et les dignitĂ©s acadĂ©miques comme des hochets de la vanitĂ©. Les jĂ©suites qui faisaient alors des cours de philosophie Ă  Louvain, au grand dĂ©plaisir des professeurs de celle ville, eurent l’art de l’attirera leurs leçons, et l’un d’entre eux, le P. Martin del Rio, voulut l’initier aux mystĂšres de la magie, qu’il enseignait. Mais Yan Helmont, observateur avant tout, n’avait pas encore Ă©tĂ© prĂ©parĂ© par l’expĂ©rience Ă  distinguer ce qu’il y avait de vĂ©ritable dans une science qui n’était plus Ă  cette Ă©poque qu’un tissu informe de toutes les subtilitĂ©s de la dialectique. Un peu plus tard , les Ă©crits de Thomas Kempis et de Tau- lerus entraĂźnĂšrent cette imagination ardente dans les voies obscures du mysticisme, et Van Helmont, pour obtenir la faveur de participer Ă  l’influence de la grĂące divine, abandonna par humilitĂ© tous ses biens Ă  sa sƓur, et renonça sans regret aux privilĂšges que lui assurait sa naissance. Si nous en croyons ses propres rĂ©cits, il ne tarda pas Ă  recueillir les fruits de cette entiĂšre abnĂ©gation de soi-mĂȘme, car il jouit de la contemplation des thĂ©ophanies, et, comme Socrate, il eut un gĂ©nie qui lui apparut dans toutes les occasions importantes.— Cette particularitĂ©, dans la suite, n’aura pour vous rien d’étrange. Vous y verrez simplement les effets des Ă©tudes thĂ©osophiques sur une imagination de feu, ou, pour parler plus physiologiquement, le rĂ©sultat d’une continuelle surexcitation cĂ©rĂ©brale. Quoi qu’il en soit, l’abandon de sa fortune ne pa- THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 103 raissant pas encore Ă  Van Helmont un sacrifice assez mĂ©ritoire, il rĂ©solut, pour imiter en tout la conduite du Christ, d’apprendre la mĂ©decine, afin de pouvoir la pratiquer comme une Ɠuvre de bienfaisance et de charitĂ©. Il commença donc, suivant l’usage adoptĂ© dans toutes les Ă©coles, par Ă©tudier les Ɠuvres d’Hippocrate, de Galien et de leurs premiers successeurs. Mais loin de partager l’enthousiasme gĂ©nĂ©ral qu’excitaient les thĂ©ories des anciens sur la nature et le traitement des maladies, il fut frappĂ© tout d’abord du vide qu’elles prĂ©sentaient. Celle du mĂ©decin de Pergame, surtout, lui semblait dĂ©nuĂ©e de fondement, et il se proposait de la rĂ©former, lorsqu’un Ă©vĂ©nement fort simple le dĂ©goĂ»ta delĂ  mĂ©decine. Van Helmont, ayant contractĂ© la gale, consulta les mĂ©decins galĂ©nistes qui, attribuant cette maladie Ă  la combustion de la bile et Ă  l’état salin du phlegme, lui conseillĂšrent l’usage des purgatifs qui l’affaiblirent et ne le guĂ©rirent pas. Alors il prit en haine une science conjecturale dont il venait si tristement de constater l’impuissance. Il y renonça donc et se mit Ă  voyager en France et en Italie. Cependant, dix ans plus tard, une voix qu’il crut entendre en songe, son gĂ©nie familier, rĂ©veilla en lui le dĂ©sir qu’il avait autrefois conçu de renverser le systĂšme des humoristes. Un empirique qu’il avait rencontrĂ© lui donna quelques notions de chimie expĂ©rimentale. Van Helmont prit goĂ»t pour cette science qui lui suggĂ©ra, comme Ă  tant d’autres beaux gĂ©nies, la chimĂ©rique espĂ©rance de dĂ©couvrir un remĂšde universel. Ce fut Ă  peu prĂšs Ă  la mĂȘme Ă©poque qu’il Ă©pousa une riche Brabançonne, dont il 104 XKOIS1ÈME LEÇON. eut plusieurs enfants, entre autres un fils, François Mercure, devenu cĂ©lĂšbre dans les fastes de la thĂ©osophie. RetirĂ© dans une terre prĂšs de Vilvorde, il s’y occupa jusqu’à la fin de ses jours d’opĂ©rations chimiques et de thĂ©ories sur l’organisation physique et intellectuelle du genre humain. Pendant prĂšs de trente ans il ne quitta pas son laboratoire, quoiqu’il assure que le nombre des malades traitĂ©s et guĂ©ris par lui s’éleva Ă  plusieurs milliers chaque annĂ©e. Ce nombre, si considĂ©rable qu’il soit, paraĂźtra cependant d’autant moins exagĂ©rĂ© que Yan Helmont n’exerça jamais l’art de guĂ©rir dans des vues intĂ©ressĂ©es de l’aveu de tous ses biographes, il refusait le salaire qu’on lui offrait pour ses conseils et mĂȘme pour ses prĂ©parations, et ce fut en vain que les empereurs Rodolphe II, Mathias et Ferdinand II essayĂšrent de l’attirer Ă  Vienne par l’appĂąt des richesses et des dignitĂ©s. Rien ne put le dĂ©terminer Ă  quitter sa retraite oĂč il Ă©crivit la plupart des ouvrages qu’il nous a laissĂ©s, et oĂč il mourut, d’une fluxion de poitrine, le 3o dĂ©cembre ĂŻ 644* Certes, la vie que je viens de vous raconter est celle d’un homme honorable, et si quelque pĂ©dant, qui ne comprenait pas la valeur des termes, a pu dire de Yan Helmont qu’il n’était qu’un visionnaire, personne assurĂ©ment n’eut jamais le droit de l’accuser de charlatanisme. Aussi les mĂ©decins modernes, tout en manquant de documents pour apprĂ©cier l’étendue et la profondeur de son intelligence, s’accordent-ils pour rendre justice Ă  sa sincĂ©ritĂ©. Il croyait de si bonne foi, dit Jourdan 1 , aux prĂ©tendus miracles opĂ©rĂ©s par la 1 Biographie medicale. Paris, 1822, t. Y, p. t47- 105 THEORIES ANCIEN-NES ]>C MAGNÉTISME. chimie, que la mort de sa femme et de quatre de scs enfants, moissonnĂ©s sous ses yeux par des maladies diverses, n’avait pu l’en dĂ©sabuser. — Van Helmont Ă©tait nourri de la lecture des adeptes. DouĂ© d’une imagination ardente, il l’avait encore exaltĂ©e dans leur commerce assidu. Le feu de leurs fourneaux avait achevĂ© d’enflammer sa tĂȘte. Cepegdant, au milieu de cette fumĂ©e alchimique et superstitieuse, oĂč trop souvent ces idĂ©es sont comme perdues, jail- lissent par intervalle des traits d’une vive lumiĂšre. C’est sur la route de l’erreur qu’il a fait d’heureuses dĂ©couvertes, et c’est dans la langue des charlatans qu’il annonce de brillantes vĂ©ritĂ©s. » De tous les critiques de Van Helmont, Deleuze, qui l’avait le plus Ă©tudiĂ©, est aussi celui qui l’a le mieux jugĂ©. Van Helmont, dit-il ', Ă©tait un homme de gĂ©nie il fait Ă©poque dans l’histoire de la physiologie et de la mĂ©decine. C’est lui qui le premier a fait connaĂźtre le systĂšme des forces Ă©pigastriques. Il reconnut l’action puissante de l’estomac sur les autres organes; il vit Ă©galement que le diaphragme est un centre principal dans l’économie du corps vivant. En considĂ©rant l’ensemble des ĂȘtres et en recherchant la cause de leur influence rĂ©ciproque, il aperçut dans tous les corps un principe de mouvement inhĂ©rent Ă  leur nature, une force particuliĂšre que leur a imprimĂ©e le CrĂ©ateur, et par laquelle ils agissent les uns sur les autres, et il donna le nom de blas Ă  ce principe d’action. Combien de vues profondes sur l’incertitude 1 Deleuze De P opinion de Van Helmont sur la nature, la cause et les effets du magnĂ©tisme. 106 TROISIÈME LEÇON. de la mĂ©decine et sur les moyens de la perfectionner, Sur l’insuffisance de la logique scolastique et sur les vĂ©ritables fondements de nos connaissances, sur la nĂ©cessitĂ© d’allier les sciences mĂ©taphysiques et morales aux sciences physiques et naturelles pour arriver Ă  la vĂ©ritĂ©, se trouvent dans ses Ă©crits! Combien d’idĂ©es maintenant rĂ©pandues dans plusieurs traitĂ©s de physiologie et surtout dans ceux de l’école de Montpellier, doivent leur origine aux principes qu’il a le premier Ă©noncĂ©s! En chimie, il fit plusieurs dĂ©couvertes importantes. C’est Ă  lui qu’on doit la premiĂšre connaissance des fluides aĂ©riformes, auxquels il donna le nom de gaz, sous lequel on les dĂ©signe encore aujourd’hui. Sans lui Stahl n’aurait probablement jamais donnĂ© une nouvelle impulsion aux sciences. Si son imagination l’entraĂźna dans quelques erreurs, du moins sa bonne foi n’est jamais douteuse. S’il se crut inspirĂ©, c’est qu’il n’avait puisĂ© ses idĂ©es ni dans les livres, ni dans le commerce des hommes, mais dans nue profonde mĂ©ditation des phĂ©nomĂšnes de la nature. Ce qui donne un charme particulier Ă  la lecture de ses Ă©crits, c’est l’élĂ©vation de son Ăąme, l’absence totale du dĂ©sir de la rĂ©putation et de tout intĂ©rĂȘt terrestre; c’est un amour ardent de la vĂ©ritĂ©, subordonnĂ© cependant Ă  l’amour du bien; c’est un sentiment religieux qui met en harmonie ses autres sentiments, et qui, fondĂ© sur une foi vive, mais exempt d’intolĂ©rance, ne se montre au dehors que par la charitĂ© c’est que, lors mĂȘme que son style est obscur, il excite l’imagination du lecteur, Ă©meut son Ăąme et lui fait naĂźtre de nouvelles pensĂ©es. Le tĂ©moignage d’un tel homme est 107 THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME, d’un grand poids et ses opinions ne doivent point ĂȘtre rejetĂ©es sans examen. Ses divers ouvrages, et particuliĂšrement sa Dissertation sur la cure magnĂ©tique des blessures, prouvent qu’il avait rĂ©ellement devinĂ© le principe et connu l’action du magnĂ©tisme, et si l’explication qu’il en donne est, Ă  certains Ă©gards, erronĂ©e, elle est, du moins, assez ingĂ©nieuse pour mĂ©riter quelque attention’. » Une note annexĂ©e Ă  l’opuscule, aujourd’hui fort rare, dont je viens de vous rapporter un fragment, peut complĂ©ter Ă  vos yeux le portrait de Yan Helmont; cette note est ainsi conçue On a dit de Yan Helmont qu’il Ă©tait fort crĂ©dule et cela est vrai, peut-ĂȘtre mĂȘme a-t-ou eu raison de le traiter de visionnaire; mais on l’a accusĂ© d’ĂȘtre superstitieux et ceci mĂ©rite explication. Si l’on donne le nom de superstition Ă  toute croyance pieuse qui, pouvant s’accorder avec les dogmes et les principes de la religion, n’est cependant pas au nombre des choses que l’Eglise nous oblige * Les ouvrages de Yan Helmont sont les suivants De Magnelica vulnerum naturali et lĂ©gitima curaĂŒone. Paris, 1621, in- 4 °- Cologne, 1624, in-8°; De aquis Leodiensibus medicalis supplementum. Cologne, 1724,in-8°; Febriitm doctrina inaudila. Anvers, i652,in-i6. Traduct. franc, par A. Baudie. Paris, i653, in-8°; Opuscula medica inaudila. Cologne, 164 4 , in- 8 °; Ortus medicince , id est initia physicƓ inaudila , progressas me- dicinƓinmorborumcurationemadvilani longam. Amsterdam, 1648, in- 4 ». Lyon, i 652, in-fol. Leyde, 1667, in-fol. Francfort, 1642, in- 4 0 . Londres, 1642, in- 4 °. Traduction franc.; Lyon, 1671, in- 4 °; Ce dernier ouvrage a Ă©tĂ© publiĂ© par François Mercure Yan Helmont , fils de l’auteur, nĂ© en 1618 et mort en 169g. 108 TROISIÈME LEÇON. Ă  recevoir comme acte de foi, Van Helmont n’était pas exempt de superstition. Regardant l’Ecriture comme le dĂ©pĂŽt de toutes les vĂ©ritĂ©s, il y cherchait l’explication de plusieurs phĂ©nomĂšnes physiques sans penser que l’objet des livres saints est seulement de nous instruire de nos devoirs et de notre destinĂ©e. Mais si l’on donne le nom de superstition aux croyances et aux pratiques qui tendent Ă  nuire aux hommes, soit en les portant Ă  l’intolĂ©rance et au fanatisme, soit en affaiblissant l’empire de la raison, jamais la superstition n’eut un plus grand ennemi. De nos jours, pour dĂ©truire les funestes effets de la superstition, qu’on a prĂ©sentĂ©e comme bien plus dangereuse que l’athĂ©isme, et comme la premiĂšre cause de presque tous les maux du genre humain, on a attaquĂ© la religion. On a voulu donner plus d’empire Ă  la raison humaine, en lui soumettant tout et en ne voyant dans la nature que des forces mĂ©caniques. En reconnaissant l’existence de l’ñme, celle de la DivinitĂ© et mĂȘme la Providence, ou en a fait abstraction dans l’explication du systĂšme du monde. On n’a voulu admettre comme vrai, que ce qui est reconnu par le tĂ©moignage des sens, ou prouvĂ© par la raison sans faire attention que souvent les sens nous trompent et que la raison mĂȘme nous Ă©gare. On a sapĂ© tous les prĂ©jugĂ©s sans examiner s’ils Ă©taient utiles ou nuisibles, fondĂ©s sur des idĂ©es favorables au bonheur, ou contraires Ă  la tranquillitĂ© des individus et Ă  l’harmonie de la sociĂ©tĂ©. Il eĂ»t cependant Ă©tĂ© essentiel de faire cette distinction. C’est, par exemple, une croyance funeste que celle qui attribue au dĂ©mon la puissance THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 109 d’agir physiquement et de produire des effets dans la nature. Mais la croyance que les anges, mĂ©diateurs entre Dieu et les hommes, veillent sur les gens de bien, leur inspirent des idĂ©es de paix, les excitent Ă  la vertu et les consolent dans leurs malheurs; que les ĂȘtres qui nous ont prĂ©cĂ©dĂ©s dans la vie, s’occupent encore de nous, Ă©coutent nos vƓux et peuvent nous communiquer de bonnes pensĂ©es; qu’il y a une correspondance entre le ciel et la terre, entre le temps et l’éternitĂ©; que Dieu favorise ceux qui le prient en fortifiant leur cƓur, en Ă©clairant leur esprit, en leur donnant des lumiĂšres qu’ils n’auraient point acquises par l’étude, et cent autres opinions de ce genre, tant ridiculisĂ©es de nos jours; quel mal font-elles aux hommes? quel dĂ©sordre portent-elles dans la sociĂ©tĂ©? Et comment croire qu’elles abrutissent l’intelligence, lorsqu’on sait que tant de grands gĂ©nies les ont eues, depuis Platon jusqu’à FĂ©nelon ? Van Helmont donna dans ces idĂ©es ou dans ces prĂ©jugĂ©s. Mais personne, en se renfermant dans les limites de la foi catholique, n’a jamais combattu avec plus de force et par de meilleures raisons la puissance attribuĂ©e au diable, et toutes les pratiques qui ne sont point en accord avec la simplicitĂ© du christianisme. Il s’arrĂȘte Ă  la volontĂ© de Dieu pour rendre raison de plusieurs phĂ©nomĂšnes qu’on a depuis expliquĂ©s par les forces de la nature; mais ceux qui se sont moquĂ©s de son systĂšme n’ont fait que reculer la difficultĂ©. » Yan Helmont est l’auteur d’un systĂšme d’anthropologie qui a joui longtemps, dans nos Ă©coles, d’une grande cĂ©lĂ©britĂ©. Ce systĂšme dont on s’est beaucoup 110 TROISIÈME LEÇON. moquĂ© saus le comprendre, et, qui plus est, sans l’étudier, reposait essentiellement sur le spiritualisme; c’est-Ă -dire que Van Ilelinont croyait Ă  l’existence d’une Ăąme immortelle, faite Ă  l’image du CrĂ©ateur, et de laquelle Ă©manaient la pensĂ©e, le libre arbitre et toutes les prĂ©rogatives morales dĂ©volues Ă  l'humanitĂ©. Mais indĂ©pendamment de ce principe divin, Van Hel- mont admettait une sorte de principe mixte, auquel il donnait le nom d 'archĂ©e. Ce principe qui, pour lui, rĂ©sultait de l’association d’une substance spirituelle avec diverses humeurs, prĂ©sidait immĂ©diatement aux actes de la vie organique, et aux actes instinctifs de la vie de relation. 11 ne diffĂ©rait guĂšre, ainsi que vous en pouvez juger, de l’ñme sensitive imaginĂ©e par les philosophes de la mĂȘme Ă©poque. Seulement l’archĂ©e de Van Helmont Ă©tait dĂ©fini dans son essence. Il n’abandonnait le corps qu’à sa dissolution, et constituait une sorte de ferment au moyen duquel les ĂȘtres organisĂ©s se survivaient et transmettaient la vie Ă  d’autres ĂȘtres de mĂȘme nature qu’eux. L’archĂ©e jouait donc le principal rĂŽle dans toutes les conceptions. Il Ă©tait le germe immatĂ©riel du tout fĂ©condĂ©, l’agent plastique qui tirait les parties solides des corps vivants, de l’eau, principe de tout dans les idĂ©es du temps. La premiĂšre invention de cette ingĂ©nieuse entitĂ©, qui devint par la suite le principe vital de Stahl, n’appartient pas Ă  Van Helmont. Paracelse en avait eu l’idĂ©e; mais en la dĂ©finissant avec plus de clartĂ©, le philosophe de Bruxelles se l’appropria et lui donna de la consistance dans le monde savant. L’archĂ©e, dit Van Helmont, consiste dans l’union THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 111 d’un esprit vital avec un noyau spirituel qui fĂ©conde les germes. Il est douĂ© de toutes les facultĂ©s et de toutes les notions nĂ©cessaires pour remplir sa desti- nation. Il est l’organe de la vie et du sentiment. Depuis le premier moment de l’existence jusqu’à la mort, il prĂ©side Ă  tous les mouvements organiques et \ les dirige vers le but qui leur est assignĂ© *. » i Cet archĂ©e, dont probablement l’observation des faits magnĂ©tiques avait suggĂ©rĂ© l’idĂ©e Ă  Paracelse, devint aussi pour Van Helmout le moyen de les expliquer. ! Ce dernier dissĂ©mine dans ses divers ouvrages les notions approfondies qu’il possĂ©dait sur le magnĂ©tisme ; mais il rĂ©sume Ă  peu prĂšs sa thĂ©orie dans la 1 Archeus faber, § 1-7. — On a dit que Van Helmont admettait plusieurs arcliĂ©es subalternes, et que chacun des organes avait son archĂ©e particulier, qui y rĂ©sidait et en dirigeait les opĂ©rations. Cela a besoin d’ĂȘtre expliquĂ©. Van Helmont admet plusieurs centres de vie, ou une vitalitĂ© propre Ă  divers organes, et cette opinion, qu’il a trĂšs-bien exposĂ©e dans le traitĂ© intitulĂ© Fila multiplex, est parfaitement conforme Ă  celle de Bichat; mais, loin de considĂ©rer ces principes de vie existant dans chaque organe comme des ĂȘtres distincts, il les croit des Ă©manations ou dĂ©pendances de l’archĂ©e principal. L’archĂ©e est l’habitation de l’ñme sensitive, ou plutĂŽt il ne fait qu’un avec elle; et voici comment Van Helmont s’exprime sur l’ñme sensitive Cette Ăąme unique, dit-il, est la cause immĂ©diate, le centre, le siĂšge, la source et le principe de toutes les facultĂ©s et de toutes les actions vitales.... Elle dissĂ©mine dans les divers organes les facultĂ©s nĂ©cessaires pour la vie.... Elle est comme une lumiĂšre vitale dont le foyer, placĂ© dans l’estomac, envoie ses rayons dans toutes les parties du corps. Vnica anima sensiliva est causa immediata, centrum, nidus, fons, et origo facultatum et actionum vitalium quarumeumque.... Seminavit suas facultates per organa cor- poris.... Sensihvum lumen vitee hospitalur in stomacho, tamquam radice vitƓ mortalis. Confirmalur morborum sedes in anima sensitiva, § 1 et 2. ĂŒeleuze, Note sur Fan Helmont. 2 TROISIÈME LEÇON. brochure intitulĂ©e De Magnetica vulnerum curatione disputcilio. Nous suivrons Deleuze dans l’analyse qu’il nous en a laissĂ©e. Le magnĂ©tisme, dit Van Helmont, agit partout; il n’a rien de nouveau que le nom; il n’est un paradoxe que pour ceux qui se moquent de tout, et qui attribuent au pouvoir de Satan ce qu’ils ne peuvent expliquer. MagnĂ©tisants, quia passim viget, prceter no- men, nil novi continet nec paradoxtts nisi iis qui cuncta dĂ©rident, et in Satartice dominium ablegant qitƓcumque non inlelligunt § 1 . » Qu’est-ce donc que le magnĂ©tisme? Nous donnons, en gĂ©nĂ©ral, ce nom Ă  l’influence occulte que les corps exercent Ă  distance les uns sur les autres, soit par attraction, soit par impulsion. Sic vocitamus eam occultant coaptationem qua absens in absens per iu- Jluxum agit, sive trahendo vel impellendo jiat § 66. Le moven de cette influence est dĂ©signĂ© par Yan Helmont sous le nom de Magnale magnum. Ce n’est point une substance corporelle, c’est-Ă -dire qui puisse ĂȘtre condensĂ©e, mesurĂ©e, pesĂ©e comme les Ă©manations des corps; c’est un esprit en ne prenant pas ce mot dans le sens d’ñme ou d’intelligence Ă©tliĂ©rĂ© , pur, vital, qui pĂ©nĂštre tous les corps, et agite la masse de l’univers. 11 est le modĂ©rateur du monde , parce qu’il Ă©tablit une correspondance entre toutes ses parties, et entre toutes les forces dont elles sont douĂ©es. La lumiĂšre du soleil, l’influence des astres, les commotions donnĂ©es par la torpille, la vue du basilic , etc., sont des qualitĂ©s spirituelles, c’est-Ă -dire qu’elles ne sont pas lancĂ©es Ă  la maniĂšre des Ă©manations corpo- THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 113 relies, mais Ă  la maniĂšre d’une lumiĂšre imperceptible, qui se porte par irradiation d’un objet sur un autre objet qui lui convient. » Ce paragraphe renferme Ă©videmment l’idĂ©e fondamentale du systĂšme exposĂ© plus tard par Mesmer. Mais Van Hehnont, beaucoup plus philosophe que ce dernier, pĂ©nĂštre plus avant dans la nature intime des choses; et si l’explication qu’il donne des faits n’est pas toujours satisfaisante, elle offre constamment des idĂ©es d’un ordre trĂšs-Ă©levĂ©. Van Helmont distingue l’homme en extĂ©rieur et en intĂ©rieur, assignant Ă  l’un et Ă  l’autre certaines facultĂ©s L’homme extĂ©rieur se compose de la chair et du sang; il est animĂ© par un principe vital ; il a une volontĂ©, une imagination; c’est un animal agissant par la raison du sang. — L’homme intĂ©rieur est l’image de Dieu. — Dico hominem externum esse animal ratione et vo- luntale sanguinis utens; internum vero non animal sed imaginent Dei veram § 83 . » VoilĂ  l’ancienne doctrine, de l’ñme sensitive et de l’ñme raisonnable. L’archĂ©e ne diffĂšre donc pas essentiellement de la premiĂšre; mais Van Hehnont va plus loin que les philosophes dans lesattributs qu’il lui donne. L’esprit de l’animal, dit-il, reste uni au corps qui a cessĂ© de vivre, jusqu’à ce qu’il soit dissipĂ© par la putrĂ©faction. Lorsque le sang sorti du corps se corrompt, la portion d’esprit qui lui Ă©tait unie s’échappe, et va se joindre de nouveau au corps auquel elle appartenait voilĂ  pourquoi, lorsqu’on applique le remĂšde sur le sang retirĂ© de la blessure, ce remĂšde agit sur la blessure mĂȘme § 76-80. » 114 TROISIÈME LEÇON. AssurĂ©ment cette explication ne saurait ĂȘtre admise, mais les observations qui y ont donnĂ© lieu n’en doivent pas moins ĂȘtre examinĂ©es. — Ainsi que je crois vous l’avoir dit dĂ©jĂ , cet examen est encore Ă  faire. Il y a, dit Van Helmont, des extases miraculeuses, ou des rĂ©vĂ©lations faites Ă  l’homme intĂ©rieur ; mais l’homme extĂ©rieur ou l’animal a aussi des extases lorsque son imagination est exaltĂ©e. Alors il peut avoir le sentiment des objets Ă©loignĂ©s; une multitude d’exemples le prouvent. Or ce n’est point l’ñme qui sort du corps; car, une fois sortie, elle n’y rentrerait plug, Il y a donc dans le sang une puissance extatique * qui, excitĂ©e par un ardent dĂ©sir, porte sur les objets absents l’esprit de l’homme intĂ©rieur. Cette facultĂ© est cachĂ©e dans l’homme extĂ©rieur; elle y est en puissance, et elle ne devient active qu’autant quelle est excitĂ©e par une ardente imagination, par un violent dĂ©sir, ou par quelque chose de semblable. — Igitur in sanguine est qucedam poleslas, quce si quando ardenti desiderio excita Juerit, etiam ad absens aliquod objecturn, exterioris horninis spirilum deducendo sil ea autem polestas in exleriori homini latet velut in potentia; nec ducitur ad actum, nisi excitetur accensa ima- ginatione, ferventi desiderio aut arte aliqua pari §76.» La distinction que Van Helmont Ă©tablit entre les extases de ĂŻĂąme ou de l’homme intĂ©rieur, et les extases de l'archĂ©e ou de l’homme extĂ©rieur, ne me paraĂźt fondĂ©e sur aucune raison solide. Mais abstrac- 4 J’emploie ce mot, dit Van Helmont, faute d’un autre plus convenable. Sic voco clymi penuria. » THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. J 15 tion faite de cette subtilitĂ©, le reste du paragraphe n’en prouve pas moins que Van Ilelinont avait une connaissance exacte de l’état magnĂ©tique, dĂ©signĂ© de nos jours sous le nom de somnambulisme lucide, et, vous verrez par la suite que notre thĂ©orie des vues a distances, pour ĂȘtre , nous l’espĂ©rons, plus claire et plus logique, ne diffĂšre cependant pas absolument de la sienne. D’ailleurs, sauf le mĂ©lange de certaines idĂ©es mystiques que Van Helmont peut-ĂȘtre n’eĂ»t pas aussi explicitement adoptĂ©es de nos jours, le paragraphe suivant est un ingĂ©nieux dĂ©veloppement de la mĂȘme thĂ©orie. Avant la chute de l’homme, dit-il, son Ăąme Ă©tait douĂ©e d’une science innĂ©e, d’une puissance prophĂ©tique , d’une force par laquelle elle agissait au dehors ces facultĂ©s existent toujours en elle; et si elles ne se montrent plus, c’est qu’une foule d’obstacles s’opposent Ă  leur exercice. Cependant, les effets de la chute de l’homme ne se faisant pas autant sentir pendant le sommeil, il s’ensuit que dans cet Ă©tat on peut ĂȘtre Ă©clairĂ© d’une lumiĂšre surnaturelle, et c’est ce qui explique les phĂ©nomĂšnes Ă©tonnants que prĂ©sentent les somnambules. Pendant la veille, les sensations dont nous sommes continuellement affectĂ©s nous empĂȘchent de discerner ces inspirations intĂ©rieures ; et comme les facultĂ©s dont l’homme avait Ă©tĂ© douĂ© primitivement sont engourdies, il faut un moyen extraordinaire pour leur rendre leur Ă©nergie. On y parvient par la priĂšre, par la contemplation, par les pratiques, qui, en affaiblissant l’empire de la chair, retirent l’ñme de 116 TROISIÈME LEÇON, cet engourdissement, et lui rendent sa puissance naturelle et magique § io5. » Ainsi que vous pouvez en juger, Van Helmont s’appuie d’abord sur une conjecture purement gratuite, lorsqu’il prouve que les effets de la chute de l’homme ne se font pas autant sentir pendant le sommeil que pendant la veille. Une bonne thĂ©orie du sommeil, celle que nous vous donnerons dans la suite, aurait levĂ© la difficultĂ©. Vous verrez en effet que l’état de sommeil conduit naturellement aux mĂȘmes conditions physiologiques que font naĂźtre la priĂšre, la contemplation , et les pratiques qui rendent Ă  l’ame sa puissance magique. Quoi qu’il en soit, observe Deleuze, on voit que Van Helmont prend le mot magie dans un sens favorable. Toute science occulte, dit-il, ou qui s’élĂšve au-dessus de celle que nous acquĂ©rons par l’observation et le calcul, est magie; toute puissance qui n’appartient pas Ă  une action mĂ©canique est une puissance magique, et la nature est la grande magicienne. » AprĂšs avoir prouvĂ© que la vertu de Xonguent des armes ne vient point de l’action du dĂ©mon , et que la maniĂšre de l’employer ne se lie avec aucune superstition, Van Helmont arrive aux propositions suivantes L’ñme humaine Ă©tant l’ouvrage de Dieu , elle Ă©tait naturellement douĂ©e d’une certaine vertu magique par laquelle elle agissait d’une maniĂšre particuliĂšre, c’est-Ă - dire spirituellement et Ă  distance, et beaucoup plus puissamment que par le moyen des organes corporels. Les facultĂ©s de l’ñme ayant Ă©tĂ© engourdies par la THÉORIES ANCIENNES DĂŒ MAGNÉTISME. 117 science que l’homme a acquise en mangeant le fruit dĂ©fendu, elle se borne, dans l’état ordinaire, Ă  mouvoir et conduire le corps qui lui appartient. Mais si sa vertu magique se rĂ©veille , elle peut agir, par sa seule volontĂ© , hors de sa demeure, sur des objets Ă©loignĂ©s. C’est en quoi consiste toute la magie naturelle , et non point dans de vaines cĂ©rĂ©monies et des pratiques superstitieuses qui ont Ă©tĂ© introduites par le dĂ©mon, toujours occupĂ© Ă  corrompre ce qui est bien. — Eadem vero anima, magica virtule non nihil expergejacta , extra suum ergaslulum, in aliucl distans objectum solo nutu agere posse, per media deportato in eo nempe sitam esse totam basim magiƓ naturalis , nullatenus aulem, in ceremoniis variisque supersti- tionibus § 12a. Le mot magie doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©, comme il l’est dans l’Écriture, en bonne ou mauvaise part, selon le but qu’on se propose. Par ce mot, nous entendons cette connaissance Ă©levĂ©e des choses, et cette puissance extraordinaire d’agir qui nous a Ă©tĂ© donnĂ©e comme Ă  Adam, et qui nous est naturelle comme Ă  lui. Le pĂ©chĂ© ne l’a point Ă©teinte, il 11e l’a point effacĂ©e ; mais il l’a engourdie, et c’est pour cela qu’elle a besoin d’ĂȘtre excitĂ©e. L’Esprit saint peut la rĂ©veiller en nous; le dĂ©mon le peut aussi; mais ce dernier n’agissant que pour le mal, on est sĂ»r qu’elle n’est point excitĂ©e par lui lorsqu’on se propose de faire du bien. Cette vertu magique existe aussi dans l’homme extĂ©rieur, quoique plus faible; on en voit mĂȘme quelques traces dans les brutes. 118 TROISIÈME LEÇON. Il y a une connexion entre les choses qui agissent spirituellement; il y en a une entre les esprits; et comme l’homme est supĂ©rieur aux autres crĂ©atures corporelles, il peut par sa magie naturelle dompter la leur. Cette puissance a Ă©tĂ© faussement attribuĂ©e aux incantations. Les esprits analogues agissent les uns sur les autres; ainsi, la femme enceinte, lorsqu’elle est frappĂ©e de l’idĂ©e d’une chose, en imprime l’image sur le foetus. Les esprits, et en quelque sorte les essences de toutes choses, sont cachĂ©s au dedans de nous, et la force de l’imagination leur donne naissance et les fait paraĂźtre. » Que de gĂ©nie! quelle puissance d’intuition! ou plutĂŽt quelle observation dĂ©licate de faits oubliĂ©s de nos jours dont Mesmer ne s’est pas doutĂ©, et que les hasards seuls de l’expĂ©rimentation ont reproduits sous nos yeux! Je vous ferai connaĂźtre, lorsqu’il en sera temps, ces faits qui ouvrent positivement une voie nouvelle Ă  la psychologie, oĂč elle trouvera, pour l’éclaircir, le flambeau de Van llehnont. Lorsque l’imagination, poursuit-il, est fortement excitĂ©e, l’ñme engendre une idĂ©e rĂ©elle ou essentielle qui n’est point une qualitĂ© sĂ»re, mais une substance inter- termĂ©diaire entre le corps et l’esprit. Quand cette idĂ©e a ainsi revĂȘtu une substance corporelle et puis une entitĂ© ou existence propre, l’intelligence la reconnaĂźt, la volontĂ© s’y attache et la dirige , la mĂ©moire la rappelle. Lorsque cette entitĂ© idĂ©ale se rĂ©pand au dehors en esprit vital, elle n’a besoin que d’une lĂ©gĂšre excitation 119 THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME, pour se porter au loin et exĂ©cuter ce qui lui est enjoint par la volontĂ©. Les corps ne sont que la moitiĂ© du monde les esprits y sont aussi rĂ©pandus partout. Ainsi, ce sont les esprits qui sont les ministres du magnĂ©tisme; non point les esprits du ciel ou de l’enfer, mais les esprits qui sont formĂ©s par l’homme et qui sont en lui comme le feu dans le caillou. La volontĂ© de l’homme s’empare d’une portion de son esprit vital, qui, s’unissant Ă  l’entitĂ© idĂ©ale, acquiert une existence intermĂ©diaire entre ce qui est corporel et ce qui ne l’est pas, et se rĂ©pand comme la lumiĂšre. La volontĂ© envoie et dirige cette substance, qui, une fois lancĂ©e, semblable Ă  la lumiĂšre, et n’étant pas un vĂ©ritable corps, n’est arrĂȘtĂ©e ni par la distance ni par le temps. Cette substance n’est point un dĂ©mon; elle n’est point produite par le dĂ©mon c’est une action de l’esprit qui appartient Ă  notre nature. Le monde matĂ©riel est rĂ©gi par le monde immatĂ©riel, et les autres corps sont soumis Ă  l’homme § iu5 et suivants. » Je sens trop bien, messieurs, que n’ayant encore sur le magnĂ©tisme que des notions vagues et gĂ©nĂ©rales, vous n’ĂȘtes pas en Ă©tat d’apprĂ©cier comme je puis le faire l’admirable profondeur de ces propositions; j’ai mĂȘme la certitude qu’elles ne vous paraissent rien autre chose que les divagations d’un spiritualisme dĂ©sordonnĂ©. Mais si, comme j’en ai l’espĂ©rance, je parviens un jour Ă  vous rendre tĂ©moins de cette matĂ©rialisation de l’esprit, de cette sorte d’incarnation de la pensĂ©e qui sert de point d’appui Ă  ces prĂ©tendues rĂȘve- 120 TROISIÈME LEÇON. ries, quelle admiration n’aurez-vous pas pour Yan Hel- mont, pour cet -immortel rĂȘveur que l’histoire du magnĂ©tisme semble avoir oubliĂ© ! S’il sut voir les faits qu’implique sa thĂ©orie, il fut le plus grand observateur de l’époque oĂč il vĂ©cut; s’il les a devinĂ©s, il en fut le plus grand gĂ©nie. Mesmer, il s’en faut beaucoup, ne poussa pas aussi loin ses investigations ; aussi, sans la nĂ©cessitĂ© de me conformer Ă  l’ordre chronologique, vous aurais-je exposĂ© sa doctrine avant celle de Yan Helmont dont il a mĂ©connu les travaux ou qu’il n’a pas su comprendre. — Que justice soit faite Ă  tous depuis longtemps Mesmer usurpe la gloire d’avoir dĂ©couvert le magnĂ©tisme ; mais je jugerai Mesmer et ses Ɠuvres dans ma prochaine leçon ; revenons-en donc Ă  son illustre prĂ©dĂ©cesseur. Yan Helmont, aprĂšs avoir citĂ© comme positif le fait qu’une femme grosse, lorsqu’elle est frappĂ©e d’un objet, en imprime l’image sur l’enfant quelle a dans son sein, explique ce fait par sa thĂ©orie. L’imagination de la femme vivement excitĂ©e produit une idĂ©e, et cette idĂ©e qui a revĂȘtu une substance intermĂ©diaire entre le corps et l’esprit se portant sur l’ĂȘtre avec lequel la femme a le plus de relation , y imprime l’image de ce qui l’a le plus affectĂ©e. — Je ne saurais dire assez combien cette thĂ©orie est ingĂ©nieuse et combien elle semble juste lorsqu’elle est corroborĂ©e par certaines expĂ©riences dont vous serez un jour tĂ©moins. Les mĂ©decins modernes , ceux qui ont lu Van Helmont il n’en est pas un sur mille, n’ont pas manquĂ©, comme bien vous pensez, de tourner en ridicule cette allĂ©ga- THÉORIES ANCIENNES DĂŒ MAGNÉTISME. 121 tion que presqu’aucun d’eux n’est en Ă©tat de comprendre, et, afin de ne pas s’embarrasser l’esprit d’une thĂ©orie trop subtile pour leur intelligence, ils ont tranchĂ© la difficultĂ© en niant un fait trĂšs-positif et contestĂ© par eux seuls. Mais les mĂ©decins! Ah! si vous aviez fait comme moi l’analyse de leur science, que leurs nĂ©gations ou leurs affirmations diminueraient de valeur Ă  vos yeux! Comme observateurs, le moindre de nos romanciers les surpasse; comme savants, ils n’ont que des prĂ©jugĂ©s ; comme philosophes ! ah ! comme philosophes, ils font pitiĂ©! Leur mĂ©taphysique quand ils en ont une roule sur un atome ou se dĂ©bat dans un cercle imaginaire dont quelques rares gĂ©nies ont Ă  peine, de loin en loin, franchi la circonfĂ©rence. Je vous Ă©tonnerais bien, vous, gens du monde, comme ils vous appellent, si je vous prĂ©sentais les titres de gloire des demi-dieux qu’ils adorent. Que je voudrais peser dans la mĂȘme balance le scalpel de Bichat et la plume de Van Helmont ! Mais le temps n’est pas venu encore \ * Je n’ai pas besoin de faire observer qu’en rĂ©cusant les mĂ©decins comme observateurs, comme savants et surtout comme philosophes, j’admets des exceptions ; mais relativement Ă  la multitude des prĂȘtres d’Epidaure dont la parole fait autoritĂ© dans le monde, ces exceptions sont peu nombreuses. Cela tient Ă  ce que l’éducation mĂ©dicale, essentiellement matĂ©rialiste, fausse le jugement sur certaines questions et rĂ©trĂ©cit les idĂ©es sur toutes. AbsorbĂ©e par l’étude routiniĂšre d’une spĂ©cialitĂ© dont elle prend imperturbablement les hypothĂšses pour des axiomes, la gent mĂ©dicale va droit devant elle, sans se soucier des inductions de la vĂ©ritable philosophie, dont elle ne parle qu’avec dĂ©dain. — Écoutez, par exemple, les dĂ©tracteurs de la phrĂ©nologie ils traitent Gall et Spurzheim de rĂȘveurs, d’illuminĂ©s, sans se douter le moins du 122 TROISIÈME LEÇON. i» Suivant Van Helmont, le magnĂ©tisme de l’aimant et celui de toutes les choses inanimĂ©es a lieu par une sympathie naturelle. Dieu est la vie, dit-il, son esprit remplit l’univers, et tout ce qu’il a créé a reçu une portion de vie, une sorte de sentiment. C’est cet esprit qui est la cause de la sympathie par laquelle l’action d’un corps se porte de prĂ©fĂ©rence sur un autre ainsi, lorsque nous attribuons ces sympathies aux propriĂ©tĂ©s des corps, nous prenons l’effet pour la cause. » Les thĂ©ories chimiques de MM. Dumas et BerzĂ©lius supposent implicitement le mĂȘme principe, regardĂ© comme une rĂȘverie pendant un siĂšcle et demi. La force magique qui a pour principe la vie se montre dans les aniamux; ils ont la puissance de produire une entitĂ© rĂ©elle et de l’envoyer au loin par la volontĂ©. C’est ce qui explique l’action des chiens, du basilic, de plusieurs poissons, etc., » autres rĂȘves qui finiront aussi par devenir de belles et bonnes rĂ©alitĂ©s. — Enfin, il y a une vertu magique sĂ©parĂ©e pour ainsi dire du corps; elle a lieu par l’excitation de la puissance intĂ©rieure de l’ñme , et elle produit au dehors les effets les plus Ă©tonnants ; car la nature agissant par elle- mĂȘme est d’autant plus forte qu’elle est plus spirituelle. — Postremo estvirlus magica a corpore quasi abs- tracta, quƓ fit excitamento interioris potestatis animĂ©e, undefiantpotentissimee procreationes et validis- simi eJJ'ectus. Utrobique scilicet natura maga est, et monde que ces deux grands hommes ne sont que les continuateurs de Kant, de Reid et de Dugald Stewart. Et le magnĂ©tisme ! qu’est- il pour eux ? une vision de Mesmer_ dont ils n’ont pas lu un mot. Vanitas vanitatum ! 123 THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. per phantasiam suarn agit, et quo spiritualior eo potentior § 1 5y . Toute vertu magique a besoin d’excitation. Dans les corps bruts, cette excitation a lieu par une cbaleur intĂ©rieure qui fait sortir une vapeur spirituelle et rĂ©veille le mouvement des esprits corporels ; dans le magnĂ©tisme elle a lieu par un attouchement intĂ©rieur. La vertu magique des animaux est excitĂ©e par une conception intellectuelle ; celle de l’homme extĂ©rieur par une forte imagination, une attention continue et profonde; celle de l’homme intĂ©rieur par le Saint-Esprit. » Il est impossible de ne pas reconnaĂźtre dans cette proposition une admirable gĂ©nĂ©ralisation de tous les faits magnĂ©tique, y compris le somnambulisme spontanĂ©, le somnambulisme artificiel, l’extase, etc. Si les magnĂ©tiseurs avaient pris la peine de revenir Ă  cette source, ils ne se seraient point Ă©garĂ©s comme ils l’ont fait dans des distinctions qui ne reposent sur rien d’essentiel et qui, en isolant les faits, rompt par avance dans l’esprit de l’observateur le lien qui les unit. Van Helmont continue J’ai diffĂ©rĂ© jusqu’ici de dĂ©voiler un grand mystĂšre c’est qu’il y a dans l’homme une Ă©nergie telle que par sa seule volontĂ© et par son imagination, il peut agir hors de lui et imprimer une vertu, exercer une influence durable sur un objet trĂšs-Ă©loignĂ©. Cela explique ce que nous avons dit de l’entitĂ© idĂ©ale qui va exĂ©cuter les ordres de la volontĂ© du magnĂ©tisme de toutes choses, produit par l’imagination de l’homme, ou par l’esprit des autres choses, et de la supĂ©rioritĂ© magique de l’homme sur tous les autres corps. — Ingens mysterium propalare hactenus distuli osten- 124 TROISIÈME LEÇON. dere videlicet in homine sitam esseenergicim quasolo nuta et phanlasia sua queat agere in distans , et imprimere virlutem, aliquam injluentiam, deinceps per se perseverantem et agentem in objeclum longis- sime absens § i58. Cette puissance que nous avons d’agir hors de nous par notre seule volontĂ© est sans doute incomprĂ©hensible; mais concevons-nous mieux comment notre volontĂ© agit sur nos propres organes, comment elle remue notre liras? L’union de l’ñme et du corps, l’action de l’un sur l’autre, sont des phĂ©nomĂšnes dont la cause est impĂ©nĂ©trable. Cependant, si nous rĂ©flĂ©chissons sur notre origine, le raisonnement nous prouvera d’abord ce qu’il nous est facile de constater par l’expĂ©rience. L’homme est l’image de Dieu, non par sa forme extĂ©rieure, mais par son Ăąme, par les facultĂ©s dont il est douĂ©. Or, Dieu, qui n’a point d’organes corporels, agit par sa seule volontĂ©; c’est par sa seule volontĂ© qu’il imprime le mouvement Ă  toutes les crĂ©atures ; il suit de lĂ  que l’homme peut aussi faire quelque chose par sa seule volontĂ©. — Quocirca si Deus agat per nutum, perverbum; sic oportet hominem, si'verum debeat dici ejus simulacvum, agere nonnulla solo tiutu § 91 . » — Ceci s’accorde merveilleusement avec l’interprĂ©tation que j’ai donnĂ©e dans ma deuxiĂšme leçon Ă  deux versets de l’Évangile, et avec les rĂ©flexions qu’ils m’ont suggĂ©rĂ©es. L’ñme humaine, continue Van Helmont, Ă©tant l’image la plus parfaite du CrĂ©ateur, c’est en elle que rĂ©side, dans un plus haut degrĂ© que dans les autres crĂ©atures, la puissance de la volontĂ©; elle la transmet THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 125 Ă  l’esprit vital qui est en accord avec elle, et qui reproduit extĂ©rieurement ses facultĂ©s ; mais cette puissance d’agir en dehors 11e lui appartient pas exclusivement; elle se montre, quoique bien plus faible, dans tous les ĂȘtres douĂ©s de la vie et du sentiment; ceux-ci ont une portion de volontĂ© plus ou moins active, plus ou moins influente , selon qu’ils sont plus ou moins rapprochĂ©s de l’homme qui les domine tous et cela doit ĂȘtre , parce que Dieu est le principe de la vie, et que son esprit est rĂ©pandu dans toute la nature. » Plus loin, Van Helmont prĂ©tend que nous pouvons attacher Ă  un corps la vertu dont nous sommes douĂ©s, lui communiquer certaines propriĂ©tĂ©s, et nous en servir comme d’un intermĂ©diaire pour opĂ©rer des effets salutaires. — Cette allĂ©gation a Ă©tĂ© vĂ©rifiĂ©e par le marquis de PuysĂ©gur et par la plupart des magnĂ©tiseurs modernes. Elle renferme toute l’histoire des talismans, des amulettes, etc., c’est-Ă -dire des objets magnĂ©tisĂ©s dans une certaine intention et portĂ©s par des malades. Notre savant ami, M. Mialle, a publiĂ© Ă  cet Ă©gard un fait intĂ©ressant qui lui est personnel et dont vous trouverez le rĂ©cit dans la prĂ©face de ses Cures opĂ©rĂ©es par Le magnĂ©tisme. —Au surplus, Van Helmont rapporte lui-mĂȘme Ă  l’appui de son sentiment plusieurs observations qu’il n’est guĂšre possible de contester, et voici la conclusion qu’il en tire Puisque l’homme a la force d’agir par sa volontĂ© sur un objet Ă©loignĂ©, il est clair que cette Ă©nergie lui a Ă©tĂ© donnĂ©e par Dieu, et qu’elle lui est naturelle. C’est s’ignorer soi-mĂȘme que de transporter Ă  Satan une puissance dont on est douĂ©. — Probalo nunc eo quod homo 126 TROISIÈME LEÇON. habeat vim per nutum agencli, salis confirmatum est homini istam^energiam a Deo dalam et naturaliter ipsi competere § 172 . » AprĂšs l’exposition si claire de la thĂ©orie dont je viens de vous rapporter les principaux fragments, thĂ©orie, je vous le rĂ©pĂšte, qui n’a Ă©tĂ© comprise jusqu’ Ă  prĂ©sent que par un trĂšs-petit nombre de magnĂ©tiseurs, Van Hel- mont termine sa brochure par quelques considĂ©rations trĂšs-remarquables sur les conditions nĂ©cessaires au succĂšs de l’action magnĂ©tique. Voici comment il s’exprime Nous avons dit que toute force magique Ă©tait endormie dans l’homme et qu’elle avait besoin d’ĂȘtre excitĂ©e. Cela est constamment vrai si le sujet sur lequel on veut agir n’est pas dans la disposition la plus favorable; si son imagination intĂ©rieure ne s’abandonne pas entiĂšrement Ă  l’impression qu’on veut produire sur lui ; ou bien si celui sur qui se porte l’action a plus de force que celui qui agit ; mais dans le cas oĂč le patient est bien disposĂ©, ou faible, il succombe facilement au magnĂ©tisme de celui qui agit sur lui par son imagination; pour agir fortement, il est nĂ©cessaire d’employer un moyen, mais ce moyen est nul s’il n’est accompagnĂ© de l’action intĂ©rieure. Il faut savoir exciter la vertu magique de son esprit § 172.» — Suit enfin sa profession de foi religieuse, que l’auteur se fĂ»t probablement dispensĂ© de faire publiquement de nos jours, mais qui, Ă  l’époque oĂč il vivait, Ă©tait loin d’ĂȘtre un hors-d’Ɠuvre Je suis catholique romain, dit-il, et je rejetterais toute opinion contraire Ă  la doctrine de l’Eglise. J’ai publiĂ© ce que je sais avec une libertĂ© philosophique. THÉORIES ANCIENNES DĂŒ MAGNÉTISME. 127 Les effets naturels ont Ă©tĂ© créés par Dieu ; ce sont des dons qu’il a faits Ă  ses crĂ©atures. Quiconque les attribue au dĂ©mon dĂ©robe Ă  Dieu l’honneur qui lui est dĂ», et le transporte Ă  Satan, ce qui est une vĂ©ritable idolĂątrie. » Van IĂźelmont a rĂ©pandu dans ses divers ouvrages les principes qu’il a dĂ©veloppĂ©s dans la brochure dont je viens de vous donner l’extrait % et le simple Ă©noncĂ© de ces principes suffit pour vous prouver que non-seulement ce grand mĂ©decin connaissait le magnĂ©tisme, mais qu’il l’avait Ă©tudiĂ© dans ses effets les plus extraordinaires, et qu’il avait coordonnĂ© ses observations en un systĂšme , sinon inattaquable, du moins fort ingĂ©nieux. — Mesmer, comme vous le verrez bientĂŽt, fut moins heureux dans ses conceptions. C’est qu’il eut le tort impardonnable, je vous l’ai dit dĂ©jĂ , ou de ne pas connaĂźtre les travaux de Van Helmont, ou de ne pas les comprendre. Plus tard, vous comparerez ces deux hommes et vous aurez la justice de reconnaĂźtre, avec moi, que l’intelligence de Mesmer, dont l’éclat Ă©blouit ses disciples, ne fut pourtant qu’iin reflet du gĂ©nie de son devancier. —- Van Helmont est un de ces astres lointains que rapetisse la distance Ăąux yeux du vulgaire, mais dont le savant constate l’immensitĂ©. ' Voir les traitĂ©s de Peslilenlia, de Ortu formarum, Logica inuĂŒlis, Idea demens, et enfin les trois articles initulĂ©s Promissa auctoris, Confessio auctoris, Studia auctoris. QUATRIÈME LEÇON. MESMER ET SES DÉMÊLÉS AVEC LES CORPS SAVANTS. Messieurs , Si le gĂ©nie du CrĂ©ateur peut embrasser d’un seul coup d’Ɠil l’ensemble des choses de l’univers dans leurs causes, dans leur enchaĂźnement et dans leurs consĂ©quences, il a conservĂ© pour lui seul cette prĂ©rogative de sa toute-puissance. LimitĂ© par nos souvenirs et par nos perceptions, le cercle des connaissances humaines est essentiellement incomplet. Des deux larges segments qui lui manqueront toujours, l’un appartient Ă  l’avenir, l’autre appartient au passĂ©. Dans le champ de l’éternitĂ© le fleuve de l’esprit humain coule sans s’élargir ce qu’il paraĂźt gagner Ă  l’une de ses rives se dĂ©pose en alluvion sur la rive opposĂ©e. Les mĂ©andres se multiplient; suivant les terrains qu’elle arrose, l’eau change mĂȘme de couleur, mais sa quantitĂ© reste la mĂȘme. Ainsi, une dĂ©couverte anĂ©antit les fruits d’une dĂ©couverte antĂ©rieure, et, tandis que l’horizon scientifique ne fait que changer d’aspect, nous nous imaginons qu’il s’agrandit. Mais comme la civilisation des MESMER ET TES CORPS SAVANTS. 129 peuples semble ainsi que les mondes dans l’espace dĂ©crire une courbe rĂ©guliĂšre, elle revient par longues pĂ©riodes aux points qu’elle a traversĂ©s jadis, et, d’intervalle en intervalle, certaines vĂ©ritĂ©s surgissent avec certaines conditions morales que ramĂšne le cours naturel des choses d’ici-bas, et avec lesquelles elles disparaissent pour se reproduire encore. Nulle vĂ©ritĂ© plus que le magnĂ©tisme, n’a subi ces alternatives. PratiquĂ© dĂšs les premiers temps historiques par les mages de la ChaldĂ©e, il se rĂ©pandit des rives de l’Euphrate dans l’Egypte et dans l’Inde. AprĂšs les prĂȘtres d’Isis les prĂȘtres du dieu des Juifs furent ses dĂ©positaires, et les chrĂ©tiens en hĂ©ritĂšrent. De la GrĂšce il passa Ă  Home, et de Rome, dit-on, dans les Gaules-, mais je ne crois point .Ă  cette filiation, car les druides Ă©taient mieux informĂ©s sur ce point que les thaumaturges ultramontains. Cependant, les adeptes du moyen Ăąge furent moins les disciples des druides que des professeurs de TolĂšde et de SĂ©govie. ÉtouffĂ©e dans l’ombre Ă©paisse oĂč ils la cultivent, la science magnĂ©tique renaĂźt au jour avec Paracelse qui l’enseigne ex projesso, et en fait la base d’une nouvelle Ă©cole mĂ©dicale. Un demi-siĂšcle plus tard, Van Ilelmont lui consacre en pure perte quarante annĂ©es de labeurs et de mĂ©ditations, car il n’est pas compris. Mesmer, enfin , au xvm e siĂšcle , dĂ©couvre le magnĂ©tisme qui, aprĂšs plus de trois mille ans d’examen et de controverse, compte enfin aujourd’hui qualre-viugis aus d’existence. Tels sont les faits fauteurs et dĂ©tracteurs les acceptent Ă©galement; mais voici les inductions qu’il est lo- 9 130 QUATRIÈME LEÇON. gique d’en tirer ou bien, la connaissance du magnĂ©tisme s’est transmise, rĂ©guliĂšrement d’ñge en Ăąge, parles voies habituelles de la tradition, et, dans ce cas, il est impossible de le considĂ©rer comme une erreur, ou comme un mensonge, car le mensonge et l’erreur sont Ă©galement inconciliables avec tant de longĂ©vitĂ© ; ou bien et c’est mon opinion , les notions sur le magnĂ©tisme se sont rĂ©ellement perdues certaines Ă©poques pour ĂȘtre de nouveau retrouvĂ©es, dĂ©couvertes, et, dans ce dernier cas, la parfaite identitĂ© du magnĂ©tisme avec lui-mĂȘme dans ses diverses apparitions est une autre preuve irrĂ©fragable de sa rĂ©alitĂ©. Cela posĂ©, le xvin 8 siĂšcle n’eut pas absolument tort d’attribuer la dĂ©couverte du magnĂ©tisme Ă  Mesmer ; mais sans taxer ce dernier d’ignorance, nous ne pouvons ratifier en tous points le titre d’inventeur que lui ont dĂ©cernĂ© ses contemporains. Mesmer, c’est ma conviction, ne puisa ni dans Paracelse ni dans Van Helmont l’idĂ©e premiĂšre de la thĂ©orie qui l’a rendu cĂ©lĂšbre, mais il donna comme lui appartenant une doctrine qui Ă©tait la leur. Avec lui nĂ©anmoins commence pour le magnĂ©tisme une Ăšre nouvelle, dont on ne rechercha que plus tard les liaisons avec les Ă©poques antĂ©cĂ©dentes. Le rĂ©cit des Ă©vĂ©nements qu’il eut le talent de faire naĂźtre, ou d’utiliser au profit de sa renommĂ©e, est aujourd’hui d’un intĂ©rĂȘt trop gĂ©nĂ©ral pour ne point prĂ©cĂ©der ici l’examen de sa thĂ©orie. F. Antoine Mesmer, une des plus grandes cĂ©lĂ©britĂ©s dont s’enorgueillit ou dont rougit l’Allemagne, suivant l’opinion flottante encore de ses habitants, Ă  l’égard MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 131 du magnĂ©tisme , F. Antoine Mesmer naquit en Souabe, Ă  Weiier, prĂšs de Stein, eu 17^4. Nous savons peu de chose sur sa famille, et presque rien sur ses premiĂšres annĂ©es, sauf qu’il Ă©tait passionnĂ© pour l’étude des phĂ©nomĂšnes de la nature et pour leur contemplation. Ainsi que tous les esprits mĂ©ditatifs, il aimait la solitude, et ce fut en errant dans les forĂȘts de son pays qu’il rĂȘva le plan d’un systĂšme gĂ©nĂ©ral de mĂ©taphysique dont il jeta les rudiments dans sa thĂšse inaugurale, et que, par la suite, il dĂ©veloppa pour ses disciples de Paris. La facultĂ© de Vienne le reçut docteur en 1766, et la thĂšse dont je viens de vous parler fut son premier manifeste contre la vieille routine des Ă©coles, et le prĂ©lude de la grande rĂ©volution scientifique que dĂšs cette Ă©poque il. se flattait d’opĂ©rer. Cette dissertation avait pour titre De l'Influence des planĂštes sur le corps humain. Son objetĂ©tait de rattacher Ă  l’attraction newtonienne les lois fondamentales de la physiologie. Mesmer y admettait comme agent de cette attraction le fluide universel que nous avons dĂ©jĂ  vu figurer tant de fois dans les thĂ©ories de l’antiquitĂ© et du moyen Ăąge. Le fluide universel Ă©tait pour lui le vĂ©hicule des influences sidĂ©rales, c’est-Ă -dire un intermĂ©diaire permanent entre tous les ĂȘtres de la nature, et partant, entre les astres et les corps organisĂ©s. Je ne sais si Mesmer devait ses idĂ©es Ă  ses lectures, ou seulement Ă  ses mĂ©ditations; mais il les donna comme venant de lui, et il eut mĂȘme par la suite l’habiletĂ© d’en faire nu secret Ă  vendre dont il passa quinze ans de sa vie Ă  dĂ©battre le prix. Son grand principe Ă©tait que tout dans la nature se 132 QUATRIÈME LEÇON. faisait par attraction, de telle sorte que l’aimant n’était qu’une manifestation particuliĂšre de cette loi gĂ©nĂ©rale de l’univers. C’était donc l’aimant qui devait ĂȘtre mis en Ɠuvre dans ses premiers essais pratiques, persuadĂ© qu’il Ă©tait, s’il parvenait Ă  des rĂ©sultats satisfaisants, de les gĂ©nĂ©raliser bien vite dans la thĂ©orie qu’il avait conçue. N’oubliez pas toutefois que le fluide } enfant hypothĂ©tique de ses rĂȘves ou de ses rĂ©miniscences, Ă©tait toujours dans son esprit le mĂ©diateur indispensable de toute espĂšce d’attraction. De cette conjecture Ă  regarder le fluide comme le principe de toute harmonie, comme la puissance non pas gĂ©nĂ©sique, mais organisatrice de la matiĂšre, il n’y avait qu’un pas, et Mesmer n’était pas homme Ă  s’arrĂȘter en chemin. Ce ne fut donc point un simple hasard comme on l’a cru longtemps, mais bien une thĂ©orie prĂ©conçue, qui le dĂ©termina Ă  essayer de l’action de l’aimant dans le traitement des maladies. La premiĂšre expĂ©rience qu’il fit dans ce genre, et qui devait ouvrir une nouvelle carriĂšre Ă  son imagination, date de 1771 1 . La personne sur laquelle il fit cet essai Ă©tait une demoiselle atteinte d’une maladie convulsive. 11 lui appliqua, pendant un de ses accĂšs, des plaques aimantĂ©es sur la poitrine et les jambes; le rĂ©sultat fut extraordinaire. La malade Ă©prouva intĂ©rieurement des courants douloureux d’une matiĂšre subtile qui, aprĂšs diffĂ©rents efforts pour prendre leur direction , se dĂ©terminĂšrent vers la partie infĂ©rieure du 1 Voyez MĂ©moire sur la dĂ©couverte du MagnĂ©tisme animal, par Mesmer. MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 133 corps et firent cesser tous les symptĂŽmes de la crise. La mĂȘme expĂ©rience fut rĂ©pĂ©tĂ©e Ă  plusieurs reprises avec le mĂȘme succĂšs; mais en en variant les conditions, Mesmer ne tarda point Ă  reconnaĂźtre que les effets obtenus dĂ©pendaient beaucoup moins de la vertu intrinsĂšque de l’aimant que de la volontĂ© de l’opĂ©rateur admirable dĂ©couverte, une des plus importantes assurĂ©ment que les hommes aient jamais faites, et qui sera toujours pour Mesmer son vrai titre de gloire. Cependant, comme il tenait du pĂšre Hell, professeur d’astronomie Ă  Vienne, les piĂšces d’acier aimantĂ© dont il s’était servi, Mesmer devait Ă  ce savant le rapport des rĂ©sultats heureux qu’il venait d’obtenir. Il lui fit donc le rĂ©cit de ce qui s’était passĂ©, mais en prenant si bien ses rĂ©serves que ce jĂ©suite, abusĂ© par sa demi-confidence, publia loyalement qu’il venait de dĂ©couvrir dans l’aimant, lui P. Hell, une vertu dĂ©pendante de sa forme, et qui donnait le moyen de guĂ©rir les maladies de nerfs les plus graves; assertion qui fut accueillie du public avec d’autant plus d’empressement que ces maladies ont Ă©tĂ© de tout temps l’écueil de la mĂ©decine. Mesmer, aussi surpris qu’indignĂ© de cette conduite, protesta de toutes ses forces contre les prĂ©tentions de son maladroit spoliateur. Mais il Ă©tait encore peu connu, et le pĂšre Ilell jouissait d’une grande rĂ©putation. 11 eut donc beau publier, pour dĂ©truire l’erreur gĂ©nĂ©rale, l’existence du magnĂ©tisme animal comme un fait absolument distinct des propriĂ©tĂ©s de l’aimant, la prĂ©vention Ă©tait Ă©tablie, et l’on s’opiniĂątra Ă  croire que l’aimant seul opĂ©rait les effets constatĂ©s. — Quel malheur pour 134 QUATRIÈME LEÇON, la science que le pĂšre Hell n’eĂ»t pas devinĂ© juste ! La gloire de Mesmer, Ă  la vĂ©ritĂ©, Ă©tait sacrifiĂ©e sans retour, mais les jĂ©suites, en prenant fait et cause pour le magnĂ©tisme, n’eussent pas manquĂ© d’entraĂźner aprĂšs eux tous les savants de l’Europe, tandis qu’ils se virent dans l’obligation de soutenir le pĂšre Hell quand mĂȘme, et de sacrifier Ă  l’esprit de corps une dĂ©couverte qu’ils n’avaient pu s’approprier. Ainsi, le premier pas de Mesmer rencontra un Ă©cueil, et bien que l’évidence de ses succĂšs pĂ»t servir de contre-poids Ă  l’étrangetĂ© de ses assertions, il ne se trouva d’abord personne, je ne dirai pas seulement capable de l’entendre, mais qui daignĂąt l’écouter. Cependant, comme il connaissait particuliĂšrement le baron de Storck, prĂ©sident de la facultĂ© de Vienne et premier mĂ©decin de l’empereur, il jugea convenable de l’instruire de la nature de sa dĂ©couverte, et, lui mettant sous les yeux les dĂ©tails de ses opĂ©rations, il l’invita Ă  s’en convaincre par lui-mĂȘme en l’assurant que son intention Ă©tait de lui rendre compte successivement de tous les progrĂšs qu’il ferait. Devinez quelle fut la rĂ©ponse du baron de Storck Ă  cette proposition ? les savants sont de bien tristes gens quand ils manquent de cƓur ou d’esprit! M. de Storck invita Mesmer Ă  ne pas compromettre la FacultĂ© par une innovation. Mon brave ami Frapart avait donc raison de dire Les corps savants sont des despotes qui ne cĂšdent que ce qu’on leur arrache, qui n’avancent que quand on les entraĂźne, » puisque toute innovation les Ă©pouvante et les compromet. 135 MESMER ET LES CORPS SAVANTS. Au surplus, ce fut peut-ĂȘtre uu excĂšs de savoir- faire qui empĂȘcha Mesmer de rĂ©ussir dans son pays. MystĂ©rieux par goĂ»t, par instinct, par habitude, il prĂ©tendait faire croire Ă  sa dĂ©couverte sans expliquer exactement en quoi elle consistait. C est ainsi qu en publiant Ă  cette Ă©poque 1771 une partie de sa thĂ©orie et les succĂšs -qu’il avait obtenus de son application, il s’abstenait, dans des intentions que nous n’aurons que trop l’occasion de qualifier par la suite, de donner aucune notion sur sa maniĂšre d’opĂ©rer. La volontĂ© mĂȘme, le grand pivot de sa doctrine, n’était pas nommĂ©e dans sa brochure*. 11 Ă©tait en consĂ©quence bien permis Ă  ses lecteurs de prendre pour des rĂȘveries les paroles que voici J’ai observĂ© que la matiĂšre magnĂ©tique est preste que la mĂȘme chose que le fluide Ă©lectrique, et qu’elle se propage de mĂȘme que celle-ci par des corps intermĂ©diaires. L’acier n’est pas la seule substance qui y soit propre; j’ai rendu magnĂ©tiques du papier, du pain, de la laine, de la soie, du cuir, des pierres, du verre, de l’eau, diffĂ©rents mĂ©taux, du bois, des hommes, des chiens; en un mot, tout ce que je toute chais, au point que ces substances produisaient sur les malades les mĂȘmes effets que l’aimant. J’ai remet pli des flacons de matiĂšre magnĂ©tique de la mĂȘme te façon qu’on le pratique avec le fluide Ă©lectri- que, etc. » 1 Lettre de Mesmer, docteur en mĂ©decine de la facultĂ© de Vienne, Ă  M. Vuzen, docteur en mĂ©decine. Mercure savant d’Altona, 1771. 136 QUATRIÈME LEÇON. Le public, qui ne connaissait d’autre fluide magnĂ©tique que celui de l’aimant, ne vit qu’une prĂ©tention ridicule ou une erreur Ă©vidente dans cette prĂ©tendue communication de ce fluide Ă  des substances qui lui sont entiĂšrement hĂ©tĂ©rogĂšnes. Pour comble de malheur, le physicien Ingenhousz qui avait eu plusieurs entrevues avec Mesmer, et qui avait paru convaincu de la rĂ©alitĂ© do ses expĂ©riences, se rangea contre lui au parti des jĂ©suites, et rĂ©pandit que tout ce qu’il avait vu n’était qu’une supercherie ridicule et concertĂ©e. De tels rapports de la part d’Ingenhousz parurent si peu croyables Ă  Mesmer qu’il fut assez longtemps sans y ajouter foi; mais, enfin, ne pouvant plus douter sinon de leur sincĂ©ritĂ©, du moins de leur rĂ©alitĂ©, il voulut justifier sa conduite, et donner aux savants de son pays une idĂ©e prĂ©cise de ses moyens. En consĂ©quence, il fit part Ă  M. de Storck de sa rĂ©solution et lui demanda de prendre les ordres de la cour pour qu’une commission de la FacultĂ© fĂ»t chargĂ©e de constater les faits et de les rendre publics M, de Storck parut d’abord flattĂ© de cette dĂ©marche et promit d’y donner suite; mais bientĂŽt il y mit de la froideur, et, s’étant laissĂ© influencer, dit M. de Lau- sane, il ne marqua plus pour cet objet qu’une invincible rĂ©pugnance. La conduite de la facultĂ© de "Vienne, personnifiĂ©e dans son prĂ©sident, dĂ©cida de celle des diverses acadĂ©mies auxquelles Mesmer avait adressĂ© sa lettre. Une a Annales du MagnĂ©tisme animal, n° 2 , p. 5j, 137 MESMER ET LES CORPS SAVANTS, seule, celle de Berlin, lui fit l’honneur d’y rĂ©pondre; mais confondant les propriĂ©tĂ©s du magnĂ©tisme animal avec celles de l’aimant, cette sociĂ©tĂ© dĂ©clara, comme avait fait le public, que Mesmer Ă©tait dans l’erreur. Remarquez bien d’ailleurs qu’il devait en ĂȘtre ainsi, car, l’AcadĂ©mie de Berlin, n’ayant Ă  juger que l’exposĂ© d’un systĂšme incompatible avec les lois physiques gĂ©nĂ©ralement admises, ne pouvait sans preuves sensibles ratifier une thĂ©orie contradictoire en apparence Ă  ces lois. RebutĂ© par le mauvais accueil des savants, Mesmer en revint aux malades, gĂ©nĂ©ralement plus faciles Ă  persuader et de bonne composition avec tous ceux qui leur promettent la santĂ©. Mais il Ă©tait Ă©crit que Mesmer justifierait le proverbe Nul n’est prophĂšte dans son pays. AprĂšs quelques voyages en Souabe et en Suisse, oĂč il laissa, notamment Ă  Berne et Ă  Zurich, plusieurs mĂ©decins convaincus de l’existence du magnĂ©tisme, il retourna Ă  Vienne opĂ©rer plusieurs cures Ă©clatantes. Mais le plus beau de ses succĂšs fut le pire de ses malheurs. Le pĂšre d’une de ses malades, influencĂ©, comme le prĂ©sident de Storck, par le mauvais gĂ©nie qui essayait d’étouffer le magnĂ©tisme dans ses langes , faillit le faire incarcĂ©rer pour avoir guĂ©ri sa fille d’une amaurose incurable Ă  laquelle il devait une pension du gouvernement. — Cette histoire scandaleuse de mademoiselle Paradis 1 m’a toujours semblĂ© un des beaux exploits de la compagnie de ' Voyez MĂ©moire sur la decouverte du MagnĂ©tisme animal, par Mesmer. 138 QUATRIÈME LEÇON. JĂ©sus. — Enfin, Mesmer dĂ©goĂ»tĂ© par l’ingratitude de ses compatriotes, et persuadĂ© pourtant que quelque jour ils lui rendraient justice, se dĂ©cida Ă  quitter Vienne 1777 pour aller chercher dans un pays plus sage et plus hospitalier le repos que sa dĂ©couverte lui avait ravi dans sa patrie*. Ce fut au mois de fĂ©vrier 1778 que Mesmer arriva Ă  Paris, oĂč dĂ©jĂ  la renommĂ©e, cette mensongĂšre dĂ©esse, avait rĂ©pandu sur sa personne et sur sa doctrine les versions les plus opposĂ©es les uns l’admiraient sur parole et l’attendaient avec la plus vive impatience; les autres, abusĂ©s par des rĂ©cits calomnieux, l’avaient jugĂ© avant de l’entendre et 11e le considĂ©raient que comme un habile charlatan. D’une part, on le peignait comme victime de l’intrigue; de l’autre, comme un homme dangereux qu’un ordre supĂ©rieur forçait Ă  quitter sa patrie. Mais au milieu de ces bruits contradictoires, la foule de consultants qui l’assaillirent Ă  son dĂ©but lui fit bientĂŽt espĂ©rer que, s’il n’avait point le bonheur de faire accepter sa dĂ©couverte par les savants de notre capitale, une immense et rapide fortune le dĂ©dommagerait de cet Ă©chec. — L’évĂ©nement, Ă  cet Ă©gard, rĂ©alisa ses prĂ©visions. La cour et la ville, en quelques mois, affluĂšrent Ă  ses traitements, oĂč le fluide universel se vendait au poids de l’or-, mais il ne reçut pas le mĂȘme accueil des membres de la FacultĂ©. 1 Consultez, pour plus de dĂ©tails, la spirituelle brochure de M. Mialle ayant pour titre Rapport confidentiel du R. P. Sco- bardi Ă  la sociĂ©tĂ© de VIndex sur le MagnĂ©tisme animal ; traduit de l’italien par le soi-disant docteur Ch. B***. Chez BaillĂšre. MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 139 Cependant, le dii’ecteur de l’AcadĂ©mie des Sciences, le Roi, avant assistĂ©, chez Mesmer, Ă  plusieurs expĂ©- riencesqu’il observa avec assezd’attention pour s’assurer de leur rĂ©alitĂ©, parut prendre intĂ©rĂȘt Ă  la nouvelle dĂ©couverte, et proposa sa mĂ©diation auprĂšs de sa compagnie. Mesmer accepta cette proposition, remit Ă  le Roi un exposĂ© sommaire de son systĂšme et convint d’un jour oĂč il se rendrait Ă  l’AcadĂ©mie pour entendre le rapport. Mesmer fut exact au rendez-vous. Mais, hĂ©las! cette seule sĂ©ance dut suffire pour lui prouver que, si le bon peuple de Paris s’engouait facilement des nouveautĂ©s et accueillait avec enthousiasme toute rĂ©putation Ă©trangĂšre, il n’en Ă©tait pas de mĂȘme des acadĂ©mies, qui, dans tous les pays du monde, ont les mĂȘmes prĂ©jugĂ©s. Je ne saurais, dit M. de Lausane, donner une qualification convenable Ă  la conduite de la sociĂ©tĂ© l’AcadĂ©mie des Sciences; elle ne voulut pas souffrir qu’on abordĂąt la question.‱ Lorsqu’un corps Ă©tabli pour les progrĂšs des sciences se comporte d’une ma- niĂšre aussi injurieuse et compromet ainsi la nation qu’il reprĂ©sente, que ne peuvent se permettre les particuliers qui ne doivent compte Ă  personne de leurs opinions! L’AcadĂ©mie pouvait croire Mesmer dans l’erreur; mais cette erreur n’était point de celles qu’on mĂ©prise ; la signaler, la rĂ©futer, en prouver les consĂ©quences dangereuses Ă©tait alors son devoir 1 .» — Qu’eussiez-vous dit, monsieur de Lausane, de ce qui s’est passĂ© depuis ! Mais revenons Ă  Mesmer. ' Annales du MagnĂ©tisme animal, n° 3 , p. 99. 140 QUATRIÈME LEÇON. On devine qu’il se retira peu satisfait de sa dĂ©marche. Quelques jours aprĂšs, nĂ©anmoins, il vit plusieurs membres de l’AcadĂ©mie, se plaignit amĂšrement et reçut d’eux ces excuses lĂ©gĂšres que la politesse française sait toujours rendre sans rĂ©plique. 11 fit encore en leur prĂ©sence plusieurs expĂ©riences qui les convainquirent ; mais tous avouĂšrent ingĂ©nument que la crainte de se faire moquer d’eux les empĂȘcherait de rendre compte Ă  l’AcadĂ©mie de ce qu’ils avaient vu. — Oh! que voilĂ  bien notre pays, oĂč le ridicule s’attache comme une lĂšpre dĂ©vorante Ă  toutes les innovations sĂ©rieuses. — A la fin, pourtant, MM. les savants proposĂšrent Ă  Mesmer de se charger du traitement de quelques malades dont la guĂ©rison, dirent-ils, attesterait la vĂ©ritĂ© de sa dĂ©couverte d’une maniĂšre victorieuse. — La facultĂ© de mĂ©decine, en effet, n’avait point encore Ă  cette Ă©poque dĂ©clarĂ© judicieusement que les guĂ©risons ne prouvaient rien. Mesmer accepta, et, aprĂšs avoir fait constater, par des mĂ©decins de la FacultĂ©, l’état des malades qu’on lui dĂ©signa, il se retira avec eux au village de Creteil, Ă  deux lieues de Paris, et ne s’occupa plus qu’à leur donner ses soins. Enfin il envoya quatre mois aprĂšs la lettre suivante Ă  l’AcadĂ©mie A M. le Roi, directeur de VAcadĂ©mie des Sciences de Paris. Creteil, 22 aoĂ»t 1778. J’ai eu l’honneur, monsieur, de vous entretenir plusieurs fois Ă  Paris, en votre qualitĂ© de directeur MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 141 a de l’AcadĂ©mie, du MagnĂ©tisme animal. Quelques- uns de MM. vos confrĂšres ont eu aussi des confĂ©- renccs avec moi sur ce principe. Son existence vous a paru sensible par les Ă©preuves que j’ai faites sous vos yeux et sous les leurs. Je vous ai remis mes propo- sitions sommaires pour ĂȘtre communiquĂ©es Ă  l’Aca- dĂ©mie; j’ai aussi laissĂ© Ă  M. le comte de Maillebois un MĂ©moire relatif. Vous m’avez paru l’un et l’autre dĂ©sirer, qu’aux preuves de l’existence, je joignisse celle de l’utilitĂ©; j’ai entrepris, en consĂ©quence, le traitement de plusieurs malades qui ont bien voulu, pour cet effet, se rendre au village de CrĂ©teil, que j’babite depuis quatre mois. Quoique j’ignore encore, monsieur, la façon de penser de l’AcadĂ©mie sur mes propositions', je m’empresse de l’inviter, par votre mĂ©diation, et vous- mĂȘme aussi, particuliĂšrement, monsieur, Ă  constater l’utilitĂ© du MagnĂ©tisme animal appliquĂ© aux maie ladies les plus invĂ©tĂ©rĂ©es, leur traitement devant finir avec ce mois. J’ose espĂ©rer que vous voudrez bien me transmettre les intentions de l’AcadĂ©mie, en m’indiquant le jour et l’heure oĂč ses dĂ©putĂ©s seront disposĂ©s Ă  m’honorer de leur visite, afin que je me mette en Ă©tat de les recevoir. C’est avec des sentiments de la plus profonde con- sidĂ©ration que j’ai l’honneur d’ĂȘtre, monsieur, etc. » L'AcadĂ©mie ne jugea pas Ă  propos de rĂ©pondre! VoilĂ  donc avec quelle attention, avec quelle im- ’ Ces propositions sont rapportĂ©es plus loin. 142 QUATRIÈME LEÇON. partialitĂ©, avec quelle justice le magnĂ©tisme fut jugĂ© dans l’origine, et c’est ainsi qu’il l’a toujours Ă©tĂ©. Mesmer, dĂ©couragĂ©, Ă©tait sur le point de quitter Paris lorsqu’un heureux hasard lui fit connaĂźtre d’Eslon, professeur influent Ă  la facultĂ© de mĂ©decine et premier mĂ©decin du comte d’Artois. FrappĂ© de quelques faits singuliers qui se passĂšrent sous ses yeux, d’Eslon, observateur judicieux et sincĂšre, ne tarda point Ă  s’avouer convaincu de la rĂ©alitĂ© d’un principe dont ne daignait plus s’occuper l’AcadĂ©mie des Sciences. Sans s’attacher, comme ses confrĂšres, Ă  rechercher follement l’agent opĂ©rateur de merveilles qu’il importait bien plus de constater que d’expliquer, d’Eslon rendit hautement tĂ©moignage de ce qu’il avait vu, et dit Ă  qui voulut l’entendre que Mesmer Ă©tait possesseur du secret le plus prĂ©cieux. D’Eslon fit plus encore, il offrit Ă  Mesmer sa mĂ©diation auprĂšs de la FacultĂ©, et le dĂ©cida Ă  rĂ©diger un MĂ©moire sur sa dĂ©couverte h Lorsque ce MĂ©moire fut terminĂ©, d’Eslon rĂ©unit chez lui douze de ses confrĂšres Ă  dĂźner pour entendre la lecture du manuscrit. On se rendit fidĂšlement Ă  ce rendez-vous scientifique. La lecture eut lieu au dessert, et Mesmer y joignit la proposition de faire dans un hĂŽpital les expĂ©riences les plus propres Ă  vider la question. Cette proposition fut acceptĂ©e.... Le moyen de s’en dĂ©fendre chez son amphitryon ! Mais ou ne dĂźne point Ă  l’hĂŽpital, et, lorsqu’il s’agit de l’exĂ©cution, d’Eslon ne parvint plus Ă  rassembler ses convives. Cependant, le MĂ©moire imprimĂ©, Mesmer crut de 1 MĂ©moire sur la decouverte du Magnet. animal, par Mesmer. Paris, 1779. MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 143 son devoir d’en adresser un exemplaire au doyen de la FacultĂ©. Mais M. le Vacher de la Feutrie Ă©tait apparemment aussi dĂ©nuĂ© de politesse que de loyautĂ© scientifique; car, non content de ne pas communiquer l’ouvrage Ă  ses collĂšgues, il ne fit pas mĂȘme Ă  l’auteur l’honneur de lui rĂ©pondre. En vĂ©ritĂ©, lorsqu’on lit ces dĂ©tails, on peut encore soupçonner Mesmer d’intrigue et de cupiditĂ©, mais on ne peut s’empĂȘcher d’admirer sa patience. Au reste, nous avons nous-mĂȘme eu besoin, Ă  cet Ă©gard , de profiter de ses leçons et d’apprendre de lui Ă  ne pas plus nous dĂ©concerter des quolibets des sots que de la morgue insolente de certains beaux esprits. Enfin, en dĂ©sespoir de cause, Mesmer pensa qu’il fallait se restreindre, et se contenter de convaincre trois Ă  quatre mĂ©decins, assez amis de la vĂ©ritĂ© pour la professer hautement dĂšs qu’ils l’auraient reconnue. MM. Bertrand, Maloet et Sollier de la Rominais lui furent donc Ă  cet effet prĂ©sentĂ©s par d’Eslon. Pauvre d’Eslon ! que n’aviez-vous en main la lanterne de DiogĂšne? peut-ĂȘtre qu’avec son aide vous eussiez mieux choisi, car Dieu sait comment se comportĂšrent ces amis de la vĂ©ritĂ©. Le premier sujet qu’on leur prĂ©senta fut un paralytique, auquel huit jours d’un traitement magnĂ©tique rendirent la chaleur et la sensibilitĂ©, complĂštement Ă©teintes dans les membres infĂ©rieurs. — Chaleur et sensibilitĂ©, dirent nos trois mĂ©decins, peuvent ĂȘtres dues Ă  la seule nature. Une jeune fille Ă©tait encore dans un Ă©tat plus triste que le paralytique. La scrofule, celte horrible affection 144 QUATRIÈME LEÇON, que guĂ©rissaient jadis nos rois, mais que les mĂ©decins ne guĂ©rissent point malgrĂ© la dĂ©couverte de l’iode, la scrofule avait couvert son corps de tumeurs ulcĂ©rĂ©es. La maladie avait envahi les paupiĂšres et la conjonctive un des yeux mĂȘme s’était fondu, changĂ© en une plaie hideuse, et l’infortunĂ©e n’y voyait plus de celui qui lui restait. — Or, aprĂšs six semaines de traitement, cette fille avait repris de l’embonpoint, elle y voyait parfaitement de son Ɠil Ă©clairci, et la plupart des plaies s’étaient cicatrisĂ©es. — Mais Ă  cet Ăąge, objectĂšrent nos docteurs, la nature est si puissante! = La nature, hommes sans foi, aurait pu leur dire Mesmer, pourquoi donc vous sert-elle si mal lorsque vous prĂ©tendez lui venir en aide? Enfin, plusieurs cures analogues Ă  celles que je viens de citer, et qui faisaient dans le public la plus grande sensation, ne parurent rien prouver Ă  ces messieurs, que la rĂ©surrection de Lazare n’eĂ»t sans doute pas convaincus. Ce ne fut pourtant qu’a prĂšs sept mois entiers de scĂšnes fatigantes et insipides la sottise a quelquefois la persistance du gĂ©nie que d’EsIon, Ă  la priĂšre de Mesmer dont la patience Ă©tait Ă  bout, les congĂ©dia eu les remerciant de leur louable assistance. Cependant, Ă  cette Ă©poque, d’Eslon s’occupa Ă  rĂ©diger ses observations sur le magnĂ©tisme ', et son livre n’avait pas encore paru qu’il Ă©tait dĂ©jĂ  la proie des libellĂątes de haut et bas Ă©tage. Un M. Dehorne, entre autres, instruit apparemment de cette prochaine publication, fit paraĂźtre, peu de 1 Observations sur le MagnĂ©tisme animal, par M. d’Eslon. Paris, 1780. MESMER ET LES COUPS SAVANTS. 145 jours auparavant, une brochure intitulĂ©e RĂ©ponse d’un mĂ©decin de Paris Ă  un mĂ©decin de province sur le prĂ©tendu magnĂ©tisme animal. Cet ouvrage Ă©tait absurde et ne pouvait manquer de l’ĂȘtre ; l’auteur n’avait aucune idĂ©e de la chose dont il parlait. — Que de gens, depuis ont suivi sa mĂ©thode ! La France est la terre classique des opinions prĂ©conçues. — Enfin l’ouvrage de d’Eslon parut, et la FacultĂ©, indignĂ©e qu’un de ses membres, un de ses docteurs- rĂ©gents eĂ»t osĂ© prendre publiquement la dĂ©fense du magnĂ©tisme, s’assembla, et, comme vous verrez, lança ses foudres sur l’imprudent qui avait prĂ©fĂ©rĂ© la vĂ©ritĂ© Ă  Platon... je me trompe, Ă  l’esprit de corps. — Une circonstance solennelle devait ĂȘtre bientĂŽt pour elle l’occasion d’éclater. Mesmer, sentant la nĂ©cessitĂ© de rendre le public juge de sa conduite, rĂ©digea plusieurs propositions qu’il pria d’Eslon, devenu son ami intime, de communiquer Ă  la FacultĂ©. Voici le texte de ces propositions, qui forment une piĂšce importante dans l’histoire moderne du magnĂ©tisme La dĂ©couverte du magnĂ©tisme animal a donnĂ© lieu Ă  l'impression d’un MĂ©moire dans lequel il est avancĂ© que la nature offre un moyen universel de guĂ©rir et de prĂ©server les hommes; qu’avec cette connaissance, le mĂ©decin jugera sĂ»rement l’origine, la nature et les progrĂšs des maladies, mĂȘme les plus compliquĂ©es; qu’il en empĂȘchera l’accroissement et parviendra Ă  leur guĂ©rison sans jamais exposer le malade Ă  des effets dangereux ou Ă  des suites fĂącheuses, quel que soit l’ñge, le tempĂ©rament et le sexe. 10 146 QUATRIÈME LEÇON. Ce systĂšme, en opposition Ă  toutes les idĂ©es reçues, a passĂ© pour illusoire. L’auteur de la dĂ©couverte s’y attendait; mais il n’a pas tardĂ© Ă  justifier le raisonnement par le fait. II a entrepris, aux yeux de tout Paris., un nombre considĂ©rable de traitements. Les soulagements procurĂ©s et les cures opĂ©rĂ©es par le magnĂ©tisme animai,, ont invinciblement prouvĂ© la vĂ©ritĂ© des assertions avancĂ©es. NĂ©anmoins, il faut observer que les expĂ©riences faites jusqu’à ce jour ont dĂ©pendu de tant de volontĂ©s diverses, que la plupart n’ont pu ĂȘtre portĂ©es au point de perfection dont elles Ă©taient susceptibles ; car, si quelques malades ont suivi leurs traitements avec la constance et l’assiduitĂ© nĂ©cessaires, il en est un grand nombre qui les ont sacrifiĂ©s Ă  des convenances Ă©trangĂšres. Si l’auteur ne visait qu’à la cĂ©lĂ©britĂ©, il suivrait constamment la mĂȘme marche ; mais l’espoir d’ĂȘtre plus gĂ©nĂ©ralement utile lui en prescrit une autre. Il a pour but de convaincre le gouvernement; mais le gouvernement ne peut raisonnablement statuer, en pareilles matiĂšres, qu’à l’aide des savants. S’il est en Europe un corps qui, sans prĂ©somption, puisse se flatter d’une prĂ©pondĂ©rance non rĂ©cusable dans l’objet dont il est question, c’est sans doute i,a FacultĂ© de MĂ©decine de Paris. S’adresser par son entremise au gouvernement est donc la preuve la plus formelle de la sincĂ©ritĂ© de l’auteur et de l’honnĂȘtetĂ© de ses vues. En consĂ©quence, il propose Ă  la FacultĂ© de prendre, MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 147 d’un commun accord, et sous les auspices formels du gouvernement, les moyens les plus dĂ©cisifs de constater FutilitĂ© de sa dĂ©couverte. Rien ne paraĂźtrait mener plus directement Ă  ce but que Fessai comparatif de la mĂ©thode nouvelle avec les mĂ©thodes anciennes. L’administration des remĂšdes usitĂ©s ne pouvant ĂȘtre en meilleures mains qu’en celles de la FacultĂ©, il est Ă©vident que, si la mĂ©thode nouvelle obtenait l’avantage sur l’ancienne, les preuves en sa faveur seraient des plus positives. Voici quelques-uns des arrangements qui pourraient ĂȘtre pris Ă  cet Ă©gard. Il est inutile de dire que, de part et d’autre, on doit conserver la plus grande libertĂ© d’opinions et une autoritĂ© Ă©gale sur les malades soumis Ă  chaque traitement i° Solliciter l’intervention du gouvernement; mais comme il est aisĂ© de sentir que la demande d’un corps tel que la FacultĂ© doit avoir plus de poids que celle d’un particulier, il serait Ă  propos qu’avant tout la FacultĂ© se chargeĂąt de cette nĂ©gociation. a° Faire choix de vingt-quatre malades, dont douze seraient rĂ©servĂ©s par la FacultĂ© pour ĂȘtre traitĂ©s par les mĂ©thodes ordinaires ; les douze autres seraient remis Ă  l’auteur, qui les traiterait suivant sa mĂ©thode particuliĂšre. 3° L’auteur exclut de ce choix toute maladie vĂ©nĂ©rienne. 4° Il serait prĂ©alablement dressĂ© procĂšs-verbal de l’état de chaque malade; chaque procĂšs-verbal serait signĂ© tant par les commissaires de la FacultĂ© que par 148 QUATRIÈME LEÇON', l’auteur et par les personnes proposĂ©es par le gouvernement. 5“ Le choix des malades serait fait parla FacultĂ©, ou par la FacultĂ© et l’auteur rĂ©unis. a 6° Pour Ă©viter toutes discussions ultĂ©rieures et toutes les exceptions que l’on pourrait faire d’aprĂšs la diffĂ©rence d’ñge, de tempĂ©raments, de maladies, de leurs symptĂŽmes, etc., la rĂ©partition des malades se ferait par la voie du sort. 7 ° La forme de chaque examen comparatif des maladies et de leurs Ă©poques serait fixĂ©e d’avance, afin que, par la suite, il ne pĂ»t s’élever aucune discussion raisonnable sur les progrĂšs obtenus par l’une ou l’autre de ces mĂ©thodes. 8 ° La mĂ©thode de l’auteur exigeant peu de frais, il ne demanderait aucune rĂ©compense de ses soins; mais il paraĂźtrait naturel que le gouvernement prĂźt sur lui les dĂ©penses relatives Ă  l’entretien des vingt-quatre malades. 9 0 Les personnes prĂ©posĂ©es par le gouvernement assisteraient Ă  chaque examen comparatif des malades, et en signeraient les procĂšs-verbaux; mais comme il est essentiel d’éviter, de la part du public, toutes les inculpations d’intelligence ou de connivence, il serait indispensable que les prĂ©posĂ©s du gouvernement ne fussent pris dans aucun corps de mĂ©decine. L’auteur se flatte que la facultĂ© de mĂ©decine de Paris ne verra dans les propositions ci-dessus qu’un juste hommage rendu Ă  ses lumiĂšres, et l’ambition de faire prospĂ©rer, par les soins d’un corps cher Ă  la nation, la vĂ©ritĂ© qui peut lui ĂȘtre la plus avantageuse. » Telles Ă©taient les propositions rĂ©digĂ©es par Mesmer. MESMER ET LES COUPS SAVANTS. 149 J’avoue qu’au premier abord elles peuvent sembler tĂ©mĂ©raires. N’était-ce pas Ă©trange, en effet, qu’un simple particulier,qu’un Ă©tranger,qu’un mĂ©decin deVienne, conçût la prĂ©tention d’imposer des conditions Ă  la facultĂ© de mĂ©decine de Paris, et de traiter de puissance Ă  puissance avec le premier corps mĂ©dical du monde? Mais si l’on considĂšre que Mesmer, Ă  cette Ă©poque, jouissait dĂ©jĂ  d’une immense rĂ©putation, si l’on tient compte de l’adhĂ©sion publique donnĂ©e Ă  sa doctrine par une foule de notabilitĂ©s scientifiques, littĂ©raires, artistiques, nobiliaires, et qui plus est mĂ©dicales, on conviendra que cette doctrine, abstraction faite de son auteur , mĂ©ritait quelque attention; et comme, d’un autre cĂŽtĂ©, il ne paraissait exister aucun autre moyen de constater avec impartialitĂ© les effets thĂ©rapeutiques de la mĂ©thode de Mesmer que d’accepter ses propositions, la dignitĂ© mĂȘme de la FacultĂ© semblait lui faire un devoir d’y souscrire. Mais l’illustre corps' mĂ©dical comprit autrement sa mission. D’Eslon, d’aprĂšs les statuts, ne pouvait prĂ©senter que dans une assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale les propositions de Mesmer. Il alla donc trouver Ă  cet effet M. le Vacher de la Feutrie, alors doyen en charge, et le pria de convoquer cette assemblĂ©e. M. le Vacher, qui avait de l’amitiĂ© pour d’Eslon, fut alarmĂ© de sa demande, et lui reprĂ©senta tous les dangers qu’il encourait en se prononçant aussi ouvertement pour un systĂšme condamnĂ© d’avance. NĂ©anmoins, comme d’Eslon insista, l’assemblĂ©e, aprĂšs de nombreux dĂ©lais, fut enfin accordĂ©e pour le 18 septembre 1780, jour fatal ou la FacultĂ© de 150 QUATRIÈME LEÇON. Paris devait se dĂ©shonorer par un de ces arrĂȘts Ă  la fois stupides et ridicules dont les annales de l’inquisition fournissent seules des exemples. Mais il faut que vous sachiez d’abord que, pendant que d’Eslon, n’écoutant que la voix de l’honneur et de la conviction, se dĂ©vouait pour le magnĂ©tisme par une dĂ©marche dont il ne se dissimulait point le pĂ©ril, un de ses ennemis personnels, M. Roussel de Vauzesmes, lancĂ© contre le magnĂ©tisme par les dĂ©tracteurs de Mesmer, sollicitait aussi, de son cĂŽtĂ©, une assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, pour dĂ©noncer Ă  la FacultĂ© la conduite et le livre de d’Eslon. Or,par suite d’une combinaison absurde ou ignoble, l’assemblĂ©e qu’il demandait lui fut accordĂ©e, comme Ă  d’Eslon, pour le 18 septembre!....'—N’est-ce pas qu’elles sont hideuses ces basses intrigues de l’envie dans les hautes rĂ©gions delĂ  science? N’est-ce pas qu’il y avait bien de la sottise ou de la lĂąchetĂ© Ă  mettre ainsi en prĂ©sence des opinions encore plus passionnĂ©es que contradictoires, afin d’avoir Ă  opposer l’emportement et l’outrecuidance d’un jeune homme Ă  la noble et grave conviction d’un savant?—Enfin lejour de cette fameuse assembleĂ© arriva, et sans connaĂźtre encore quelles pouvaient ĂȘtre les propositions dont d’Eslon Ă©tait chargĂ©, M. de "Vauzesmes se leva le premier et, demandant la parole, commença en ces termes De tous temps, il a existĂ© des gens Ă  secret, posses- seurs de recettes miraculeuses pour la guĂ©rison des maladies; et le public, ignorant en mĂ©decine, a toute jours Ă©tĂ© la dupe des vaines promesses de ces aventu- riers. Ils n’établissent nulle part une demeure fixe, car leurs manƓuvres sont bientĂŽt mises au grand MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 151 jour; et ce mĂȘme public, honteux d’avoir Ă©tĂ© grossiĂšre rement sĂ©duit, les traite ensuite avec l’indignation qu’ils ont justement encourue. Mais, par une faiblesse attachĂ©e Ă  l’humanitĂ©, qui ne cesse de courir aprĂšs l’erreur, s’il vient encore Ă  paraĂźtre sur la scĂšne un nouveau charlatan, il attire bien vite les regards de la multitude. Ainsi, M. Mesmer, aprĂšs avoir fait pendant assez longtemps beaucoup de bruit Ă  Vienne en Aller triche; aprĂšs avoir Ă©tĂ©, comme c’est la coutume, dĂ©- masquĂ© et ridiculisĂ©, est venu Ă©tablir son théùtre dans cette capitale, oĂč, depuis prĂšs de trois ans, il donne des reprĂ©sentations le plus tranquillement du monde, re Tous les mĂ©decins qui exercent ici noblement leur profession se contentaient de le mĂ©priser, et certai- nement son rĂšgne aurait Ă©tĂ© de courte durĂ©e, si M. d’Eslon, un de nos confrĂšres, ne s’était point donnĂ© ouvertement comme son procureur, son prĂŽneur et son satellite; et le titre de docteur-rĂ©gent de cette Face culte,dont M. d’Eslon est revĂȘtu, n’a pas peu contri- cc huĂ© Ă  donner au jongleur allemand une espĂšce de cĂ©lĂ©britĂ© momentanĂ©e Ă  laquelle il ne devait pas s’at- cc tendre... » VoilĂ  dans quels termes M. de Vauzesmes, un jeune homme, je le rĂ©pĂšte, attaquait une dĂ©couverte que sanctifiaient dĂ©jĂ  les plus grands noms de l’époque, et dont il n’avait pas la moindre idĂ©e. Que de vaniteuses mĂ©diocritĂ©s, qui ne veulent rien voir ou qui ne savent rien comprendre, ont depuis soixante ans rhabillĂ© contre nous les lieux communs qu’il dĂ©bitait. — Charlatans! charlatans!... VoilĂ  votre grand mot, votre cheval de bataille, votre argument sans rĂ©plique, n’est-ce pas, mes 152 QUATRIÈME LEÇON, illustres confrĂšres en mĂ©decine, vous autres, hauts barons d’une science Ă  laquelle vous ne croyez soyons francs entre nous guĂšre plus qu’au magnĂ©tisme. — Mais j’oublie qu’il ne s’agit que de Mesmer et de d’Eslon, et que je ne suis point en cause. M. de Yauzesmes poursuivit sur le mĂȘme ton pendant une demi-heure, injuriant au lieu de discuter, et se contentant de nier les cures rapportĂ©es dans l’ouvrage de d’Eslon pour s’éviter l’embarras d’en expliquer la cause ; ce fut ainsi qu’il termina J’aurai rempli la tĂąche que je me suis imposĂ©e, si j’ai pu, messieurs, vous prouver les manƓuvres de M. Mesmer, l’association scandaleuse de M. d’Eslon avec les charlatans. Si je vous ai fait voir qu’il avait injuriĂ© les corps littĂ©raires et spĂ©cialement celte Fa- culte ; enfin, si j’ai dĂ©montrĂ© le ridicule, le faux de ses principes, l’absurditĂ©, l’impossibilitĂ©, la faussetĂ© des cures qu’il vous prĂ©sente Ă  examiner, j’attaque seule- ment sa ridicule et trĂšs-dangereuse doctrine 1 que je regarde comme ennemie du bien public, et qui cora- promet cette compagnie, puisque c’est comme doeteur- rĂ©gent de cette FacultĂ© qu’il la soutient, cette doctrine. Je laisse Ă  votre jugement, messieurs, Ă  dĂ©cider sur l’ouvrage de M. d’Eslon, car, je le rĂ©pĂšte, je n’en veux point Ă  sa personne 2 . » 1 TrĂšs-dangereuse doctrine !.... » OĂč donc Ă©tait le danger si le magnĂ©tisme n’était rien? — La passion et la logique sont choses contradictoires. 8 Je n’en veux point Ă  sa personne. » — AprĂšs les grossiĂšres injures qui venaient de lui Ă©chapper, M. de Yauzesmes avait besoin de faire cette dĂ©claration; son auditoire aurait assurĂ©ment supposĂ© le qon* traire. 1 53 MESMER ET TES CORPS SAVANTS. Il faut bien croire que le mĂ©pris donne quelquefois du cahne et de la rĂ©signation, car d’Eslon eut la patience d’écouter jusqu’au bout les diatribes et les outrages de son antagoniste. A son tour, il prit la parole, et, par un discours aussi sage que digne, il essaya de provoquer une conciliation, en mĂ©nageant habilement l’amour-propre de. ses collĂšgues. Enfin, il donna lecture des fameuses propositions;et, aprĂšs avoir dĂ©posĂ© son manuscrit sur le barreau, il sortit pour laisser dĂ©libĂ©rer. Lorsqu’il rentra, le doyen lui lut un dĂ©cret portant la dĂ©libĂ©ration singuliĂšre que voici a “Injonction d’ĂȘtre plus circonspect Ă  l’avenir; a° Suspension pendant un an de voix dĂ©libĂ©rative dans les assemblĂ©es de la FacultĂ©; 3° Radiation, Ă  l’expiration de l’annĂ©e, du tableau des mĂ©decins de la FacultĂ©, s’il n’avait pas Ă  cette Ă©poque dĂ©savouĂ© ses observations sur le magnĂ©tisme animal; 4° Les propositions de Mesmer rejetĂ©es. Ceci se passait, je vous l’ai dit, le 18 septembre 1780, non pas au Divan, non pas au conseil des Dix, non pas au tribunal de l’Inquisition, mais au sein d’un des plus cĂ©lĂšbres corps savants de l’Europe, Ă  la facultĂ© de MĂ©decine de Paris! — Vus de prĂšs, les hommes sont, j’en conviens, quelquefois bien repoussants ; mais, vus de loin , ils font pitiĂ© ! Cependant la dĂ©cision de la FacultĂ© n’eut pas, Ă  beaucoup prĂšs, le succĂšs qu’on s’en Ă©tait promis. O11 ne vit, dans cette dĂ©cision, qu’un acte de rĂ©voltante partialitĂ©; et les propositions de Mesmer, insĂ©rĂ©es dans le Journal de Paris , firent dans l’opinion publique une 154 QUATRIÈME LEÇON, vĂ©ritable rĂ©volution. Le moyen, en effet, de ne voir qu’un charlatan vulgaire dans un homme qui prĂ©sentait tous les moyens de vĂ©rifier sa dĂ©couverte et d’en constater l’utilitĂ©? Le charlatanisme craint le grand jour, et ce n’est qu’en opĂ©rant dans l’ombre qu’ abuser un instant les hommes inattentifs. NĂ©anmoins, comme vous le pensez bien, la conduite de laFacultĂ© fut sensible Ă  Mesmer, et sans les instances de ses nombreux amis et de seswalades, plus nombreux encore, il quittait immĂ©diatement Paris. Enfin, il se dĂ©cida Ă  s’adresser directement au gouvernement, et ce fut encore d’EsIon qui, bravant de nouveaux anathĂšmes, se chargea d’entamer cette derniĂšre nĂ©gociation. Sur ces entrefaites, M. de Lassonne, premier mĂ©decin du roi, dĂ©clara, de maniĂšre Ă  ne pouvoir plus se rĂ©tracter, qu’il Ă©tait entiĂšrement convaincu de l’existence et de l’utilitĂ© du magnĂ©tisme animal. Heureux d’un appui sur lequel ils n’avaient pas comptĂ©, Mesmer et d’EsIon s’adressĂšrent aussitĂŽt Ă  ce mĂ©decin et lui soumirent leurs intentions. Dans le MĂ©moire que d’EsIon lui remit, Mesmer demandait des commissaires, non pour examiner ses procĂ©dĂ©s, mais pour prendre connaissance des faits et en rendre compte. M. de Lassonne, qui paraissait d’abord tout approuver, indiqua MM. d’Angevilliers, Saron, de Montigny, d’Aubenton, BĂącher, Grandelas, Lorry et Mauduyt, tous membres de l’AcadĂ©mie ou de la FacultĂ©. Cette affaire, qui ne semblait plus admettre aucune difficultĂ©, se termina pourtant d’une façon singuliĂšre. AprĂšs maints dĂ©lais inexplicables, d’EsIon, pressant MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 155 M. de Lassonne d’arriver Ă  une conclusion, celui-ci lui rĂ©pondit enfin que les commissaires dĂ©signĂ©s ayant trouvĂ© la commission inadmissible, il s’agissait de pourvoir Ă  de nouveaux arrangements. Cette solution n’était pas claire; et Mesmer ayant eu la curiositĂ© de pĂ©nĂ©trer les vĂ©ritables motifs de ces juges rĂ©fractaires, apprit bientĂŽt, Ă  sa grande surprise, qu’aucun des prĂ©tendus commissaires n’avait Ă©tĂ© prĂ©venu. — Était-ce donc le dĂ©mon ou encore les jĂ©suites qui avaient menti par la bouche de M. de Lassonne? — Je ne sais, mais le plus patient des saints eut perdu , Ă  pareil jeu, sa place au paradis, et Mesmer, poussĂ© Ă  bout par tant de lĂąchetĂ©s et de trahisons, signifia enfin Ă  ses malades que, devant quitter la France, il finirait ses traitements le 1 5 avril suivant 1 y8 i . Cettenouvelle effrayatousceux qui avaient perdu confiance en la mĂ©decine ordinaire. Le nombre en Ă©tait grand, dit M, de Lausane, et parmi eux Ă©taient tant de gens de distinction que leurs alarmes pĂ©nĂ©trĂšrentbientĂŽt jusqu’au pied du trĂŽne. La reine ne dĂ©daigna pas de se mĂȘler de cette affaire; elle fit dire Ă  Mesmer qu’elle trouvait de l’inhumanitĂ© dans l’abandon de ses malades, et qu’il ne devait pas quitter la France de cette maniĂšre. Mesmer rĂ©pondit que son long sĂ©jour en France ne pouvait laisser aucun doute sur le dĂ©sir qu’il avait de la prĂ©fĂ©rer Ă  tous les autres États, exceptĂ© Ă  sa patrie ; mais que, dĂ©sespĂ©rant de voir une conclusion Ă  l’affaire importante qui l’y avait conduit, il s’était dĂ©cidĂ© Ă  profiter de la saison nouvelle pour faire des opĂ©rations, qu’à son grand regret il diffĂ©rait depuis longtemps; et que, d’ailleurs, il suppliaitSa MajestĂ© d’examiner qu’il y avait, 156 QUATH1ÈME LEÇON, jusqu’au i 5 avril, assez de temps pour prendre une dĂ©termination, si la nĂ©cessitĂ© d’en prendre une Ă©tait parfaitement reconnue. » Quelques jours aprĂšs, une personne de la cour, suffisamment autorisĂ©e, fit prier Mesmer et d’Eslon de venir s’entendre avec elle ; et, aprĂšs bien des dĂ©bats, Mesmer consentit Ă  signer les propositions suivantes, Ă  l’instant mĂȘme rĂ©digĂ©es Il est proposĂ© Que le gouvernement nomme cinq commissaires, dont deux seulement mĂ©decins, les trois autre§ g€n§ instruits, pour prendre les derniers renseignements que l’on juge nĂ©cessaires, dans l’objet de ne laisser aucun doute sur l’existence et l’utilitĂ© de la dĂ©couverte du magnĂ©tisme animal; Que les commissaires examinent un nombre dĂ©terminĂ© de malades traitĂ©s par M. Mesmer, lesquels malades seront indiffĂ©remment choisis dans ceux qui suivent encore les traitements par le magnĂ©tisme animal, ou dans ceux qui ne les suivent plus; Que cet examen porte sur la suite des procĂ©dĂ©s de M. Mesmer. — Voici Ă  peu prĂšs les questions que pourront faire les commissaires aux malades 1° Quel Ă©tait leur Ă©tat avant d’ĂȘtre soumis au magnĂ©tisme animal? — Les consultations et attestations des mĂ©decins de Paris ou autres pourraient ĂȘtre demandĂ©es Ă  l’appui; 2° Quels effets ils ont sentis pendant leur traitement, et quelle a Ă©tĂ© la marche de ces effets; — Si l’on interrogeait quelques malades actuellement entre les mains de M. Mesmer on examinerait les effets nuisibles, tels 157 MESMER ET LES COUPS SAVANTS, que l’embonpoint, les bouffissures, obstructions devenues sensibles, etc.; 3 ° S’ils ont pris des mĂ©dicaments pendant le traitement par le magnĂ©tisme animal? 4 ° Dans quel Ă©tat Ă©tait leur santĂ© lorsqu’ils ont quittĂ© M. Mesmer? Que si le rapport des commissaires est favorable Ă  la dĂ©couverte, le gouvernement reconnaĂźtra, par une lettre ministĂ©rielle i° Que M. Mesmer a fait une dĂ©couverte utile; 2° Que, pour rĂ©compenser M. Mesmer, et l’engager Ă  Ă©tablir et propager sa doctrine en France, le roi lui donnera, en toute propriĂ©tĂ©, un emplacement qui puisse lui convenir pour y traiter le plus avantageusement possible des malades et communiquer ses connaissances aux mĂ©decins; 3 ° Que, pour fixer M. Mesmer en France et reconnaĂźtre ses services, il lui sera accordĂ© une pension viagĂšre de 20,000 livres; Que Sa MajestĂ© exige de M. Mesmer qu’il reste en France jusqu’à ce qu’il ait suffisamment Ă©tabli sa doctrine et ses principes, et qu’il ne puisse la quitter qu’avec la permission du roi. Il est encore proposĂ© Que M. Mesmer jouisse des avantages qui lui seront accordĂ©s dĂšs le moment que le gouvernement aura reconnu l’utilitĂ© de la dĂ©couverte; Que le roi nomme une personne pour prĂ©sider et veillera l’établissement fait par M. Mesmer. J’ai acceptĂ© ces propositions, purement et simplement, mais Ă  la condition expresse quelles seront exĂ©- 158 QUATRIÈME LEÇON, cutĂ©es pour le quinziĂšme jour d’avril prochain, Ă©poque Ă  laquelle je ne serai plus engagĂ© Ă  rien , si les propositions ci-dessus n’ont pas Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es. A Paris , le 1 4 mars 1781. u SignĂ© Mesmer. » VoilĂ  donc Mesmer, l’inconnu, comme 011 disait, l’aventurier, le charlatan, qui traite d’égal Ă  Ă©gal avec le roi Louis XVI et daigne Ă  peine accepter, comme choses dues Ă  son mĂ©rite, les plus exorbitantes faveurs dont jamais ne se vit combler aucun savant français. Cette transaction, dispendieuse fantaisie d’une reine, qui, dans ses largesses envers Mesmer, fĂȘtait plutĂŽt son compatriote qu’elle ne rĂ©compensait le novateur, cette transaction, dis-je, me paraĂźt un des actes caractĂ©ristiques de ce gouvernement frivole, qui ne pouvait manquer de s’abĂźmer dans une rĂ©volution. Sans doute, entre Mesmer et les corps savants, il Ă©tait licite au gouvernement d’intervenir. Il Ă©tait mĂȘme de son devoir de rĂ©clamer officiellement, des acadĂ©mies, l’examen rĂ©gulier d’une dĂ©couverte qui obtenait de la part du public une adhĂ©sion presque gĂ©nĂ©rale ; mais en Ă©rigeant un piĂ©destal Ă  Mesmer, sans un rapport prĂ©alable sur le magnĂ©tisme, l’envie qu’on excitait contre sa personne se changeait en prĂ©ventions contre sa dĂ©couverte, et je suis persuadĂ© que rien ne fut plus fatal Ă  la nouvelle doctrine que la protection irrĂ©flĂ©chie de Marie-Antoinette. Au surplus, le gouvernement, qui, procĂ©dant toujours Ă  l’aventure, oubliait souvent le lendemain ses engage- MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 159 inents de la veille, agit alors avec Mesmer comme il lit plus tard avec la nation ses propositions n’eurent pas de suite. Le 28 mars, M. de Maurepas fĂźt appeler Mesmer, lui annonça que le roi voulait bien le dispenser d’ĂȘtre examinĂ© par des commissaires, et lui accordait une pension de 20,000 livres; qu’il lui paiei’ait, en outre, un loyer de 10,000 livres pour la maison que lui, Mesmer, reconnaĂźtrait propre Ă  former des Ă©lĂšves ; qu’au nombre de ses Ă©lĂšves, dont le choix dĂ©pendrait de Mesmer, s’en trouveraient trois du gouvernement, et qu’on lui accorderait de nouvelles grĂąces lorsque les Ă©lĂšves du gouvernement auraient reconnu l’utilitĂ© de sa dĂ©couverte. Mesmer refusa! Il eut tort, dit M. de Lausane, car, ces propositions acceptĂ©es, le magnĂ©tisme animal eĂ»t triomphĂ© sans aucun doute h Il eut raison, et voici pourquoi Les offres qui me sont faites, dit-il, me semblent pĂ©cher, en ce qu’elles prĂ©sentent mon intĂ©rĂȘt pĂ©cunier, et non l’importance de ma dĂ©couverte, comme l’objet principal. La question doit ĂȘtre absolument envisagĂ©e en sens contraire, car, sans ma dĂ©couverte, ma personne n’est rien. J’ai toujours agi conformĂ©ment Ă  ces principes, en sollicitant l’accueil de ma dĂ©couverte, jamais celui de ma personne. Si l’on n’y croit point, Ă  cette dĂ©couverte, 1 Annales du MagnĂ©tisme animal, t. I, p. 249. 160 QUATRIÈME LEÇON', on a Ă©videmment le plus grand tort de m’eu offrir 3o,ooo livres de rente; si l’on y croit, le sort de l’humanitĂ© ne doit point ĂȘtre sacrifiĂ© Ă  l’amour-propre de quelques savants, ni Ă  la crainte de faire quelques dĂ©penses indispensables. a Puisque l’on s’est Ă©levĂ© au-dessus des formes usitĂ©es, il me paraĂźt incomprĂ©hensible, ou tout au moins contradictoire, de penser Ă  me faire juger par mes Ă©lĂšves; cette clause, d’ailleurs, est rigoureusement inadmissible peut-on prĂ©voir quels intĂ©rĂȘts dicteront leur jugement? Que deviendrait, par exemple, la vĂ©ritĂ©, si l’on me donne pour Ă©lĂšves, commissaires et juges, MM. Maloet et Sollier 1 ? Quoique je me sois exposĂ© patiemment, pendant quinze annĂ©es consĂ©cutives, Ă  la dĂ©rision publique, je n’en suis pas plus disposĂ© Ă  signer ma honte ; et je regarderais comme trĂšs-avilissante pour moi, si elle Ă©tait fondĂ©e, la supposition que je pourrais accepter 20 , 3o, 4o et mĂȘme ioo mille livres de rente pour une vĂ©ritĂ© qu’au fond du cƓur je saurais ne pas exister, etc. » Que d’orgueil! se sont maintes fois Ă©criĂ©s, Ă  propos de ce refus, certains savants famĂ©liques pour qui les sentiments Ă©levĂ©s sont aussi inaccessibles que les vĂ©ritĂ©s nouvelles; que d’orgueil pour un charlatan! — Oui, certes, messeigneurs, noble orgueil 2 s’il en fut; mais * Il y a plus de dĂ©pit que de logique dans ces derniĂšres objections de Mesmer, puisqu’aux ternies des conditions qui lui Ă©taient offertes il devait rester libre de choisir ses Ă©lĂšves. 2 Pourquoi faut-il que la conduite ultĂ©rieure de Mesmer lasse suspecter son dĂ©sintĂ©ressement dans cette circonstance! MESMEIt ET TES COUPS SAVANTS. 161 cet orgueil-lĂ  vous ne l’aurez jamais et vous ne sauriez le comprendre. M. de Maurepas combattit de son mieux les raisons de Mesmer; mais ce dernier fut inĂ©branlable. La lettre suivante , que de retour chez lui il Ă©crivit Ă  la reine, renferme d’ailleurs l’explication plus dĂ©taillĂ©e de sa conduite, et ses vĂ©ritables intentions Madame, Je n’aurais dĂ» Ă©prouver que les mouvements de la satisfaction la plus pure, en apprenant que Votre MajestĂ© daignait arrĂȘter ses regards sur moi; et cependant ma situation pĂšse douloureusement sur mon cƓur. On a prĂ©cĂ©demment peint Ă  Votre MajestĂ© le projet que j’avais de quitter la France comme contraire Ă  l’humanitĂ©, en ce que j’abandonnais des malades Ă  qui mes soins Ă©taient encore nĂ©cessaires. Aujourd’hui je ne doute point qu’on n’attribue Ă  des motifs intĂ©ressĂ©s mon refus indispensable des conditions qui m’ont Ă©tĂ© offertes au nom de Votre MajestĂ©. Je n’agis, madame, ni par inhumanitĂ©, ni par aviditĂ©. J’ose espĂ©rer que Votre MajestĂ© me permettra d’en placer les preuves sous ses yeux; avant toute chose, je dois me rappeler qu’elle me blĂąme ; et mon premier soin doit ĂȘtre de faire parler ma respectueuse soumission pour ses moindres dĂ©sirs. Dans cette vue,uniquement par respect pour Votre MajestĂ©, je lui offre l’assurance de prolonger mon sĂ©jour en France jusqu’au 18 septembre prochain, et d’y continuer jusqu’à cette Ă©poque mes soins Ă  ceux de mes malades qui me continueront leur confiance. Il 162 QUATRIÈME LEÇON. Je supplie instamment Votre MajestĂ© de considĂ©rer que cette offre doit ĂȘtre Ă  l’abri de toute considĂ©ration recherchĂ©e... C’est Ă  Votre MajestĂ© que j’ai l’honneur de la faire ; mais indĂ©pendante de toutes grĂąces, de toutes faveurs, de toute espĂ©rance autre que celle de jouir, Ă  l’abri de la puissance de Votre MajestĂ©, de la tranquillitĂ© et de la sĂ»retĂ© mĂ©ritĂ©es qui m’ont Ă©tĂ© accordĂ©es dans ses Etals depuis que j’y fais mon sĂ©jour; c’est enfin, madame, en dĂ©clarant Ă  Votre MajestĂ© que je renonce Ă  tout espoir d’arrangement avec le gouvernement français, que je la supplie d’agrĂ©er le tĂ©moignage de la plus humble, de la plus respectueuse et de la plus dĂ©sintĂ©ressĂ©e des dĂ©fenses. Jecherche,madame,un gouvernement qui aperçoive la nĂ©cessitĂ© de ne pas laisser introduire lĂ©gĂšrement dans le monde une vĂ©ritĂ© qui, par son influence sur le physique des hommes, peut opĂ©rer des changements que, dĂšs leur naissance, la sagesse et le pouvoir doivent contenir et diriger dans un cours et vers un but salutaires. JjCS conditions qui m’ont Ă©tĂ© proposĂ©es au nom de Votre MajestĂ© ne remplissant pas ces vues, l’austĂ©ritĂ© de mes principes me dĂ©fendait impĂ©rieusement de les accepter. Dans une cause qui intĂ©resse l’humanitĂ© au premier chef, l’argent ne doit ĂȘtre qu’une considĂ©ration secondaire. Aux yeux de Votre MajestĂ©, quatre ou cinq cent mille francs de plus ou de moins employĂ©s Ă  propos ne sont rien le bonheur des peuples est tout. Ma dĂ©couverte doit ĂȘtre accueillie, et moi rĂ©compensĂ© avec une munificence digne du monarque auquel je m’attacherai. Ce qui doit me disculper sans rĂ©plique de toute fausse interprĂ©tation Ă  cet Ă©gard, c’est que depuis mon sĂ©jour MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 163 dans vos Etats je n’ai tyrannisĂ© aucun de vos sujets. Depuis trois ans, je reçois chaque jour des offres pĂ©cuniaires; Ă  peine mon temps suffit Ă  les lire, et je puis dire que, sans compter, j’en ai brĂ»lĂ© pour des sommes considĂ©rables. Mamarche dans les États de Votre MajestĂ© a toujours Ă©tĂ© uniforme; ce n’est assurĂ©ment ni par cupiditĂ©, ni par amour d’une vaine gloire que je me suis exposĂ© au ridicule prĂ©texte dont votre AcadĂ©mie des sciences, votre SociĂ©tĂ© royale et votre facultĂ© de mĂ©decine de Paris ont prĂ©tendu me couvrir tour Ă  tour. Lorsque je l’ai fait, c’était parce que je croyais devoir le faire. AprĂšs leur refus, je me suis cru au point que le gouvernement devait me regarder de ses propres yeux. TrompĂ© dans mon attente, je me suis dĂ©terminĂ© Ă  chercher ailleurs ce que je ne pouvais plus raisonnablement espĂ©rer ici, Je me suis arrangĂ© pour quitter la France dans le mois d’avril prochain ; c’est ce qu’on appelle inhumanitĂ©, comme si ma marche n’avait pas Ă©tĂ© forcĂ©e! Dans la balance de l’humanitĂ©, vingt ou vingt-cinq malades, quels qu’ils soient, ne pĂšsent rien Ă  cĂŽtĂ© de l’humanitĂ© entiĂšre; et pour faire l’application de ce principe Ă  une personne que Votre MajestĂ© honore de sa tendresse, ne puis-je pas dire que donner Ă  madame la duchesse deChaulnes la prĂ©fĂ©rence sur la gĂ©nĂ©ralitĂ© des hommes, serait au fond aussi condamnable Ă  moi que de n’apprĂ©cier ma dĂ©couverte qu’en raison de mes intĂ©rĂȘts personnels? Je me suis dĂ©jĂ  trouvĂ©, madame, dans la nĂ©cessitĂ© d’abandonner des malades qui m’étaient chers, et Ă  qui mes soins Ă©taient encore indispensables. Ce fut dans ce 164 QUATRIÈME LEÇON. temps que je quittai les lieux de la naisssanee de Votre MajestĂ©; ils sont aussi ma patrie! Alors pourquoi ne m’accusa-t-on pas d’inhumanitĂ©? Pourquoi, madame? parce que cette accusation grave devenait superflue, parce que l’on Ă©tait parvenu, par des intrigues plus simples, Ă  me perdre dans l’esprit de votre auguste mĂšre et de votre auguste frĂšre. Celui, madame, qui toujours aura comme moi prĂ©sent Ă  l’esprit le jugement des nations et de la postĂ©ritĂ©; celui qui se prĂ©pare sans cesse Ă  leur rendre compte de ses actions, supportera, comme je l’ai fait, sans orgueil, mais avec courage, un revers aussi cruel. Car il saura que, s’il est beaucoup de circonstances oĂč les rois doivent guider l’opinion des peuples, il en est encore un plus grand nombre oĂč l’opinion publique domine irrĂ©sistiblement sur celle des rois. Aujourd’hui, madame, ou me l’a assurĂ© au nom de Votre MajestĂ©, votre auguste frĂšre n’a que du mĂ©pris pour moi. Eh bien! quand l’opinion publique aura dĂ©cidĂ©, il me rendra justice si ce n’est pas de mon vivant il honorera ma tombe de ses regrets. Sans doute l’époque du 18 septembre que j’ai indiquĂ©e Ă  Votre MajestĂ© lui paraĂźtra extraordinaire; je la supplie de se rappeler qu’à pareil jour de l’annĂ©e derniĂšre il ne tint pas aux mĂ©decins de vos Etats qu’un de leurs confrĂšres, Ă  qui je dois tout, ne fĂ»t dĂ©shonorĂ© Ă  mon occasion ; ce jour-lĂ  fut tenue l’assemblĂ©e de la facultĂ© de mĂ©decine de Paris, oĂč furent rejetĂ©es mes propositions. Et quelles propositions! Votre MajestĂ© les connaĂźt. J’ai toujours cru, madame, et je vis encore dans la persuasion qu’aprĂšs un Ă©clat aussi avilissant pour les mĂ©decins de votre ville de Paris, toute personne Ă©clairĂ©e MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 165 ne pouvait plus se dispenser de fixer les yeux sur ma dĂ©couverte, et que la protection de toute personne puis- , santĂ© lui Ă©tait dĂ©volue sans difficultĂ©. Quoi qu’il en soit, i au 18 septembre prochain, il y aura un an que j’aurai fondĂ© mes soins sur les soins vigilants et paternels du gouvernement. A cette Ă©poque, j’espĂšre que Votre MajestĂ© jugera mes sacrifices assez longs et que je ne leur ai ; fixĂ© un terme ni par inconstance, ni par humeur, ni par inhumanitĂ©, ni par jactance. J’ose enfin me flatter que sa protection me suivra dans les lieux oĂč ma destinĂ©e m’entraĂźnera loin d’elle; et que, digne protectrice de la vĂ©ritĂ©, elle ne dĂ©daignera pas d’user de son pouvoir sur l’esprit d’un frĂšre et d’un Ă©poux pour m’attirer leur bienveillance. - Je suis, etc.» Cette lettre serait pleine de convenance et fort honorable pour Mesmer si elle ne renfermait cette phrase Ă©trange, qui vous a sans doute frappĂ©s Aux yeux de Votre MajestĂ©, 4 ou 5oo ooo francs de plus ou de moins employĂ©s Ă  propos ne sont rien. » — Mesmer convoitait donc encore le chĂąteau dont la propriĂ©tĂ© lui avait Ă©tĂ© offerte dans les premiĂšres propositions du gouvernement, et, grĂące Ă  l’intervention de la duchesse de Chaulnes, que sa puissance magnĂ©tique avait mise Ă  sa discrĂ©tion , il n’abjurait pas encore ses ambitieuses espĂ©rances. O grands hommes, que vous ĂȘtes petits! Cependant l’opinion publique se tournait contre Mesmer. Le journalisme, cette mousse lĂ©gĂšre et vide qui, depuis son origine, se forme Ă  la surface des sociĂ©tĂ©s europĂ©ennes des agitations de tous les genres qui en 166 QUATRIÈME LEÇON, soulĂšvent la vase, le journalisme couvrait de ridicule le magnĂ©tisme et son inventeur. Les pamphlets pour ou contre se succĂ©daient rapidement, et faisaient retentir le monde savant de furieuses imprĂ©cations ou de niais Ă©clats de rire. Le plus remarquable de ces Ă©crits fut une lettre pseudonyme du cĂ©lĂšbre avocat Bergasse , qui > usant envers les dĂ©tracteurs du magnĂ©tisme de cette inflexible argumentation dont il accabla Beaumarchais, faisait retomber sur eux le ridicule avec lequel ils avaient eu l’imprudence de l’attaquer. Ici, malheureusemĂ«nt, se terminent les derniers actes honorables de la vie de Mesmer, qui vĂ©cut trop pour sa gloire. AprĂšs avoir admirĂ© ce grand acteur en scĂšne, pĂ©nĂ©trons dans la coulisse, oĂč nous le trouverons sans cothurne et sans fard. Que le fanatisme des magnĂ©tiseurs me fasse un crime de mon irrĂ©vĂ©rence, peu m’importe aprĂšs l’éloge, le blĂąme quand il est mĂ©ritĂ©. Mesmer eĂ»t-il Ă©tĂ© mon maĂźtre et mon ami, que je le jugerais avec ma conscience et point avec mon cƓur. Mesmer et d’Eslon , ces deux intimes jusqu’alors si dĂ©vouĂ©s l’un pour l’autre, scandalisĂšrent leurs contemporains par de pitoyables dĂ©mĂȘlĂ©s qui appartiennent aujourd’hui Ă  l’histoire. Tandis que le premier accomplissant, ou plutĂŽt feignant d’accomplir ses menaces de quitter la France, Ă©tait allĂ© se dĂ©lasser aux eaux de Spa de ses derniĂšres tribulations, lesecond,reconnaissant que lemagnĂ©tisme, Ă  dĂ©faut de mieux, Ă©tait un filon d’or pour celui qui l’exploitait, se mit hardiment en devoir de remplacer son maĂźtre, et d’escompter en son absence le secret Ă©ventĂ© dont Mesmer rĂȘvait encore la vente. Ce n’est MESMER ET LES COUPS SAVANTS. 167 pas tout l’examen officiel du magnĂ©tisme, qu’il avait autrefois sollicitĂ© de la facultĂ© de mĂ©decine pour le compte de Mesmer, il le demanda pour lui-mĂȘme, assurant que lui aussi avait opĂ©rĂ© des cures au moyen de la nouvelle dĂ©couverte. — RepoussĂ© de la FacultĂ© comme les fois prĂ©cĂ©dentes, il en appela au parlement. Quelles qu’aient Ă©tĂ© les conventions de Mesmer et de d’Eslon, cette nouvelle frappa, dit-on, le premier d’un coup de foudre; il s’écria que sa confiance Ă©tait trahie et Ă©crivit la lettre suivante Ă  M. Philip, alors doyen de la FacultĂ© Monsieur , On m’a fait lire le discours que M. d’Eslon a prononcĂ© dans votre assemblĂ©e du 20 du mois d’aoĂ»t dernier, et l’acte par lequel, pour avoir entretenu des relations avec moi, que vous regardez comme pratiquant illicitement la mĂ©decine, vous le suspendez de ses fonctions doctorales pendant l’espace de deux annĂ©es; aprĂšs quoi, s’il 11e change de conduite et de maximes, il sera dĂ©finitivement rayĂ© du tableau de la FacultĂ©. Je ne vous demanderai pas, monsieur, ce que c’est que pratiquer la mĂ©decine illicitement. Jusqu’à prĂ©sent, la mĂ©decine m’avait paru, non pas un droit, mais une science, et j’avais pensĂ© que celui qui dĂ©montre qu’il peut guĂ©rir ne devait pas ĂȘtre privĂ© de la libertĂ© de le faire. Je n’examinerai pas non plus s’il est vrai qu’on peut regarder comme pratiquant illicitement la mĂ©decine un homme reçu mĂ©decin dans une facultĂ© assez fameuse, avouĂ© depuis par votre propre gouvernement, qui a voulu se l’attacher par des offres honorables, et QUATRIÈME LEÇON, tenant dĂšs lors de la mĂȘme autoritĂ© que vous la permission d’exercer la profession qu’il a choisie. a Un autre objet m’occupe en ce moment. M. d’Eslon, dans son discours, aprĂšs avoir annoncĂ© que je ne devais plus retourner en France, quoiqu’il sĂ»t trĂšs-bien que mon absence n’était que momentanĂ©e, fait entendre qu’il est dĂ©positaire de mon systĂšme et de ma dĂ©couverte; et pour donner plus d’autoritĂ© Ă  ses paroles, il demande qu’d soit procĂ©dĂ©, par des commissaires choisis dans le sein de votre compagnie, Ă  l’examen de trente cures qu’il a, dit-il, opĂ©rĂ©es par le magnĂ©tisme animal. II est possible que M. d’Eslon ait opĂ©rĂ© des cures par le magnĂ©tisme animal. Devenu, par un concours de circonstances dont je crois inutile de rendre compte, le seul agent que je pusse employer auprĂšs des compagnies savantes que je dĂ©sirais associer Ă  mes travaux, ayant Ă©tĂ© ensuite mon interprĂšte quand il s’agit de rĂ©pondre aux propositions que le gouvernement a bien voulu me faire Ă  l’époque oĂč il a souhaitĂ© que je me fixasse en France, et depuis n’ayant nĂ©gligĂ© aucune occasion de publier avec Ă©clat son dĂ©vouement Ă  ma cause et son zĂšle pour le progrĂšs de mes opinions, M. d’Eslon m’avait paru un ami sĂ»r dont il ne me convenait pas de me dĂ©fier. InterrogĂ© frĂ©quemment par lui sur les malades que je traitais, sur ceux qu’il traitait lui-mĂȘme, je n’ai donc pas craint de lui faire entrevoir mes procĂ©dĂ©s. Ainsi, je ne serais pas surpris qu’en les imitant, comme j’entends dire qu’on les imite ailleurs, il ait produit des effets salutaires, et ceci ne prouverait autre MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 169 chose que la perfection du moyen que je mets en Ɠuvre. Mais je ne l’ai jamais positivement instruit, jamais je ne lui ai dĂ©voilĂ© la thĂ©orie trĂšs-Ă©tendue, et je crois assez profonde, qu’il faut Ă©tudier pour se dire, avec quelque vĂ©ritĂ©, possesseur de ma doctrine et de ma dĂ©couverte. Il y a plus, en lui faisant apercevoir combien les connaissances imparfaites que je lui laissais acquĂ©rir Ă©taient insuffisantes pour constituer proprement une science, comment dĂšs lors elles pouvaient devenir facilement abusives, et quel inconvĂ©nient il y aurait Ă  les divulguer avant que je fusse placĂ© dans des circonstances propres Ă  dĂ©velopper tout Ă  la fois le systĂšme auquel elles appartiennent, je l’avais engagĂ© Ă  ne pas s’en prĂ©valoir, surtout d’une maniĂšre publique; et, convaincu de la sagesse de mes motifs, il m’avait donnĂ© sa parole de garder le silence le plus absolu sur tout ce qu’il apprendrait auprĂšs de moi. Et cependant M. d’Eslon annonce qu’il a ma dĂ©couverte. Que fait-il en se permettant cette dĂ©marche? il se rend Ă©videmment coupable d’un double crime. II me trahit, parce qu’il dispose sans mon aveu d’une chose que je dois regarder comme ma propriĂ©tĂ©, et comme une propriĂ©tĂ© d’autant plus prĂ©cieuse qu’elle in’a coĂ»tĂ© plus de peine Ă  acquĂ©rir, et qu’elle m’a exposĂ© Ă  plus d’infortunes. Il en impose au public, parce qu’il essaie de faire croire, sans aucune restriction, qu’il peut me remplacer ; qu’on doit espĂ©rer de lui tout ce qu’on avait attendu de moi ; et que ses connaissances sont assez complĂštes pour que mon absence ne laisse point de regrets Ă  ceux qui avaient quelque opinion de mon savoir, 170 QUATRIÈME LEÇON. Or, monsieur, comme on est accoutumĂ© Ă  penser que M. d’Eslon n’agit que d’aprĂšs mon impulsion, comme en effet, jusqu’à pre'sent, nos dĂ©marches ont Ă©tĂ© Ă  peu prĂšs communes, et qu’à cause de nos relations anciennes la mesure de confiance qu’on aurait en lui serait infailliblement dĂ©terminĂ©e d’aprĂšs la confiance qu’on pourrait avoir en moi, il importe Ă  ma rĂ©putation, que je dois l’empĂȘcher de compromettre, et plus que cela au progrĂšs de ma doctrine, dont il connaĂźt Ă  peine quelques Ă©lĂ©ments, et dont mĂȘme, sous le prĂ©texte de faire le bien, je ne veux pas qu’on abuse, il importe, dis-je, qu’on sache quelle opinion j’ai de ses procĂ©dĂ©s; il faut surtout qu’on soit averti que je n’avouerai dĂ©sormais rien de ce qu’il pourra faire ; que ses fautes lui seront personnelles comme ses succĂšs ; et que ce n’est pas chez lui, quoiqu’il ait essayĂ© de le faire entendre, qu’il faut aller chercher le systĂšme de mes connaissances. M. d’Eslon ayant prononcĂ©, en prĂ©sence de votre compagnie, le discours dont je me plains, ce n’est qu’à vous, monsieur, que je peux recourir pour donner Ă  la dĂ©claration que je fais ici toute la publicitĂ© qu’elle doit avoir. Vos confrĂšres n’auraient certainement pas accueilli M. d’Eslon, dĂ©montrant mĂȘme qu’il avait ma dĂ©couverte, et que ma dĂ©couverte Ă©tait utile, parce qu’il leur eĂ»t paru odieux de profiter d’une chose qui ne peut appartenir Ă  personne sans l’abandon ou le consentement decelui qui en est le confrĂšres ne doivent donc pas approuver la conduite que M. d’Eslon a tenue dans cette circonstance. D’aprĂšs cela, monsieur, je me persuade que vous ne MESMER ET LES COUPS SAVANTS. 171 refuserez pas de lire, dans le mĂȘme lieu oĂč l’on a si publiquement abusĂ© de ma bonne foi, la lettre que j’ai l’honneur de vous Ă©crire. Plus accoutumĂ© Ă  la rĂ©signation qu’à la vengeance, je me tairais si je pouvais me taire; mais dans une affaire qui est devenue celle de toute ma vie, et de laquelle dĂ©pend aujourd'hui toute ma renommĂ©e, je dois la vĂ©ritĂ© au public, et je la lui dois d’autant plus que, si je gardais le silence, il pourrait ĂȘtre plus facilement trompĂ©. J’ose donc espĂ©rer, monsieur, que vous daignerez faire quelque attention Ă  ma demande. Comme il nĂ© s’agit en cette occasion ni de ma personne ni de mon systĂšme, mais d’un simple acte de justice, quelle que soit la diffĂ©rence de nos sentiments, j’ai une trop haute opinion de votre Ă©quitĂ© pour ne pas croire que vous nĂ© verrez ici que la nĂ©cessitĂ© de ma rĂ©clamation, et que vous voudrez bien mettre quelque empressement Ă  nie satisfaire. Je suis, etc. SignĂ© Mesmer, Docteur-mĂ©decin de la facultĂ© de Vienne. » Cette Ă©pĂźtre est Ă  la fois et la condamnation de la facultĂ© de mĂ©decine de Paris et la condamnation de Mesmer. La rĂ©clamation de ce dernier, qui Ă©tait juste en principe, ne l’était pas en fait; car Mesmer savait fort bien que le magnĂ©tisme tel que le pratiquait d’Eslon Ă©tait exactement conforme Ă  sa dĂ©couverte; mais la FacultĂ© l’ignorait, et sa conduite, en Se prononçant sur Mesmer d’aprĂšs les documents que lui offrait d’EsIou, 172 QUATRIÈME LEÇOX. n’était pas seulement une irrĂ©gularitĂ©, mais une injustice criante. Vous saurez d’ailleurs dans un instant comment les choses se passĂšrent; mais avant de continuer l’histoire du magnĂ©tisme, arrĂȘtons-nous encore sur le caractĂšre de son inventeur. Quelques-uns des malades de Mesmer qui l’avaient suivi Ă Spa, partagĂšrent son chagrin Ă  la nouvelle de ce qui se passait Ă  Paris, et rĂ©solurent entre eux d’assurer sa fortune et sa gloire en assurant ils le pensaient le bien de l’humanitĂ©. Ils formĂšrent donc le plan d’une souscription ayant pour objet de le mettre en Ă©tat de publier sa doctrine. Ce projet, fort goĂ»tĂ© par Mesmer, dĂ©termina promptement son retour Ă  Paris. Le plan de la souscription fut accueilli avec empressement de plusieurs personnes de distinction, telles que MM. de PuysĂ©gur, le Bailli des Barres, le P. GĂ©rard, Court de GĂ©- belin, etc. Au bout d’un mois, vingt souscriptions Ă©taient remplies, bien que le prix de chacune fĂ»t de ioo louis !.... Cet homme exerçait rĂ©ellement sur son entourage une influence magique! Cependant, en mĂȘme temps que ces arrangements avaient lieu, un ami de d’Eslon travaillait auprĂšs de Mesmer Ă  opĂ©rer entre eux une rĂ©conciliation qu’on croyait nĂ©cessaire Ă  la prospĂ©ritĂ© delĂ  nouvelle doctrine. Cette rĂ©conciliation se fit en effet; mais, soit qu’elle ne fĂ»t pas sincĂšre, soit qu’il survĂźnt entre nos deux philanthropes quelque rivalitĂ© d’amour-propre ou d’intĂ©rĂȘt, une rupture dĂ©finitive rĂ©sulta de leurs nouveaux dĂ©mĂȘlĂ©s. La fameuse souscription fut donc remplie; on organisa une sociĂ©tĂ©, et Mesmer confia enfin sa dĂ©couverte et sa MESMEK ET LES CORPS SAVANTS. 173 doctrine Ă  cent personnes assez amis de l’humanitĂ©pour acheter d’une partie de leur fortune le droit et le pouvoir de faire le bien. Si, dans cette circonstance singuliĂšre, les acheteurs ont droit Ă  notre admiration, en est-il de mĂȘme du vendeur? Comparez, messieurs, le noble dĂ©sintĂ©ressement de Van Helmont Ă  l’insatiable aviditĂ© de Mesmer, et prononcez entre ces deux hommes. Le premier, refusant mĂȘme de recevoir de ses nombreux malades le lĂ©gitime salaire des soins qu’il leur donne, se croirait dĂ©shonorĂ© s’il trafiquait de sa science; le second, au contraire, ne sait quel prix demander d’une dĂ©couverte que la lecture de ses devanciers lui eĂ»t Ă©vitĂ© la peine de faire. Mais, s’il est incapable d’abnĂ©gation, admirez son savoir-faire c’est Ă  l’instant oĂč il reconnaĂźt que son secret est trahi et va tomber inĂ©vitablement dans le domaine public, c’est alors qu’il se dĂ©cide Ă  le dire moyennant la modeste somme de 1^0 ooo francs. Quel saint amour de l’humanitĂ©! Cependant, a-t-on dit, Mesmer, dans cette circonstance, n’agissait point par cupiditĂ©, et la preuve de son dĂ©sintĂ©ressement est qu’il admit au nombre de ses disciples quelques personnes qui, plus dĂ©vouĂ©es que riches, n’étaient pas en mesure de fournir les 100 louis exigĂ©s. Charlatanisme de gĂ©nĂ©rositĂ©! voilĂ  tout ce que j’aperçois dans ces charitables concessions. En effet, l’important, pour Mesmer, Ă©tait d’arriver vite Ă  ses fins en complĂ©tant quand mĂȘme le nombre de ses souscripteurs, car mieux valait encore pour lui de recevoir 200 000 francs seulement que de ne rien recevoir du tout. Cela, j’en conviens, est triste Ă  dire; mais en jugeant sĂ©vĂšrement la conduite 174 QUATRIÈME LEÇON, privĂ©e de Mesmer, je n’altĂšre en rien l’importance des idĂ©es ou des faits qu’il eut la gloire de rĂ©habiliter, et je ne vois pas qu’il soit nĂ©cessaire pour dĂ©fendre le magnĂ©tisme de justifier tous les actes de son inventeur. Au surplus, le cours de Mesmer, malgrĂ© le prix exorbitant qu’il fallait payer pour y ĂȘtre admis, ne laissa pas que de donner Ă  la nouvelle doctrine des partisans d’autant plus chauds qu’ils l’avaient plus chĂšrement acquise. Ce furent ces nouveaux initiĂ©s qui fondĂšrent un peu plus tard la SociĂ©tĂ© de l’harmonie et portĂšrent dans toute l’Europe les principes du magnĂ©tisme. Mais, nonobstant l’organisation de cette sociĂ©tĂ©, nonobstant de nouvelles rĂ©clamations de Mesmer, qui s’adressa successivement Ă  Franklin, premier commissaire nommĂ© par le roi pour l’examen du magnĂ©tisme, et au ministre lui-mĂȘme, ce fut chez d’Eslon et non chez lui que se rendit la commission. Une discussion succincte du rapport de Bailly, du rapport secret de celui de Jussieu, fera le sujet de notre prochaine leçon, nous rĂ©servant de vous prĂ©senter enfin dans la leçon suivante la thĂ©orie de Mesmer. CINQUIÈME LEÇON. RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784. Messieurs , Je crois vous avoir dĂ©jĂ  dit qu’en cĂ©dant aux instances rĂ©itĂ©rĂ©es de d’Eslon, et en faisant procĂ©der chez ce mĂ©decin Ă  l’examen du magnĂ©tisme, le gouvernement s’était rendu coupable, Ă  l’égard de Mesmer, d’une injustice criante. J’ajoute que cette circonstance fut un malheur irrĂ©parable pour la nouvelle doctrine. Cette doctrine Ă©tait jugĂ©e d’avance par les commissaires chargĂ©s d’en rendre compte au roi, et leur mission Ă©tait accomplie avant d’ĂȘtre commencĂ©e. Mesmer, dans cette circonstance orageuse, Ă©tait le seul homme capable de sauver une dĂ©couverte contre laquelle on conspirait sous prĂ©texte de l’examiner. Il avait tant de sang-froid, d’habiletĂ© et de puissance magnĂ©tique, que peut-ĂȘtre il eĂ»t dĂ©concertĂ© le mauvais vouloir ou la mauvaise foi de ses juges; mais trois annĂ©es d’intrigues devaient avoir leur fruit. Et d’abord, dit le R. P. Scobardi ’, les dĂ©lĂ©guĂ©s de Sa MajestĂ©, savants et mĂ©decins, s’empressĂšrent Rapport confidentiel, etc., p. aa. 176 CINQUIÈME LEÇON, d’aller examiner le magnĂ©tisme, non chez l’inventeur, mais chez un de ses disciples publiquement dĂ©savouĂ©, montrant ainsi que, pour juger quelqu’un, il Ă©tait tout Ă  fait inutile de le voir ou de l’entendre. Celte jurisprudence n’avait pas le mĂ©rite de la nouveautĂ©, car nous les jĂ©suites l’avions Ă©tablie dans tous les pays soumis au suprĂȘme bienfait de l’inquisition; mais nous devons avouer qu’en France elle Ă©tait complĂštement inconnue » La commission nommĂ©e par le roi, le 12 mars 1784, se composait d’abord des mĂ©decins Borie, Sallin, J. d’Arcet et Guillotin; ce fut sur leur demande qu’on leur adjoignit cinq membres de l’AcadĂ©mie des sciences, B. Franklin, Le Roi, S. Bailly, de Boryet Lavoisier. — Borie Ă©tant mort dans le commencement du travail de la commission , le roi nomma pour le remplacer Majault, docteur de la FacultĂ©. — Le rapport fut rĂ©digĂ© par Bailly que le ciel le lui pardonne!.... Bien que rĂ©digĂ© avec beaucoup d’art, ce rapport ne soutient pas une analyse impartiale, et porte Ă  chaque page l’empreinte des prĂ©ventions qui l’ont dictĂ©. AprĂšs les prĂ©liminaires d’usage, Bailly expose sommairement la doctrine du magnĂ©tisme animal telle que Mesmer l’avait publiĂ©e dans son MĂ©moire sur la dĂ©couverte du MagnĂ©tisme page 74 et suiv., puis il ajoute Tel est l 'agent que les commissaires ont Ă©tĂ© chargĂ©s d’examiner et dont les propriĂ©tĂ©s sont avouĂ©es * La commission double, nommĂ©e en 1837 pour vĂ©rifier ie phĂ©nomĂšne somnambulique de la lecture ou vision sans le secours des yeux, a suivi fidĂšlement la mĂȘme marche. On ne saurait trop bien conserver les bonnes traditions. {Rapport confidentiel. RAPPORTS SDR LE MAGNÉTISME DE 1784. 177 par M. d’Eslon, qui admet tous les principes de M. Mesmer. Cette thĂ©orie fait la base d’un mĂ©moire qui a Ă©tĂ© lu chez M. d’Eslon, le 9 mai, en prĂ©sence de M. le lieutenant gĂ©nĂ©ral de police et des commissaires. On Ă©tablit dans ce mĂ©moire qu’il n’y a qu’une nature, une maladie, un remĂšde, et ce remĂšde est le magnĂ©tisme animal. Ce mĂ©decin, en instruisant les commissaires de sa doctrine et des procĂ©dĂ©s du magnĂ©tisme, leur en a enseignĂ© la pratique en leur faisant connaĂźtre les pĂŽles, en leur montrant la maniĂšre de toucher les malades, et de diriger sur eux le fluide magnĂ©tique. M. d’Eslon s’est engagĂ© avec les commissaires, i° Ă  constater l’existence du fluide animal ; 2 0 Ă  communiquer ses connaissances sur cette dĂ©couverte; 3° Ă  prouver l’utilitĂ© de cette dĂ©couverte et du magnĂ©tisme animal dans la cure des maladies. » Des trois paragraphes suivants, le premier est consacrĂ© Ă  la description du traitement ', le second aux explications donnĂ©es par d’Eslon relativement aux dispositions adoptĂ©es; le troisiĂšme,enfin,Ă  la maniĂšre d’exciter et de diriger le magnĂ©tisme animal. Ces trois paragraphes n’étant que d’un intĂ©rĂȘt secondaire, j’en viens de suite aux effets observĂ©s sur les malades. — Ce point me paraĂźt capital. Je vais plus loin il ne serait pas impossible que toute la question fĂ»t lĂ ; car en admettant qu’il n’y eĂ»t aucun moyen de rendre sensible le fluide magnĂ©tique, l’existence de cet agent n’en Ă©tait pas moins dĂ©montrĂ©e, s’il produisait sur l’économie des effets apprĂ©ciables. Or Ă©cou- * On trouvera cette description dans mon Manuel pratique du MagnĂ©tisme animal, V Ă©dit., revue et corrigĂ©e, Paris, 1840 , grand in*^ de 480 pages. 12 178 CINQUIÈME LEÇON, tons notre rapporteur Alors les malades offrent un tableau trĂšs-variĂ©, par les diffĂ©rents Ă©tats oĂč ils se trouvent. Quelques-uns sont calmes, tranquilles, et n’éprouvent rien; d’autres toussent, crachent, sentent quelque lĂ©gĂšre douleur, une chaleur locale ou une chaleur universelle , et ont des sueurs; d’autres sont agitĂ©s et tourmentĂ©s par des convulsions. Ges convulsions sont extraordinaires par leur nombre, par leur durĂ©e et par leur force. DĂšs qu’une convulsion commence, plusieurs autres se dĂ©clarent. Les commissaires en ont vu durer plus de trois heures; elles sont accompagnĂ©es d’expectorations d’une eau trouble et visqueuse arrachĂ©e par la violence des efforts. On y a vu quelquefois des filets de sang, et il y a entre autres un jeune homme malade qui en rend souvent avec abondance. Ces convulsions sont caractĂ©risĂ©es par les mouvements prĂ©cipitĂ©s, involontaires do tous les membres et du corps entier, par le resserrement Ă  la gorge, par des soubresauts des hypochondrcs et de l’épigastre, par le trouble et l’égarement des yeux, par des cris perçants, des pleurs, des hoquets et des rires immodĂ©rĂ©s. Elles sont prĂ©cĂ©dĂ©es ou suivies d’un Ă©tat de langueur ou de rĂȘverie, d’une sorte d’abattement et mĂȘme d’assoupissement. Le moindre bruit imprĂ©vu cause des tressaillements; et l’on a remarquĂ© que le changement de ton, et de mesure dans les airs jouĂ©s sur le piano-forte *, influait sur les malades, en sorte qu’un mouvement * Mesmer et d’Eslon croyant que le son concourait Ă  la transmission du fluide, un piano Ă©tait placĂ© dans la salle des traitements. RAPPORTS SUR UE MAGNÉTISME DE 1784 . 179 plus vif les agitait davantage et renouvelait la vivacitĂ© de leurs convulsions. Il y Ă  une salle matelassĂ©e et destinĂ©e primitivement aux malades tourmentĂ©s de ces convulsions, nommĂ©e salle des crises; mais M. d’Eslon ne juge pas Ă  propos d’en faire usage; et tous les malades, quels que soient les accidents, sont Ă©galement rĂ©unis dans les salles du traitement public. Rien n’est plus Ă©tonnant que le spectacle de ces convulsions; quand on ne l’a point vu, on ne peut s’en faire une idĂ©e; en le voyant, on est Ă©galement surpris et du repos profond d’une partie de ces malades, et de l’agitation qui anime les autres; des accidents variĂ©s qui se rĂ©pĂštent, des sympathies qui s’établissent. On voit des malades se rechercher exclusivement, et, en se prĂ©cipitant l’un vers l’autre, se sourire, se parler avec affection, et adoucir mutuellement leurs crises. Tous sont soumis Ă  celui qui magnĂ©tise; ils ont beau ĂȘtre dans un assoupissement apparent, sa voix, un regard, un signe les en retire. On ne peut s’empĂȘcher de reconnaĂźtre, Ă  ces effets constants, une grande puissance qui agite les malades, les maĂźtrise, et dont celui qui magnĂ©tise semble ĂȘtre le dĂ©positaire. Cet Ă©tat convulsif est appelĂ© crise dans la thĂ©orie du magnĂ©tisme animal suivant cette doctrine, il est regardĂ© comme une crise salutaire du genre de celle que la nature opĂšre ou que le mĂ©decin habile a l’art de provoquer pour faciliter la cure des maladies. Les commissaires adopteront cette expression dans la suite de ce rapport ; et lorsqu’ils se serviront du mot crise, ils entendront toujours l’état ou de convulsions, ou d’assoupis- 180 CINQUIÈME LEÇON. seraient, en quelque sorte lĂ©thargique, produit par les procĂ©dĂ©s du magnĂ©tisme animal. » Cette description seule devait, selon moi, fournir aux commissaires des conclusions affirmatives sur l’existence du magnĂ©tisme animal. Cet Ă©tat si singulier des malades en crise, Ă©tat dont on ne peut se faire une idĂ©e quand on ne l’a pas vu, avait nĂ©cessairement une cause spĂšciale; aussi les commissaires ne peuvent-ils s’empĂȘcher de reconnaĂźtre Ă  ces effets constants une grande puissance qui agite les malades, et dont celui qui magnĂ©tise semble ĂȘtre le dĂ©positaire. J’avoue qu’aprĂšs cette dĂ©claration formelle j’aurais cru la question dĂ©cidĂ©e; mais on se hĂąta de la dĂ©placer pour la rendre insoluble. Les effets de la grande puissance dont dispose Ă  son grĂ© le magnĂ©tiseur ne laissaient, Ă  la vĂ©ritĂ©, aucun doute sur l’existence de celle-ci, et nĂ©anmoins il fut dĂ©cidĂ© qu’on ne l’admettrait qu’autant qu’on parviendrait Ă  lavoir ou la toucher. Tout le reste du rapport roule sur l’utilitĂ© de cette recherche Ă©trange. Vous allez voir, d’ailleurs, quel degrĂ© d’attention on y apporta L * Rien de plus contradictoire, de plus burlesque que les causes assignĂ©es par les auteurs du temps aux effets magnĂ©tiques; voici celles que Tliouret, dans ses Recherches et Doutes sur le MagnĂ©tisme, Ă©nonce successivement i° l’irradiation perpĂ©tuelle et rĂ©ciproque des Ă©manations qui s’établissent entre le magnĂ©tiseur et les malades, p. 58 ; — 2° l’attouchement, p. 72, 202; — 5“ la crĂšme de tartre, p. ~] 5 , 180, 181, 188; — f les bains, p. 75, 181, 188; — 5° les saignĂ©es, p. 75, 182; — 6° les purgatifs, p. 73, 182; — 7 0 le toucher sur l’épigastre, p- 79 ; — 8° les tiges de fer conducteurs, p. 83; — 9 0 la transpiration du malade, p. 87; — io° la propretĂ©, p. 87; — 11 0 la singularitĂ© des opinions de Mesmer, p. i3g; — 12° la confiance, p. 179, 212; — i3° quelques-uns RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784. 181 Les commissaires ont observĂ© que, dans le nombre des malades en crise, il y avait toujours beaucoup de femmes et peu d’hommes; que ces crises Ă©taient toujours une ou deux heures Ă  s’établir; et que, dĂšs qu’il y en avait une d’établie, toutes les autres commençaient successivement et en peu de temps ; mais, aprĂšs ces remarques gĂ©nĂ©rales, les commissaires ont bientĂŽt jugĂ© que le traitement public ne pouvait pas devenir le lieu de leurs expĂ©riences. La multitude des des remĂšdes ordinaires de la mĂ©decine, p. 180; — i4° les secours moraux, p. 182 ; — i5° la rĂ©union des malades au mĂȘme traitement, p. 182; — 16» leur sĂ©jour Ă  la campagne, p. 184; — 17° l’exercice qu’ils font pour se rendre au lieu du traitement, p. 185, 188; les occasionsde visites et la dissipation que cela leur occasionne, p. i85, 188 ; — 19° la musique instrumentale, p. 186; — 20° l’espoir inattendu de la guĂ©rison, p. 188; — 21 0 la rĂ©action du moral sur le physique, p. 188; — 22 0 la cessation des remĂšdes, p. 188; — 23° une vie plus active , p. 188 ; — 24° une existence plus agrĂ©able, p. 188; — 25° le tempĂ©rament trĂšs-sensible, trĂšs-irritable des personnes nerveuses et vaporeuses, p. 196 ; —26° l’imagination, p. 190; — 27° la prĂ©vention , p. 190 ; — 28° l’exaltation morale et physique des malades, p. 190 ; — 29 0 l’aimant, p. ig5; — 5o° l’électricitĂ©, p. 194; — 3i° les Ă©manations de diverses substances, p. ig5; — 32° certaines poudres ou mĂ©langes, tels que du soufre et de la limaille de fer, l’aimant pulvĂ©risĂ© et Ă©lectrisĂ©, p. 197 ; — 33° la matiĂšre de la transpiration du magnĂ©tiseur, p. 198 ; — 34° la chaleur de la main, p. 202 ; — 35° les frictions, p. 2o3 ; — 36° l’appareil du traitement magnĂ©tique, p. 206; — 37° les gestes du magnĂ©tiseur, p. 207 ; — 38° les aspersions qu’il fait avec le doigt, une tige de fer, un bouquet, une fleur, et mĂȘme le souffle, p. 202, 209 ; — 39° la simple direction de ses doigts, p. 20g ; — 4°° l’imitation, p. 212; — 41° l’enthousiasme, p. 212; — 4 2 ° le dĂ©sir d’éprouver des crises, p. 2i3 ; — 43° l’ambition de fixer les regards du public, p. 2i4; — 44° l’influence sexuelle, p. 2i5 ; — 45° les convulsions simulĂ©es, p. 217 ; — 46° la mobilitĂ© nerveuse, p. 217; — 47° le choix des sujets convenables, p. 247. Rapport confidentiel. 182 CINQUIÈME LEÇON, effets est un premier obstacle; on voit trop de choses, en effet, pour en bien voir une en particulier. D’ailleurs , des malades distinguĂ©s qui viennent au traitement pour leur sautĂ© pourraient ĂȘtre importunĂ©s par les questions ; le soin de les observer pourrait ou les gĂȘner ou leur dĂ©plaire; les commissaires eux-mĂȘmes seraient gĂȘnĂ©s par leur discrĂ©tion. Ils ont donc arrĂȘtĂ© que, leur assiduitĂ© n’étant point nĂ©cessaire Ă  ce traitement, il suffisait que quelques-uns d’eux y vinssent de temps en temps pour confirmer les premiĂšres observations gĂ©nĂ©rales, en faire de nouvelles s’il y avait lieu et en rendre compte Ă  la commission assemblĂ©e.» Ainsi MM. les commissaires Ă©taient fort discrets et d’une courtoisie que les acadĂ©miciens leurs successeurs n’ont pas toujours imitĂ©e ; la crainte d’importuner les personnes distinguĂ©es que traitait d’Eslon les empĂȘcha Ă 'interroger ces malades! — Au fait, qu’avaient-ils besoin de les interroger?L’unique but qu’ils se proposaient Ă©tant de constater physiquement l’existence d’un fluide nouveau, toutes les dĂ©clarations des malades n’eussent pas Ă©tĂ© de nature Ă  les Ă©clairer sur ce point. Cependant, aprĂšs s’ĂȘtre dispensĂ©s d’assister assidĂ»ment aux expĂ©riences du traitement public, voilĂ  qu’ils dĂ©duisent de ces expĂ©riences les consĂ©quences les plus explicites Le moyen le plus sĂ»r, poursuit le rapporteur, de constater l’existence du fluide magnĂ©tique animal, serait de rendre sa prĂ©sence sensible ; mais il n’a pas fallu beaucoup de temps aux commissaires pour reconnaĂźtre que ce fluide Ă©chappe Ă  tous les sens. » A cela, je rĂ©pondrai d’abord qu 'avec un peu plus de 183 RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784. temps et d'attention, l’opinion de MM. les commissaires se serait peut-ĂȘtre modifiĂ©e sur ce point. En se donnant la peine de magnĂ©tiser eux-mĂȘmes ce qui, de leur part, j’en conviens, eĂ»t Ă©tĂ© bien mĂ©ritoire, ils eussent Ă©prouvĂ© dans les doigts une sensation par- culiĂšre qui, partagĂ©e par les malades, aurait pu les mettre sur la voie de ce je ne sais quoi de sensible dont ils avaient eu la folle pensĂ©e de s’occuper exclusivement. Il le fluide n’est point lumineux et visible comme l’électricitĂ©, » — qui 11’est pas toujours visible.— Son action ne se manifeste pas Ă  la vue comme l’attraction de l’aimant. » — Erreur, pour ne rien dire de plus; car Y attraction magnĂ©tique devait exister en 1784 si l’espĂšce humaine, depuis un demi- siĂšcle, n’a pas changĂ© de nature. Cette attraction, Ă  la vĂ©ritĂ©, essentiellement subordonnĂ©e Ă  la volontĂ© du magnĂ©tiseur, est loin,d’ailleurs, d’ĂȘtre constante comme celle de l’aimant. Ainsi que tous les autres phĂ©nomĂšnes organiques, elle varie avec la puissance qui la produit, et se proportionne aux forces vitales de celui qui la subit et de celui qui l’exerce. L’homme, en effet, dans aucun cas, 11e peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un ĂȘtre purement passif. Quelque faible que soit sa volontĂ©, cette volontĂ© existe toujours, et devient constamment un obstacle Ă  celledu magnĂ©tiseur lorsqu’elle lui est contraire. VoilĂ  pourquoi des expĂ©riences faites sur des hommes prĂ©venus, et qui, plus est, malveillants comme la plupart des commissaires chargĂ©s d’examiner le magnĂ©tisme, ne sauraient rien prouver '. Le rapporteur 1 MM. Gerdy, Dubois d’Amiens, etc., prĂ©tendent n’avoir jamais vu d'expĂ©riences magnĂ©tiques qui les eussent satisfaits; cette 184 CINQUIÈME LEÇON, continue Il est sans goĂ»t et sans odeur. » — Le savant Bailly divague! Quels sont donc le goĂ»t et l’odeur du calorique, de la lumiĂšre et de l’électricitĂ©? — Il marche sans bruit et vous entoure ou vous pĂ©nĂštre sans que le tact vous avertisse de sa prĂ©sence. » — Nous avons soutenu le contraire. — S’il existe en nous et autour de nous, c’est donc d’une maniĂšre absolument insensible.» —Quoi! et les convulsions! et tous ces phĂ©nomĂšnes insolites dont on ne peut pas se faire une idĂ©e, quand on ne les a pas vus!.... Ce rapport , en vĂ©ritĂ©, me semble une plaisanterie. NĂ©anmoins, poursuivons — Parmi ceux qui professent le magnĂ©tisme, il en est qui prĂ©tendent qu’on le toujours le fluide voit quelquefois sortir de l’extrĂ©mitĂ© des doigts, qui lui servent de conducteurs, ou qui croient sentir son passage lorsqu’on promĂšme le doigt devant le visage ou sur la main. » — Parmi ceux qui professent le magnĂ©tisme, il en est , etc. Qui sont ces gens-lĂ ? Mesmer, ni mĂȘme d’Esion,que je sache, n’ont jamais avancĂ© qu’on voyait le fluide, et MM. les commissaires m’ont bien l’air de s’attaquer Ă  des moulins Ă  vent. — Dans le premier cas, observe Bailly, l’émanation aperçue n’est que celle de la transpiration, qui devient tout Ă  fait visible lorsqu’elle est grossie au microscope solaire. Dans le second, l’impression de froid ou de frais qu’on Ă©prouve , impression d’autant plus marquĂ©e qu’on a plus chaud, rĂ©sulte du mouvement de l’air qui suit le doigt, et dont la tempĂ©rature est toujours au- circonstance, dont ils se glorifient, ne fait pas honneur Ă  leur caractĂšre. 185 RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME RE 1784. dessous du degrĂ© de la chaleur animale. Lorsque, au contraire, on approche le doigt de la peau du visage et qu’on le laisse en repos, on fait Ă©prouver un sentiment de chaleur qui est la chaleur animale communiquĂ©e. » — SupĂ©rieurement raisonnĂ©! Le grand malheur est que, dans certains cas, l’air frais, agitĂ© parle doigt, fait Ă©prouver aux malades une sensation de chaleur. Comment les commissaires expliquent-ils ce fait bizarre? Ils n’en disent pas un mot, ce qui lĂšve toute difficultĂ©. Nonobstant les expĂ©riences au microscope solaire dont parle Bailly, tout le reste de son rapport est rĂ©digĂ© d’aprĂšs des observations fausses ou superficielles qui ne pouvaient manquer d’aboutir Ă  des conclusions nĂ©gatives. Le fluide, dit-il, Ă©chappant Ă  tous les sens, son existence ne peut ĂȘtre dĂ©montrĂ©e que par ses effets curatifs dans le traitement des maladies, ou par ses effets momentanĂ©s sur l’économie animale. » — Les preuves du premier ordre abondaient au traitement public comme dans les traitements particuliers; mais la nature, au dire du rapporteur, guĂ©rissant fort souvent les malades sans le secours des mĂ©decins, ces preuves ne prouvent rien , et tous les malades rendus Ă  la santĂ© par les crises magnĂ©tiques fussent probablement arrivĂ©s au mĂȘme but sans le secours de ces crises.... DĂ©testable sophisme qui mĂ©rite Ă  peine d’ĂȘtre rĂ©futĂ©. Quoi ! Bailly croit Ă  la mĂ©decine, il Ă©voque l’expĂ©rience des siĂšcles qui a fixĂ© les hommes de l’art et sur la marche des maladies et sur les meilleurs moyens de 186 CINQUIÈME LEÇON, les traiter, et il nie la possibilitĂ© de constater l’utilitĂ© d’un procĂ©dĂ© nouveau! Cependant il est, en mĂ©decine, quelques remĂšdes efficaces les mĂ©decins disent hĂ©roĂŻques.!; en 1784, il y en avait au moins deux le mercure et le fer. Bailly, j’en suis certain, ne se fĂ»t pas prononcĂ© contre la spĂ©cificitĂ© de ces deux mĂ©taux. Or, comment Ă©tait-on parvenu Ă  se fixer sur l’efficacitĂ© du mercure et du fer? Par l’expĂ©rience, sans doute. Eh bien, messieurs les commissaires, ayez donc la raison et la loyautĂ© d’expĂ©rimenter aussi le magnĂ©tisme. Mais non, c’est un parti pris, et il est bien dĂ©cidĂ© que les seules preuves de l’existence du fluide magnĂ©tique sont ses effets instantanĂ©s sur l’organisme humain. En consĂ©quence, pour s’assurer de ces effets, les commissaires font des Ă©preuves i° Sur eux-mĂȘmes 1 ; 2° Sur sept malades; 3 ° Sur quatre personnes; 4 ° Sur une sociĂ©tĂ© assemblĂ©e chez Franklin; 5 ° Sur des malades assemblĂ©s chez M. Jumelin ; 6° Avec un arbre magnĂ©tisĂ©; 7 0 Enfin, sur diffĂ©rents sujets. Les rĂ©sultats de ces expĂ©riences sont gĂ©nĂ©ralement la confirmation des effets observĂ©s au traitement public; c’est-Ă -dire que certains sujets ont des crises, tandis que d’autres 11’éprouvent rien ou ne paraissent rien Ă©prouver. La mĂȘme proposition leJluide n’existe pas, car il Ă©chappe Ă  tous les sens, se reproduit * Nous avons prouvĂ© l’inutilitĂ© de cette expĂ©rience. RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784 . 187 d’ailleurs naturellement aprĂšs chaque expĂ©rience, et le rapporteur conclut ainsi Les commissaires ayant reconnu que ce fluide magnĂ©tique animal ne peut ĂȘtre perçu par aucun de nos sens, qu’il n’a eu aucune action ni sur eux-mĂȘmes, ni sur les malades qu’ils lui ont soumis 1 ; s’étant assurĂ©s que les pressions et les attouchements occasionnent des changements rarement favorables dans l’économie animale, et des Ă©branlements toujours fĂącheux dans l’imagination ; ayant enfin dĂ©montrĂ© , par des expĂ©riences dĂ©cisives, que l’imagination sans magnĂ©tisme produit des convulsions, et que le magnĂ©tisme sans imagination ne produit rien ; iis ont conclu, d’une voix unanime, sur la question de l’existence et de l’utilitĂ© du magnĂ©tisme, que rien ne prouve l’existence d’un fluide magnĂ©tique animal ; que ce fluide sans existence est par consĂ©quent sans utilitĂ©; que les violents effets que l’on observe au traitement public appartiennent Ă  l’attouchement, Ă  l’imagination mise en action, et Ă  cette imagination machinale qui nous porte, malgrĂ© nous, Ă  rĂ©pĂ©ter ce qui frappe nos sens; et en mĂȘme temps ils se croient obligĂ©s d’ajouter, comme une observation importante, que les attouchements, l’action rĂ©pĂ©tĂ©e de l’imagination pour produire des crises, peuvent ĂȘtre nuisibles; que le spectacle de ces crises est Ă©galement dangereux, Ă  cause de cette imitation dont la nature semble nous avoir fait une loi, et que, par consĂ©quent, tout traitement public oĂč les moyens du * Les crises oĂč Ă©taient tombĂ©s quelques-uns de ces malades furent ttrihdĂ©es Ă  l’imagination. 188 CINQUIÈME LEÇON, magnĂ©tisme seront employĂ©s, ne peut avoir Ă  la longue que des effets funestes. A Paris, ce 11 aoĂ»t 1*784. SignĂ© B. Franklin, MajaĂŒlt , Le Roy, Sallin, Bailly, d’Arcet, de Bory, Guillotin, Lavoisier. » Les termes de cette conclusion me paraissent fort remarquables; car l’attouchement, l'imagination et cette imitation machinale, etc., donnant lieu Ă  des phĂ©nomĂšnes si extraordinaires que les commissaires n’auraient pu, de leur aveu, s’en faire une idĂ©e sans les voir, n’impliquaient-ils point un ordre de choses assez nouvelles en physiologie pour mĂ©riter l’attention? En gĂ©nĂ©ralisant la cause de ces faits Ă©tranges, les commissaires seraient infailliblement arrivĂ©s Ă  admettre l’existence du magnĂ©tisme, dont il importait beaucoup moins de rechercher l’agent physique que de constater les effets. Bailly et ses collĂšgues ont procĂ©dĂ© en physiciens dans leurs observations; mais nullement en physiologistes et bien moins encore en philosophes. De lĂ  l’insignifiance de leur rapport et les contradictions qu’il prĂ©sente. Aussi fut-il, dĂšs le jour de son apparition, l’objet de critiques sĂ©rieuses auxquelles on se garda bien de rĂ©pondre. Le R. P. Scobardi, fin comme un jĂ©suite, ce que les vrais jĂ©suites ne peuvent lui pardonner, a rĂ©sumĂ© dans une page charmante toutes les objections que provoquait le compte rendu de la commission, voici comment il s’exprime Voulant Ă©viter l’embarras de concilier les faits positifs avec les opinions nĂ©gatives et contradictoires de RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784 . 189 chacun des membres de la commission, on Ă©tablit sagement en principe i° Que les commissaires ne feraient point de questions aux personnes soumises aux Ă©preuves; 2 ° Qu’ils ne prendraient pas le soin de les observer ; 3° Qu’ils ne seraient pas assidus aux expĂ©riences ; 4° Qu’ils y viendraient de temps en temps et qu’ils rendraient compte de ce qu’ils auraient vu isolĂ©ment Ă  la commission assemblĂ©e. Pouvait-on mieux s’y prendre pour que tout manquĂąt?.... et cependant, en dĂ©pit de ces prĂ©cautions minutieuses, certains phĂ©nomĂšnes arrĂȘtĂšrent tout court nos observateurs. Que faire alors? De deux choses l’une se taire, ou aborder franchement la question pour avoir l’air de la rĂ©soudre et passer soigneusement Ă  cĂŽtĂ©. C’est ce dernier parti que prirent les mĂ©decins. Ici nous sommes forcĂ©s de citer leurs paroles Nous avons cru ne pas fixer notre attention sur des cas rares, insolites, extraordinaires , qui paraissaient contredire toutes les lois de la physique.... parce que ces cas Ă©tant le rĂ©sultat de causes compliquĂ©es, varia- blĂ©s, cachĂ©es, etc., il n'y a rien Ă  conclure de ces faits . » Nous le demandons avec confiance Ă  nos vĂ©nĂ©rables supĂ©rieurs est-il possible de rĂ©unir autant de science et de naĂŻvetĂ©? C’est Ă  l’aide de semblables procĂ©dĂ©s que les rapporteurs purent disserter tout Ă  leur aise sur les propriĂ©tĂ©s de l’imagination, de la chaleur, de l’imitation, de la tristesse, du frottement, de la gĂȘne, des convulsions, etc., et dĂ©clarer que le magnĂ©tisme Ă©tait fort dangereux, aprĂšs avoir Ă©puisĂ© 190 CINQUIÈME LEÇON. tous les artifices de la dialectique pour prouver qu’il n’existait pas 1 ! » Outre le rapport de Bailly, qui fut rĂ©pandu dans le public avec la plus grande profusion, les commissaires rĂ©unis de l’acadĂ©mie des sciences et de la facultĂ© de mĂ©decine en firent un autre qu’ott tint secret et qui fut adressĂ© au ministre. Dans celui-ci, les commissaires s’occupent uniquement des dangers que peut entraĂźner la pratique du magnĂ©tisme animal sous le rapport des mƓurs. Ce rapport est remarquable par la finesse d’observation comme par le manque absolu d’esprit philosophique qu’il rĂ©vĂšle dans ses auteurs; c’est-Ă -dire que les commissaires voient le fait avec justesse, l’analysent avec sagacitĂ© dans ses moindres dĂ©tails, et, malgrĂ© cela* ne saisissent jamais ni la cause qui le produit, ni le corollaire qui en dĂ©coule. En un mot, ils observent avec art; mais il leur manque un peu de jugement, un peu de causalitĂ© , dirait un phrĂ©nologiste, pour fĂ©conder leurs observations. Je vais vous soumettre, en y mĂȘlant mes rĂ©flexions, quelques fragments de leur rĂ©cit. Les commissaires ont reconnu que les principales causes des effets attribuĂ©s au magnĂ©tisme animal sont l’attouchement, l’imagination, l’imitation. » — MĂȘme systĂšme, comme vous le voyez , que dans le rapport de Bailly. L’imagination et l’imitation sont encore considĂ©rĂ©es comme des causes premiĂšres, tandis qu’avec un peu de rĂ©flexion on ne tarde pas Ă  reconnaĂźtre que les paroxysmes de ces deux facultĂ©s sont des effets et non * Rapport confidentiel, etc., p. a3. RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784. 191 des causes. L’attouchement lui-mĂȘme n’est qu’un moyen de transmission. Mais comment l’attouchement opĂšre-t-il sur l’imagination? voilĂ  ce qu’il aurait fallu se demander et ce que les commissaires n’ont pas fait.— Ils ont observĂ© qu’il y avait toujours beaucoup plus de femmes, que d’hommes en crise. Cette diffĂ©rence a pour premiĂšre cause la diffĂ©rente organisation des deux sexes. Les femmes ont en gĂ©nĂ©ral les nerfs plus mobiles, leur imagination est plus vive, plus exaltĂ©e. » — Dites donc plus exaltable. —11 est facile de la frapper, de la mettre en mouvement! » —Nous sommes d’accord. — Cette grande mobilitĂ© des nerfs, en leur donnant des sens plus dĂ©licats et plus exquis, les rend plus susceptibles des impressions de l'attouchement. » — Quel grossier matĂ©rialisme ! — En les touchant dans une partie quelconque, on pourrait dire qu’on les touche Ă  la fois partout. » — Et quand les crises arrivaient sans attouchement? — Cette grande mobilitĂ© des nerfs fait quelles sont plus disposĂ©es Ă  l’imitation. Les femmes, comme on l’a dĂ©jĂ  fait remarquer, sont, semblables Ă  des cordes sonores parfaitement tendues Ă  l’unisson. Il suffit d’en mettre une en mouvement toutes les autres Ă  l’instant le partagent. » — Enfin nous y voilĂ ! tout Ă  l’heure c’était l’attouchement, maintenant c’est l’imitation, et ees deux causes, si diffĂ©rentes, produisent les mĂȘmes effets. DĂ©terminez donc Ă  la fois ce qu’elles ont de commun!.... HĂ©las! les mĂ©decins ne jugent guĂšre qu’avec les yeux. Ils ont beau rapprocher les faits, la chaĂźne qui unit ces faits entre eux leur Ă©chappe Ă©ternellement , si elle est invisible . Mais revenons au rap* port 192 CINQUIÈME LEÇON. a Cette organisation fait comprendre pourquoi les femmes ont des crises plus frĂ©quentes, plus longues, plus violentes que les hommes, et c’est Ă  leur sensibilitĂ© de nerfs qu’est dĂ» le plus grand nombre de leurs crises. Il en est quelques-unes qui appartiennent Ă  une cause cachĂ©e, mais naturelle,Ă  une cause certaine des Ă©motions dont toutes les femmes sont plus ou moins susceptibles, et qui, par une influence Ă©loignĂ©e, en accumulant ces Ă©motions, en les portant au plus haut degrĂ©, peut contribuer Ă  produire un Ă©tat convulsif qu’on confond avec les autres crises. Cette cause est l’empire que la nature a donnĂ© Ă  un sexe sur l’autre, pour l’attacher et l’émouvoir. Ce sont toujours des hommes qui magnĂ©tisent les femmes; les relations alors Ă©tablies ne sont sans doute que celles d’une malade Ă  l’égard de son mĂ©decin, mais ce mĂ©decin est un homme; quel que soit l’état de maladie, il ne nous dĂ©pouille point de notre sexe, il ne nous dĂ©robe pas absolument au pouvoir de l’autre; la maladie en peut affaiblir les impressions,sans jamaisles anĂ©antir. D’ailleurs la plupart des femmes qui vont au magnĂ©tisme ne sont pas rĂ©ellement malades; beaucoup y viennent par oisivetĂ© et par amusement; d’autres, qui ont quelques incommoditĂ©s, n’en conservent pas moins leur fraĂźcheur et leur force; leurs sens sont tout entiers; leur j eunesse a toute sa sensibilitĂ©. Elles ont assez de charmes pour agir sur le mĂ©decin; elles ont assez de santĂ© pour que le mĂ©decin agisse sur elles alors le danger est rĂ©ciproque. La proximitĂ© longtemps continuĂ©e, l’attouchement indispensable — erreur, — la chaleur individuelle communiquĂ©e, les regards confondus, sont les voies connues de la nature et les moyens qu’elle APPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784 . 193 a prĂ©parĂ©s de tout temps pour opĂ©rer immanquablement — erreur Ă©norme la communication des sensations et des affections.»—Il faut avouer qu’ils sont bien Ă©tranges ces moyens de la nature s’ils sont seulement ce qu’ils paraissent. Quoi! il suffit que des hommes et des femmes se regardent ou se touchent pour s’aimer! Que dis-je ! nos commissaires sont bien autrement explicites. VoilĂ , certes, des merveilles plus incroyables que le magnĂ©tisme Les mĂ©decins commissaires,prĂ©sents et attentifs au traitement, ont observĂ© avec soin ce qui s’y passe. Quand cette espece de crise se prĂ©pare, le visage s’enflamme par degrĂ©s, l’Ɠil devient ardent, et c’est le signe par lequel la nature annonce le dĂ©sir. On voit la femme baisser la tĂȘte, porter la main au front et aux yeux pour les couvrir; sa pudeur habituelle veille Ă  son insu, et lui inspire le soin de se cacher. Cependant la crise continue et l’Ɠil se trouble c’est un signe non Ă©quivoque du dĂ©sordre total des sens. Ce dĂ©sordre peut n’ĂȘtre point aperçu par celle qui l’éprouve, — il faut admettre, pour le croire, que les femmes sont bien stupides!—mais il n’a point Ă©chappĂ© au regard observateur des mĂ©decins. DĂšs que ce signe a Ă©tĂ© manifestĂ© les paupiĂšres deviennent humides; la respiration est courte, entrecoupĂ©e; la poitrine s’élĂšve et s’abaisse rapidement; les convulsions s’établissent, ainsi que les mouvements prĂ©cipitĂ©s et brusques ou des membres ou du corps entier. Chez les femmes vives et sensibles, le dernier degrĂ©, le terme de la plus douce des Ă©motions, est souvent une convulsion \ A cet Ă©tat succĂšdent la 1 II est bon de rappeler ici comment Bailly dĂ©crit ce terme de ht plus douce des Ă©motions les convulsions sont caractĂ©risĂ©es par 13 194 CINQUIÈME LEÇON. langueur, l’abattement, une sorte de sommeil des sens qui est un repos nĂ©cessaire aprĂšs une forte agitation. La preuve que cet Ă©tat de convulsion , quelque extraordinaire qu’il paraisse Ă  ceux qui l’observent, n’a rien de pĂ©nible,u’a rien que de naturel pour celles qui l’éprouvent, c’est que, dĂšs qu’d est cessĂ©, il n’en reste aucune trace fĂącheuse; le souvenir n’en est pas dĂ©sagrĂ©able, les femmes s’en trouvent mieux et n’ont point de rĂ©pugnance Ă  le sentir de nouveau. Comme les Ă©motions Ă©prouvĂ©es sont les germes des affections et des penchants, — paradoxe! elles en sont le terme — on sent pourquoi celui qui magnĂ©tise inspire tant d’attachement; attachement qui doit ĂȘtre plus marquĂ© et plus vif chez les femmes que chez les hommes, tant que l’exercice du magnĂ©tisme n’est confiĂ© qu’à des hommes, etc., etc. » On conçoit trĂšs-bien qu’un pareil exposĂ© amĂšne cette conclusion Le traitement magnĂ©tique ne peut ĂȘtre que dangereux pour les mƓurs. » Mais une autre dĂ©duction qu’il n’est pas aussi aisĂ© de prĂ©voir est celle-ci Rien n’empĂȘche que chez lui Mesmer comme chez M d’Es- lon, les convulsions ne deviennent habituelles, et qu’elles ne se rĂ©pandent en Ă©pidĂ©mies dans les villes; qu’elles ne s’étendent aux gĂ©nĂ©rations futures. »— Quelleseon- tradictious! Que de science et de naĂŻvetĂ©! comme dit le R. P. Scobardi, ou plutĂŽt quelle mauvaise loi! Dieu les mouvements prĂ©cipitĂ©s, involontaires, de tous les membres et du corps entier, par le resserrement Ă  la gorge, par des soubresauts des hypocondres et de l’épigastre, par le trouble et l’égarement des yeux, par des cris perçants, des pleurs, des hoquets, des rires immodĂ©rĂ©s. » Rien n’est plus vrai que le plaisir touche de prĂšs h la douleur ! RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784 . 195 merci! les commissaires se sont expliques clairement, — trop clairement pour leur honneur; —les convulsions qu’ils ont dĂ©crites n’ont rien de fĂącheux physio- logiquement parlant. Comment donc peut-il se faire qu’aprĂšs un pareil aveu de leur part ils osent exprimer la crainte de voir ces convulsions se perpĂ©tuer dans les races futures? Ou bien ils ont fait du cynisme eu pure perte, ou bien ils terminent leur rapport par une folie sans nom. Cependant, je veux bien accepter dans les deux cas, le prĂ©tendu rĂ©sultat de leurs observations. — Ne reste-il pas constant, dans une hypothĂšse comme dans l’autre, que le moyeu n’est pas en rapport avec la violence de l’effet produit? Sans doute, le magnĂ©tisme et ce cĂŽtĂ© de la question sera examinĂ© par nous provoque quelquefois l’amour dont il est le grand moteur. Mais si cet amour peut entraĂźner Ă  la longue la participation des sens, il commence invariablement par une attraction morale dont la spontanĂ©itĂ© et la violence prouvent l’agent qui l’a produite. C’est le contraire que les commissaires ont vu! j’en suis fĂąchĂ© pour eux, et je veux bien leur faire l’honneur de croire sincĂšre une erreur aussi dĂ©plorable. En dĂ©finitive, le rapport secret fut digne en tout point du rapport public. Celui-ci, quoique vigoureusement rĂ©futĂ© par des partisans Ă©clairĂ©s du magnĂ©tisme, ne laissa pas que de produire dans le monde une impression dĂ©favorable. Il eĂ»t mĂȘme complĂštement discrĂ©ditĂ© Mesmer et sa doctrine, s’il n’avait eu pour contre-poids un autre rapport, rĂ©digĂ© dans un sens tout diffĂ©rent par un des savants les plus Ă©minents de l’époque. Antoine Laurent de Jussieu, le cĂ©lĂšbre botaniste, 4 96 CINQUIÈME LEÇON, une de nos gloires nationales, avait Ă©tĂ© dĂ©signĂ© pour faire partie de la commission Mauduyt. La scission qu’il fit avec ses collĂšgues *, et dont il refusa de signer le rapport, est un des faits qui honore le plus son caractĂšre et son talent d’observateur. Quel courage ne lui fallut-il pas pour protester publiquement contre les opinions, presque unanimes, d’une acadĂ©mie dont il Ă©tait membre! Mais une vĂ©ritable conviction ne calcule ni les dangers, ni l’étendue des sacrifices. De Jussieu avait d’ailleurs une immunitĂ© certaine dans l’immense autoritĂ© de son nom. Le jugement que cet homme cĂ©lĂšbre a portĂ© du magnĂ©tisme restera comme un monument dans les fastes de la science; mais ce jugement est loin d’ĂȘtre sans appel, car il Ă©tait prĂ©maturĂ©. Avec son goĂ»t pour les observations dĂ©licates et approfondies, avec cet esprit gĂ©nĂ©ralisateur qui l’a placĂ© si haut parmi nos naturalistes, de Jussieu, cinquante ans plus tard, eĂ»t fait peut-ĂȘtre pour le magnĂ©tisme ce qu’il a fait pour la botanique ; il l’eĂ»t systĂ©matisĂ©. Malheureusement, ce qui lui manquait de documents pour arriver Ă  ce but l’induisit en erreur. Il se trompa, nous le pensons du moins, sur la nature intime du magnĂ©tisme, qu’il confondit avec la chaleur; mais s’il erra dans ses consĂ©quences, on ne saurait trop admirer l’ordre et l’habiletĂ© d’analyse qui distinguent ses prĂ©misses. Parmi les faits Ă  exposer, dit-il, j’en distinguerai de quatre ordres i° les faits gĂ©nĂ©raux et positifs, dont on ' Mauduyt, Andry et Caille. RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784 . 1!7 ne peut rigoureusement dĂ©terminer la vraie cause; 2° les faits nĂ©gatifs, qui constatent seulement la non action du fluide contestĂ©; 3° les faits, soit positifs, soit nĂ©gatifs attribuĂ©s Ă  la seule imagination; 4° les faits positifs qui paraissent exiger un autre agent. x° La description que donne de Jussieu des effets gĂ©nĂ©raux ne diffĂšre pas essentiellement de celle qu’en fait Bailly, mais elle se prĂȘte fort peu aux inductions scabreuses si astucieusement dĂ©veloppĂ©es dans le rapport secret. Quelques-uns, dit de Jussieu, croient sentir l’influence du doigt ou de la baguette Ă  des distances considĂ©rables, le pouvoir de l’Ɠil qui les fixe, et l’action de la corde ou de la chaĂźne qui unissent le cercle des malades. Les corps qu’on leur prĂ©sente dans une certaine direction ont pour eux une odeur particuliĂšre qui devient diffĂ©rente dans une direction opposĂ©e. Les effets internes ne pouvant ĂȘtre vĂ©rifiĂ©s par l’observateur, je passe Ă  ceux qui sont extĂ©rieurs et que j’ai vus plus ou moins souvent. Les premiĂšres sensations et les plus frĂ©quentes sont des bĂąillements que l’on attribue au dĂ©veloppement de la chaleur, mais qui peuvent Ă©galement dĂ©pendre d’une cause morale. En continuant le traitement avec ou sans contact, on ne produit rien de plus sur les uns; la mĂȘme impression dĂ©veloppĂ©e et augmentĂ©e chez quelques autres, et principalement chez les femmes, occasionne successivement de l’agitation , des mouvements convulsifs, passagers ou durables, d’abord lĂ©gers, puis plus graves, quelquefois un rire peu naturel, quelquefois le sommeil ou la perte des seus. TantĂŽt la personne est stationnaire, tantĂŽt elle parcourt la salle d’un air Ă©garĂ©; le pouls, ordinai- 198 CINQUIÈME LEÇON, renient rĂ©glĂ©, s’accĂ©lĂšre quelquefois dans les grandes diverses sensations portent dans ce traitement le nom de crise qui finit simplement parla cessation des symptĂŽmes, ou se termine par des larmes, de la moiteur, de la sueur, des crachats, des vomissements , des Ă©vacuations par les selles et par les urines. » — Ces rĂ©sultats sont trĂšs-significatifs. Les derniers, surtout, prouvent qu’il se passait dans le corps des malades une action aussi rĂ©elle qu’anormale, et qui partant supposait une cause non moins rĂ©sultats, au reste, funestes ou salutaires je conçois sur ce point le partage des opinions n’avaient rien d’immoral; mais la cause incontestable qui les produisait, quelle Ă©tait-elle?Voici l’opinion du rapporteur Le rĂ©sumĂ© de ces faits de Jussieu en rapporte un grand nombre en offre plusieurs qui doivent appartenir Ă  une cause physique; les autres pourront ĂȘtre attribuĂ©s Ă  un fluide inconnu ou Ă  l’influence de l’imagination; et , jusqu’à ce que le fluide soit dĂ©montrĂ©, la derniĂšre opinion devra prĂ©valoir, comme plus ancienne et mieux prouvĂ©e. » 2° Faits nĂ©gatifs. De Jussieu, en homme de sens, leur consacre Ă  peine quelques lignes Une jeune personne, dit-il, Ă©pileptique et privĂ©e de raison, magnĂ©tisĂ©e en prĂ©sence des commissaires pendant une heure et par divers procĂ©dĂ©s, n’a Ă©prouvĂ© aucun effet. Le mĂȘme rĂ©sultat a eu lieu sur cinq malades du traitement d’électricitĂ© de M. Mauduyt, qui ont Ă©tĂ© touchĂ©s chacun pendant un quart d’heure, et sur une partie des malades de M, d’Eslon, qui se soumettaient tous les jours, pendant quelques heures, Ă  son traitement. RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784 . 199 Plusieurs des personnes que j’ai touchĂ©es hors des salles, en diverses occasions, pour satisfaire leur curiositĂ©, n’ont ressenti aucune impression. J’ai Ă©tĂ© magnĂ©tisĂ© moi-mĂȘme plusieurs fois, et toujours sans succĂšs. Sans insister ici sur les observations de ce genre, faciles Ă  multiplier, on pourra conclure de celles-ci que le fluide, s’il existe, n’a pas sur la plupart des hommes, soit sains, soit malades, une action qui puisse se manifester par des signes sensibles. » — Cette conclusion, trĂšs-simple, est en mĂȘme temps parfaitement juste. Plusieurs malades, Ă  ma connaissance, se sont ingĂ©rĂ© Ă  diverses reprises d’assez fortes doses du purgatif Leroy et n’en ont absolument rien Ă©prouvĂ©. Qui s’aviserait d’en induire que ce drastique violent n’est pas mĂȘme un laxatif? personne-assurĂ©ment, parce que tout le monde a le sens commun lorsqu'il n’y a pas en jeu des intĂ©rĂȘts personnels. Mais les dĂ©tracteurs du magnĂ©tisme! il n’est pas d’absurditĂ© dont ils ne se soient fait des arguments. — Jusqu’à prĂ©sent, en magnĂ©tisme , il n’y a pas de faits nĂ©gatifs, il n’y a que des faits nuis, c’est-Ă -dire qui ne prouvent rien. 3° Faits dĂ©pendants de F imagination. L’histoire, les traitĂ©s de mĂ©decine et l’observation journaliĂšre offrent des preuves multipliĂ©es de l’influence de l’imagination sur nos organes. La doctrine du magnĂ©tisme n’en rejette aucune; mais, suivant elle, l’imagination concourt avec le fluide. Suivant ses adversaires, l’imagination agit seule, etson action suffit sans l’addition d’un nouvel agent. J’ai observĂ© soit en particulier, soit avec les autres commissaires, plusieurs faits qui semblent favoriser la seconde opinion. » 200 CINQUIÈME LEÇON. Cette distinction entre les faits magnĂ©tiques proprement dits et les effets de l’imagination prouve les incon- ve'nients d’une thĂ©orie prĂ©maturĂ©e , comme l’était celle de Mesmer, et qui n’embrasse pas dans leur ensemble les phĂ©nomĂšnes sur lesquelsel le repose. Si, moins prĂ©occupĂ© de son fluide universel, Mesmer avait pris comme nous, pour point de dĂ©part, l’influence qu’un homme exerce sur soi-mĂȘme avant de l’exercer sur les autres, cet axiome incontestable eĂ»t tout d’abord mis sa doc- triue Ă  l’abri de toutes objections sĂ©rieuses. La nature essentielle de l’imagination ne nous est pas plus connue que celle des autres facultĂ©s morales, dont la volontĂ© semble la rĂ©sultante ; mais nous savons fort bien qu’ainsi que cette derniĂšre elle rĂ©agit puissamment, suivant son degrĂ© d’activitĂ© dans chacun de nous, sur tous nos actes organiques. L’imagination, en un mot, est une sorte de volontĂ© dont nous n’avons pas toujours la conscience , et qui, lorsqu’elle acquiert une certaine prĂ©pondĂ©rance, finit par troubler Ă  notre insu toutes nos fonctions. C’est ainsi du moins que je m’explique la mauvaise santĂ© habituelle desaliĂ©nĂ©s, lorsque toutefois cette mauvaise santĂ© n’est pas elle-mĂȘme la cause premiĂšre des troubles moraux qui ont lieu. Si les facultĂ©s morales, en effet, agissent sur les organes, les organes, Ă  leur tour, rĂ©agissent sur ces facultĂ©s. Par quel intermĂ©diaire s’effectue cette action'rĂ©ciproque? c’est ce que personne ne dira jamais d’une façon positive; mais enfin, si ces relations de l’esprit avec le corps n’impliquent pas nĂ©cessairement l’existence d’un fluide, il s’en faut bien plus encore qu’elles en interdisent l’hypothĂšse. Cela posĂ©, vous comprendrez sans peine que , pendant le cours RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME UE 1784 . 201 d’une expĂ©rience magnĂ©tique, l'imagination de l’individu qui est l’objet de cette expĂ©rience puisse s’exalter au point de lui faire Ă©prouver des sensations vives et diverses tandis qu’il ne ressentira rien de l’action Ă©trangĂšre dirigĂ©e sur lui. Or, que prouvent, en derniĂšre analyse,ces prĂ©tendus rĂ©sultats nĂ©gatifs dont on a fait tant bruit? rien, absolument rien, sinon que la folle du logis, comme disent les poĂštes, en est restĂ©e la maĂźtresse, et que, malgrĂ© le magnĂ©tisme comme le comprenait Mesmer, l’imagination continue Ă  agir sur les organes, ce qui n’est nullement Ă©trange. Ainsi, les faits dĂ©pendants de Vimagination rentrent, comme les faits nĂ©gatifs , dans la catĂ©gorie de ceux qui ne peuvent ĂȘtre allĂ©guĂ©s ni pour ni contre le magnĂ©tisme. Voici, d’ailleurs, les principaux que rapporte de Jussieu 1° Pour connaĂźtre l’effet magnĂ©tique d’une premiĂšre impression magnĂ©tique, je voulus magnĂ©tiser le premier une malade nouvelle qui paraissait susceptible d’éprouver des sensations. La premiĂšre sĂ©ance ne produisit rien ; sur la fin de la seconde, elle eut des soubresauts, d’abord lĂ©gers et rares, qui augmentĂšrent assez promptement d’intensitĂ© et de nombre, sans occasionner de douleur. Le troisiĂšme jour, les mĂȘmes mouvements reparurent dĂšs le commencement de l’opĂ©ration, et durĂšrent longtemps, quoique sur la fin j’eusse interrompu l’action magnĂ©tique. Je sortis de la salle; ils cessĂšrent peu aprĂšs, au rapport des mĂ©decins prĂ©sents. RentrĂ© au bout d’un quart d’heure, je les vis recommencer avec la mĂȘme force sans le secours d’aucun des procĂ©dĂ©s usitĂ©s. Je sortis de nouveau, et bientĂŽt ils se calmĂšrent. La malade, voulant prendre l’air sur une ter- 202 CINQUIÈME LEÇON. rasse,fut reprise des mĂȘmes mouvements eu me voyant dans la cour. RetirĂ©e dans la salle et devenue plus tranquille, elle se disposa Ă  s’en aller; mais me retrouvant encore au bas de l’escalier, elle eut un nouvel accĂšs et fut obligĂ©e d’entrer dans une salle infĂ©rieure oĂč je la laissai. Quelques jours aprĂšs, je revis cette femme; elle avait Ă©tĂ© touchĂ©e dans l’intervalle par d’autres mĂ©decins et avait eu les mĂȘmes soubresauts, mais non renouvelĂ©s de la mĂȘme maniĂšre. Ma prĂ©sence ne produisit point celte fois sur elle les effets observĂ©s prĂ©cĂ©demment; s’ils n’étaient point un jeu concertĂ©, comme je ne puis le croire en me rappelant la nature et la force des mouvements, ils dĂ©pendaient certainement d’une imagination fortement excitĂ©e. » De Jussieu rapporte ensuite les expĂ©riences faites chez Mauduyt, sur trois personnes, par les commissaires rĂ©unis i° Une femme pusillanime, redoutant le magnĂ©tisme, dont on lui avait racontĂ© les effets, refusant de s’y soumettre, Ă©tant magnĂ©tisĂ©e contre sa volontĂ© pendant peu de temps, annonçait-par frayeur beaucoup de sensations, et presque toutes consĂ©quentes aux questions qui lui Ă©taient faites. CalmĂ©e ensuite par la cessation des mouvements, distraite par d’autres objets et magnĂ©tisĂ©e sur le dos Ă  son insu et sans contact, pendant un quart d’heure, elle n’a rien Ă©prouvĂ©.» Je le crois volontiers ; chatouillez le pied d’un malade pendant qu’on lui fait l’amputation d’un bras, il ne s’apercevra pas du chatouillement. Aussi de Jussieu ajoute-t- il Ce fait est peu concluant, parce que la frayeur agissait trop puissamment et pouvait faire douter RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784. 203 les sensations Ă©noncĂ©es; les suivants sont plus intĂ©ressants 2 ° Un homme ayant un cĂŽtĂ© du corps Ă  demi paralysĂ©, Une constitution trĂšs-irritable, un esprit Ă  demi Ă©garĂ©, une imagination inquiĂšte, un sommeil trĂšs- interrompu,avait essayĂ© infructueusement l’électricitĂ©, .qui augmentait en lui le spasme au lieu de calmer scs maux. On le magnĂ©tisa sans lui expliquer le but de Icette opĂ©ration qui ne lui Ă©tait pas connue. D’abord ;il plaisanta sur l’appareil des procĂ©dĂ©s; bientĂŽt il dit jsentir sur les parties magnĂ©tisĂ©es de lĂ©gers effets correspondant aux mouvements exĂ©cutĂ©s devant lui. Instruit ensuite du nom et de l’objet de cet appareil, il consentit Ă  se laisser bander les yeux. DĂšs lors, il divagua sur les effets, annonça des sensations sur les points du corps que l’on ne magnĂ©tisait pas, mĂȘme lorsqu’on h Ă©tait dans une inaction complĂšte, et dĂ©signa rarement les parties magnĂ©tisĂ©es. Les mĂȘmes rĂ©sultats eurent lieu dans une seconde expĂ©rience pareille Ă  la premiĂšre; on opĂ©rait d’abord par attouchement, ensuite sans contact. Cet homme ne perdit point connaissance, et aucune de ses sensations ne se manifesta par des signes extĂ©rieurs que nous ayons pu saisir. » De Jussieu s’abstient de toute rĂ©flexion sur ce fait qui n’en mĂ©rite aucuue. Ce que je vous ai dit des effets si connus de l’imagination l’explique suffisamment. 3° Un autre homme se plaignait de faiblesse d’estomac et d’accĂšs de nerfs assez frĂ©quents. Il connaissait le magnĂ©tisme, dont il avait dĂ©jĂ  une fois Ă©prouvĂ© l’action, et il dĂ©sira renouveler l’épreuve. MagnĂ©tisĂ© 204 CINQUIÈME LEÇON', d’abord comme le precedent , il eut Ă©galement des sensations correspondant Ă  nos mouvements, mais plus marquĂ©es, accompagnĂ©es de larmes, soupirs^ dĂ©faillance, somnolence, Ă©missions d’humeur par les Ă  lui, il se laissa bander les yeux. Ma-t gnĂ©tisĂ© sans contact, ou mĂȘme non magnĂ©tisĂ©, il Ă©prouva les mĂȘmes effets avec celte diffĂ©rence remarquable quej sur le total des expĂ©riences faites alors sur lui, le tiers seulement offrit une correspondance entre l’action ma-j gnĂ©tique et la sensation Ă©noncĂ©e. La perte de connaissance, survenue Ă  la suite, nous rĂ©duisit Ă  observer les sensations apparentes. Elles annonçaient un Ă©tat de gĂȘne qui, trois fois de suite parut alternativement se calmer et se renouveler lorsqu’on touchait successivement le haut de la poitrine et de l’estomac. Nous nous dĂ©cidĂąmes Ă  ĂŽter le bandeau pour faire cesser l’accĂšs. Gomme il durait encore, on promena devant lui le; doigt de haut en bas, suivant la doctrine du rnagnĂ©-i tisme, qui assigne Ă  ce mouvement la propriĂ©tĂ© de dissiper le malaise, en rĂ©pandant dans tout le corps le fluide concentrĂ© dans une partie. L’accĂšs finit peu aprĂšs, et quoique le malade attribuĂąt cette cessation au dernier procĂ©dĂ© magnĂ©tique, nous crĂ»mes pouvoir nous dispenser de porter le mĂȘme jugement. Une seconde expĂ©rience faite quelques jours aprĂšs, de la mĂȘme maniĂšre et sur la mĂȘme personne, offrit plusieurs diffĂ©rences les premiĂšres impressions furent moins vives et moins nombreuses; il y eut une moindre correspondance entre les sensations avouĂ©es et les opĂ©rations; la somnolence fut plus longue; l’attouchement, qui avait paru diminuer l’état de gĂȘne dans la sĂ©ance prĂ©cĂ©dente, RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME 1E 178i. 205 manqua son effet dans celle-ci, le malade revint Ă  lui sans le secours du procĂšde indiquĂ© comme calmant. De ces divers faits rĂ©unis, ajoute de Jussieu,on peut conclure que l’imagination prĂ©venue, mise en dĂ©faut, iexcitĂ©e par diverses causes rĂ©unies, agit avec assez ide force sur l’homme pour produire en lui les plus grands effets sans le secours d’aucun agent extĂ©rieur. » — C’est ce que nous avons Ă©tabli dĂ©jĂ . 4° Faits indĂ©pendants de l'imagination. Voici, sans contredit, la partie intĂ©ressante et significative du rapport de de Jussieu ; car, ainsi que cet observateur en fait la remarque judicieuse, un seul fait positif qui dĂ©montrerait Ă©videmment l’existence d’un agent extĂ©rieur dĂ©truirait tous les faits nĂ©gatifs qui constatent seulement sa non action. Or, je vous laisse Ă  juger la valeur des observations suivantes PlacĂ© d’un cĂŽtĂ© du baquet vis-Ă -vis une femme dont l’aveuglement, occasionnĂ© par deux taies fort Ă©paisses, avait Ă©tĂ©, un mois auparavant, constatĂ© par les commissaires, je la vis pendant un quart d’heure entier fort tranquille, paraissant plus occupĂ©e du fer du baquet, dirigĂ© sur ses yeux,que de la conversation des autres malades. Dans le moment oĂč le bruit des voix Ă©tait suffisant pour mettre son ouĂŻe en dĂ©faut, je dirigeai, Ă  la distance de six pieds, une baguette sur son estomac, que je savais trĂšs-sensible. Au bout de trois minutes, elle parut inquiĂšte et agitĂ©e ; elle se retourna sur sa chaise, assura que quelqu’un, placĂ© derriĂšre ou Ă  cĂŽtĂ© d’elle, la magnĂ©tisait, quoique j’eusse pris auparavant la prĂ©caution d’éloigner tous ceux qui auraient pu rendre l’expĂ©rience douteuse. Ses inquiĂ©tudes se dissi- 206 CINQUIÈME le çon. pĂšrent presque aussitĂŽt aprĂšs lacessatiou de tnes mouve- ments;et elledevinl tranquille comme auparavant, sur- toutquandon lui eut certifie qu’elle n’avait derriĂšre elle ni malade ni mĂ©decin. Quinze minutes aprĂšs, saisissant les mĂȘmes circonstances, je renouvelai l’épreuve, qui offrit exactement le mĂȘme rĂ©sultat. Toutes les prĂ©cautions possibles en pareil lieu n’avaient point Ă©tĂ© nĂ©gligĂ©es. J’étais assurĂ© que la malade n’avait retirĂ© d’autre avantage de son traitement que d’entrevoir confusĂ©ment certains objets Ă  quelques pouces de distance. Le jour tombait de cĂŽtĂ© sur elle et sur moi. Je ne pouvais me mĂ©fier ni des malades occupĂ©s de tout autre objet ni des mĂ©decins nouvellement admis Ă  suivre le traitement, et qui cherchaient seulement Ă  voir des effets. Un des chefs de la salle Ă©tait prĂ©sent, mais toujours Ă  cĂŽtĂ© de moi, gardant le silence, et me laissant -opĂ©rera mon grĂ©. L’heure avancĂ©e ne me permit pas de faire une troisiĂšme Ă©preuve qui aurait peut-ĂȘtre augmentĂ© la conviction. » — La conviction de qui, loyal de Jussieu? Ignoriez-vous donc qu’il est certaines tĂȘtes si malheureusement organisĂ©es que la vĂ©ritĂ© ne peut y tenir? Le hasard , ce dieu ridicule inventĂ© par l’orgueil et la folie, eĂ»t expliquĂ© votre troisiĂšme Ă©preuve comme il fit des deux premiĂšres. — Le hasard, est le dernier argument de la sottise ou de la mauvaise foi les gens honnĂȘtes et sensĂ©s ne l’invoquent presque jamais 1 . La crise d’uue autre malade Ă©tait un spasme gĂ©nĂ©- 1 Je vis un jour un somnambule tire Ă  travers le couvercle d’une boĂźte fermĂ©e un des quarante mille mots de la langue française. Un membre fort connu de l’AcadĂ©mie de mĂ©decine, qui Ă©tait prĂ©sent ii l’expĂ©rience , n’hĂ©sita point Ă  attribuer ce phĂ©nomĂšne au hasard. RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784. 207 ral, accompagnĂ© de perte passagĂšre des sens, sans aucun mouvement violent. La tĂȘte Ă©tait portĂ©e en avant, les yeux fermĂ©s, les bras repliĂ©s en arriĂšre et Ă©tendus sur les cĂŽtĂ©s, les mains ouvertes, les doigts trĂšs-Ă©cartĂ©s. Mon doigt, en contact sur son front, entre les yeux, paraissait la soulager un peu. Si je le retirais doucement, la tĂȘte, quoique n’étant plus en contact, le suivait machinalement dans toutes sortes de directions, et venait se reporter contre lui. Si, aprĂšs avoir ainsi dirigĂ© sa tĂȘte d’un cĂŽtĂ© je prĂ©sentais mon autre main Ă  un pouce de distance de sa main opposĂ©e, elle la retirait prĂ©cipitamment avec le signe d’une impression vive. Les mouvements ont Ă©tĂ© rĂ©pĂ©tĂ©s trois ou quatre fois en dix minutes; mais au bout de ce temps, le spasme diminuant, la sensibilitĂ© ne fut plus la mĂȘme. Remise de cet Ă©tat, la malade ignorait ce qui s’était passĂ© '. Les moindres mouvements magnĂ©tiques faisaient sur une autre malade une impression si vive que, lorsqu’on promenait plusieurs fois le doigt Ă  un demi- pied de son dos, sans qu’elle pĂ»t le prĂ©voir, elle Ă©tait prise sur-le-champ de mouvements convulsifs et de soubresauts rĂ©pĂ©tĂ©s qui lui annonçaient l’action exercĂ©e et duraient autant que cette action. Mon premier et unique essai sur cette malade produisit le mĂȘme effet dont j’avais Ă©tĂ© tĂ©moin quatre ou cinq fois. a Les salles de traitement contenaient plusieurs autres malades de diffĂ©rents sexes et de constitutions plus plus ou moins irritables, qui Ă©prouvaient aussi, mais moins vivement, l’effet prĂ©cĂ©demment Ă©noncĂ©, surtout * Cette malade Ă©tait endotmie, sinon en somnambulisme. 208 CINQUIÈME LEÇON, lorsqu’ils avaient Ă©tĂ© excitĂ©s par des attouchements sur l’estomac. Si on agitait, Ă  leur insu, le cĂźoigt sur leur tĂȘte ou le long de leur dos sans les toucher, et mĂȘme Ă  quelque distance, iis sautaient souvent avec vivacitĂ© en tournant la tĂȘte pour voir la personne placĂ©e derriĂšre eux. Ce mouvement involontaire et imprĂ©vu Ă©tait excitĂ© surtout par les mĂ©decins nouvellement admis, qui, avant d’exĂ©cuter ouvertement les procĂ©dĂ©s indiquĂ©s, restant hors du cercle des malades, essayaient par derriĂšre, et avec mĂ©fiance, la propriĂ©tĂ© de l’agent qu’on leur avait fait connaĂźtre enhardis par le succĂšs, ils passaient ensuite Ă  une pratique plus Ă©tendue. J’avais produit d’abord assez frĂ©quemment cet effet; mais pouvant soupçonner, ou que les malades pressentaient mon action, on que la sensation aurait eu lieu sans moi, je m’arrĂȘtais longtemps auprĂšs d’eux, attendant le moment favorable pour l’épreuve ; elle me rĂ©ussissait presque toujours. Lorsque je n’agissais point, le tressaillement n’avait pas lieu. Le mĂȘme effet, produit par d’autres, s’est manifestĂ© quelquefois sur les malades dont j’occupais l’attention par des attouchements opposĂ©s. Ces faits sont peu nombreux et peu variĂ©s, parce que je n’ai pu citer que ceux qui Ă©taient bien vĂ©rifiĂ©s et sur lesquels je n’avais aucun doute. Ils suffiront pour faire admettre la possibilitĂ© ou existence d’un fluide, ou agent, qui se porte de l’hoinme Ă  son semblable et exerce quelquefois sur ce dernier une action sensible. » Il est Ă  regretter que de Jussieu n’ait pas rapportĂ© un plus grand nombre d’expĂ©riences analogues Ă  celles 209 RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME RE 1784 . qui prĂ©cĂšdent. Cependant, si l’on tient compte du mĂ©rite de cet observateur, dont la sagacitĂ© Ă©galait la bonne foi, ces expĂ©riences sont plus que suffisantes pour Ă©tablir clairement un ordre de faits d’un intĂ©rĂȘt immense et se dĂ©robant aux principes jusqu’alors adoptĂ©s par les physiologistes. Aussi, de Jussieu a-t-il cru devoir faire entrer dans son rapport une thĂ©orie de ces faits; thĂ©orie dĂ©fectueuse sans doute, parce qu’elle ne pouvait alors ĂȘtre complĂšte, mais qui nĂ©anmoins me paraĂźt supĂ©rieure Ă  celle de Mesmer. Je vais donc vous en donner la substance, en m’efforçant de ne pas altĂ©rer l’enchaĂźnement des propositions qui la constituent. Suivant de Jussieu Le corps humain est soumis Ă  l’influence de diffĂ©rentes causes, les unes internes et morales, telles que l’imagination; les autres externes et physiques, comme le frottement, le contact, et l’action d’un fluide Ă©manĂ© d’un corps semblable. Les derniĂšres causes peuvent se rĂ©duire Ă  une seule, plus simple et plus universelle. L’action gĂ©nĂ©rale des corps, Ă©lĂ©mentaires ou composĂ©s, dont nous sommes entourĂ©s. Cette action est uniforme, et souvent insensible. Plus vive lorsqu’elle agit par le frottement que lorsqu’elle s’exerce par simple contact, elle ne s’opĂšre Ă  distance que sur certains sujets susceptibles de ressentir les plus lĂ©gĂšres impressions. Mais comment cette triple action s’opĂšre-t-elle? quel est le principe qui s’insinue ainsi dans les corps? De Jussieu pense que ce principe est la chaleur et voici de quelle maniĂšre il dĂ©veloppe cette hypothĂšse A l’exemple de Locke et de Condillac, que peut-ĂȘtre U 210 CINQUIÈME LEÇON, il aurait dĂ» citer, il admet d’abord dans les corps animes deux principes celui de la matiĂšre et celui du mouvement. Ce dernier, suivant lui, doit ĂȘtre regardĂ© comme l’agent immĂ©diat de toutes les fonctions animales. DirigĂ© par des lois immuables ou altĂ©rĂ© quelquefois par des causes Ă©trangĂšres, il tend toujours Ă  suivre l’impression primitive et gĂ©nĂ©rale qui lui a Ă©tĂ© donnĂ©e; mais il est souvent dĂ©tournĂ©, altĂ©rĂ©, repoussĂ© par les corps soumis Ă  son action. Cherchant toujours Ă  se mettre en Ă©quilibre, il s’insinue dans les uns et il s’échappe des autres, en raison de sa quantitĂ© contenue en chacun d’eux. Mobile par essence, il se fixe en devenant partie d’eux-mĂȘmes; mais, dĂ©gagĂ© ensuite, il reprend sa premiĂšre nature pour aller se fixer dans d’autres corps. C’est ainsi que les ĂȘtres, mus par ce principe , le donnent et le reprennent continuellement. Principe de mouvement dans la naturee entiĂšre, il devient celui de la chaleur animale dans les corps vivants; de lĂ  cette correspondance marquĂ©e entre les variations de l’atmosphĂšre et l’état de nos organes. >' De Jussieu n’attache, au reste, qu’une importance mĂ©diocre, Ă  cette conception d’un agent particulier, principe de lĂ  chaleur animale ; et il consentirait aisĂ©ment Ă  ce qu’on ne vĂźt dans cet agent qu’une modification de l’électricitĂ© ou du fluide magnĂ©tique minĂ©ral. J.,a matiĂšre introduite dans le corps animal, dit-d , et transformĂ©e en sa substance, change pour ainsi dire de nature en devenant organique; de mĂȘme, le principe actif, qui dans l’air est simplement Ă©lectrique, reçu dans le corps animal modifiĂ© par son union avec la RAPPORTS SUU LE MAGNÉTISME IE 1784. 211 matiĂšre, et par l’impression organique, y prend une autre forme et diverses propriĂ©tĂ©s seeondaires, eu restant nĂ©anmoins assujetti aux lois primitives.» La principale de ces lois est celle de l’équilibre, Ă  laquelle le fluide Ă©lectrique obĂ©it constamment lorsqu’il est abandonnĂ© Ă  lui-mĂȘme. PoussĂ© par cette force impĂ©rieuse, ce fluide se jette avec impĂ©tuositĂ© sur les corps privĂ©s d’électricitĂ©, et s’échappe avec le mĂȘme effort de ceux dans lesquels il est accumulĂ©. Cet effort, exercĂ© du centre Ă  la circonfĂ©rence, forme autour de ces derniers une atmosphĂšre Ă©lectrique, dĂ©montrĂ©e par les expĂ©riences, sensible au tact, et plus ou moins Ă©tendue, selon la quantitĂ© et l’activitĂ© du fluide contenu, selon la forme du corps qui le contient. Elle est plus circonscrite autour des surfaces unies; elle se porte plus loin au-devant des prolongements aigus, et c’est prĂ©cisĂ©ment par ces derniers que la communication est mieux Ă©tablie. RĂ©pandu dans l’air sans s’unir Ă  lui, ayant avec l’eau la plus grande affinitĂ©, ce fluide est saisi par les vapeurs Ă©levĂ©es de terre; condensĂ© dans les nuages, il y forme de grands mĂ©tĂ©ores; ramenĂ© sur la terre avec l’eau de la pluie, il la pĂ©nĂštre et y porte la vie et la fĂ©conditĂ©. » De Jussieu suppose que le mĂȘme principe, modifiĂ© dans les corps organiques, doit suivre Ă  peu prĂšs les mĂȘmes lois; c’est-Ă -dire qu’il tendra sans cesse Ă  se mettre en Ă©quilibre dans des diffĂ©rents ĂȘtres en contact ou rapprochĂ©s les uns des autres, et dont chacun, suivant sa constitution particuliĂšre, sera plus ou moins apte Ă  l’attirer ou Ă  le retenir. Tout ĂȘtre vivant, dit-il, est un vĂ©ritable corps Ă©lectrique, constamment imprĂ©- 212 CINQUIÈME LEÇON. guĂ© de ce principe actif, niais non pas toujours eu mĂȘme proportion. Les uns en ont plus, et les autres moins; de lĂ , en partie, cette diffĂ©rence, soit dans les tempĂ©raments, soit dans les constitutions journaliĂšres. » De Jussieu prend peut-ĂȘtre ici la cause pour l’effet; mais sa rĂ©flexion n’en dĂ©note pas moins une rare perspicacitĂ©; il continue ainsi 3 mocritePD’oĂč venait cette image? car, suivant DĂ©mo- crite, les images Ă©manent des corps solides qui ont une forme certaine. Qu’était-ce donc que le corps de Marius? —Celui, rĂ©pondra DĂ©mocrite, qu’il avait autrefois, car tout est plein d’images. — C’est donc l’image de Marius qui me suivait prĂšs d’Attina * ? » Que signifie ce commentaire sur le corps rĂ©el ou fictif de Marius, puisque son frĂšre ne prĂ©tendait pas que ce dernier fĂ»t sorti de sa tombe pour lui parler? Quand j’étais proconsul en Asie, lui dit Quintus, comme pour le convaincre, il me sembla vous voir Ă  cheval au bord d’un fleuve. Vous y tombĂątes avec votre cheval; mais, tout Ă  coup, vous reparĂ»tes Ă  l’autre rive, montĂ© sur le mĂȘme cheval; nous nous embrassĂąmes 2 . » CicĂ©ron avoue le fait Oui, dit-il, mais comme vous pensiez a moi, vous crĂ»tes me voir sortir du fleuve. C'est que nous gardions tous deux, dans notre Ăąme, des traces de ce qui nous occupait avant notre sommeil 3 . » a Mais je vous ai vu Ă  cheval , rĂ©pliqua Quintus, vous tombiez dans le fleuve avec votre cheval. — Oui, mais vous pensiez Ă  moi, je pensais Ă  vous, il y avait sympathie, et vous avez cru me Mais le fait en lui-mĂȘme, si nettement dĂ©terminĂ©, mais la chute dans le fleuve; mais le cheval, qui ne pensait pas plus Ă  Quintus que celui-ci ne pensait Ă  lui, et qui n’avait certainement pas laissĂ© de traces dans * De la divination, liv. n, S 48- a Id., § 28 . * Id., § 48 . 364 NEUVIÈME LEÇON. son amei... Quintus a-t-il vu tout cela, oui ou non? — AssurĂ©ment CicĂ©ron divague, et il le sent bien, car il ajoute Il est vrai qu’il se joint Ă  votre songe l’idĂ©e du cheval que je montais, et qui, d’abord englouti avec moi, reparut avec moi sur l’autre rive. Mais.... croyez-vous qu’il se trouvĂąt quelque vieille assez insensĂ©e pour ajouter foi aux songes s’ils n’of- fraient quelques hasards de ce genre? » Ce dernier trait, messieurs, peint l’auteur du TraitĂ© sur la divination, livre qui a pourtant servi de modĂšle Ă  tant d’ouvrages du mĂȘme genre que nous nous dispenserons de rĂ©futer. Laissant de cĂŽtĂ© dĂ©sormais la partie dogmatique, je vais consacrer le reste de cette leçon Ă  l’examen rapide des principaux faits de somnambulisme dont le monde s’est occupĂ©. Je dis seulement des principaux, car ces faits sont innombrables; vous ne pouvez manquer de le comprendre. Mais il en est parmi ceux dont j’ai avons entretenir qui ont exercĂ© sur les destinĂ©es humaines une influence considĂ©rable. En vous exposant dans ma deuxiĂšme leçon l’histoire du magnĂ©tisme, je n’ai pu m’empĂȘcher de vous citer les lois de MoĂŻse qui frappaient les pythies et ceux qui les consultaient. Les quelques versets de XExode et du DeutĂ©ronome que je vous ai rapportĂ©s renferment Ă  peu prĂšs ce que nous possĂ©dons de plus prĂ©cis sur l’histoire du somnambulisme chez les Egyptiens et les HĂ©breux. Ces pythies, dont il est question dans les versets, Ă©taient, selon toute apparence, des somnambules magnĂ©tiques; mais nous ne savons s’il en Ă©tait de mĂȘme Ă e Samuel, que SaĂŒl alla consulter pour savoir HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 365 ce qu’étaient devenues les Ăąnesses de son pĂšre, Ă©garĂ©es depuis plusieurs jours', et des quatre cents prophĂštes qu’Achab, roi d’IsraĂ«l, rassembla pour apprendre d’eux s’il devait faire la guerre pour prendre Ramotb en Galaad 2 . Samuel et les prophĂštes d’Achab, que l’Écriture dĂ©signe sous le nom de voyants, Ă©taient peut- ĂȘtre des extatiques. Deleuze, dans son MĂ©moire sur la prĂ©vision, a traitĂ© en philosophe chrĂ©tien la question des grands prophĂštes et des faux prophĂštes. Les premiers, selon lui, Ă©taient rĂ©ellement inspirĂ©s de l’esprit divin, tandis que les faux prophĂštes n’étaient que des somnambules. C’est- Ă -dire que les uns et les autres voyaient l’avenir, mais les premiers seulement pouvaient prĂ©dire avec certitude les Ă©vĂ©nements les plus Ă©loignĂ©s, et notamment celui qu’ils avaient mission d’annoncer aux hommes. Quant Ă  moi, j’adopte aveuglĂ©ment les opinions de Deleuze sur ce sujet dĂ©licat, et, dans la crainte d’ĂȘtre conduit par une discussion trop indĂ©pendante Ă  d’autres conclusions que les siennes, je m’empresse dĂ©placer la question sur un terrain moins pĂ©rilleux en vous parlant des oracles. Les oracles sont aux thĂ©ogonies paĂŻennes ce que les prophĂštes sont au christianisme. Ils eurent, comme eux, pendant des siĂšcles, un caractĂšre sacrĂ© que respectĂšrent les philosophes de la GrĂšce. Dieu, dit Socrate, ne se manifeste pas immĂ©diatement Ă  r’homme c’est par l’entremise des esprits que les dieux commercent avec les hommes et leur 1 Rois, liv. iii, cliap. y. * Id., chap. 33. 366 NEUVIÈME LEÇON. parlent, soit pendant la veille, soit pendant le sommeil *. » L’origine des oracles se perd dans la nuit des temps. Celui de Jupiter Ammom, dans la Libye, et celui de Dodoue, en GrĂšce, passent pour les plus anciens 2 ce dernier, suivant Macrobe, existait dĂ©jĂ  quatorze cents ans avant JĂ©sus-Christ 3 . Cependant Plutarque qui vivait dans le premier siĂšcle de l’ùre chrĂ©tienne, avance que l’oracle de Delphes comptait alors plus de trois mille ans d’existence *. Si, d’un autre cĂŽtĂ©, l’on en croit les poĂštes, Cassandre chez les Troyens, et, dans le Latium, Nicostrate ou Carmente, mĂšre d’Evandre, sont les plus anciens oracles connus. Enfin, la sybille de Cumes, suivant Virgile, prĂ©disait dĂ©jĂ  dans la Campanie lorsqu’on y aborda s . Au surplus, la question d’anciennetĂ© est ici tout Ă  fait oiseuse; car, si la nature humaine n’est pas changĂ©e depuis la crĂ©ation du monde, il est plus que probable qu’il y eut de tout temps des extatiques, et partant des oracles. Le grand nombre de ceux dont l’histoire nous a conservĂ© le souvenir prouve d’ailleurs combien Ă©tait gĂ©nĂ©rale la foi qu’ils inspiraient au beau temps de la GrĂšceet connaissait alors, indĂ©pendamment de ceux que j’ai nommĂ©s dĂ©jĂ , les oracles de Jupiter * Platon, Banquet, t. VI, p. 298. * Strabon, liv. xvii, t. III, p. 117. 5 Macrobe, Saturnales , liv. 1, chap. 28. 4 Plut., Des oracles de la-pythie, p. 184. “ ÉneĂŻde, lib. vx. HISTOIRE DU SOMNAMBĂŒLISME. 367 Olympien Ă  AgĂ©sipolis, de Vulcain Ă  HĂ©liopolis, d’Apollon Ă  Claros, de Mars dans la Thrace, de VĂ©nus Ă  Aphaca, d’Esculape Ă  Epidaure, Ă  EgĂ©e et Ă  Rome, de SĂ©rapis et d’Isis en Égypte, de Trophonius et d’Am- phiaraĂŒs en GrĂšce, de Mopsus en Cilicie, etc., etc. Mais le plus cĂ©lĂšbre de tous Ă©tait sans contredit celui de Delphes, sur lequel saint Basile, OrigĂšne et saint ChrysostĂŽme nous ont conservĂ© les dĂ©tails les plus intĂ©ressants. Il est impossible, aprĂšs avoir lu ces PĂšres, de ne pas reconnaĂźtre le somnambulisme, et prĂ©alablement l’accĂšs d’hystĂ©rie qui si souvent le prĂ©cĂšde et le dĂ©termine dans les fureurs de la pythie, si bien dĂ©crites par Virgile. Saint Basile s’exprime ainsi Vous parlerai-je de la pythie? la pudeur m’arrĂȘte; elle devrait me fermer la bouche. Il est pourtant nĂ©cessaire que je rĂ©vĂšle ses indĂ©cents mystĂšres pour faire connaĂźtre et la turpitude des prĂȘtres et la folie de ceux qui les consultaient. La pythie, donc, Ă©tait forcĂ©e de s’asseoir sur le trĂ©pied d’Apollon, les jambes Ă©cartĂ©es. Le mauvais esprit se glissait par les parties sexuelles, et remplissait la pythie de fureur 1 . C’était alors que ses cheveux se dressaient, qu’elle se dĂ©battait violemment, rendait l’écume par la bouche et profĂ©rait des mots pleins d’ivresse et de folie. » OrigĂšne 2 et saint ChrysostĂŽme 3 rapportent le fait de la mĂȘme maniĂšre et presque dans les mĂȘmes termes. Dicitur ergo ipso, pythia mulier queedam sedere in Apollinis tripode deduclis cruribus ; inde malus spiritus deorsum reddilus, et per gĂ©nitales ejus partes transiens, furore mulierem implere. S. Basil., supra prima Epistol. ad Corinthios. * Narratur valem illam desidere super foramen specus caslalii, 368 NEUVIÈME LEÇON. Mais quel Ă©tait cet esprit malin malus spiritus qui s’introduisait dans le corps de la prĂȘtresse? Ă©videmment une exhalaison du sol, une vapeur volcanique, un gaz, peut-ĂȘtre un sulfure d’hydrogĂšne, et plus vraisemblablement de l’acide carbonique, dont il existe encore aujourd’hui des rĂ©servoirs naturels dans le voisinage de plusieurs volcans, et notamment dans la fameuse grottedu Chien, prĂšs de Pouzzoles. Ce gaz, ou cette vapeur, en pĂ©nĂ©trant dans l’utĂ©rus des jeunes femmes qu’on exposait cĂ  son influence, dĂ©terminait chez elles l’exaltation frĂ©nĂ©tique et les symptĂŽmes bizarres que dĂ©crivent les historiens ; mais ceci demande explication. L’hystĂ©rie, maladie trĂšs-frĂ©quente de nos jours comme elle le fut peut-ĂȘtre dans tous les temps, estime affection nerveuse particuliĂšre aux femmes, et dont le siĂšge est la matrice. Les mĂ©decins modernes sont fixĂ©s sur ce point, et Broussais affirme, dans son Cours de pathologie gĂ©nĂ©rale, avoir soignĂ© une hystĂ©rique chez laquelle ou dĂ©terminait infailliblement l’accĂšs en pinçant le col utĂ©rin. Un trĂšs-grand nombre d’expĂ©riences faites il y a quelques annĂ©es Ă  l’hospice de l’Oursine ont prouvĂ©, en outre, que l’introduction dans la matrice d’un liquide irritant ou simplement astringent, tel que la dĂ©coction et ascendentem indc spirilum per muliebre gremium recipere, quo repleta profert ista prƓclara et divina, ut putantur, oracula. Okig. contr. Cels., lib. vii. 3 Dicitur pythia insedere Iripodi quandoque Apollinis , ac qui- dem cruribus apertis; sicque malignum spirilum inserere, in corpus ejus penetranlem, ipsam implere Jurorc. S. Ciirvsostomus, Homel. 20, in Cor. 22. HISTOIKK DU SOMNAMBULISME. 360 de noix de galle, donne lieu instantanĂ©ment aux accidents hystĂ©riques les mieux caractĂ©risĂ©s. De simples injections d’eau froide ont meme suffi plusieurs fois pour produire le mĂȘme effet. — Le gaz qui se dĂ©gageait sous le trĂ©pied sacrĂ© agissait donc Ă  la maniĂšre de ces corps Ă©trangers. Il n’est pas Ă©tonnant, dit M. le comte Abrial, que la pythie sentant les premiĂšres atteintes de celte vapeur malfaisante, cherchĂąt Ă  s’y soustraire en quittant le trĂ©pied, mais les prĂȘtres Ă©taient lĂ  qui l’y retenaient malgrĂ© elle. De lĂ  tous les symptĂŽmes qu’on attribuait Ă  la prĂ©sence du dieu, qui Ă©tait censĂ© la dompter la poitrine oppressĂ©e, l’Ɠil Ă©garĂ©, la bouche Ă©cumante. Si, malheureusement, on ne gardait pas de mesure dans l’introduction de la vapeur, l’état de la pythie devenait affreux. On en a vu succomber, d’autres rester deux ou trois jours Ă  se remettre. BientĂŽt on reconnut qu’une seule pythie ne pouvait suffire Ă  des expĂ©riences si dangereuses, on en multiplia le nombre L » Lorsque la pythie Ă©tait descendue du trĂ©pied, elle tombait dans une langueur profonde qui se dissipait peu Ă  peu, aprĂšs quoi elle reprenait ses sens et oubliait ses prophĂ©ties. Les oracles de Delphes n’étaient donc que des hystĂ©riques; tous les mĂ©decins en conviendront; mais ils ne manqueront pas d’objecter, en mĂȘme temps, que l’hvs- tĂ©rie n’étant pas toujours accompagnĂ©e d’extase ou de somnambulisme ces deux mots, pour nous,sont dĂ©sormais synonymes les influences de l’antre sacrĂ©, tout en expliquant les Jureurs des prĂȘtresses, ne rendent pas 1 Annales du magnĂ©tisme, n° xxx. *24 370 NEUVIÈME LEÇON, compte de leurs visions. Or, Ă  cela je rĂ©pondrai i° que nous ignorons ce que devient l’hystĂ©rie lorsque la cause qui la provoque agit sans interruption pendant un temps plus ou moins long ; 2 ° que cette cause Ă©tant ici d’une nature spĂ©cifique, il pouvait en rĂ©sulter des effets particuliers; 3° enfin, que, selon toute probabilitĂ© , les prĂȘtres d’Apollon choisissaient leurs sujets et ne conservaient pour l’usage public de leur culte que ceux dont la constitution rĂ©pondait Ă  ses exigences. Diodore de Sicile nous fait connaĂźtre comment l’oracle de Delphes fut dĂ©couvert, et son rĂ©cit concorde avec nos conjectures Cet oracle, dit-il, fut trouvĂ© par des chĂšvres. Il s’était formĂ© une ouverture dans la terre, lĂ  oĂč est aujourd’hui le temple. Quelques chĂšvres s’en Ă©tant approchĂ©es, on fut Ă©tonnĂ© de leur voir faire des sauts extraordinaires et rendre des sons plus extraordinaires encore. Un pĂątre curieux veut connaĂźtre la cause de ce prodige il avance sa tĂȘte sur l’ouverture, et aussitĂŽt, saisi d’une fureur divine, il se met Ă  prĂ©dire l’avenir. Le bruit s’en rĂ©pand; tout le monde accourt, chacun veut essayer s’il obtiendra la vertu prophĂ©tique. Le succĂšs est constant. Mais il arriva bientĂŽt que des prophĂštes trop avides furent victimes de leur curiositĂ© et pĂ©rirent par la force de la vapeur. Ce fut alors qu’on imagina de confier le sort de l’oracle Ă  une femme '. » Enfin, HĂ©rodote ajoute que bientĂŽt, au lieu d’une, on en choisit plusieurs 2 . 1 Diodore, Devila Alexandri. * HĂ©rodote, Erato. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 371 Ainsi, le trouble prophĂ©tique ou le somnambulisme qui, Ă  Delphes, s’emparait de la pythie, n’avait rien que de naturel, puisque l’émanation qui le produisait agissait sur les profanes aussi bien que sur elle-mĂȘme, sur les animaux comme sur les hommes, et ce fut lorsque cette vapeur se perdit dans la terre que l’oracle cessa , ainsi que Plutarque et CicĂ©ron en ont fait la remarque. Au surplus, l’antre de Delphes n’était pas le seul qui communiquĂąt le don de prophĂ©tiser, et l’on voyait naĂźtre des oracles partout oĂč les prĂȘtres dĂ©couvraient des rĂ©servoirs d’acide carbonique je persiste dans cette hypothĂšse formĂ©s par la nature dans des terrains volcaniques dont le temps a aujourd’hui Ă©puisĂ© les Ă©manations. Tel Ă©tait l’antre de Trophonius, oĂč descendit le jeune Titnax’que pour consulter le dieu et recevoir ses communications en songe. Le prĂȘtre qui le conduisait eut soin de le faire coucher sur le sol, pour le rendre plus accessible Ă  l’influence du gaz, qui, plus lourd que l’air atmosphĂ©rique, en occupe toujours les couches infĂ©rieures. Timarque reçut alors un violent coup au cerveau, sorte d’étourdissement apoplectique qui prĂ©cĂ©da son soiĂŻimeil. Strabon parle d’une caverne du mĂȘme genre, qu’il place entre FralcĂšs et NĂ©pĂ©, et qui Ă©tait consacrĂ©e Ă  Pluton et Ă  Junon, dont elle surmontait le temple. Les malades se rendaient Ă  l’entrĂ©e de cette caverne; les prĂȘtres allaient y dormir pour eux, et revenaient ensuite leur indiquer les remĂšdes qu’ils avaient vus en songe. Si les malades voulaient consulter eux-mĂȘmes, on les conduisait plusieurs fois dans l’antre oĂč l’on finissait par les laisser plusieurs jours sans nourriture; 372 NEUVIÈME LEÇON, aprĂšs quoi ils s’endormaient du sommeil prophĂ©tique, et l’en recueillait, pour les leur rapporter, les paroles qu’ils prononçaient. Ce lieu, ajoute Strabon , Ă©tait inaccessible et mortel Ă  tous ceux qui y pĂ©nĂ©traient sans l’assistance des prĂȘtres. Chaque annĂ©e, l’on cĂ©lĂ©brait une fĂȘte prĂšs de cet antre sacrĂ©. Des jeunes gens nus et frottĂ©s d’huile donnaient la chasse Ă  un taureau qu’ils forçaient d’y entrer. Parvenu Ă  un certain endroit, l’animal tombait mort 1 , ce qui s’explique aisĂ©ment le taureau, comme les profanes qui s’aventuraient sans guides, Ă©tait asphyxiĂ© en arrivant au fond de la caverne, oĂč l’acide carbonique n’était plus mĂȘlĂ© d’air respirable. Le hasard qui fit dĂ©couvrir les Ă©manations gazeuses et leur merveilleux effet, conduisit sans doute les prĂȘtres paĂŻens Ă  chercher dans d’autres agents des propriĂ©tĂ©s analogues. VoilĂ  donc comment ils reconnurent que certaines eaux jouissaient aussi bien que les vapeurs de Delphes, de Trophonius, etc., de la vertu d’inspirer l’esprit prophĂ©tique. Jamblique parle en ces termes de la fontaine de Co- lophone Il est reconnu par tout le monde, que l’oracle de Colophone rend ses rĂ©ponses par l’eau. Il est constant, en effet, qu’il y a dans un antre souterrain une fontaine de laquelle boit le prophĂšte. AprĂšs que toutes les formalitĂ©s prescrites ont Ă©tĂ© remplies pendant plusieurs nuits et que le prophĂšte a bu de cette eau, il vaticine, rendu invisible Ă  tous les assistants. On reconnaĂźt bien aisĂ©ment par lĂ  que cette eau est divinatrice 5 . » 1 Strabon, liv. xiv. * Jamblique, De mysleriis, sect. in, c. aa. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 373 On reconnaĂźt aussi, ajouterons-nous, que cette invisibilitĂ© du prophĂšte n’était qu’une charlatanerie bien aisĂ©e Ă  pratiquer au fond d’un antre. Mais tel Ă©tait l’usage des prĂȘtres du paganisme ils cherchaient constamment Ă  dĂ©guiser la vĂ©ritĂ©, en donnant aux choses les plus simples le prestige du merveilleux. Quelle Ă©tait la composition de l’eau sacrĂ©e de Colo- phone? Devait-elle Ă  ses propriĂ©tĂ©s naturelles ou aux ingrĂ©dients qu’on y mĂȘlait l’action qu’elle exerçait sur les centres nerveux? c’est ce que nous ignorons. Nous savons, Ă  la vĂ©ritĂ©, que les eaux gazeuses portent au cerveau, et dĂ©terminent mĂȘme chez quelques personnes dĂ©licates une sorte d’ivresse passagĂšre, qui n’est pas sans rapport avec l’extase; mais cette circonstance ne suffirait pas pour nous rendre compte des oracles de Colophone, si les auteurs ne nous apprenaient que le prophĂšte, tout en buvant l’eau divine, se prĂ©parait pendant plusieursnuits Ă  en subir l’influence. Cette prĂ©paration consistait peut-ĂȘtre Ă  garder l’abstinence, pratique usitĂ©e, comme nous l’avons vu, dans l’antre deTropho- nius. Or, on sait aujourd’hui qu’une diĂšte rigoureuse, continuĂ©e pendant plusieurs jours , prĂ©dispose singuliĂšrement aux visions et aux hallucinations, c’est-Ă -dire Ă  un Ă©tat d’exaltation cĂ©rĂ©brale qui diffĂšre peu de l’extase. Pline le naturaliste confirme la vertu prophĂ©tique de l’eau de Colophone, mais sans parler de l’invisibilitĂ© du prophĂšte, et en ajoutant qu’un usage trop frĂ©quent de cette eau pouvait abrĂ©ger la vie * Colophone in Clarii Apollinis specie lacuna est, cujus potu mirareddunturoiacula, bibentium breviore vila.» Plin., lib. il, c. io5. 374 NEUVIÈME LEÇON. L’orateur Aristide, dans l’éloge qu’il fait du puits d’Esculape, Ă  Pergame, dit aussi quelques mots des fontaines sacrĂ©es qui communiquaient le don de prophĂ©tie 1 . Enfin SĂ©nĂšque parle, dans ses Questions naturelles, du fleuve Lyncestius, et de plusieurs lacs dont les eaux rendaient furieux ou endormaient ceux qui en avaient bu. Ces eaux, dit-il, ont une force semblable Ă  celle du vin, mais plus active; car de mĂȘme que l’ivresse, tant qu’elle subsiste est une dĂ©mence qui se termine par l’assoupissement, de mĂȘme la force sulfureuse de cette eau a quelque chose de pĂ©nĂ©trant qui transporte l’esprit de fureur ou l’accable par le sommeil 2 . » VoilĂ , messieurs, des tĂ©moignages dont la gravitĂ© ne saurait nous laisser de doute sur l’exactitude des faits. Mais quant Ă  la vĂ©ritable nature de ces faits eux-mĂȘmes, c’est-Ă -dire quant aux causes qui les produisaient, nous ne pouvons que nous livrer Ă des conjectures. Existait-il rĂ©ellement des eaux narcotiques ou enivrantes, qui, sans aucune prĂ©paration , dĂ©terminaient le somnambulisme? Les prĂȘtres d’Esculape, indubitablement initiĂ©s au magnĂ©tisme, avaient-ils aussi le secret de magnĂ©tiser l’eau des fontaines? Enfin, y mĂȘlaient-ils, dans des proportions convenables, certains spĂ©cifiques dont l’effet leur Ă©tait connu?... Ce qui, dans ces temps reculĂ©s, Ă©tait dĂ©jĂ  pour les profanes un mystĂšre impĂ©nĂ©trable, doit, Ă  plus forte raison, en rester un pour nous. Au surplus, tous les oracles n’étaient pas inspirĂ©s ou mis en crise par des agents extĂ©rieurs. 11 y avait parmi eux des individus sujets Ă  des accĂšs de som- ' Aristid., OpĂ©ra, tom. I, p. 447- s Senec., Quest. natur., lib. h, cap. io3. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 375 nambulisme spontanĂ© et quelquefois mĂȘme volontaire. Telle Ă©tait, apparemment, la sibylle de Cumes, que Tacite fait arriver Ă  Rome, sous le rĂšgne de Tarquin, l’an du monde 34^5 *. Tous les visionnaires ou les crisiaques de l’antiquitĂ© n’étaient pas indistinctement considĂ©rĂ©s comme des oracles; mais tous, nĂ©anmoins, avaient aux yeux du vulgaire un caractĂšre sacrĂ© auquel plusieurs ont dĂ» une grande partie de la renommĂ©e qui leur a survĂ©cu. Socrate est le plus cĂ©lĂšbre des extatiques de la GrĂšce. Platon, son Ă©loquent interprĂšte, ne nous laisse aucune incertitude sur la nature de ses crises. Elles le prenaient subitement, l’isolaient du monde extĂ©rieur, et c’est alors qu’il croyait entendre la voix d’un dieu ou d’un gĂ©nie qui l’instruisait des pĂ©rils dont il Ă©tait menacĂ© et lui rĂ©vĂ©lait l’avenir. Socrate, au siĂšge de PolidĂ©e, eut une de ces crises qui dura douze heures, pendant lesquelles il demeura debout, immobile, au milieu d’une plaine et sous un soleil brĂ»lant. Ces accĂšs d’extase, selon toute apparence, se renouvelaient frĂ©quemment Laissez Socrate oĂč il est, dit AristodĂšme dans le Banquet ; il lui arrive souvent Ă e, s’arrĂȘter ainsi en quelque endroit qu’il se trouve; vous le verrez bientĂŽt, si je ne me trompe; ne le troublez pas, et ne vous occupez pas de lui 2 . » Socrate avait nettement la conscience de ce qui se passait en lui pendant ses crises, car voici comment il en parle 1 Tacite, Hist., liv. i. 4 Platon, Banquet. 376 .NEUVIÈME Il me semble, mon cher Criton, que j’entends tout ce que je viens de dire, et le son de toutes ces paroles rĂ©sonne si fort Ă  mes oreilles qu’il m’empĂȘche d’entendre ce qu’on me dit d’ailleurs » Socrate, enfin, sans prĂ©voir exactement le retour de ses accĂšs, sentait qu’ils Ă©taient provoquĂ©s en lui parla nature des choses dont il s’occupait, ou par les lieux oĂč il Ă©tait Ecoute-moi donc en silence, dit-il Ă  PhĂšdre, car ce lieu a quelque chose de divin, et si les nymphes qui l’habitent me causaient, dans la suite de mon discours, quelque transport frĂ©nĂ©tique, il ne faudrait pas t’en Ă©tonner 2 . » Ee gĂ©nie familier de Socrate a Ă©tĂ© l’objet de commentaires nombreux. Parmi les critiques de cet homme cĂ©lĂšbre, ceux-ci ne virent que des hallucinations dans ses pressentiments, que ceux-lĂ  traitaient de jongleries. C’est par pur hasard, disent les derniers, que Socrate allant souper chez AndroclĂšs, refusa de prendre la rue des Coffretiers, sous prĂ©texte qu’il avait pressenti l’arrivĂ©e dans cette rue d’une troupe de pourceaux couverts d’ordures, qui y passĂšrent en effet quelques moments plus tard; et c’est encore par hasard qu’à la bataille de DĂ©limn il eut la fantaisie de se sĂ©parer seul des fuyards, qui, en suivant la route qu’il Ă©vita, tombĂšrent dans la cavalerie ennemie. Socrate, messieurs, n’était ni un fou ni un charlatan ; c’était simplement.... un extatique. Le somnambulisme eut dans les premiers temps 4 Platon , Criton. 1 Id., PhĂšdre. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 377 de notre histoire le caractĂšre sacrĂ© que lui avait donnĂ© l’antiquitĂ© grecque. Les druidesses } que l’on consultait dans les occasions difficiles, Ă©taient entourĂ©es de vĂ©nĂ©ration chez tous les peuples des Gaules et de la Germanie. DouĂ©es de talents singuliers, dit un ancien gĂ©ographe , elles guĂ©rissent les maladies rĂ©putĂ©es incurables, connaissent l’avenir et l’annoncent aux hommes '. » Les druidesses Ă©taient donc consultĂ©es pour les maladies comme pour les affaires publiques. Elles vivaient dans la retraite, n’étaient visitĂ©es que par les prĂȘtres ou par leurs parents, et recevaient des prĂ©sents en Ă©change de leurs conseils. La cĂ©lĂšbre VellĂšda, que M. de Chateaubriand fait figurer dans ses Martyrs, se tenait renfermĂ©e dans une haute tour dont elle ne sortait presque jamais. C’était, nous dit Tacite, un de ses proches les plus distinguĂ©s qui allait la consulter, et qui rapportait sa rĂ©ponse comme celle d’un oracle ou d’un dieu 2 . Les druidesses Ă©taient-elles des extatiques ou des somnambules magnĂ©tisĂ©es par les druides? cette question se dĂ©robe avec tant d’autres sous le voile mystĂ©rieux qui couvrit toujours le culte de nos ancĂȘtres; mais les notions que les druides avaient certainement du magnĂ©tisme tendraient Ă  me faire opiner dans le sens de la seconde hypothĂšse. Si le somnambulisme, aprĂšs avoir rendu d’éminents services Ă  l’antiquitĂ©, n’a laissĂ© dans le moyen Ăąge que de dĂ©plorables souvenirs, c’est que le caractĂšre surnaturel que lui avaient conservĂ© l’ignorance et la super- * Pomponius Meta, De situ orbis, t. III, c. 6. 3 Tacite, Hist., liv. iv. 378 NEUVIÈME LEÇON. stition ne pouvait s’harmoniser avec le dogme du christianisme. L’empereur ThĂ©odose, Ă  la fin du iv e siĂšcle, avait proscrit le culte des idoles, et les oracles cessĂšrent lorsque les lois eurent fermĂ© les temples paĂŻens. Alors les visions des extatiques n’étant plus sanctifiĂ©es par l’autoritĂ© du sacerdoce, ces malheureux se virent flĂ©tris par l’opinion publique qui, aprĂšs avoir adorĂ© en eux les interprĂštes de la DivinitĂ©, crĂ»t dĂ©couvrir dans leurs convulsions lĂ©s manifestations de l’esprit du mal. Il y eut pourtant, de loin en loin, quelques rares exceptions en faveur de personnes dont les vertus et la puretĂ© ne permettaient aucun genre de suspicion dĂ©shonorante. NĂ©anmoins comme on Ă©tait dans la nĂ©cessitĂ© de faire intervenir en pareils cas quelque puissance surnaturelle , ce fut la main de Dieu qu’on crut voir Ă  la place du gĂ©nie des tĂ©nĂšbres. Jeanue d’Arc et sainte ThĂ©rĂšse eurent donc leur place exceptionnelle entre les sorciers et les possĂ©dĂ©s. Rappelons-nous, toutefois, que la premiĂšre, avant d’ĂȘtre rĂ©habilitĂ©e par quelques Ă©crivains qui devançaient leur siĂšcle, fut brĂ»lĂ©e comme sorciĂšre; mais, cent ans aprĂšs, on canonisait dans sainte ThĂ©rĂšse les rĂ©vĂ©lations et les apparitions qu’on avait condamnĂ©es comme Ɠuvres du dĂ©mon dans la vierge de Vaucouleurs. — Toute l’histoire du moyen Ăąge est dans ces deux biographies. DĂšs l’ñge de treize ans, dit Jeanne d’Arc, une voix se fit entendre Ă  moi dans le jardin de mon pĂšre. Elle Ă©tait Ă  droite, du cĂŽtĂ© de l’église, et accompagnĂ©e d’une grande clartĂ©. J’en eus peur dans les commencements. Mais je reconnus que c’était la voix d’un ange qui HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 379 m’a bien gardĂ©e depuis et qui m’a appris Ă  bien me conduire et Ă  frĂ©quenter l’église. C’était saint Michel '. » Le miracle , comme vous voyez, se prĂ©parait de loin , car il ne s’agissait pas encore de sauver Charles VII et la France. Remarquez, d’ailleurs, comment les choses se passent La jeune fdle voit une grande clartĂ© en mĂȘme temps qu’elle entend la voix; double hallucination qui caractĂ©rise l’exaltation cĂ©rĂ©brale et l’expansion du sens interne. Quelques pieuses rĂ©miniscences font le reste. Cinq ans aprĂšs, une nouvelle crise a lieu; mais, cette fois, les prĂ©occupations de sa patrie et les dangers qui la menacent vont servir d’aliment aux facultĂ©s de l’extatique. Elle entend une voix qui lui dit Que Dieu a grand’pitiĂ© du peuple de France et qu’il faut qu’elle aille pour le sauver; qu’elle trouvera Ă  Vaucouleurs un capitaine qui la conduira, sans obstacle au roi 1 2 . » Le 12 fĂ©vrier 1428, jour mĂȘme du funeste combat de Rouvray-Saint-Denis, Jeanne dit Ă  messire Robert de Beaudricourt, gouverneur de Vaucouleurs, que le roi a eu grand dommage devant OrlĂ©ans,.et au- rait encore plus si elle n’était menĂ©e devant lui. » L’exactitude de cette nouvelle anticipĂ©e dĂ©cide Beaudricourt Ă  envoyer Jeanne au roi 3 . Le lendemain, au moment de son dĂ©part, quelques 1 Notice des manuscrits de la BibliothĂšque du roi, t. III, p. 36. 2 Jd., 3og. s Histoire de Jeanne d’Arc, par Lebrun des Charmettes, t. I, p. 336. 380 NEUVIÈME LEÇON, personnes demandant Ă  Jeanne comment il Ă©tait possible qu’elle osĂąt entreprendre ce voyage Ă  travers la foule de gens armĂ©s qui battaient le pays, elle rĂ©pondit qu’elle trouverait le chemin libre. En effet, il ne lui arriva aucun accident, non plus qu’à ceux qui l’accompagnaient pendant ce voyage, qui dura onze jours, en pays ennemi, Ă  la fin de l’hiver et sur une route de cent cinquante lieues coupĂ©e de riviĂšres profondes Au moment oĂč elle entra chez le roi, un homme Ă  cheval qui la vit passer demanda Ă  quelqu’un Est-ce pas lĂ  la Pucelle? Comme on lui rĂ©pondit affirmativement, il dit en reniant Dieu jarnidieu, que, s’il l’avait seulement une nuit, elle ne le quitterait pas vierge. Jeanne l’entendit, et, tournant la tĂȘte Ha, en mon Dieu! tu le renyes, dit-elle, et si prĂšs de ta mort! » Environ une heure aprĂšs, cet homme tomba dans l’eau et se noya 2 . Le mois suivant, Jeanne Ă©tant Ă  Poitiers, dit aux docteurs qui Ă©taient chargĂ©s de l’examiner i° Que les Anglais seraient battus et lĂšveraient le siĂšge qu’ils avaient mis devant OrlĂ©ans; a° que le roi serait sacrĂ© Ă  Reims; 3° que la ville de Paris serait rendue Ă  l’obĂ©issance du roi; 4° que le duc d’OrlĂ©ans reviendrait d’Angleterre. — Toutes ces prĂ©dictions s’accomplirent. Lors du siĂšge d’OrlĂ©ans, il avait Ă©tĂ© rĂ©solu qu’on attaquerait le fort du pont de cette ville occupĂ© par les Anglais. Jeanne assura qu’il serait pris, et qu’on rentrerait dans OrlĂ©ans a la nuit, parle pont. ' Histoire de Jeanne d’Arc, etc., p. 56o-5;,6. * ld., p. 3^4. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 381 Elle ordonna Ă  tout le monde d’ĂȘtre prĂȘt de bonne heure, et Ă  son confesseur de ne pas la quitter le lendemain car, dit-elle, j’aurai plus de choses Ă  faire que jamais, et il sortira demain du sang de mon corps, vers mon sein. » Le lendemain, en effet, le fort fut attaquĂ© dans l’aprĂšs-midi. Jeanne reçut une flĂšche Ă  l’épaule et le soir, enfin, le fort fut enlevĂ©, et l’on rentra dans OrlĂ©ans par le pont, dans la nuit, comme Jeanne l’avait prĂ©dit. Au siĂšge de Jargeau, Jeanne dit au due d’Alençon Avant, gentil due, Ă  l’assaut! » Le duc, trouvant que c’était trop prĂ©cipiter l’attaque , Jeanne rĂ©pliqua L’heure qui plaĂźt Ă  Dieu est prĂȘte. Il faut agir quand Dieu veut agir, et Dieu agira '. » Pendant qu’on attaquait, elle lui dit tout Ă  coup Ah! gentil due, vous craignez! ne savez-vous pas que j’ai promis Ă  votre femme de vous ramener sain et sauf! » Quelques instants aprĂšs, elle avertit le duc de quitter la place ou il Ă©tait ; ce que le duc ayant fait, M. de Lude arriva, prit cette place et y fut tuĂ©. — Jeanne tenait sa promesse au duc elle venait de lui sauver la vie. AprĂšs la prise de Beaugency, les Français et les Anglais se trouvant en prĂ©sence dans les plaines de Jauville, quelques officiers tĂ©moignaient leur inquiĂ©tude sur le projet d’engager une action avec des troupes infĂ©rieures en nombre Ă  celles de l’ennemi. Le duc d’Alençon demanda Ă  Jeanne, en prĂ©sence de Aolice citc'e, p. 322 . 382 NEUVIÈME LEÇON. Dunois et autres, ce qu’il fallait faire Avez-vous de bons Ă©perons? rĂ©pondit-elle. — Quoi donc! lui dirent- ils, est-ce que nous tournerons le dos? — Non, non ! s’écria Jeanne; mais les Anglais ne se dĂ©fendront pas, ils seront vaincus; il faudra prendre des Ă©perons pour courir aprĂšs eux. Le gentil roi aura aujourd’hui la plus grande victoire qu’il a eue pieça , et m’a dit mon conseil que les Anglais sont tous nĂŽtres. » Les Anglais prirent en effet la fuite presque sans s’ĂȘtre dĂ©fendus. On fit un grand nombre de prisonniers, et Talbot lui-mĂȘme fut obligĂ© de se rendre 1429 . Pendant sa captivitĂ©, Jeanne prĂ©dit, le I er mars i43o, qu’avant sept ans les Anglais abandonneraient un plus grand gage qu’ils n’ont fait devant OrlĂ©ans et perdraient tout en France. » Et Paris fut effectivement repris par les Français le i4 avril i436. Je n’ai rien fait, disait-elle, qu’en vertu des rĂ©vĂ©lations que j’ai reçues et des apparitions que j’ai vues, et mĂȘme dans tout mon procĂšs je ne parle jamais que d’aprĂšs ce qui m’est rĂ©vĂ©lĂ© 1 . » Jeanne d’Arc n’était pas constamment en extase ; mais quand elle entendait la voix, elle Ă©tait dans une si grande joie qu’elle dĂ©sirait toujours ĂȘtre dans cet Ă©tat '. J’ai peu connu de somnambules qui ne m’en ait dit autant. Je vous ai signalĂ©, messieurs, dans ma prĂ©cĂ©dente leçon, une des circonstances capitales du somnambulisme lorsque je vous ai dit Les sujets magnĂ©tisĂ©s, quand ils 1 Notice citĂ©e, p. 3'i6-32g. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 383 sont parvenus Ă  un certain degrĂ© du sommeil lucide, paraissent jouir de deux ordres distincts de perceptions et de facultĂ©s, dont les unes sont subordonnĂ©es au jeu naturel des sens, tandis que les autres, d’essence toute spĂ©ciale, ne semblent avoir aucun rapport avec le systĂšme organique dont Ă©manent nos sensations habituelles. De lĂ , nĂ©cessairement, chez les somnambules lucides, une double sĂ©rie d’idĂ©es hĂ©tĂ©rogĂšnes, et qui ne peuvent, sans confusion, se produire simultanĂ©ment. Aussi les voyons-nous, pour ainsi dire, oublier tour Ă  tour leur luciditĂ©, pour raisonner avec nous sur les choses qu’ils perçoivent sans elle, et les moyens d’induction dont ils font usage, Ă©veillĂ©s, pour s’abandonner aux impressions caractĂ©ristiques de leur Ă©tat actuel. Or, j’ajoute , et ceci mĂ©rite toute votre attention, qu’à ces deux Ă©lĂ©ments du systĂšme psychique des somnambules un troisiĂšme se mĂȘle quelquefois vĂ©ritable superfĂ©tation de l’appareil oĂč s’élabore la ' pensĂ©e, l 'hallucination constitue cet Ă©lĂ©ment anormal. J’entends, par hallucination, la formation dans les sens ou dans la pensĂ©e d’une image dont le type n’est que dans l’imagination, ou , pour parler d’une maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, la perception d’ĂȘtres ou de faits qui n’existent nulle part. Presque tous les somnambules, et principalement les extatiques ce qui tient sans doute Ă  l’extrĂȘme irritabilitĂ© de leur cerveau, sont sujets aux hallucinations. Il n’est mĂȘme pas rare qu’ils en aient pendant la veille, circonstance qui, si elle se prolongeait, constituerait l’aliĂ©nation mentale. 384 NEUVIÈME LEÇON. a Il est, d’ailleurs, Ă  remarquer que les hallucinations rĂ©sultant vraisemblablement de la surexcitation de certaines parties de l’appareil encĂ©phalique, se rapportent constamment, par la nature des choses qu’elles reprĂ©sentent, aux facultĂ©s dominantes des individus qui les Ă©prouvent. Ainsi, pour Jeanne d’Arc T.,es pieux instincts de cette fdle lui font entendre la voix d’un ange; mais la suite le prouva l’hĂ©roĂŻne de Vaucouleurs a l’humeur belliqueuse, et cet ange est saint Michel, le dieu Mars des chrĂ©tiens. Je dois vous dire, enfin, que les hallucinations, sorte d’intermĂ©diaires aux idĂ©es naturelles et Ă  l’inspiration somnambulique, forment, dans certains cas, le lien qui les unit Ă©manĂ©es des premiĂšres, elles influent sur la derniĂšre Ă©t dĂ©cident de la direction dans laquelle elle s’exercera. VoilĂ  comment Jeanne d’Arc, dĂšs l’instant oĂč elle a entendu la voix de l’ange exterminateur, ne voit plus que des combats, ne prĂ©dit plus que des victoires, et finit par devenir un grand capitaine de bergĂšre qu’elle Ă©tait. Il faut donc admettre que les hallucinations aprĂšs s’ĂȘtre formĂ©es des propensions naturelles et des prĂ©occupations de la veille, rĂ©agissent Ă  leur tour sur ces derniĂšres et les changent quelquefois en vĂ©ritables nous Ă©tonnonsdoncpas si de nobles penseurs, aprĂšs s’ĂȘtre Ă©vertuĂ©s pendant quinze ou vingt ans de leur vie Ă  la recherche d'une vĂ©ritĂ©, ont fini, comme Paracelse, Agrippa, Cardan et Van Hehnont, par avoir des instants de vertige, ou plutĂŽt d’éblouissement,pareils Ă  ceux qu’aurait infailliblement l’homme qui s’obsti- HISTOIRE DE SOMNAMBULISME. 385 nerait Ă  fixer le mĂȘme objet pendant une journĂ©e entiĂšre. Ce fut ainsi que l’illustre et malheureux auteur de Ici JĂ©rusalem dĂ©livrĂ©e, perdit, rĂ©ellement la raison dans la contemplation extatique de In femme qu’il que ce sentiment unique absorbait son gĂ©nie, son exubĂ©rante imagination lui crĂ©ait un monde fictif dans lequel il s’égara pendant plusieurs annĂ©es. La plupart des folies ont la mĂȘme origine, car la folie souvent touche de prĂšs l’extase; elle n’en diffĂšre que par la prĂ©dominance de l’élĂ©ment fictif ou de l’hallucination. De tous les personnages historiques prĂ©cĂ©demment citĂ©s, il n’en est aucun Ă  qui les rĂ©flexions que je viens d’émettre s’appliquent mieux qu’à sainte ThĂ©rĂšse. Sainte ThĂ©rĂšse est, Ă  mes yeux, la plus suave figure de cette longue galerie mystique que le moyen Ăąge nous a laissĂ©e. NĂ©e au commencement d’un siĂšcle chevaleresque et dĂ©vot sous le ciel ardeut de l’Espagne 2 et au milieu du peuple le plus fanatique de la terre, elle sentit, dĂšs son enfance 3 , bouillonner dans son Ăąme les passions 1 Le 28 mars i5i5. s A Avila Vieille-Castille. 5 DĂšs l’ñge Ăźle sept, ans elle manifesta sa vocation pour la vie religieuse. Un de ses oncles la rencontra un jour marchant rĂ©solument sur les bords de la riviĂšre d’Adaya, et fuyant la maison paternelle, en compagnie de son jeune frĂšre Rodrigue. L’oncle les arrĂȘta au passage et leur demanda oĂč ils allaient ainsi Chercher le martyre chez les Mores, » rĂ©pondirent-ils. — Nos jeunes pĂšlerins furent ramenĂ©s Ă  Avila, oĂč ils se consolĂšrent en bĂątissant de petits ermitages dans le jardin de leur pĂšre. — Cette anecdote caractĂ©rise l’exaltation prĂ©coce de sainte ThĂ©rĂšse et l’un des sentiments innĂ©s qui dominĂšrent sa vie. 25 386 NEUVIÈME LEÇON. . 5Ăż5. s MaudĂ©, Apologie clĂ©s grands hommes accusĂ©s cle magie, ch. 1 5, 392 NEUVIÈME LEÇON, pus le conclure des derniĂšres paroles du Tasse — Eh bien! me dit-il en se retournant vers moi, ĂȘtes-vous dĂ©sabusĂ©? vos doutes sont-ils levĂ©s ? —Non, rĂ©pondis- je, ils se sont accrus de nouveau; j’ai bien entendu des choses merveilleuses, mais je n’ai vu personne. —Le Tasse, en souriant, me dit Vous en avez plus vu et entendu que peut-ĂȘtre....— Et il se tut '. » Le Tasse Ă©tait donc extatique. Dans l’épisode que raconte Manso, l’imagination exaltĂ©e du poĂšte avait fait tous les frais du mystĂ©rieux entretien; c’était elle qui lui prĂ©sentait le prĂ©tendu gĂ©nie; c’était elle qui composait les questions et les rĂ©ponses; de sorte que le Tasse nous fournit une nouvelle preuve de ce qui a Ă©tĂ© rĂ©pĂ©tĂ© si souvent des notions Ă©tonnantes que manifestent quelquefois sur les matiĂšres les plus abstraites les somnambules et les crisiaques. Cardan , de mĂȘme que le dominicain Savonarolla et une foule d’autres extatiques dont je m’abstiens de vous parler, ont fait des prĂ©dictions qui se sont rĂ©alisĂ©es. Il n’est pas Ă  ma connaissance que le Tasse ait rien prĂ©dit, ftlais cette circonstance ne change nullement l’opinion que je me suis faite de ce qu’on est convenu d’appeler sa folie. L’imagination Ă©tant naturellement la facultĂ© dominante de ce magnifique gĂ©nie, les hallucinations devaient masquer dansscs extases les impressions qu’il recevait du monde rĂ©el. Campanella, dominicain comme Savonarolla, esprit fort Ă©levĂ©, auquel des socialistes modernes les four - riĂšrisles me paraissent avoir empruntĂ© une bonne YJauso, Vitadi Tnssn, vol. Il, p. 188 . HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 393 partie de leur systĂšme, Campanella se flattait d’avoir aussi son gĂ©nie familier. Toutes les fois que je suis menacĂ© de quelque malheur, dit-il, j’entends entre le sommeil et la veille une voix qui me dit clairement Campanella! Campanella! cette voix, de temps en temps, ajoute d’autres paroles. Quant Ă  moi, j’attends.... et je ne sais qui cela est *. » Je n’en finirais pas, messieurs, si je voulais vous rapporter tous les faits du mĂȘme genre qui fourmillent dans les chroniques du moyen Ăąge. En citant ceux qui prĂ©cĂšdent, je n’ai pas choisi les plus curieux, mais les plus authentiques. 11 est d’ailleurs Ă©vident que, malgrĂ© les disparates qu’ils offrent entre eux, ces faits ont des caractĂšres communs et Ă©manaient d’un mĂȘme principe. C’est ce principe que, depuis soixante ans, les magnĂ©tiseurs cherchent Ă  dĂ©montrer. Ainsi que j’ai dĂ©jĂ  eu plusieurs fois l’occasion de vous le dire, l’extase est contagieuse. L’histoire des possessions, celle des trembleurs des CĂ©vennes 2 et des convulsionnaires de Saint-MĂ©dard, nous fourniraient aisĂ©ment la preuve de cette assertion. Mais ces faits sont tellement connus que je regarde comme inutile de vous eu faire le rĂ©cit. Rappelons-nous seulement que les possessions, qui plus d’une fois commencĂšrent par d’ignobles jongleries, finirent presque toujours par des atrocitĂ©s. Les misĂ©rables qu’on payait pour se faire 1 Campanella, De sensu rcrum, lib. iu, c. io. 4 Vnj. Ă  la seconde leçon, p. 44 et suiv., l’histoire des Camisards, et Ă  la fin de la septiĂšme, p. 288, pour ce qui concerne les convulsionnaires. 394 NEUVIÈME LEÇON, exorciser, lorsqu’ils ne prenaient pas eux-mĂȘmes leur rĂŽle au sĂ©rieux, troublaient par leurs contorsions les esprits faibles et dĂ©vots. Ce fut justement ce qui arriva lors du procĂšs fameux du diacre Urbain Grandicr. Les ursulines de Loudun, dont la supĂ©rieure et une autre seulement avec elle servaient d’abord de complices aux accusateurs de ce prĂȘtre dĂ©bauchĂ©, finirent toutes par ĂȘtre prises de convulsions vĂ©ritables, pendant lesquelles elles paraissaient jouir des facultĂ©s de l'extase. Presque toutes les cĂ©rĂ©monies d’exorcisme donnaient lieu Ă  de semblables rĂ©sultats; les saturnales des paĂŻens Ă©taient moins rĂ©voltantes que ces cĂ©rĂ©monies. Mais le temps oĂč elles avaient lieu est aujourd’hui loin de nous ; la rĂ©volution de 8g a mis Ă  la raison le diable et ses complices. Cette rĂ©volution qui a produit tant de bien et tant de mal me rappelle un fait d’extase bien diffĂ©rent des possessions; c’est la prĂ©diction de Cazotte, queDeleuze a consignĂ©e dans son MĂ©moire sur la PrĂ©vision. Cazotte, Ă©crivain spirituel, d’humeur paisible, quelquefois enjouĂ©e, mais toujours fantasque, Ă©tait douĂ© d’une sensibilitĂ© vive nous ne savons rien de plus sur son tempĂ©rament. L’anecdote qui suit en fait Ă  mes yeux un ĂȘtre exceptionnel, le type du visionnaire, c’est-Ă - dire de l’homme chez qui l’extase se produit sans trouble apparent et ne se rĂ©vĂšle que par les perceptions qui d’ordinaire n’appartiennent qu’aux somnambules lucides. Encore n’en ai-je jamais rencontrĂ© parmi ces derniers qui portassent aussi loin la facultĂ© de prĂ©vision Il me semble que c’était hier, et c’était cependant HISTOIRE DĂŒ SOMNAMBULISME. 395 au commencement de 1788. Nous Ă©tions Ă  table chez un de nos confrĂšres Ă  l’Academie, grand seigneur et homme d’esprit. La compagnie Ă©tait nombreuse et de tout Ă©tat gens de cour, gens de robe, gens de lettres, acadĂ©miciens, etc.; on avait fait grande chĂšre comme de coutume. Au dessert, les vins de Malvoisie et de Constance ajoutaient Ă  la gaietĂ© de la bonne compagnie cette sorte de libertĂ© qui n’en gardait pas toujours le ton on en Ă©tait alors venu dans le inonde au point oĂč tout est permis pour faire rire. Chamfort nous avait lu de ses contes impies et libertins, et les grandes dames avaient Ă©coutĂ©, sans avoir mĂȘme recours Ă  l’éventail. De lĂ  un dĂ©luge de plaisanteries sur la religion. L’un citait une tirade de la Pucelle , l’autre rappelait ces vers philosophiques de Diderot Et des boyaux du dernier prĂȘtre Serrez le cou du dernier roi ; et d’applaudir. Un troisiĂšme se lĂšve, et tenant son verre plein Oui, messieurs, s'Ă©cria-t-il, je suis aussi sĂ»r qu’il n’y a pas de Dieu, que je suis sĂ»r qu'HomĂšre est un sot, et en effet il Ă©tait sĂ»r de l’un comme l’autre. La conversation devient plus sĂ©rieuse; on se rĂ©pand en admiration sur la rĂ©volution qu’avait faite Voltaire, et l’on convient que c’est lĂ  le premier titre de sa gloire Il a donnĂ© le ton Ă  son siĂšcle, et s’est fait lire dans l’antichambre connue dans le salon.» Un des convives nous raconta, en pouffant de rire, que son coiffeur lui avait dit, tout en le poudrant Voyez-vous, monsieur, quoique je ne sois qu’un misĂ©rable carabin, je n’ai pas plus de religion qu’un autre. Ou conclut que la 396 NEUVIÈME LEÇON. rĂ©volution ne tardera pas Ă  se consommer, qu’il faut absolument que la superstition et le fanatisme fassent place Ă  la philosophie, et l’on en est Ă  calculer la probabilitĂ© de l’époque et quels seront ceux, de la sociĂ©tĂ© qui verront le rĂ©gnĂ© de la raison. Les plus vieux se plaignaient de ne pouvoir s’en flatter, les jeunes se rĂ©jouissaient d’en avoir une espĂ©rance trĂšs-vraisemblable; et l’on fĂ©licitait surtout l’AcadĂ©mie d’avoir prĂ©parĂ© le grand Ɠuvre, et d’avoir Ă©tĂ© le chef-lieu, le centre, le mobile de la libertĂ© de penser. Un seul des convives n’avait point pris part Ă  toute la joie de cette conversation, et avait mĂȘme laissĂ© tomber tout doucement quelques plaisanteries sur notre bel enthousiasme. C’était Cazotte, homme aimable et original, mais malhcurement infatuĂ© des rĂȘveries des illuminĂ©s. Il prend la parole, et du ton le plus sĂ©rieux Messieurs, dit-il, soyez satisfaits, vous verrez tous cette grande et sublime rĂ©volution que vous dĂ©sirez tant. Vous savez que je suis un peu prophĂšte; je vous le rĂ©pĂšte, vous la verrez. On lui rĂ©pond par le refrain connu, faut pas ĂȘtre grand sorcier pour ça. — Soit; mais peut-ĂȘtre faut-il l’ĂȘtre un peu plus pour ce qui me reste Ă  vous dire. Savez-vous ce qui arrivera de cette rĂ©volution , ce qui en arrivera pour vous tous tant que vous ĂȘtes ici, et ce qui en sera la suite immĂ©diate, l’effet bien prouvĂ©, la consĂ©quence bien reconnue? — Ah! voyons, dit Condorcet avec son air et son rire sournois et niais, un philosophe n’est pas fĂąchĂ© de rencontrer un prophĂšte. — Vous, monsieur de Condorcet, vous expirerez Ă©tendu sur le pavĂ© d’un cachot, vous mourrez du poison que vous aurez pris, pour vous HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 397 dĂ©rober au bourreau, du poison que le bonheur de ce temps-lĂ  vous forcera de porter toujours sur vous. Grand Ă©tonnement d’abord; mais on se rappelle que le bon Cazolte est sujet Ă  rĂȘver tout Ă©veillĂ©, et l’on rit de plus belle. — Monsieur Cazotte, le conte que vous nous faites ici n’est pas si plaisant que votre Diable amoureux 1 . — Mais, quel diable vous a mis dans la tĂȘte ce cachot et ce poison et ces bourreaux? qu’est-ce que tout cela peut avoir de commun avec la philosophie et le rĂšgne de la raison? — C’est prĂ©cisĂ©ment ce que je vous dis; c’est au nom de la philosophie, de l’humanitĂ©, de la libertĂ©; c’est sous le rĂšgne de la raison qu’il vous arrivera de finir ainsi, et ce sera bien le rĂšgne de la raison, car alors elle aura des temples, et mĂȘme il n’y aura plus dans toute la France en ce temps-lĂ  que des temples de la raison. — Par ma foi, dit Chamfort avec le rire du sarcasme, vous ne serez pas un des prĂȘtres de ces temps-lĂ . —Je l’espĂšre; mais vous, monsieur de Chamfort qui en serez un, et trĂšs-digne de l’ĂȘtre, vous vous couperez les veines de vingt-deux coups de rasoir, et pourtant vous n’en mourrez que quelques mois aprĂšs. On se regarde et on rit encore. — Vous, monsieur Vieq d’Azyr, vous ne vous ouvrirez pas les veines vous-mĂȘme, mais vous vous les ferez ouvrir six fois dans un jour au milieu d’un accĂšs de goutte , pour ĂȘtre plus sĂ»r de votre fait, et vous mourrez dans la nuit. Vous, monsieur de NicolaĂŻ, vous mourrez sur l’échafaud; vous, M. Bailly, sur l’échafaud; vous, monsieur Roman de Cazotte. 398 NEUVIÈME LEÇON. de Malesherbcs, sur l’échafaud. — Ali! Dieu soit bĂ©ni, dit Roucher, il paraĂźt que monsieur n’en veut qu’à l’AcadĂ©mie; il vient d’en faire une terrible exĂ©cution; et moi, grĂące au ciel.... —Vous, vous mourrez aussi sur l’échafaud. — Oh ! c’est une gageure, s’écrie-t-on de toutes parts,il a jurĂ© de tout exterminer. — Non, ce n’est pas moi qui l’ai jurĂ©. — Mais nous serons donc subjuguĂ©s par les Turcs et les Tartares? Encore.... — Point du tout, je vous l’ai dit vous serez alors gouvernĂ©s par la seule philosophie, par la seule raison. Ceux qui vous traiteront ainsi seront tous des philosophes, auront Ă  tout moment dans la bouche les mĂȘmes phrases que vous dĂ©bitez depuis une heure, rĂ©pĂ©teront toutes vos maximes, citeront tout comme vous les vers de Diderot et de la Pucelle. — On se disait Ă  l’oreille Vous voyez bien qu’il est fou car il gardait toujours le plus grand sĂ©rieux. Est-ce que vous ne voyez pas qu’il plaisante, et vous savez qu’il entre toujours du merveilleux dans ses plaisanteries. —Oui,rĂ©pondit Chamfort, mais son merveilleux n’est pas gai; il est trop patibulaire; et quand tout cela arrivera-t-il? — Six ans ne se passeront pas que tout ce que je vous dis ne soit accompli. — VoilĂ  bien des miracles et cette fois c’était moi- qui parlais, et vous ne m’y mettez pour rien. — Vous y serez pour un miracle tout au moins aussi extraordinaire vous serez alors chrĂ©tien. Grandes exclamations. — Ah! reprit Chamfort, je suis rassurĂ©; si nous ne devons pĂ©rir que quand La- harpe sera chrĂ©tien , nous sommes immortels. — Pour ça, dit alors madame la duchesse de Gram- niSTOIRE DU SOMNAMBULISME. 399 mont, nous sommes bien heureuses, nous autres femmes, de n’ĂȘtre pour rien dans les rĂ©volutions quand je dis pour rien, ce n’est pas que nous ne nous en mĂȘlions toujours un peu; mais il est reçu que l’on ne son prend pas Ă  nous, et notre sexe.... —Votre sexe, mesdames, ne vous en dĂ©fendra pas cette fois; et vous aurez beau ne vous mĂȘler de rien, vous serez traitĂ©es tout comme les hommes, sans aucune diffĂ©rence quelconque. — Mais,qu’est-ce que vous nous dites donc lĂ , monsieur Cazotte? c’est la fin du monde que vous nous prĂȘchez. — Je n’en sais rien ; mais ce que je sais, c’est que vous, madame la duchesse, vous serez conduite Ă  l’échafaud, vous et beaucoup d’autres dames avec vous, dans la charrette du bourreau et les mains liĂ©es derriĂšre le dos. — Ah! j’espĂšre que dans ce cas-lĂ , j’aurai du moins un carrosse drapĂ© de noir. — Non, madame, de plus grandes dames que vous iront comme vous en charrette, et les mains liĂ©es comme vous. — De plus grandes dames! quoi! les princesses du sang?... — De plus grandes dames encore.—Ici un mouvement trĂšs-sensible dans toute la compagnie, et la figure du maĂźtre se rembrunit on commençait Ă  trouver que la plaisanterie Ă©tait forte. Madame de Grammont, pour dissiper le nuage, n’insista pas sur cette rĂ©ponse, et se contenta de dire du ton le plus lĂ©ger Vous verrez qu’il ne me laissera pas seulement un confesseur. — Non, madame, vous n’en aurez pas, ni vous, ni personne. Le dernier suppliciĂ© qui en aura un par grĂące, sera.... Il s’arrĂȘta un moment. — Eh bien ! quel est donc l’heureux mortel qui aura cette prĂ©rogative? —C’est la seule qui lui restera; et ce sera le roi de France. 400 NEUVIÈME LEÇON. tf Le maĂźtre de la maison se leva brusquement et tout le monde avec lui. Il alla vers M. de Cazotte, et lui dit avec un ton pĂ©nĂ©trĂ© —Mon cher monsieur Cazotte, c’est assez faire durer cette facĂ©tie lugubre. Vous la poussez trop loin, et jusqu’à compromettre la sociĂ©tĂ© oĂč vous ĂȘtes et vous-mĂȘme. — Cazotte ne rĂ©pondit rien, et se disposait Ă  se retirer, quand madame de Gram- mont qui voulait toujours Ă©viter le sĂ©rieux et ramener la gaietĂ©, s’avança vers lui — Monsieur le prophĂšte, qui nous dites Ă  tous notre bonne aventure, vous ne dites rien de la vĂŽtre.—Il fut quelque temps en silence, et les yeux baissĂ©s. — Madame, avez-vous lu le siĂšge de JĂ©rusalem, dans JosĂšphc? — Oh! sans doute, qui est- ce qui n’a pas lu cela! Mais faites comme si je ne l’avais pas lu. —Eh bien, madame, pendant ce siĂšge un homme fit sept jours de suite le tour des remparts, Ă  la vue des assiĂ©geants et des assiĂ©gĂ©s, criant incessamment d’une voix sinistre et tonnante malheur a JĂ©rusalem, et le septiĂšme jour il cria malheur Ă  JĂ©rusalem! malheur a moi-mĂȘme! et dans ce moment une pierre Ă©norme lancĂ©e par des machines ennemies l’atteignit et le mit en piĂšces. Et aprĂšs cette rĂ©ponse, M. Cazotte fit la rĂ©vĂ©rence et sortit Quand je lus cette prĂ©diction Ă©tonnante pour la premiĂšre fois, dit Deleuze, je pensai que ce n’était qu'une fiction de Laharpe, et que ce critique cĂ©lĂšbre avait voulu peindre l’étonnement dont auraient Ă©tĂ© frappĂ©es les personnes les plus distinguĂ©es par leur rang, leurs 1 Laharpe, ƒuvres choisies et posthumes, 4 vol. in-8, Paris, 1806, p. 62. HISTOIRE DĂŒ SOMNAMBULISME. 401 fortune, si, plusieurs annĂ©es avant la rĂ©volution, on leur avait exposĂ© les causes qui la prĂ©paraient et les affreuses consĂ©quences qui en seraient la suite. Les informations que j’ai prises depuis in’ont fait changer d’opinion. M. le comte A. de Montesquiou m’ayant assurĂ© que madame de Genlis lui avait dit plusieurs fois qu’elle avait entendu raconter cette prĂ©diction Ă  M. de Laharpe, je le priai de vouloir bien demander Ă  cette dame de plus amples dĂ©tails. Voici ce qu’elle lui rĂ©pondit Novembre 1825. Je crois avoir mis le trait de M. de Cazotte dans mes Souvenirs, mais je n’en suis pas sĂ»re. Je l’ai entendu raconter cent fois Ă  M. de Laharpe avant la rĂ©volution et toujours exactement comme je l’ai vu imprimĂ© partout, et comme il l’a fait imprimer lui-mĂȘme. VoilĂ  tout ce que je puis dire, certifier et signer. Comtesse de Genlis. J’ai vu aussi M. Cazotte fils qui m’a certifiĂ© que son pĂšre Ă©tait douĂ© au plus haut degrĂ© de la facultĂ© de prĂ©vision, et qu’il en avait des preuves nombreuses '. M. Cazotte ne voudrait point cependant affirmer que la relation de Laharpe fĂ»t exacte dans toutes les ex- 1 Une des plus remarquables, est assurĂ©ment celle que donna Cazotte en rentrant chez lui le jour oĂč sa fille parvint Ă  l’arracher des mains des brigands qui le conduisaient Ă  l’échafaud. Au lieu de partager la joie de sa famille qui l’entourait, il annonça cpie dans trois jours il serait arrĂȘtĂ© de nouveau, et que cette fois il subirait son sort. — 11 pĂ©rit en effet le 2J septembre 1792, Ă  l’ñge de soixante- douze ans. 26 402 NEUVIÈME LEÇON, pressions, mais il n’a pas le moindre doute sur la rĂ©alitĂ© des faits. Je dois ajouter Ă©galement qu’un ami deYicq d’Azyr, M. N., habitant de Rennes, m’a dit que ce mĂ©decin cĂ©lĂšbre Ă©tant allĂ© en Bretagne quelques annĂ©es avant la rĂ©volution lui avait racontĂ© en prĂ©sence de sa famille la prophĂ©tie de Cazotte. 11 paraĂźt que malgrĂ© son scepticisme, Yicq d’Azyr Ă©tait inquiet de cette prĂ©diction. Lettre sur le mĂȘme sujet adressĂ©e Ă  M. Mialle par M. le baron de Lamothe-Langon. Vous me demandez, mon cher ami, ce que je puis savoir touchant la fameuse prĂ©diction de Cazotte, mentionnĂ©e par Laharpe. Je n’ai lĂ -dessus qu’à vous attester sur l’honneur que j’ai entendu madame la comtesse de Beauharnais rĂ©pĂ©ter plusieurs fois qu'elle avait assistĂ© Ă  ce singulier fait historique. Elle le racontait toujours de la mĂȘme maniĂšre et avec l’accent de la vĂ©ritĂ© ; son tĂ©moignage concordait avec celui de Laharpe. Elle parlait ainsi devant toutes les personnes de sa sociĂ©tĂ©, plusieurs vivent encore et pourront l’attester Ă©galement. Vous pouvez faire de cet Ă©crit l’usage que vous voudrez. Adieu, mon bon et ancien ami, je suis Ă  vous d’un attachement inviolable. Baron de Lamotue-Langon. » Paris, le 18 dĂ©cembre i833. Quant Ă  moi, que vous dirai-je de la prĂ©diction de Cazotte? — Rien, sinon que cet Ă©crivain, comme on se le rappela au milieu du festin oĂč il parlait, Ă©tait sujet Ă  rĂȘver tout Ă©veillĂ© . DIXIÈME LEÇON. o EFFETS DIVERS ET CONSÉCUTIFS DĂŒ MAGNÉTISME. — DE SES APPLICATIONS. Messieurs, Si au lieu de vous prĂ©senter le magnĂ©tisme comme le nƓud qui rĂ©unit toutes les vĂ©ritĂ©s physiologiques et de dĂ©finir son Ă©tude la physiologie transcendante * , je l’avais simplement fait consister dans l’expansion de la volontĂ© humaine, vous auriez le droit de m’accuser aujourd’hui d’ĂȘtre sorti de mon sujet, en dissertant longuement sur le somnambulisme. En effet, si la volontĂ© d’un homme dĂ©termine quelquefois chez un autre homme l’état de somnambulisme, cet Ă©tat succĂšde aussi Ă  d’autres causes bien diffĂ©rentes. Dans ces derniers cas, Ă  la vĂ©ritĂ©, nous apercevons encore dans la sensibilitĂ© un des deux Ă©lĂ©ments de notre systĂšme; mais l’élĂ©ment contraire, l’activitĂ©, n’est plus en jeu que d’une maniĂšre accessoire. En un mot, l’exaltation de l’appareil sensitif chez les somnambules, ne semble, au premier abord, qu’un fait isolĂ©, primordial et parfaitement indĂ©pendant de toute influence voli- tive; d’oĂč l’on serait autorisĂ© Ă  conclure que, pendant le sommeil lucide, le rapport entre les deux principes que nous avons donnĂ© pour base au magnĂ©tisme est Ă  peu prĂšs anĂ©anti. 1 Yoy. PremiĂšre leçon, p. il±. 404 DIXIÈME LEÇON. Mais celte conclusion ne serait lĂ©gitime que si l’activitĂ© vitale se renfermait exclusivement dans la volontĂ© humaine , et je crois vous avoir suffisamment dĂ©montrĂ© que l’activitĂ© est partout. Chaque atome a la sienne; et l’inĂ©gale rĂ©partition de ce principe chez les ĂȘtres de l’univers dĂ©termine la hiĂ©rarchie naturelle de ces derniers. Aussi dĂ©couvrons-nous dans les impressions du somnambule le mode spĂ©cial d’influence dĂ©volu Ă  chacun de ces ĂȘtres, et nous essaierons de dĂ©montrer dans notre prochaine leçon que la cause mĂȘme du somnambulisme, quel que soit l’agent apparent qui le provoque, consiste toujours dans une certaine combinaison de ces influences ontologiques. Mesmer avait trĂšs-bien compris cette rĂ©ciprocitĂ© d’action de tous les corps de la nature c’est ce qu’il nomme, dans sa thĂ©orie, le magnĂ©tisme universel. Nous pensons d’ailleurs avec lui, un Jluide, c’est- Ă -dire une substance d’une extrĂȘme subtilitĂ©, dont nous chercherons prochainement Ă  dĂ©terminer la nature, est le moyen de ces impressions rĂ©ciproques. Divers effets du magnĂ©tisme sur les corps inanimĂ©s semblent prouver jusqu’à l’évidence que ce fluide existe; et certaines expĂ©riences dont je vous ferai part me dĂ©terminent, en outre , Ă  prĂ©sumer qu’il joue un rĂŽle immense dans tous nos actes moraux, dans la formation de nos dĂ©es, de nos instincts et de nos sentiments, enfin dans la production du sommeil et des merveilleux phĂ©nomĂšnes qui l’accompagnent quelquefois. Ces considĂ©rations sont donc plus que suffisantes pour justifier mes deux prĂ©cĂ©dentes leçons, dans lesquelles je n’ai fait, en quelque sorte, que poser les termes EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. 105 d’un problĂšme dont j’essaierai,en finissant, de dĂ©gager l’inconnu. Ce que j’ai Ă  vous dire aujourd’hui n’est encore que le complĂ©ment de ce que vous connaissez dĂ©jĂ ; seulement, les faits qui vont nous occuper, supposant nĂ©cessairement le concours et l’influence mutuelle de plusieurs individualitĂ©s, rentrent plus directement dans le domaine du magnĂ©tisme, d’aprĂšs l’idĂ©e gĂ©nĂ©rale que vous en avez actuellement. Mesmer, aprĂšs avoir adoptĂ© l’hypothĂšse de son fluide universel, pose un principe que l’expĂ©rience a depuis largement corroborĂ© et dont le dĂ©veloppement me paraĂźt renfermer presque toutes les notions que nous avons du magnĂ©tisme. Ce principe est ainsi conçu Les courants conservent une partie du ton acquis dans le milieu qu’ils quittent, et forment par lĂ  les mutuelles influences de deux corps qui agissent non- seulement sur la totalitĂ© de chacun d’eux , mais encore sur chacune de leurs parties, etc. 1 . » L’idĂ©e de cette modification du fluide par les divers corps qu’il traverse est certainement une des conceptions les plus profondes et les plus justes qui se rencontrent dans la thĂ©orie de Mesmer. Il est, au reste, assez douteux qu’en Ă©crivant cette proposition Mesmer ait compris toute l’extension dont Ă©tait susceptible le principe qu’elle impliquait, et il est en outre prĂ©sumable qu’il eĂ»t Ă©prouvĂ© quelque embarras Ă  justifier son assertion par des faits aussi positifs que ceux qui la confirment aujourd’hui. Ainsi conçu, le fluide magnĂ©tique, ou le principe 1 Yoy. p. 225. 406 DIXIÈME LEÇON. matĂ©riel de la vie, concilie tout d’abord, dans l’univers, une magnifique unitĂ© de cause avec une prodigieuse diversitĂ© d’effets. Il s’accorde, en outre, avec les conjectures infiniment rationnelles des physiciens, qui regardent comme primitivement identiques tous les fluides impondĂ©rables. Enfin il corrobore notre hypothĂšse d’une Ăąme universelle, s’individualisant dans chacun des ĂȘtres, s’appropriant Ă  leur nature, et conservant entre eux des rapports continus. Qui sait mĂȘme si ces parcelles de l’ñine du monde, modifiĂ©es par la constitution essentielle et primordiale des corps, ne deviennent pas dans ceux de ces corps qui se rĂ©gĂ©nĂšrent les forces plastiques qui en perpĂ©tuent les espĂšces? Qui sait, enfin, si le germe fĂ©cond destinĂ© Ă  devenir un homme n’est autre chose dans le principe qu’une image de l’homme qui l’a engendrĂ©; image qui, lentement amplifiĂ©e parla nature, est, longtemps avant de tomber sous nos sens, la synthĂšse Ă  la fois complĂšte et rudimentaire de la vie animale. Cette opinion, je le comprends, doit vous sembler tĂ©mĂ©raire; mais peut-ĂȘtre y verrez-vous autre chose qu’une rĂȘverie extravagante lorsque je vous aurai exposĂ© avec ordre les notions que nous possĂ©dons sur les propriĂ©tĂ©s du fluide. Les expĂ©riences qui nous les ont rĂ©vĂ©lĂ©es ne laissent d’ailleurs aucun doute sur la rĂ©alitĂ© de ce fluide lui- mĂȘme, dont je dois avant tout vous prouver l’existence. Si les commissaires de 1784 qui assistĂšrent au traitement public de d’Eslon avaient apportĂ© Ă  leur examen moins de prĂ©ventions et plus de bonne foi, s’ils avaient surtout suivi les expĂ©riences avec un peu plus d’assiduitĂ©, ils auraient nĂ©cessairement fini par se convain- 407 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. cre i° que le magnĂ©tisme, pratiquĂ© d’aprĂšs la mĂ©thode alors en usage, exerçait sur les malades une action incontestable ; 2°qu’un baquet rempli d’eau, de limaille de fer, ou de toute autre substance, conservait, aprĂšs avoir Ă©tĂ© magnĂ©tisĂ©, des propriĂ©tĂ©s particuliĂšres et agissait sur l’économie Ă  peu prĂšs de la mĂȘme maniĂšre que le contact ou l’action directe du magnĂ©tiseur lui-mĂȘme. Cette derniĂšre observation, qui fixa particuliĂšrement l’attention du savant de Jussieu, anĂ©antissait Ă  elle seule toutes les objections que fit Bailly dans son rapport Ă  l’existence du fluide. Aussi de Jussieu se garde- t-il bien de mettre en doute ce point capital. Pour lui, le fluide existe incontestablement; seulement il ne s’accorde pas absolument avec Mesmer et d’Eslon sur la nature essentielle de cet agent, dans lequel il croit simplement reconnaĂźtre la d’ailleurs, que, dans cette hypothĂšse, de Jussieu ne s’éloignait pas infiniment de la vĂ©ritĂ©, au moins telle que nous la concevons aujourd’hui. Je vais mĂȘme plus loin j’admets trĂšs-volontiers que la chaleur et le fluide mes- mĂ©rien sont absolument identiques, si l’on consent Ă  m’accorder que la chaleur est susceptible de se manifester sous des aspects trĂšs-divers et avec une foule de propriĂ©tĂ©s qu’on ne lui soupçonnait pas avant Mesmer. La question, au reste, n’est pas lĂ  ; de Jussieu croyait au fluide; il en contestait, il est vrai, la nature, mais, avant tout, il y croyait, parce que, en homme raisonnable , il avait senti, dĂšs le principe, qu’à la vue de ce qui se passait il n’y avait pas moyen de n’y pas croire. RĂ©sumons en quelques mots l’expĂ©rience du baquet ou rĂ©servoir magnĂ©tique. 408 DIXIÈME LEÇON. * Un homme s’approche d’un objet, il le touche, il le presse dans ses mains, il concentre pendant un instant son attention sur lui; aprĂšs quoi il s’éloigne, ne songe plus Ă  ce qu’il vient de faire, et l’objet qu’il a touchĂ©, sans ĂȘtre sensiblement modifiĂ© dans sa forme, dans son aspect physique, a nĂ©anmoins acquis une propriĂ©tĂ© particuliĂšre qu’il conservera jusqu’à ce que d’autres contacts viennent J’en dĂ©pouiller. Ajoutons, enfin, que les individus qui auront touchĂ© l’objet en dernier lieu se seront eux-mĂȘmes magnĂ©tisĂ©s en le dĂ©magnĂ©tisant, de telle sorte que nous voyons un certain agent modificateur passer d’un homme Ă  une chose, et de cette chose Ă  d’autres hommes. Je vous le demande, messieurs, la singuliĂšre transmission de ce je ne sais quoi d’inconnu qui passe de mains en mains sans changer absolument de propriĂ©tĂ©s, ne vous fait-elle pas tout d’abord supposer l’existence d’une substance physique dont les dĂ©positaires peuvent indiffĂ©remment abandonner une partie aux choses ou aux hommes? Cette substance, dans notre doctrine, est le fluide magnĂ©tique. Mesmer est l’inventeur des rĂ©servoirs magnĂ©tiques ; en d’autres termes, il a dĂ©couvert ou retrouvĂ© la possibilitĂ© de magnĂ©tiser les corps inertes grande dĂ©couverte, re- marquez-le bien, qui a servi de point de dĂ©part Ă  toutes les recherches qu’on a faites depuis sur le fluide, et sans laquelle nous serions encore rĂ©duits, touchant cet agent, aux plus vagues conjectures. Au surplus, le baquet magnĂ©tique ne fut pas plus tĂŽt dĂ©couvert qu’entre les mains des disciples de Mesmer il se transforma de cent façons diffĂ©rentes. On magnĂ©- 409 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. tisa des siĂšges, des aliments, de l’eau, des chambres entiĂšres, mais surtout des arbres. Vous savez, par exemple, quelle juste cĂ©lĂ©britĂ© s’attacha Ă  l’ormeau sĂ©culaire de Buzancy, Ă  l’ombre duquel M. le marquis de PuysĂ©gur observa le premier les merveilles du somnambulisme. Les rĂšgles pratiques auxquelles fut assujettie presque jusqu’à prĂ©sent la magnĂ©tisation des objets inanimĂ©s reposaient d’ailleurs sur l’idĂ©e gĂ©nĂ©rale qu’on avait du fluide. Pour magnĂ©tiser un arbre, dit Deleuze, on commence par l’embrasser pendant quelques minutes; on s’éloigne ensuite, et l’on dirige le fluide vers le sommet, et du sommet vers le tronc, en suivant la direction des grosses branches. Quand on est arrivĂ© Ă  la rĂ©union des branches, on descend jusqu’à la base du tronc, et l’on finit par magnĂ©tiser Ă  l’entour, pour rĂ©pandre le fluide sur les racines et pour le ramener de l’extrĂ©mitĂ© des racines jusqu’au pied de l’arbre. Quand on a fini d’un cĂŽtĂ©, on fait la mĂȘme chose en se plaçant du cĂŽtĂ© opposĂ©. Cette opĂ©ration, qui est l’affaire d’une demi- heure, doit ĂȘtre rĂ©pĂ©tĂ©e quatre ou cinq jours de suite. On attache Ă  l’arbre des cordes pour servir de conducteurs. Les malades qui se rendent autour de l’arbre commencent par le toucher en s’appuyant sur le tronc. Ils s’asseyent ensuite Ă  terre ou sur des siĂšges, ils prennent une des cordes suspendues aux branches et s’en entourent. La rĂ©union des malades autour de l’arbre entretient la circulation du fluide. Cependant il est Ă  propos que le magnĂ©tiseur vienne de temps en temps renouveler et rĂ©gulariser l’action. Il lui suffit, pour 410 DIXIÈME LEÇON, cela, de toucher l’arbre pendant quelques moments. Il dorme aussi des soins particuliers Ă  ceux qui en ont besoin; et si, parmi les malades, il se trouve quelqu’un qui Ă©prouve des crises, il l’éloigne de l’arbre pour le magnĂ©tiser Ă  part 1 . » Ainsi, mĂȘme encore au temps oĂč Deleuze Ă©crivait, le fluide Ă©tait considĂ©rĂ© comme un agent thĂ©rapeutique, Ă  propriĂ©tĂ©s fixes et produisant Ă  peu prĂšs dans tous les cas des effets uniformes. Il est, d’ailleurs, bon de remarquer que cette maniĂšre de voir et d’agir rĂ©sultait moins d’une observation fausse que d’une observation incomplĂšte. On a dĂ©couvert depuis que, loin d’ĂȘtre les mĂȘmes dans tous les cas, les propriĂ©tĂ©s du fluide magnĂ©tique varient jusqu’à l’infini, non-seulement avec la constitution et l’état de santĂ© des magnĂ©tiseurs, mais encore avec les conditions morales dans lesquelles ils sont en opĂ©rant. Or, Ă  l’époque oĂč MM. de PuysĂ©gur, Deleuze, etc., se livraient Ă  la pratique du magnĂ©tisme, la thĂ©orie qui leur Ă©tait commune Ă©tablissait entre eux nĂ©cessairement une certaine uniformitĂ© de pensĂ©es et d’intentions qui, sans rien impliquer de contradictoire aux prĂ©ceptes actuellement admis, devient Ă  nos yeux la raison de l’identitĂ© des rĂ©sultats qu’on obtenait alors. DĂšs le principe, nĂ©anmoins, on fut dans la nĂ©cessitĂ© d’admettre que non-seulement tous les hommes ne possĂ©daient pas au mĂȘme degrĂ© la puissance magnĂ©tique, mais encore qu’il y avait entre eux, sous le rapport de la qualitĂ© de leur action, des diffĂ©rences notables. Ceci, 1 Deleuze, Instruction pratique,p. Si. 4-11 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. en rĂ©sumĂ©, n’était pas de nature Ă  surprendre personne; les partisans de la thĂ©orie de Mesmer n’y voyaient qu’un corollaire trĂšs-simple de la proposition que je vous ai citĂ©e les courants conservent une partie du ton acquis dans le milieu qu’ils quittent. Mais aucun d’entre eux assurĂ©ment ne prĂ©voyait encore l’extension prodigieuse que donneraient le temps et l’expĂ©rience Ă  cette proposition. Je dois suivre l’ordre et l’enchaĂźnement naturel des faits dans ce que j’ai Ă  vous dire Ă  cet Ă©gard. Toute la physiologie, toute la mĂ©taphysique, la mĂ©decine et le magnĂ©tisme lui-mĂȘme tel qu’il fut compris d’abord, me paraissent bouleversĂ©s de fond en comble par les expĂ©riences suivantes PremiĂšre expĂ©rience. En 1842, je magnĂ©tisais quelquefois une jeune dame qui, somnambule trĂšs-lucide, voulait bien se prĂȘter Ă  des expĂ©riences qui ne la fatiguaient pas et qui Ă©taient pour moi d’un grand intĂ©rĂȘt. Un jour, je venais de l’éveiller lorsqu’elle se prend Ă  me regarder avec un air d’inexprimable anxiĂ©tĂ©; elle se frotte les yeux, me regarde encore et finit par s’écrier d’un ton qui exprimait Ă  la fois la surprise et l’horreur — Votre bras! votre bras gauche! mon Dieu! qu’en avez-vous fait? vous n’avez plus qu’un bras! Il y avait tant de naturel dans la voix de cette dame, tant de vĂ©ritĂ© dans sa physionomie que je ne doutai pas un instant de la sincĂ©ritĂ© de son trouble. Evidemment, elle Ă©tait dupe d’une hallucination. Un de mes M 2 DIXIÈME LEÇON, bras Ă©tait devenu invisible pour elle. Mais pourquoi le gauche plutĂŽt que le droit? pourquoi une partie de mon corps plutĂŽt que toute autre? cela me paraissait inexplicable, et depuis quatre ans que je magnĂ©tisais je n’avais rien vu de plus bizarre. — Calmez-vous, madame, lui disais-je, reprenez vos sens et regardez-moi. GrĂące Ă  Dieu, j’ai tous mes membres, et vous voyez bien que je vous prĂ©sente ma main gauche. — Non, vous ne l’avez plus, rĂ©pĂ©tait-elle avec hĂ©bĂ©tude. — Eh! touchez-la, madame. Et en mĂȘme temps ma main gauche prit la sienne. Alors son trouble augmenta. — Je sens, mais je ne vois pas.... Oh ! laissez-moi.,.. j’ai peur! j’ai peur! j’ai trĂšs-peur!... Sa voix s’éteignait en rĂ©pĂ©tant indĂ©finiment ces mots, et, la minute d’aprĂšs, elle dormait de nouveau paisiblement sur son fauteuil. — Eh bien, madame, pouvez-vous maintenant m’expliquer..,. — Oui. A l’instant oĂč vous m’avez Ă©veillĂ©e, par un mouvement spasmodique, et sans le vouloir, je vous ai serrĂ© la main gauche. — Et cela a suffi pour la rendre invisible Ă  vos yeux? Que s’était-il donc passĂ©? — Je ne voyais qu’un lĂ©ger nuage blanc c’était une atmosphĂšre de fluide dont mon effort involontaire avait enveloppĂ© votre main. EmerveillĂ© de l’expĂ©rience et trĂšs-satisfait de l’explication , j’éveillai la somnambule, qui, pour le coup, 413 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME , ETC. me vit tout entier, ce qui parut la surprendre presque autant que l’avait effrayĂ©e mon apparente mutilation. Deuxieme expĂ©rience. Le hasard seul m’avait rendu tĂ©moin de l’expĂ©rience qui prĂ©cĂšde; mais, d’aprĂšs l’explication qui m’en Ă©tait donnĂ©e, il me paraissait probable que cet Ă©trange phĂ©nomĂšne d’invisibilitĂ© d’un corps involontairement magnĂ©tisĂ© Ă©tait de nature Ă  se reproduire sous l’influence d’un effort volontaire. Je m’empressai donc de vĂ©rifier ce fait, en prenant soin de l’entourer de circonstances qui lui donnassent toute la certitude dĂ©sirable. Dix bougies neuves de mĂȘme fabrique, et par consĂ©quent semblables entre elles, sont placĂ©es sur des flambeaux, tandis que, dans une piĂšce voisine, madame X... est endormie. Je prie cette dame de magnĂ©tiser une des bougies qu’on lui apporte et qu’elle serre dans sa main pendant une ou deux minutes. Lorsqu’elle est Ă©veillĂ©e, les assistants lui prĂ©sentent successivement chacun des dix flambeaux. Toutes les fois que vient le tour de la bougie qu’elle a touchĂ©e, madame X.... prĂ©tend ne pas la voir, et persiste mĂȘme Ă  se croire l’objet d’une mystification. TroisiĂšme expĂ©rience. Toutes les bougies sont allumĂ©es il est onze heures du soir. Les choses se passent exactement de la mĂȘme maniĂšre que prĂ©cĂ©demment, avec cette particularitĂ© remarquable que la flamme de la bougie magnĂ©tisĂ©e est elle-mĂȘme invisible. 414 DIXIÈME LEÇON. QuatriĂšme expĂ©rience. Madame X...., endormie de nouveau, magnĂ©tise, Ă  ma priĂšre, quatre bougies au lieu d’une, qui restent seules allumĂ©es daus l’appartement. La somnambule, que j’éveille alors, s’écrie, en ouvrant les yeux, qu’elle est dans l’obscuritĂ©, et l’incertitude de ses regards, qui nous cherchent vainement quoique nous soyons prĂšs d’elle, prouve qu’en effet elle n’y voit pas. Enfin , la lumiĂšre ne revient, pour elle, qu’à l’instant oĂč l’on allume inopinĂ©ment derriĂšre elle, une des bougie» quelle n’a pas touchĂ©es. AprĂšs avoir observĂ© ces faits dans l’ordre oĂč je viens de les Ă©noncer, je me demandai naturellement s’il Ă©tait indispensable que l’objet destinĂ© Ă  devenir invisible fĂ»t magnĂ©tisĂ© par le somnambule , et s’il n’était pas possible que l’action du magnĂ©tiseur suppléùt Ă  la sienne. Quelques essais, qui d’abord ne rĂ©ussirent pas j’ignore par quelle raison, finirent par me donner la preuve du contraire. CinquiĂšme expĂ©rience. Un soir de janvier 1 843, une jeune malade, madame G...., est endormie, rue de la Victoire, n° ...., par M. ***, magistrat distinguĂ© de ina connaissance, dont je suis parvenu Ă  faire un magnĂ©tiseur passionnĂ© d’incrĂ©dule qu’il Ă©tait. Les choses se passent en prĂ©sence de cinq ou six curieux de notre intimitĂ©, mais dont pas un n’est instruit de ce que nous nous proposons de faire. Ces personnes Ă©tant assises autour de la somnambule, M, *** dirige tour Ă  tour sur chacune 415 EFFETS DIVERS DĂŒ MAGNÉTISME, ETC. d’elles deux ou trois grandes passes longitudinales. Madame G...., qu’il Ă©veille ensuite, n’aperçoit plus que lui et moi. Tout le reste de la chambre, oĂč elle paraĂźt persuadĂ©e d’ĂȘtre seule avec nous deux, lui semble rempli, dit-elle, d’un nuage blanchĂątre qui l’oppresse, l’incommode, lui fait cligner les paupiĂšres et l’endort. Quelques-uns des tĂ©moins que ce nuage dĂ©robe Ă  ses regards lui adressent la parole madame G.... est stupĂ©faite; ces voix fantastiques la confondent. Elle regarde encore et ne distingue toujours rien. — C’est prodigieux! dit-elle, je connais toutes ces voix, il me semble qu’elles vibrent Ă  mes oreilles, et pourtant je ne vois que vous deux, qui ne me parlez pas. OĂč sont donc ces messieurs? Et madame ***, qu’est-elle devenue? Les voix lui rĂ©pondaient Nous voici, etc. Il est certain que je les entends. Dites-leur donc de se montrer, je vous en prie; cela me fait peur. M. ***, en bon magicien qu’il est sans le savoir, rompt le charme pour la rassurer. A chacun de ses gestes, un des assistants reparaĂźt c’est, pour la malade et pour nous-mĂȘmes, une vĂ©ritable fantasmagorie. Les expĂ©riences que je viens de dĂ©crire ne prouvent toutes qu’un seul fait, mais elles le prouvent, Ă  mon avis, d’une maniĂšre pĂ©remptoire c’est que, positivement, il existe un fluide; c’est que ce fluide est une substance matĂ©rielle se prĂ©sentant habituellement sous la forme d’une vapeur blanchĂątre et opaque. A la vĂ©ritĂ©, nous ne pouvons le voir dans notre Ă©tat ordinaire ; mais il est parfaitement distinct pour les somnambules et, qui plus est, pour les somnambules Ă©veillĂ©s, Ă  l’in- 416 DIXIÈME LEÇON. stant oĂč leur sensibilitĂ© vient d’ĂȘtre exaltĂ©e par le magnĂ©tisme 4 . Je dois, au reste, vous faire observer que ces sortes d’expĂ©riences ne rĂ©ussissent pas constamment ; la prĂ©occupation des sujets qui sont prĂ©venus de ce qu’on attend d’eux les fait souvent manquer rien n’est plus facile Ă  concevoir. Sans qu’ils s’en aperçoivent, leur volontĂ© rĂ©agit autour d’eux, et magnĂ©tise ainsi des objets qui, l’instant d’aprĂšs, leur deviennent invisibles, contre l’intention du magnĂ©tiseur. Ceci, et nous y reviendrons dans la suite, renferme Ă  peu prĂšs tout le secret des mĂ©prises, quelquefois trĂšs-bizarres et jusqu’à prĂ©sent inexpliquĂ©es, que commettent les somnambules. Les expĂ©riences dont il me reste Ă  vous entretenir vont singuliĂšrement modifier l’idĂ©e gĂ©nĂ©rale que je viens de vous donner du fluide. Cette vapeur inerte, opaque et blanchĂątre, sĂ©journant comme un brouillard oĂč la main la dĂ©pose, se transformera dans un moment en un agent merveilleux, joignant Ă  diverses propriĂ©tĂ©s mĂ©taphysiques celle de revĂȘtir toutes les formes, tous les aspects, toutes les couleurs, et de rĂ©aliser en quelque sorte la pensĂ©e qu’il rĂ©flĂ©chit. Peu vous importe, au reste, que des somnambules ou des personnes Ă©veillĂ©es servent dĂ©sormais Ă  nos dĂ©monstrations. Entre celles-ci et ceux-lĂ  il n’y a d’autre diffĂ©rence en faveur des derniers qu’une sensibilitĂ© plus vive et qui rend capable d’impressions plus dĂ©li- J’ai rĂ©pĂ©tĂ© avec succĂšs toutes les expĂ©riences prĂ©cĂ©demment dĂ©crites, sur une jeune fdle que je magnĂ©tisais frĂ©quemment, mais qui n’avait pas besoin prĂ©alablement d’ĂȘtre endormie pour apercevoir le fluide et pour cesser de voir les corps qu’il masquait. EFFETS DIVERS DĂŒ MAGNÉTISME, ETC. 417 Le somnambulisme, en un mot, sera pour nous, quand nous y aurons recours, une sorte de verre grossissant dont nous nous servirons pour apprĂ©cier des phĂ©nomĂšnes dĂ©licats dont les causes nous Ă©chapperaient sans son intervention. On sait dĂ©jĂ , depuis assez longtemps, qu’il est possible de donneraux somnambules magnĂ©tiques des hallucinations de tous les sens, c’est-Ă -dire qu’à la volontĂ© du magnĂ©tiseur ils trouvent Ă  des substances des propriĂ©tĂ©s qu’elles sont loin d’avoir. L’un croit savourer de l’orgeat en buvant un verre d’eau, ou, qui plus est, Seau-de- vie ; l’autre mange gravement une glace qu’on lui prĂ©sente dans une tasse vide. Celui-ci est brĂ»lĂ© par une main tiĂšde, ou glacĂ© par la neige imaginaire dont le couvre un geste du magnĂ©tiseur. Dans tous ces cas, la sensation Ă©prouvĂ©e est complĂšte l’orgeat est suave, onctueux, parfumĂ©; la glace saisit le palais, agace les dents et remplit la bouche d’un frais arĂŽme de citron ou d’ananas. La main changĂ©e en feu cause une douleur atroce, et la neige enfin fait frissonner. Presque tous les somnambules sont susceptibles d’éprouver ces sensations factices, et plusieurs d’entre eux conservent mĂȘme cette facultĂ© pendant la veille voilĂ  pourquoi la malveillance a tant de prise sur eux dans les expĂ©riences publiques et donne lieu si souvent Ă  des mĂ©prises surprenantes qui corroborent l’incrĂ©dulitĂ© et dĂ©concertent la confiance des hommes les plus convaincus. Aujourd’hui ce fait est connu des magnĂ©tiseurs Ă©clairĂ©s; mais aucun d’eux, peut-ĂȘtre, jusqu’à prĂ©sent, ne s’est posĂ© cette question 27 418 DIXIÈME LEÇON. Les sensations factices des somnambules Ă©manent- cllcs directement de la pensĂ©e du magnĂ©tiseur, ou peuvent-elles ĂȘtre aussi dĂ©terminĂ©es par les objets intermĂ©diaires qui garderaient, pour ainsi dire, l’empreinte de cette pensĂ©e? Un exemple me fera mieux comprendre Un somnambule demandant Ă  boire, vous lui prĂ©sentez un verre d’eau ; il le porte Ă  ses lĂšvres, mais aussitĂŽt le repousse avec horreur en s’écriant C.’est du vinaigre !... En effet, vous avez voulu qu’il trouvĂąt Ă  l’eau la saveur de cet acide. Mais que s’est-il passe? avez-vous dĂ©naturĂ© par votre volontĂ© les perceptions du sujet, ou l’eau a-t-elle rĂ©ellement contractĂ© des propriĂ©tĂ©s qui, relativement Ă  lui, la font ressembler Ă  du vinaigre? en d’autres termes, est-ce sur le somnambule ou sur l’eau que vous avez agi? Ces deux hypothĂšses sont Ă©galement admissibles. La premiĂšre assimilerait les sensations factices Ă  la pĂ©nĂ©tration de la pensĂ©e; rapprochement de phĂ©nomĂšnes qui, dans certains cas, semble logique; mais la seconde implique un ordre de faits Ă  part dont la dĂ©monstration me paraĂźt une des plus belles acquisitions que la science du magnĂ©tisme ait faites depuis Mesmer. Cette dĂ©monstration est d’ailleurs d’une extrĂȘme simplicitĂ© Vous magnĂ©tisez votre verre d’eau avec l’intention dĂ©lai donner la saveur du vinaigre; cette petite opĂ©ration terminĂ©e, vous laissez Ă©couler un temps plus ou moins long, un quart d’heure par exemple, pendant lequel vous vous occupez de toute autre chose, vous et votre somnambule; enfin, vous lui prĂ©sentez le verre, EFFETS DIVERS DĂŒ MAGNÉTISME, ETC. 419 ou, mieux encore, on le lui offre Ă  votre insu. Il ne pense pas plus Ă  vous que vous ne pensez Ă  lui; il ignore ce que vous avez fait, et prend le verre, dans la ferme persuasion qu’il ne contient que de l’eau, ce qui ne l’empĂȘche pas de s’écrier encore, dĂšs que ses lĂšvres y ont touchĂ© Vous me trompez; c’est du vinaigre ! Un jour, je magnĂ©tisai de l’eau avec l’intention de lui donner la saveur du jus de citron. Interrompu par une visite, j’éveille ma somnambule et je passe dans une autre piĂšce. Lorsque je rentrai le verre Ă©tait vide. — Pour qui donc aviez-vous fait apporter cette limonade ? me dit madame ***, qui avait bu l’eau magnĂ©tisĂ©e. — Pour vous, lui rĂ©pondis-je en riant. — Vous voyez que je m’en suis doutĂ©, mais elle Ă©tait sans sucre et beaucoup trop acide. Je me rappelai qu’en effet j’avais oubliĂ© le sucre. Comme ici ma pensĂ©e n’avait eu d’autre confident que moi-mĂȘme; comme en outre je n’avais pu agir directement sur l’esprit de la somnambule, puisqu’à l’instant oĂč elle buvait j’étais occupĂ© loin d’elle, cette expĂ©rience me parut dĂ©cisive, et m’aurait beaucoup surpris, si dĂ©jĂ  je n’eusse Ă©tĂ© tĂ©moin de faits de mĂȘme nature et bien plus Ă©tonnants encore. La volontĂ© peut modifier de la mĂȘme maniĂšre, relativement Ă  certaines personnes, les diffĂ©rentes propriĂ©tĂ©s des corps qui se rapportent Ă  chacun de nos sens. Ainsi, je donnerai par la pensĂ©e, Ă  tels ou tels objets, une couleur, une saveur ou une odeur autres que celles qu’ils ont; je leur donnerai mĂȘme, ce qui est 420 DIXIÈME LEÇON. plus incomprĂ©hensible, une pesanteur qu’ils n’ont pas. Enfin , je fais plus encore non-seulement je modifie, mais je crĂ©e de toutes piĂšces un monde imaginaire qui s’anime autour de moi. Les expĂ©riences suivantes rĂ©sument Ă  peu prĂšs ce que j’ai vu de plus extraordinaire dans ce genre. SeptiĂšme expĂ©rience. Étant assis au milieu de mon salon, je me reprĂ©sente, le plus nettement qu’il m’est possible, une barriĂšre en bois peint qui s’élĂšverait devant moi Ă  un mĂštre de hauteur. Lorsque cette image est bien arrĂȘtĂ©e dans mon cerveau, je la rĂ©alise mentalement au moyen de quelques gestes. Mademoiselle Henriette L., jeune somnambule d’une telle impressionnabilitĂ© que je l’endors en quelques secondes, est alors Ă©veillĂ©e dans la chambre voisine. Je la prie de m’apporter un livre qui doit ĂȘtre auprĂšs d’elle. Mademoiselle Henriette vient, en effet, ce livre Ă  la main; mais, arrivĂ©e Ă  l’endroit oĂč s’est Ă©levĂ©e ma barriĂšre imaginaire, elle s’arrĂȘte subitement. Je lui demande ce qui l’empĂȘche d’approcher davantage '' — Ne le voyez-vous pas? dit-ellej; vous ĂȘtes entourĂ© d’une barriĂšre. — Quelle folie! approchez donc. — Je ne le peux pas, vous dis-je. — Comment donc la voyez-vous, cette barriĂšre? — Telle qu’elle est apparemment, ....en bois rouge.... je la touche. Quelle singuliĂšre idĂ©e d’avoir mis cela dans ce salon ! 421 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. J’essaie de persuader Ă  mademoiselle Henriette qu’elle est dupe d’une illusion, et, pour l’en convaincre, je la saisis par les mains et l’attire Ă  moi; mais ses pieds sont collĂ©s au parquet ; le haut du corps se porte seul en avant ; enfin elle s’écrie que je lui meurtris l’estomac contre l’obstacle qui l’arrĂȘte L HuitiĂšme expĂ©rience. Au commencement de fĂ©vrier 1844? j e conduisis mademoiselle Henriette dans une rĂ©union d’amis auxquels j’avais racontĂ© l’expĂ©rience qui prĂ©cĂšde. Sous un prĂ©texte convenu d’avance,une dame emmĂšne la jeune fille hors de l’appartement. On dĂ©cide alors, sans ma participation, des objets dont ma volontĂ© doit lui offrir l’image Ă  son retour. Celui-ci veut des cornes de cerf sur la tĂȘte, celui-lĂ  un bonnet de magicien; une daine me prie de la mĂ©tamorphoser en sultan , une autre en lĂ©opard, etc., etc. Lorsque toutes mes dispositions sont prises, avec une gravitĂ© qui me ferait passer pour fou si l’expĂ©rience ne devait pas rĂ©ussir, mademoiselle Henriette rentre au salon. A peine la porte lui est-elle ouverte, qu’elle recule de trois pas en s’écriant — Oh! quelles vilaines gens! — Que voyez-vous? lui dis-je. — Un Turc, un magicien, un cerf, un tigre.... toute une mĂ©nagerie. 1 Cette expĂ©rience a Ă©tĂ© faite publiquement Ă  mon cours, telle qu 5 elle est ici dĂ©crite. 422 DIXIÈME LEÇON. Quelques passes avaient fait les frais de cette Ă©trange mascarade. Lorsque j’ai rĂ©tabli les choses dans leur Ă©tat naturel, ce qui est l’affaire de quelques secondes, on demande une nouvelle Ă©preuve. Mademoiselle Henriette sort donc derechef, et je me remets Ă  confectionner de nouveaux dĂ©guisements; mais, cette fois, rien ne rĂ©ussit. Mademoiselle Henriette, qu’on vient de rappeler, voit des diables, des monstres, des objets hideux sans forme et sans nom, et je n’ai rien figurĂ© de semblable. L’imagination de la jeune fille agit Ă©videmment Ă  la place de la mienne, et les ĂȘtres fantastiques qu’elle dĂ©crit sont sortis de son cerveau. — Mais quelle lumiĂšre jette le rapprochement de ces faits sur la cause et la nature des hallucinations ! NeuviĂšme expĂ©rience. Madame G...., dont je vous ai parlĂ© dĂ©jĂ , est endormie par M. ***, son magnĂ©tiseur habituel. Cette dame est assise sur un canapĂ©, les deux pieds posĂ©s sur un tapis. Je dis aussi bas que possible Ă  l’oreille de M. *** — Imaginez une marre d’eau devant elle; nous y ferons nager des cygnes—Le magnĂ©tiseur se met en devoir de creuser son Ă©tang. Mais ce que nous n’avions prĂ©vu ni lui ni moi, c’est que madame G...., qui se voit envahie par l’eau, retire ses pieds, qui, dit- elle, sont dĂ©jĂ  mouillĂ©s tous les deux, et reste, pour les maintenir en l’air, dans une position fatigante et si grotesque que nous ne pouvons nous empĂȘcher d’en rire. 423 EFFETS DIVERS DĂŒ MAGNÉTISME, ETC. AprĂšs que nous nous sommes un instant divertis des perplexitĂ©s de notre intĂ©ressante somnambule, M. *** se dispose Ă  l’éveiller; mais, auparavant, il m’attire Ă  l’écart et me dit Ă  l’oreille — Que faut-il lui faire voir en s’éveillant? — Tout ce qu’il vous plaira; je m’en rapporte Ă  vous. — Un prĂ©cipice ? — Non ; avec son affection du cƓur, cela pourrait l’effrayer et lui faire mal. — Un beau jardin? — A la bonne heure; le paradis terrestre. M. *** se met Ă  rire. — Pourquoi pas? lui dis-je; je suis curieux de savoir l’idĂ©e que vous vous en faites. — Voulez-vous ĂȘtre Adam? — Je serai le serpent, si cela vous plaĂźt. — Bon lie grand fauteuil sera l’arbre du fruit dĂ©fendu. Je me demande Ă  prĂ©sent par quelle singuliĂšre disposition d’esprit nous traitions avec cette lĂ©gĂšretĂ© la plus magnifique dĂ©couverte peut-ĂȘtre qui ait agrandi depuis deux mille ans le domaine de la physiologie; car le fait dont il est question me semble Ă©videmment destinĂ© Ă  devenir un jour la vĂ©ritable pierre d’assise do la psychologie, et peut-ĂȘtre mĂȘme de toute la mĂ©taphysique. Cependant, M. ***, aprĂšs quelques minutes de recueillement, se met en devoir de rĂ©aliser l’Edeu qu’il a conçu. — Quelle bouffonnerie! si nous sommes dans l’erreur, pensais-je en le regardant se livrer avec une 424 DIXIÈME LEÇON. imperturbable gravitĂ© Ă  cette Ɠuvre de magie. AssurĂ©ment, l'homme est perfectible; car, il y a trois siĂšcles, on nous eĂ»t brĂ»lĂ©s vifs, tandis qu’aujourd’hui l’on se contenterait de se moquer de nous c’est lĂ , du moins, un progrĂšs dans les mƓurs; mais dans la raison?...Les prĂ©jugĂ©s se remplacent, et voilĂ  tout. Oui, les savants de notre siĂšcle de lumiĂšre nous prendraient pour deux fous s’ils nous voyaient, et nous seuls peut-ĂȘtre nous approchons de la vĂ©ritĂ© suprĂȘme. —La vĂ©ritĂ©, hĂ©las! Le puits que l’apologue lui a donnĂ© pour demeure est plus profond qu’on ne le pense. Je crois sincĂšrement que les hommes n’y descendent qu’à l’instant oĂč ils quittent ce monde. M. *** interrompit ces rĂ©flexions dĂ©sespĂ©rantes, auxquelles j’ai eu bien des fois depuis l’occasion de revenir. — L’affaire est faite, me dit-il; mais je n’y songe plus, je n’y veux plus songer. Si l’expĂ©rience rĂ©ussit, ce sera dans le vide, dans l’air, dans l’espace enfin, que madame G.... verra l’image qui, tout Ă  l'heure, se formait dans ma tĂȘte, oĂč je vous jure qu’elle n’est plus. — Tant mieux! nous n’en serons que plus sĂ»rs d’avoir dĂ©couvert le daguerrĂ©otype de la pensĂ©e.,.. Eveillez la somnambule, et si cela ne rĂ©ussit pas.... — Eli bien!.... nous serons discrets, voilĂ  tout. M. *** Ă©veille donc notre jeune malade, qui commençait Ă  s’impatienter. Je n’ose faire un pas, dans la crainte de renverser un arbre, de fouler une plate- bande ou de mettre le pied sur le. serpent. — Il me semble que le rĂ©veil se fait attendre plus longtemps 425 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. que de coutume. Enfin, madame G.... ouvre les yeux.... mais elle ne dit rien pas la moindre expression de surprise sur sa figure!—-Allons, l’expĂ©rience est manquĂ©e, ou plutĂŽt elle Ă©tait impossible!.... Comment avons-nous eu l’extravagance de supposer le contraire?....— M. *** et moi, l’un et l’autre un peu confus, nous nous regardons comme eussent fait jadis deux augures.... en souriant. Cependant nous espĂ©rons encore. A un mouvement de madame G...., nos yeux se reportent vivement sur elle. Elle s’est levĂ©e! Il me semble que sa physionomie exprime l’étonnement et l’admiration.... Enfin elle s’écrie Quels beaux arbres! quels beaux arbres!.... Et dans un ravissement que j’essaierais vainement de dĂ©crire, M. *** et moi nous battons des mains comme deux insensĂ©s. — C’est inconcevable! c’est inouĂŻ! c’est prodigieux, etc. Il n’y a pas d’adjectifs, de superlatifs, capables de rendre ce que nous Ă©prouvons. Mais ce n’est pas tout encore mes exclamations attirent sur moi les regards de madame G....; elle paraĂźt d’abord douter de ce qu’elle voit; elle se pançhc et se fait un garde-vue de sa main pour mieux s’en assurer. — Quelle horreur! dit-elle enfin.... un homme nu! — M. *** avait rĂ©alisĂ© sa plaisanterie jusqu’au bout, et je me trouvais, sans m’en douter, dans le dĂ©shabillĂ© naĂŻf de notre premier pĂšre.— Alors, de rire tous deux d’un rire homĂ©rique auquel la somnambule ne fait nulle attention. — Chose Ă©trange! lorsque je lui parle, elle paraĂźt m’entendre, et en mĂȘme temps ne pas comprendre le sens de mes paroles. — Jamais 426 DIXIÈME LEÇON. expĂ©rience ne fit sur moi une impression plus vive. Lorsque M. ***, un peu calmĂ©, eut enfin dĂ©truit son ouvrage et fait passer Madame G.... du paradis terrestre dans la chambre oĂč nous Ă©tions, nous prĂźmes congĂ© de cette dame. — Eh bien! me dit-il en me reconduisant, qu’en pensez-vous? aprĂšs ce que vous venez de voir, ĂȘtes- vous matĂ©rialiste ou spiritualiste? — Je n’en sais rien encore ; voilĂ  dix ans que je me fais celte question,... toujours avec l’espĂ©rance de mourir chrĂ©tien. — Mais , enfin, que dites-vous de cette merveilleuse expĂ©rience? — Ce que j’en disais tout Ă  l’heure daguerrĂ©otype de la pensĂ©e. D’aprĂšs une communication que me fitM. le vicomte Duponceau, en 1842 , j’ai consignĂ© dans mes Transactions, et depuis dans la seconde Ă©dition de mon Manuel 1 , un assez grand nombre de faits analogues Ă  ceux que je viens de dĂ©crire. Parmi ces faits, deux surtout ont un caractĂšre tellement extraordinaire que je crois devoir vous les rapporter. DixiĂ©me expĂ©rience. Rosalie dort paisiblement, dans un fauteuil, du sommeil magnĂ©tique; son magnĂ©tiseur lui soulĂšve les pieds, puis passe sa main entre eux et le plancher. Ce signe, d’aprĂšs la demande qui lui en a Ă©tĂ© adressĂ©e, * P. a58 et suiv. 427 EFFETS DIVERS RU MAGNÉTISME, ETC. doit placer un tabouret sous les pieds de la somnambule. Effectivement, Ă  partir de ce moment, les deux pieds de Rosalie restent en l’air comme s’ils Ă©taient rĂ©ellement supportĂ©s par un objet placĂ© aurdessous d’eux. Lorsqu’on leur imprime une forte pression, ils sont contraints d’y cĂ©der, mais alors tout le corps suit le mouvement, et aussitĂŽt que l’action cesse, les deux pieds se relĂšvent ensemble dans la position qui leur a Ă©tĂ© imposĂ©e par le magnĂ©tiseur. C’est Ă  peu prĂšs l’effet qu’éprouve une personne cahotĂ©e dans une voiture le point d’appui sur lequel repose les pieds s’exhausse et s’abaisse, sans que pour cela les rapports de position des diffĂ©rentes parties du corps entre elles en soient sensiblement altĂ©rĂ©es. AprĂšs ĂȘtre restĂ©e longtemps ainsi, sans tĂ©moigner aucune fatigue, Rosalie, Ă  qui on demande pourquoi elle tient ses pieds Ă©levĂ©s, rĂ©pond C’est, parce que je les ai placĂ©s sur un tabouret. » Lorsque je lus pour la premiĂšre fois le rĂ©cit de cette expĂ©rience, je me demandai tout d’abord si la volontĂ© du magnĂ©tiseur avait agi directement sur la somnambule, ou si, dans l’espace qui sĂ©parait ses pieds du sol, il avait vĂ©ritablement dĂ©posĂ© Fimage d’un tabouret qui, en se rĂ©alisant dans l’esprit de Rosalie, avait dĂ©cidĂ© consĂ©cutivement de la position bizarre qu’elle gardait sans en Ă©prouver de fatigue. OnziĂšme expĂ©rience. AprĂšs avoir magnĂ©tisĂ© Rosalie dans le salon de madame ***, je demande ce qu’on dĂ©sire que je lui 428 DIXIÈME LEÇON. fasse voir. — Une petite fille, me rĂ©pond l’un des assistants. — Je m’approche donc d’une chaise, et cherche en quelques passes Ă  y fixer mon idĂ©e. Rosalie, que j’amĂšne en face de mon Ɠuvre, aprĂšs un moment d’hĂ©sitation , finit par me dire — Je vois trĂšs-bien ; c’est la petite Hortense. Rosalie Ă©tant renvoyĂ©e dans une autre piĂšce, je change la chaise de place pour qu’elle ne puisse la reconnaĂźtre; mais j’hĂ©site et la pose dans plusieurs endroits diffĂ©rents avant de la fixer. Je vais ensuite rĂ©veiller la somnambule dans la chambre de madame ***, puis je rentre avec elle dans le salon. Qu’aperçoit-elle bien Ă©veillĂ©e? non pas une petite fille, mais six, Ă  mon grand Ă©tonnement. Vainement je cherche par des passes transversales Ă  anĂ©antir ma crĂ©ation multiple; impossible. Curieux d’avoir l’explication de tout ceci, je rendors Rosalie et lui demande le mot de l’énigme Pardi, monsieur, rĂ©pond la jeune fille, il ne fallait pas changer la chaise de place, je n’aurais vu qu’un enfant, mais partout oĂč vous l’avez dĂ©posĂ©e, le fluide a passĂ© Ă  travers et a formĂ© un enfant tout pareil Ă  celui qui est au- dessus. » Que dire, messieurs, de cette pensĂ©e, qui une fois Ă©chappĂ©e du cerveau oĂč elle a pris naissance, va se multipliant d’elle-mĂȘme, se reproduisant mĂ©caniquement comme un dessin stĂ©rĂ©otypĂ©?—Tel est le fait; j’y crois sincĂšrement, mais quelles en sont les consĂ©quences ?.... De toutes les expĂ©riences que je viens de rapporter, il me paraĂźt rĂ©sulter clairement i° qu’il existe dans l’homme un fluide nerveux ou magnĂ©tique peu iin- 429 EFFETS DIVERS DD MAGNÉTISME, ETC. porte le nom qu’on lui donne, mais agissant comme cause ou se manifestant comme effet dans tous nos actes volontaires, et probablement involontaires ; 2 ° que ce fluide se meut dans l’espace d’aprĂšs l’impulsion que la volontĂ© ou l’imagination lui donne; 3° qu’aprĂšs s’ĂȘtre sĂ©parĂ© de nous, il conserve, indĂ©pendamment de nos voĂ»tions ultĂ©rieures, l’image fidĂšle des pensĂ©es qui ont prĂ©sidĂ© Ă  son Ă©mission; 4° que cette image peut Ă  son tour se rĂ©flĂ©chir Ă  notre insu dans l’espace et s’y multiplier indĂ©finiment. Peut-ĂȘtre enfin devrais-je ajouter abstraction faite de tout effort volitif, de toute impression Ă©ventuelle, en un mot de toute pensĂ©e, ce fluide, en se rĂ©pandant incessamment autour de nous, y laisse en quelque sorte une contre-Ă©preuve de notre organisation, c’est-Ă -dire l’empreinte de toutes nos facultĂ©s physiques et morales. 11 suit de laque, s’il Ă©tait possible d’éliminer subitement de l’univers tout ce que nous appelons matiĂšre, il resterait Ă  la place du monde sensible un monde invisible pour nous, mais qui, pour l’ñme du somnambule, serait semblable au premier. Telles sont donc, autant que nous pouvons en juger par des observations mĂ©diates, les principales propriĂ©tĂ©s du fluide. Mais, indĂ©pendamment de ces propriĂ©tĂ©s, il est prĂ©sumable qu’il y en a d’autres dont nous ne nous faisons aucune idĂ©e. N’est-il qu’un intermĂ©diaire entre la matiĂšre et l’ñme, ou bien est-il l’ñme elle-mĂȘme? C’est ce que Dieu seul pourrait dire. Quant Ă  moi, je crois sincĂšrement qu’il est, non-seulement comme je l’ai avancĂ© dĂ©jĂ , le moyen de nos impressions, mais la substance de toutes nos pensĂ©es. Je crois en outre qu’il 430 DIXIÈME LEÇON. a a, par rapport Ă  la durĂ©e, certaines propriĂ©tĂ©s corrĂ©latives Ă  celles que nous lui soupçonnons par rapport Ă  l’espace, et voilĂ  comment je n’hĂ©site pas Ă  lui attribuer un rĂŽle capital dans le mĂ©canisme des souvenirs et des pressentiments. Agent conservateur de nos impressions et de nos intuitions, le fluide serait ainsi pour chacun de nous une portion de ce monde archĂ©type, oĂč le prĂ©sent existe en germe longtemps avant de se rĂ©aliser, oĂč les effets du passĂ© se transforment en causes de l’avenir. Les philosophes, j’en suis certain, ont gĂ©nĂ©ralement delĂ  libertĂ© morale de l’homme et de la spontanĂ©itĂ© de ses voĂ»tions, une idĂ©e trop explicite. Ce n’est pas que je veuille me mettre en contradiction avec moi-mĂȘme, en niant aujourd’hui le libre arbitre que je vous ai prĂ©sentĂ©, dans ma premiĂšre leçon, comme le critĂ©rium de l’humanitĂ©. Seulement, je prĂ©sume qu’il est de nombreuses circonstances dans lesquelles nous ne croyons agir volontairement que parce que la raison qui nous dĂ©termine, ne tombant pas sous nos sens, se dĂ©robe ainsi Ă  nos rĂ©flexions. Cela tient surtout Ă  ce que, dans la succession de nos actes moraux, il existe souvent, entre la cause et l’effet, une longue pĂ©riode d’inertie, pendant laquelle nous Ă©chappe le lien qui les unit. Le magnĂ©tisme seul, jusqu’à prĂ©sent, a jetĂ© quelque lumiĂšre sur ce point obscur d’anthropologie. Un somnambule reçoit de son magnĂ©tiseur l’injonction de faire telle chose, et par consĂ©quent d’avoir telle pensĂ©e Ă  une heure plus ou moins Ă©loignĂ©e qu’on lui assigne; on le rĂ©veille; il ne sait rien ni de ce qu’il a fait ni de ce qui lui reste Ă  faire; mais l’impression de 431 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. l’ordre qu’on lui a donnĂ© n’en reste pas moins latente au fond de lui-mĂȘme, et Ă  l’heure indiquĂ©e, un instinct fatal, irrĂ©sistible, se rĂ©veille en lui, et le dĂ©termine quelquefois malgrĂ© lui, et en dĂ©pit mĂȘme du sens commun. Un jour, par exemple, je dis Ă  une somnambule Demain, Ă  midi, vous allumerez un grand feu dans votre chambre c’était au mois de juillet, deux bougies sur votre guĂ©ridon, et vous m’attendrez ainsi, en brodant, jusqu’à une heure. J’arrivai chez elle Ă  midi et demi. Elle brodait gravement au coin d’un feu clair, avec les deux bougies allumĂ©es sur la table. —Du feu! lui dis-je en entrant; vous avez froid en juillet ! — Mais non. — Pourquoi donc vous chauffez-vous? — Je ne sais pas. — Et pourquoi ces bougies? Elle me regarde avec hĂ©bĂ©tude, et ne rĂ©pond que par un mouvement d’épaules qui signifie encore je ne sais pas. — Lorsque une heure sonna, elle Ă©teignit son feu et ses bougies, et jeta son ouvrage de l’air d’une personne qui a fini sa tĂąche. — Eh bien ! lui dis-je, vous ne travaillez plus? — Non ; il est une heure. — C’est qu’ordinairement vous cessez de broder Ă  une heure? —Pas ordinairement.... — Pourquoi donc aujourd’hui?.... Je ne sais pas , Ă©tait toujours son unique rĂ©ponse. Tous les magnĂ©tiseurs rĂ©pĂštent journellement des 432 DIXIÈME LEÇON. expĂ©riences de cette nature, dont je vous abandonne le commentaire. Mais je pense, quant Ă  moi, que si cet empire fatal, que la volontĂ© d’un individu conserve sur les somnambules pendant les actions de leur veille, doit infailliblement donner lieu aux abus les plus dĂ©plorables, la philanthropie peut, de son cĂŽtĂ©, tirer parti de cette circonstance, en l’employant comme moyen hygiĂ©nique Ă  RÉGULARISER LA VIE MORALE ET PHYSIQUE des Sujets qu’on endort; mais ceci rentre dans les applications du magnĂ©tisme, et c’est par lĂ  que nous allons terminer. Le principal objet de mes leçons Ă©tant de vous faire envisager le magnĂ©tisme d’un point de vue philosophique, c’est-Ă -dire gĂ©nĂ©ral, je ne vous parlerai que trĂšs-briĂšvement de ses applications. Le fluide magnĂ©tique, suivant Mesmer, Ă©tait l’agent thĂ©rapeutique par excellence, ou plutĂŽt le seul agent qu’on dĂ»t employer au traitement des maladies. On reconnaĂźtra par les faits, dit-il dans ses Propositions , que ce principe peut guĂ©rir immĂ©diatement les maladies des nerfs et mĂ©diatement les autres. » L’expĂ©rience, en effet, a justifiĂ© cet aphorisme; mais, en mĂȘme temps, elle a prouvĂ© que Mesmer allait trop loin. S’il peut ĂȘtre vrai en thĂ©orie qu’il n’y ait qu 'une santĂ©, qu 'une maladie, qu "un remĂšde, cette proposition est certainement un non sens en pratique. D’ailleurs, tout en admettant avec Mesmer une unitĂ© morbide, ce que nous savons aujourd’hui du fluide ne nous permet pas de le considĂ©rer comme unitĂ© thĂ©rapeutique, puisque les propriĂ©tĂ©s de ce principe varient, non-seulement d’homme Ă  homme, mais d’instant en instant, dans un mĂȘme individu. Mais ces faits, au temps de 433 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. de Mesmer, Ă©tant encore inconnus, il Ă©tait rationnel de supposer la vie de tous les hommes assujettie aux lois immuables d’un agent commun, dont l’existence Ă©tait au reste matĂ©riellement dĂ©montrĂ©e. Quoi qu’il en soit, on se servait de cet agent comme on eĂ»t fait d’un ingrĂ©dient pharmaceutique, avec l’espoir d’en obtenir des rĂ©sultats gĂ©nĂ©raux, dont les symptĂŽmes Ă©taient dĂ©terminĂ©s Ă  l’avance crises, et auxquels devait succĂ©der en dernier lieu, sans qu’on sĂ»t bien au juste ni comment ni pourquoi, le rĂ©tablissement de la santĂ©. Ce qu’il est bon d’observer, c’est que, nonobstant ces donnĂ©es vicieuses, le magnĂ©tisme, pratiquĂ© d’aprĂšs la mĂ©thode de Mesmer, produisait trĂšs-souvent les plus heureux effets. AppliquĂ© sans doute par des hommes de bonne constitution, il agissait alors comme tonique, ainsi que le remarque de Jussieu, et guĂ©rissait rapidement les maladies qui consistent dans la diminution de l’activitĂ© vitale, c’est-Ă -dire dans le dĂ©faut d’innervation. Aussi voyons-nous les paralytiques, les scrofuleux et les personnes dĂ©bilitĂ©es ou atteintes de subinjlamma- tions, comme on dit aujourd’hui, figurer en premiĂšre ligne parmi les malades guĂ©ris dans les traitements publics '. J’ajoute enfin que l’ébranlement rĂ©itĂ©rĂ© du systĂšme nerveux, qu’on dĂ©signait sous le nom de crise, constituait une sorte de mĂ©thode perturbatrice, qui, 'Certaines amauroses paralysies des nerfs optiques et les surditĂ©s qui consistent dans la paralysie du nerf acoustique, cĂšdent comme par enchantement Ă  l’emploi du magnĂ©tisme. J’en ai rapportĂ© plusieurs observations dans la 2 e Ă©dition de mon Manuel pra - tique du magnĂ©tisme animal. 28 434 DIXIÈME LEÇON, aujourd’hui encore, compte parmi les magnĂ©tiseurs un assez grand nombre de partisans, et dont l’usage, motns dangereux qu’on ne le croirait d’abord, est frĂ©quemment salutaire Cependant on ne tarda pas Ă  s’apercevoir que tout le monde n’était pas indiffĂ©remment appelĂ© Ă  pratiquer le magnĂ©tisme; car, sans parler de l’extrĂȘme fatigue que les personnes faibles ou mal portantes Ă©prouvaient en l’administrant, on reconnut qu’au lieu de soulager les malades, et bien loin d’ĂȘtre salutaires, les soins donnĂ©s par ces personnes ne faisaient souvent qu’aggraver le mal. De lĂ , il fallut donc conclure que le fluide avait, dans chaque individu, des qualitĂ©s particuliĂšres, dĂ©pendant de l’ñge, du sexe, du tempĂ©rament, de la constitution, et surtout de la santĂ© de ces individus. Cette proposition est aujourd’hui si clairement dĂ©montrĂ©e que je n’hĂ©site pas Ă  regarder le fluide comme le vĂ©hicule de toutes les maladies Ă©pidĂ©miques; ce qui nous expliquerait comment la plupart des affections non rĂ©putĂ©es contagieuses peuvent cependant le devenir, et par une autre voie que le contact immĂ©diat. PI us tard, enfin, on dĂ©couvrit que non-seulement le fluide rĂ©flĂ©chissait dans ses propriĂ©tĂ©s toutes les conditions physiques des personnes qui magnĂ©tisaient, mais encore qu’il recevait d’une intention spĂšciale de ces personnes, des propriĂ©tĂ©s particuliĂšres. La bienveillance et les sentiments affectueux Ă©tant dĂšs lors considĂ©rĂ©s chez les magnĂ©tiseurs comme des ' Les mĂ©decins ont comme les magnĂ©tiseurs leur mĂ©thode perturbatrice elle consiste Ă  administrer au hasard un vomitif ou un drastique violents.— La Providence faille reste. 435 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. facultĂ©s aussi indispensables qu’une bonne santĂ©, on comprit que le magnĂ©tisme devait ĂȘtre une mĂ©decine de famille, Ă  l’usage seulement des gens honnĂȘtes et charitables. — PratiquĂ© dans ces conditions, le magnĂ©tisme agit souvent, mĂȘme dans les cas les plus graves, avec une puissance qui, plus d’une fois, a semblĂ© miraculeuse. Il est d’ailleurs Ă©vident qu’ainsi conçu, il est indistinctement applicable Ă  toutes les maladies guĂ©rissant immĂ©diatement, comme le disait Mesmer, les affections nerveuses et mĂ©diatement les autres. Remarquez, en effet, que toutes les fonctions de la vie organique sont essentiellement subordonnĂ©es Ă  l’appareil nerveux. C’est lui qui dispense dans l’économie le mouvement et la sensibilitĂ©. Suivant le degrĂ© d’activitĂ© dont la nature l’a douĂ© dans chacun de nous, il accĂ©lĂšre ou ralentit le cours de nos humeurs. Il est donc, dans l’état normal, le rĂ©gulateur de la santĂ©, et, dans l’état de maladie, l’élĂ©ment sur lequel il importe par-dessus tout au mĂ©decin de diriger son action. Or, il me paraĂźt Ă©vident que le magnĂ©tisme est le modificateur par excellence de l’appareil nerveux. Mais si les effets salutaires qu’il dĂ©termine dans l’organisme sont Ă  la fois dĂ©montrĂ©s par l’expĂ©rience et par la thĂ©orie, son influence sur l’esprit est encore plus incontestable. 11 est donc permis de se demander s’il n’y aurait pas quelque moyen de l’utiliser Ă  l’amĂ©lioration morale, sinon de l’espĂšce, du moins des individus qui ressentent le mieux son action. Puisque la volontĂ© d’un magriĂ©liseur agit encore sur l’organisation morale d’un somnambule longtemps 436 DIXIÈME LEÇON. aprĂšs que celui-ci est rentrĂ© clans la vie rĂ©elle ; puisque cette volontĂ© peut lui inculquer des idĂ©es qu’il n’eĂ»t pas eues de lui-mĂȘme, n’est-il pas vrai qu’elle doit avoir aussi la puissance de modifier ses idĂ©es habituelles, et au besoin d’en changer le cours?C’est, en effet,ce qui a lieu. Et remarquez que je n’entends pas seulement ici par idĂ©es les conceptions intellectuelles, mais les instincts, les sentiments, toutes les volitions de l’ñme. Quelques faits intĂ©ressants ont Ă©tĂ© dĂ©jĂ  consignĂ©s dans les annales de la science pour encourager les efforts des magnĂ©tiseurs intelligents qui voudraient s’engager dans cette voie philanthropique. Un jeune ouvrier des environs d’Amiens, honnĂȘte garçon d’ailleurs, avait contractĂ© depuis assez longtemps la dĂ©plorable habitude de s’enivrer. Cet homme Ă©tait le premier Ă  condamner ses excĂšs, dont il rougissait le lendemain; chaque fois, il jurait de ne plus y retomber; mais, comme tous les buveurs, il oubliait ses serments. Or, un jour qu’il souffrait beaucoup d’une nĂ©vralgie dentaire, il vint se confier aux soins charitables de M. Azeronde, d’Amiens, qui le magnĂ©tisa et le mit en somnambulisme. Pendant son sommeil il avoua ses dĂ©bauches et son dĂ©sir de se corriger, et M. Azeronde conçut alors l’idĂ©e de le guĂ©rir de son ivrognerie en mĂȘme temps que de sa douleur. Le succĂšs fĂ»t complet. Le somnambule, en s’éveillant, avait horreur du vin, et dix expĂ©riences consĂ©cutives consolidĂšrent si bien celte heureuse aversion que depuis deux ans cet ouvrier ne boit que de l’eau pure. — J’avoue qu’à la place de M. Azeronde, je me serais montrĂ© moins rigoureux et j’aurais permis l’eau rougie. Mais peut-ĂȘtre 437 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. le magnĂ©tiseur, ne prĂ©sumant pas assez de son art et de ses forces, n’avait exigĂ© le plus que dans l’espĂ©rance d’obtenir le moins. A la suite de cette belle observation, j’ai rapportĂ© moi-mĂȘme, dans mes Transactions, le fait assez curieux d’un peintre hambourgeois, dont je parvins en trois sĂ©ances Ă  rectifier l’accent allemand. Circonstance assez Ă©trange! ce jeune homme fut le dernier Ă  s’apercevoir du changement complet survenu en quelques jours dans sa maniĂšre de prononcer. En rĂ©sumĂ©, il est pour moi hors de doute que le magnĂ©tisme, mĂȘme lorsqu’il ne produit pas le somnambulisme, peut devenir entre des mains habiles un puissant moyen d’éducation. Les idĂ©es et les sentiments s’infiltrent, pour ainsi dire, avec le principe de la vie, et se communiquent Ă  la longue par le simple contact presque aussi sĂ»rement que par leurs voies habituelles de transmission L—Platon rapporte qu’Aristide avançait dans l’étude de la sagesse par cela seul qu’il Ă©tait dans la mĂȘme maison que Socrate, mais qu’il avançait encore plus quand il pouvait ĂȘtre dans la mĂȘme chambre; et toutes les fois que Socrate lui parlait, Aristide sentait qu’il profitait davantage de ses leçons lorsque ce philosophe avait les yeux sur lui que lorsqu’il regardait ailleurs; mais le progrĂšs Ă©tait bien plus grand encore lorsqu’Aristide Ă©tait assis auprĂšs de lui et qu’il le touchait. 1 Voy. dans l 'ExposĂ© des cures opĂ©rĂ©es par le magnĂ©tisme, t. I, p. 416, les observations curieuses rapportĂ©es par M. MialleĂ ce suje ONZIÈME LEÇON. THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME. Messieurs , Le magnĂ©tisme est une des grandes forces de la nature s’il n’en est la force unique j’ai l’espoir de vous l’avoir fait comprendre. AprĂšs vous avoir prĂ©sentĂ© la systĂ©matisation de cette puissance, considĂ©rĂ©e comme principe de la vie universelle, il nous reste Ă  en rechercher l’essence et les lois; en d’autres termes, aprĂšs avoir Ă©tabli le systĂšme, nous allons essayer d’en dĂ©duire la thĂ©orie. Si le mot systĂšme, d’aprĂšs la dĂ©finition que j’en ai donnĂ©e dans ma premiĂšre leçon, dĂ©signe dans le langage scientifique une sĂ©rie de rapports dĂ©terminĂ©s entre des ĂȘtres ou des faits, il faut entendre par thĂ©orie une explication toujours hypothĂ©tique et purement conventionnelle de la maniĂšre dont s’établissent ces rapports et de la cause qui les entretient. Ainsi, pour le magnĂ©tisme Une certaine rĂ©ciprocitĂ© d’action perpĂ©tuelle entre tous les ĂȘtres de l’univers, et subordonnĂ©e Ă  la double facultĂ© d’agir et de sentir inĂ©galement rĂ©partie dans chacun d’eux, entretient entre ces ĂȘtres des relations 439 THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME, plus ou moins Ă©videntes, lointaines ou cachĂ©es; voilĂ  le systĂšme. Mais un agent unique est le moyen de ces relations. Quelle est la nature intime, quelles sont les lois de cet aU MAGNÉTISME. 445 2 ° Tous ces corps ont une forme, dont la raison est absolument inconnue. 3° Tous paraissent ĂȘtre pĂ©nĂ©trĂ©s d’une substance, ordinairement invisible, toujours impondĂ©rable, mais distincte et sĂ©parable de leur propre substance c’est le fluide Ă©lectrique. — Le calorique et la lumiĂšre ne sont peut-ĂȘtre que des manifestations particuliĂšres de ce fluide; mais cela n’est pas dĂ©montrĂ©, et aucune spĂ©culation scientifique ne peut encore ĂȘtre assise sur cette supposition. 4° Le fluide Ă©lectrique, rĂ©pandu certainement dans l’atmosphĂšre, et probablement dans l’espace, a pour rĂ©servoirs spĂ©ciaux le globe terrestre et les ĂȘtres qui vivent, vĂ©gĂštent ou gravitent Ă  sa surface. 5° Les physiciens le considĂšrent comme un composĂ© de deux Ă©lĂ©ments douĂ©s de propriĂ©tĂ©s contraires, susceptibles d’ĂȘtre isolĂ©s, se sĂ©parant, mĂȘme quelquefois naturellement, mais tendant continuellement Ă  se rĂ©unir. 6° CombinĂ©s entre eux dans les corps, les deux Ă©lĂ©ments Ă©lectriques ne deviennent manifestes que dans le cas oĂč, par suite sans doute de la prĂ©dominance eu quantitĂ© de l’un d’eux, relativement Ă  l’autre, il n’-y a pas neutralisation complĂšte de leurs propriĂ©tĂ©s respectives.— L’élĂ©ment prĂ©dominant, ou plutĂŽt le corps qui le recĂšle, exerce alors autour de lui une action particuliĂšre, dont la tendance paraĂźt ĂȘtre de rompre Ă  son profit les combinaisons analogues, en s’emparant d’une portion de l’élĂ©ment contraire. 7° Il rĂ©sulte de lĂ  que les corps dans lesquels prĂ©dominent des Ă©lĂ©ments Ă©lectriques opposĂ©s s’attirent, tan- 446 ONZIÈME LEÇON. dis qu’un effet inverse a lieu dans le cas contraire il y a rĂ©pulsion entre ces derniers. 8° Les corps simples ou composĂ©s qui prĂ©sentent soit habituellement, soit Ă©ventuellement, cette prĂ©dominance d’un des deux Ă©lĂ©ments Ă©lectriques sont dits corps Ă©lectriques ou Ă©lectrisĂ©s. — 11 n’en est qu’un petit nombre dans lesquels l’état neutre paraĂźt exister ordinairement. 9 ° L’état Ă©lectrique des corps se caractĂ©rise ou plutĂŽt se manifeste d’autant plus vivement qu’ils sont mis en contact mĂ©diat avec d’autres corps Ă©lectrisĂ©s en sens contraire—c’est sur ce principe qu’est fondĂ©e la thĂ©orie de la pile voltaĂŻque. — Mais je dis en contact mĂ©diat , car un contact trĂšs-intime entraĂźne une combinaison de substance, et par suite une neutralisation plus ou moins absolue. — Telle est la cause infiniment probable de toutes les combinaisons chimiques. io° L’affinitĂ© entre deux corps est d’autant plus grande que leur Ă©tat Ă©lectrique est plus prononcĂ© toujours en sens contraire. —Il en est qui ne peuvent ĂȘtre mis en contact sans s’unir immĂ©diatement tels sont par exemple le potassium et VoxjgĂ©ne. ii° Certaines substances paraissant neutres, c’est- Ă -dire insensibles Ă  toute espĂšce d’électromĂštre, s’électrisent pourtant au contact d’autres substances Ă©galement neutres en apparence. ! 2 ° I/Ă©tat Ă©lectrique de la plupart des corps se modifie et change de nature lorsqu’ils sont rapprochĂ©s d’autres corps ; je m’explique telle substance qui est Ă©lectro-positive relativement Ă  telle autre, pourra devenir Ă©lectro-nĂ©gative relativement Ă  une troisiĂšme. THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME. 447 — Il est Ă  prĂ©sumer que, dans ces sortes de rapprochement, il y a Ă©change d’une partie des Ă©lĂ©ments Ă©lectriques et, par suite, modification de leur quantitĂ© relative dans chacun des agrĂ©gats mis en prĂ©sence. — Les chimistes ont dĂ©terminĂ© expĂ©rimentalement au moyen de la pile ces propriĂ©tĂ©s relatives des cinquante-quatre Ă©lĂ©ments connus, qu’ils ont classĂ©s d’aprĂšs cette loi. i 3° La distance fait cesser rapidement les manifestations de Y affinitĂ© dont la cause est dĂ©terminĂ©e dans les propositions prĂ©cĂ©dentes; mais il est peu probable qu’elle l’anĂ©antisse entiĂšrement. Je crois, au contraire, que l’affinitĂ© subsiste, comme l’atlraction planĂ©taire, Ă  toutes les distances imaginables le fluide neutre qui remplit l’espace serait, dans cette hypothĂšse, le vĂ©hicule de son influence.—Tous les ĂȘtres de la nature seraient donc continuellement entre eux en rapport d’affinitĂ© ou de rĂ©pulsion. i4° Toute combinaison chimique qui a pour rĂ©sultat la condensation des matiĂšres combinĂ©es met en libertĂ© une certaine quantitĂ© de fluide Ă©lectrique. — Ce phĂ©nomĂšne s’accompagne quelquefois d’un dĂ©gagement de chaleur et de lumiĂšre d’autant plus apparent que la combinaison est plus rapide, s’effectue sur des niasses plus considĂ©rables et donne lieu Ă  des produits d’une plus grande densitĂ©. i5° Il est Ă  prĂ©sumer que le fluide Ă©lectrique, soit Ă  l’état neutre, soit avec prĂ©dominance d’un de ses Ă©lĂ©ments constituants, est modifiĂ© par la substance propre des corps dont il remplit les interstices. — On comprend ainsi comment, par suite d’une sorte d’assimila- 448 ONZIÈME LEÇON. tion dont le mystĂšre est impĂ©nĂ©trable, le fluide Ă©lectrique devient dans l’homme le fluide magnĂ©tique. Telles sont, messieurs, les quinze propositions au moyen desquelles je vais essayer d’expliquer la plupart des phĂ©nomĂšnes dont la description a fait l’objet de mes leçons prĂ©cĂ©dentes. Formation et dĂ©veloppement des ĂȘtres organisĂ©s, et de l’homme en particulier. Tout ĂȘtre organisĂ© provient d’un germe qui porte en soi les conditions de formes arrĂȘtĂ©es; ce germe est peut-ĂȘtre, dans l’origine, une de ces images que nous avons vues, dans ma prĂ©cĂ©dente leçon, créées par la pensĂ©e. Cette image ici serait formĂ©e indĂ©pendamment de la volontĂ© de l’ĂȘtre producteur et par les seules forces de la nature. Une vapeur invisible, in- saissable, constituerait donc la premiĂšre Ă©bauche de tout ĂȘtre organique. Mais cette vapeur, ou plutĂŽt ce fluide, rĂ©sultat d’une combinaison consommĂ©e pendant l’acte gĂ©nĂ©rateur, et dĂ©posĂ© dans un milieu convenable, ne tarde pas Ă  fixer dans son rĂ©seau des molĂ©cules de matiĂšres, et l’ĂȘtre rĂ©el est commencĂ©. Quoique cette thĂ©orie nous explique Ă  la fois la reproduction des vĂ©gĂ©taux, la fĂ©condation des Ɠufs dans les animaux ovipares aussi bien que la fĂ©condation directe dans les espĂšces supĂ©rieures, j’avoue quelle repose sur des donnĂ©es tellement conjecturales et si peu susceptibles de vĂ©rification que j’y attache peu d’importance. Remarquez, nĂ©anmoins, que cette THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME. thĂ©orie satisfait infiniment plus l’esprit que ne le font les spĂ©culations incohĂ©rentes et purement imaginaires des physiologistes, Y aura sĂ©minales, les animalcules spermatiques, etc., etc. Remarquez, enfin, qu’elle fait rentrer dans l’ordre des phĂ©nomĂšnes naturels le miracle de certaines fĂ©condations rĂ©putĂ©es impossibles par les mĂ©decins, qui se trompent probablement eu regardant comme indispensable Ă  la production d’un germe l’introduction dans la matrice d’une liqueur fĂ©condante. Quoi qu’il en soit, je le rĂ©pĂšte, j’abandonne mes rĂȘveries sur ce point au ridicule dont messieurs des facultĂ©s nous accablent si volontiers. Mais,quelque idĂ©e qu’on se fasse du mystĂ©r ieux mĂ©canisme de la conception, je soutiens qu’une fois l’embryon formĂ©, les lois chimiques sont suffisantes pour rendre compte de ses dĂ©veloppements ultĂ©rieurs. Je pense, au reste, qu’envisagĂ©e dans son ensemble, la vie intra-utĂ©rine ne diffĂšre en rien de celle qui commence Ă  la naissance; je n’ai donc Ă  Ă©tablir entre elles aucune distinction. La vie mĂȘme des vĂ©gĂ©taux, pour l’observateur qui possĂšde l’art de gĂ©nĂ©raliser ses idĂ©es, ne diffĂšre pas essentiellement de celle des animaux. Pour que le germe d’une plante ou l’embryon d’un animal se dĂ©veloppent convenablement, il faut qu’in- dĂ©pendamment de l’intĂ©gritĂ© de leur propre organisation, ils soient placĂ©s l’un et l’autre dans des milieux appropriĂ©s Ă  leur destination respective. Mais relativement Ă  tous les ĂȘtres organiques, ces milieux doivent, avant tout, prĂ©senter certaines conditions gĂ©nĂ©rales qui consistent premiĂšrement dans une tempĂ©rature plus ou moins Ă©levĂ©e, secondement dans l’humiditĂ© nĂ©cessaire 29 450 ONZIÈME LEÇON, Ă  la dissolution prĂ©alable des substances inorganiques propres Ă  ĂȘtre assimilĂ©es. —Ces deux conditions sont Ă  peu prĂšs indispensables Ă  la combinaison chimique de tous les corps solides. — Je n’ai, d’ailleurs , pas besoin de faire observer combien ici l’expĂ©rience concorde avec la thĂ©orie. Chacun sait que le soleil et la pluie font germer les graines, et que la nature a pourvu d’une maniĂšre plus efficace encore aux besoins des animaux en les plongeant dans le liquide nutritif que contient l’Ɠuf oĂč ils sont conçus '. A mesure que se dissolvent les substances environnantes, les molĂ©cules du germe vĂ©gĂ©tal, en raison de l’état Ă©lectrique qui leur est dĂ©volu, attirent Ă  elles celles de ces substances qui sont Ă©lectrisĂ©es en sens contraire, et se combinent avec ces derniĂšres. De lĂ  rĂ©sultent des molĂ©cules de nouvelle formation plus composĂ©es que les molĂ©cules primitives, mais qui, ainsi qu’elles, ont aussi leurs tendances Ă©lectriques ou leurs affinitĂ©s. D’autres combinaisons succĂšdent donc aux premiĂšres, d’autres encore Ă  celles-lĂ , et ainsi indĂ©finiment. La mĂȘme chose, exactement, a lieu pour les germes des animaux.—Tout auimal, l’homme, par exemple, peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un agrĂ©gat rĂ©gulier de molĂ©cules Ă©lectrisĂ©es et se combinant sans cesse avec les molĂ©cules des corps assimilables que la digestion et la respiration dĂ©posent continuellement dans Je torrent des humeurs. 1 On sait que tontes les espĂšces animales, y compris l’homme, se reproduisent par des Ɠufs. 451 THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME. De ces diverses considĂ©rations dĂ©coulent plusieurs consĂ©quences qu’il importe d’énoncer i° Des combinaisons incessantes qui ont lieu dans les corps organiques rĂ©sulte dans ces corps un dĂ©gagement perpĂ©tuel des fluides impondĂ©rables; 2 ° Ce dĂ©gagement sera d’autant plus prononcĂ© que les substances combinĂ©es seront plus abondantes et plus nombreuses ; enfin, qu’en se combinant elles se condenseront davantage; 3° Tout ĂȘtre organique peut ĂȘtre envisagĂ© comme un corps mou qui se solidifie et dont un certain degrĂ© de solidification est le terme nĂ©cessaire. — La chaleur animale, la coloration des tissus et la formation des centres nerveux ont leur raison dans ces derniers principes; c’est ce que je vais tĂącher de vous faire comprendre. Formation des centres nerveux. L’activitĂ© de la vie dĂ©pend Ă©videmment i°De la rapiditĂ© avec laquelle s’opĂšrent les combinaisons de la substance propre de l’ĂȘtre avec les substances assimilables; a 0 De la multiplicitĂ© des Ă©lĂ©ments combinĂ©s; 3° De la diffĂ©rence de densitĂ© que prĂ©sentent ces Ă©lĂ©ments avant et aprĂšs leur union chimique ou physiologique ; ce qui pour nous est la mĂȘme chose. D’un autre cĂŽtĂ©, la longĂ©vitĂ© est proportionnelle 1° A la lenteur des mĂȘmes combinaisons; 2 ° Au degrĂ© de densitĂ© que les ĂȘtres peuvent acquĂ©rir saus cesser de vivre. 452 ONZIÈME IEÇON. Ainsi, les plantes herbacc'es ne vivent ordinairement qu’une annĂ©e, tandis que les plantes ligneuses et trĂšs-dures, telles que le buis, ou bien les grands arbres Ă  bois compacLe, comme le chĂȘne, rĂ©sistent pendant plusieurs siĂšcles. Si quelques animaux Ă  sang blanc et Ă  corps mou passent pour ĂȘtre susceptibles d’une certaine longĂ©vitĂ©, c’est que leurs combinaisons intestines ne s’effectuent qu’avec une lenteur extrĂȘme. J’ai dit que le degrĂ© de la chaleur animale et la coloration des tissus Ă©taient subordonnĂ©s aux divers degrĂ©s de l’activitĂ© vitale. Un raisonnement aussi simple que spĂ©cieux me semble justifier cette assertion , fondĂ©e d’ailleurs sur l’expĂ©rience. Toute combinaison donnant lieu Ă  un composĂ© binaire, ternaire, etc., plus dense que chacun des Ă©lĂ©ments combinĂ©s, s’accompagnant d’un dĂ©gagement de calorique et de lumiĂšre, il est clair que ces deux impondĂ©rables abonderont surtout, Ă  l’état libre, dans les corps oĂč se condensent incessamment de grandes masses de matiĂšre. VoilĂ  donc comment, dans les animaux, la chaleur naturelle varie de o Ă  34 degrĂ©s, et la couleur du blanc diaphane au rouge noir. De mĂȘme que la chaleur et la lumiĂšre, l’abondance, et par suite la centralisation du fluide Ă©lectrique , paraĂźt se proportionner Ă  l’activitĂ© vitale. Mais le dĂ©veloppement des centres nerveux est-il la cause ou la consĂ©quence de cette centralisation ? c’est ce qu’il n’est pas aisĂ© de dĂ©cider. Toujours est- il qu’entre les deux choses la concordance est Ă©vidente, et l’on est, pour ainsi dire, forcĂ© d’admettre THÉORIE GÉNÉRALE DĂŒ MAGNÉTISME, 453 que si l’action des centres nerveux sur l’économie est la cause excitante de l’activitĂ© vitale, ils sont eux-mĂȘmes alimentĂ©s par le produit de cette excitation. L’embryogĂ©nie nous apprend, au reste,que l’homme et les autres mammifĂšres commencent Ă  se former par le cerveau et la moelle Ă©piniĂšre. Aussi l’analyse chimique de ces organes y fait-elle dĂ©couvrir les premiers Ă©lĂ©ments qui ont dĂ» entrer dans leur composition le soufre et le phosphore , qu’on retrouve Ă©galement dans les Ɠufs des oiseaux, et qui vraisemblablement font partie de l’Ɠuf humain. AussitĂŽt organisĂ©s, les centres nerveux deviennent les rĂ©cipients du fluide dĂ©gagĂ© pendant le cours des combinaisons fluide s’y accumule, s’y modifie peut-ĂȘtre, y contracte des attributs nouveaux, et, suivant la portion de l’appareil oĂč il sĂ©journe ou circule, il concourt Ă  des fonctions d’un ordre d’autant plus Ă©levĂ© que la source qui le fournit est plus abondante et que les organes oĂč il se concentre sont mieux appropriĂ©s Ă  leur destination. AprĂšs la naissance, les centres nerveux sont en communication, au moyen des sens, avec le monde extĂ©rieur. Tous les ordres de perception y convergent. A l’aboutissant de chacun d’eux rĂ©sident les facultĂ©s mentales qu'ils ont pour objet d’alimenter au front, l’intelligence; Ă  la base du cerveau, les instincts; Ă  l’occiput, les affections; enfin, au-dessus de tout cela, la justice, l’espĂ©rance, la vĂ©nĂ©ration et la charitĂ©, derniĂšres mais trop rares manifestations de la puissance crĂ©atrice et conservatrice de l’homme. 454 LEÇON. Des instincts, des sympathies et de l'amour. Il y a dans la nature telles choses qui nous plaisent et telles autres qui nous dĂ©plaisent — pourquoi? Nous mangeons avec plaisir de tels mets,nous buvons avec plaisir de telles boissons, tandis que d’autres mets, d’autres boissons, quoique gĂ©nĂ©ralement estimĂ©s, nous rĂ©pugnent invinciblement — pourquoi? Parmi les personnes que nous voyons pour la premiĂšre fois, il y en a qui nous inspirent de la sympathie, d’autres de l’antipathie — pourquoi ? Un amour violent, comme une aversion insurmontable, se dĂ©veloppent, dans certains cas, instantanĂ©ment, sans ĂȘtre motivĂ©s, le premier par la beautĂ©, la seconde par la laideur des objets qui les inspirent — pourquoi ? Enfin , le magnĂ©tisme corrobore ces sentiments, qui d’ordinaire s’attĂ©nuent dans une longue et entiĂšre cohabitation. — Toutes ces questions peuvent ĂȘtre rĂ©solues Ă  la fois. L’homme est, aussi bien que le minĂ©ral, Ă©lectro- positif ou Ă©lectro-nĂ©gatif, relativement Ă  tous les ĂȘtres de la nature, parce que, avant tout, l'homme est un corps, un composĂ© chimique. — Cela est rigoureusement , mathĂ©matiquement vrai. Mais je vais plus loin l’homme a , comme tout corps minĂ©ral, simple ou composĂ©, ses affinitĂ©s et ses rĂ©pulsions relatives, c’est-Ă -dire qu’il est Ăšlectro-po- silif par rapporta telle substance ou Ă  tel individu, et Ă©lectro-nĂ©gatif par rapport Ă  telle autre substance 455 THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME, ou Ă  tel autre individu. Ces affinitĂ©s ou ces rĂ©pulsions sont plus ou moins vives, plus ou moins constantes, parce que le corps humain se modifie avec les maladies et les annĂ©es. Mais il en est de si prononcĂ©es qu’elles sont presque irrĂ©sistibles sans l’intervention de la morale, des lois et de la volontĂ©, tel homme serait peut- ĂȘtre Ă  telle femme ce que l 'oxygĂšne est au potassium y mais si les lois et la morale sont faites pour rĂ©primer ces attractions fatales, on ne les voit pas s’opposer Ă  ces unions monstrueuses que de prĂ©tendues convenances font contracter en dĂ©pit d’une aversion con- gĂ©niale, et dont je n’ai pas besoin de vous dire la raison. De ce que deux ĂȘtres ont l’un pour l’autre une extrĂȘme affinitĂ©, il doit y avoir entre eux complĂšte opposition dans leurs goĂ»ts particuliers. En effet, la prĂ©dominance en chacun d’eux d’un des Ă©lĂ©ments Ă©lectriques les porte instinctivement vers les choses oĂč prĂ©domine l’élĂ©ment contraire. Or, l’expĂ©rience de tous les jours est d’accord avec ces principes l’amour, dit-on, vit de contrastes qui de nous n’a vĂ©rifiĂ© la justesse de cet adage vulgaire? L’habitude est le correctif de tous les goĂ»ts extrĂȘmes; mais elle naĂźt de la satiĂ©tĂ© et n’engendre l’indiffĂ©rence qu’a prĂšs la satisfaction frĂ©quemment rĂ©itĂ©rĂ©e des dĂ©sirs auxquels elle succĂšde. L’habitude, en effet, rĂ©sulte de la neutralisation des contraires par les contraires, mis en rapports intimes en un mot, c’est l’équilibre. — Aussi le mariage est-il aux hommes, la plupart du temps, ce que la combinaison est aux substances inorganiques. Dans les deux cas, l’affinitĂ© cesse 458 ONZIÈME LEÇON. Ă  l’instant oĂč se forme l’union qu’elle provoque; et, dans les deux cas Ă©galement, elle renaĂźt Ă  la sĂ©paration des Ă©lĂ©ments combinĂ©s. — Soyez certains, messieurs, qu’on pourrait suivre jusqu’à l’infini ces sortes de rapprochements qui ne sont pas seulement des comparaisons, mais qui impliquent Ă  mes yeux, nonobstant la bizarrerie qu’ils ont sans doute aux vĂŽtres, la double manifestation d’un fait identique *. 3e ne peux terminer cette analyse des sentiments affectueux sans vous dire un mot d’une circonstance qui m’a longtemps embarrassĂ©, parce qu’elle me semblait en contradiction avec les lois gĂ©nĂ©rales de l’affinitĂ©. Lorsque deux corps inorganiques s’attirent et tendent Ă  se combiner, nous prĂ©sumons qu’ils prennent tous deux une part Ă©gale Ă  cette attraction. Or, il n’est que trop prouvĂ© que les lois intimes de l’organisation humaine excluent souvent cette rĂ©ciprocitĂ©. Comment donc expliquerons-nous par des rapports Ă©lectro-magnĂ©tiques l’amour non partagĂ©? En vĂ©ritĂ©, rien n’est plus simple une organisation puissante ne saurait ĂȘtre captivĂ©e par les aspirations d’un ĂȘtre faible qui donne cent fois moins qu’il ne reçoit. VoilĂ  pourquoi, dans les rapports magnĂ©tiques, le rĂŽle passif est toujours dangereux, parce que le magnĂ©tiseur ne partage pas les impressions qu’il fait Ă©prouver. Remarquez, d’ailleurs, que je n’entends pas ici par organisation puissante celle de l’homme musculeux qui rĂ©siste au travail * A combien de mĂ©nages les chimistes qui adopteront nos idĂ©es, ne seront-ils pas en droit d’appliquer la loi des doubles dĂ©compositions. THÉORIE GÉNÉRALE DĂŒ MAGNÉTISME. *57 et porte de lourds fardeaux. Toute la force, en magnĂ©- tisme,est dans le systĂšme nerveux. Ses manifestations sont l’ampleur du cerveau, la vivacitĂ© des impressions, l’énergie de la volontĂ©, de l’intelligence et des sentiments. Voltaire, Byron, NapolĂ©on, etc., inspirĂšrent autour deux tous les genres d’affections, sans en partager sĂ©rieusement aucune. Des perceptions. — De la pensĂ©e. — Des hallucinations. Le fluide, qui pĂ©nĂštre tous les corps de la nature et qui en Ă©mane continuellement, est modifiĂ©, comme je vous l’ai dit, par la substance propre de ces corps, de telle façon qu’il en reprĂ©sente les types aux sens dĂ©licats des somnambules et des crisiaques. Or, ce qui se passe dans ces derniers avec conscience du fait se passe en nous Ă  notre iusu. Par suite des rapports Ă©lectro-magnĂ©tiques qui existent entre les images formĂ©es par le fluide ambiant et le double Ă©lĂ©ment du fluide cĂ©rĂ©bral, celui-ci se met en mouvement et forme avec prĂ©dominance de l’élĂ©ment contraire des images semblables aux premiĂšres telle est la nature de la sensation. Les images cĂ©rĂ©brales s’accumulant et se conservant indĂ©finiment, ne tardent pas Ă  rĂ©agir les unes sur les autres, et de cette rĂ©action rĂ©sulte une sensation nouvelle c’est la pensĂ©e. Enfin, une surexcitation Ă©ventuelle, faisant jaillir hors du cerveau une des images conservĂ©es, celle-ci 458 ONZIÈME LEÇON. O rĂ©impressionne les sens exactement comme ferait l’objet rĂ©el qu’elle reprĂ©sente c’est l’hallucination. Remarquez, au reste, que, d’aprĂšs ce qui a Ă©tĂ© dit dans la prĂ©cĂ©dente leçon, le fluide cĂ©rĂ©bral conservant aussi bien l’empreinte des propriĂ©tĂ©s mĂ©taphysiques des corps que celle de leurs propriĂ©tĂ©es physiques, il en faudrait conclure que tous nos actes moraux sont les fruits de ses rapports ou de ses combinaisons soit avec le fluide extĂ©rieur, soit avec les portions de lui-mĂȘme dont il est isolĂ©. * Lorsque nous dirigeons notre attention sur un objet, une partie de notre fluide cĂ©rĂ©bral entre en action et se met en rapport avec celui de l’objet qui nous impressionne. Plus l’objet est considĂ©rable ou plus l’attention est vive, et plus est grande la quantitĂ© de fluide absorbĂ© par l’acte cĂ©rĂ©bral auquel nous nous livrons. Une attention extrĂȘme absorbe donc, pour ainsi dire, tout ce qu’il y a en nous de principe vital, et, comme il en est de mĂȘme Ă©videmment Ă  legard de la rĂ©flexion, rien n’est plus facile que de concevoir comment de grands efforts intellectuels peuvent entraĂźner aprĂšs eux l’insensibilitĂ© physique, et en dernier lieu l’extase. On conçoit Ă©galement que la multiplication des idĂ©es, la puissance d’attention et de rĂ©flexion Ă©tant nĂ©cessairement subordonnĂ©es Ă  l’abondance du fluide cĂ©rĂ©bral, toutes nos facultĂ©s morales se proportionnent i° au volume relatif des centres nerveux, a 0 Ă  la rapiditĂ© des combinaisons qui fournissent le fluide. Enfin, on comprend sans peine, et l’expĂ©rience ici vient au-devant du raisonnement, comment toutes les Ă©motions vives, les excĂšs, l’abus des rapports 459 THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME, sexuels, etc., portent prĂ©judice Ă  l’intelligence et aux sentiments en mĂȘme temps qu’à la sautĂ©. Du sommeil. Le sommeil, vous ai-je dit dans ma septiĂšme leçon *, est un phĂ©nomĂšne d ’excitation cĂ©rĂ©brale. Il est impossible de rien imaginer de plus paradoxal en apparence que cette proposition. Aussi ai-je pu m’apercevoir de l’étonnement qu’elle vous causa. NĂ©anmoins, quelque Ă©trange qu’elle vous paraisse, je vais entreprendre de la justifier. Si les impressions rĂ©itĂ©rĂ©es de la veille n’épuisent pas, Ă  proprement parler, le fluide cĂ©rĂ©bral, elles ne laissent pas que d’en absorber une certaine quantitĂ©. Il est d’ailleurs indubitable que ce fluide se dissipe continuellement dans l’atmosphĂšre, surtout chez les personnes nerveuses et par les temps humides l’homme, en un mot, peut ĂȘtre comparĂ© Ă  une bouteille de Leyde qui se dĂ©charge Ă  la longue si on l’abandonne Ă  elle-mĂȘme. Le fluide nerveux a donc besoin d’ĂȘtre frĂ©quemment renouvelĂ©. Je ne sais si cette derniĂšre expression est ici d’une grande justesse et s’il n’est pas certaines portions de l’agent nerveux qui ne se renouvellent jamais. Quoi qu’il en soit, la digestion, l’action de l’air et l’exercice rĂ©parent journellement les pertes qu’en subit la masse totale. Or, remarquez ce point d’une importance extrĂȘme c’est prĂ©cisĂ©ment Ă  l’instant oĂč l’exercice et la digestion ont saturĂ© l'Ă©conomie d’une quantitĂ© notable de fluide nouveau que la tĂȘte s’appesantit, que les idĂ©es * Voyez p. 29a. 460 ONZIÈME LEÇON. deviennent confuses et que le besoin du sommeil se fait sentir. C’est qu’en effet ce fluide, rĂ©cemment dĂ©gagĂ©., afflue vers le cerveau. Il y pĂ©nĂštre sans ĂȘtre encore appropriĂ©, assimilĂ© pour ainsi dire Ă  la substance animale c’est du fluide Ă©lectrique tel que le recĂšlent les minĂ©raux. Le premier effet qu’il produit est une sorte de neutralisation des idĂ©es et de tous les actes nerveux. BientĂŽt le corps s’affaisse, la sensibilitĂ© s’amortit et le sommeil commence. Il est Ă  remarquer que le corps humain est organisĂ© de telle façon que les moindres variations dans les causes dĂ©terminent dans les effets des diffĂ©rences trĂšs- grandes, ou du moins trĂšs-apparentes. Si, par exemple, le travail de la digestion ou de l’assimilation s’opĂšre sur des aliments trop copieux ou trop chargĂ©s d’électricitĂ©, comme le sont vraisemblablement les alcooliques et les essences, si, en un mot, il y a surabondance dans la production du fluide, le sommeil n’a plus lieu et se trouve remplacĂ© par une exaltation dĂ©sordonnĂ©e et maladive, Ă  laquelle il finit nĂ©anmoins par succĂ©der lorsque le dĂ©gagement du fluide excĂ©dant a ramenĂ© l’état normal. Lorsque les causes d’excitation que je viens de mentionner se dĂ©veloppent assez lentement pour ne pas dĂ©terminer un trouble subit, le sommeil se manifeste; mais il est Ă  la fois agitĂ© et profond, et c’est alors surtout que surviennent les rĂȘves, la somniloquie, puis enfin le somnambulisme. Dans des cas assez rares, une vĂ©ritable explosion Ă©lectrique fait cesser tout Ă  coup l’exaltation qui entre- 461 THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME. tient l’insomnie, en neutralisant par la combinaison de ses Ă©lĂ©ments une partie du fluide cĂ©rĂ©bral ; c’est certainement un phĂ©nomĂšne de ce genre qu'Ă©prouve M. Emile G.... * lorsqu’il croit entendre chaque soir, avant de s’endormir, la dĂ©tonation d’une arme Ă  feu. Il est donc dĂ©montrĂ© qu’un certain degrĂ© d 'excitation cĂ©rĂ©brale est indispensable au sommeil. Cela est si vrai que, chez les sujets maigres, nerveux, Ă©puisĂ©s par des veilles, par des Ă©tudes forcĂ©es, un exercice violent, des excĂšs ou l’abstinence, des excitants provoquent cet Ă©tat. Le cafĂ©, par exemple, qui ordinairement est pour moi un vĂ©ritable poison tant il m’agite et m’énerve, pris Ă  doses modĂ©rĂ©es, me fait dormir par les temps humides. Les personnes robustes, et surtout douĂ©es d’embonpoint, ont d’habitude le sommeil facile, et leur santĂ© est beaucoup moins que celle des autres hommes altĂ©rĂ©e par les vicissitudes atmosphĂ©riques. Cela tient Ă  ce que la graisse Ă©tant mauvais conducteur de tous les impondĂ©rables, ces personnes perdent moins que ne le font les autres par la pĂ©riphĂ©rie. L’excitation des sens ou de la pensĂ©e, considĂ©rĂ©e comme cause d’insomnie, n’a pas besoin d’ĂȘtre expliquĂ©e. L’instant le plus favorable aux travaux intellectuels est Ă©videmment celui qui succĂšde immĂ©diatement au rĂ©veil, puisque c’est durant le sommeil que s’élaborent ou se rĂ©parent les instruments de la pensĂ©e. Voyez septiĂšme leçon, p. 28 t. 462 ONZIÈME LEÇON. Du mode d’action prĂ©sumable de certains mĂ©dicaments, etc. L’état physiologique ou pathologique que les mĂ©decins dĂ©signent sous le nom d 'agitation consiste probablement dans une prĂ©dominance extrĂȘme d’un des deux Ă©lĂ©ments Ă©lectriques. Or, ne pourrait-il pas se faire que les mĂ©dicaments rĂ©putĂ©s antispasmodiques, mĂ©dicaments excitants pour l’homme Ă  l’état normal, ne produisissent le calme dans le cerveau qu’en y dĂ©veloppant une certaine quantitĂ© de l’élĂ©ment contraire? Y aurait-il des mĂ©dicaments essentiellement Ă©lectropositifs, et d’autres, essentiellement Ă©lectro-nĂ©gatifs? Enfin, les toxiques violents, tels que l’acide prussique qui lue comme la foudre , ne produiraient-ils leurs effets terribles qu’en dĂ©veloppant instantanĂ©ment une trĂšs-grande quantitĂ© de l’un ou de l’autre d’un des deux Ă©lĂ©ments? Ces questions n’ont jamais Ă©tĂ© posĂ©es, et sont probablement trĂšs-loin encore d’ĂȘtre rĂ©solues. , Du magnĂ©tisme pratique. L’application du magnĂ©tisme constitue rĂ©ellement la transfusion du principe vital, mais avec des circonstances accessoires trĂšs-variables, suivant les cas. Lorsque l’opĂ©ration commence, le rapport s’établit. Si les Ă©tats Ă©lectro-magnĂ©tiques des deux individus se trouvent essentiellement contraires; si en mĂȘme temps ces individus sont forts et nerveux l’un et l’autre, l’effet est trĂšs-marquĂ©. 11 y a d’abord attraction, puis neutralisation du principe dominant du magnĂ©tisĂ© par l’élĂ©- THÉORIE GÉNÉRALE DO MAGNÉTISME. 463 ment contraire du magnĂ©tiseur d’oĂč rĂ©sulte chez le premier un calme dĂ©licieux qui, dans certains cas, est partagĂ© par le second. Mais bientĂŽt les deux Ă©lĂ©ments de celui-ci passent Ă  la fois dans l'autre, qui, tout en conservant son calme, sent ses forces augmenter et toutes ses fonctions vitales prendre une activitĂ© nouvelle. Il perçoit aussi quelquefois les pensĂ©es de son magnĂ©tiseur; ce qui n’a pas besoin d’explication. Lorsque, au contraire, il y a dans chacun des deux individus prĂ©dominance du mĂȘme Ă©lĂ©ment magnĂ©tique, la rĂ©pulsion est la consĂ©quence de leur premier rapport. Si pourtant la puissance relative du magnĂ©tiseur est considĂ©rable, il finit par inonder en quelque sorte le magnĂ©tisĂ© du double Ă©lĂ©ment de son principe vital; le calme alors se rĂ©tablit un peu, et les choses se passent Ă  peu prĂšs comme prĂ©cĂ©demment, Ă  cela prĂšs toutefois qu’il n’y a jamais de ces sensations agrĂ©ables dont j’ai parlĂ©, et qu’à l’instant oĂč l’on dĂ©magnĂ©tise, la rĂ©pulsion et le malaise renaissent avec le rĂ©tablissement des rapports naturels. Le sommeil, lorsqu’il a lieu, se produit, dans les deux cas, de la mĂȘme maniĂšre la cause qui le dĂ©termine est, comme Ă  la suite de l’exercice ou de la digestion, l’afflux vers le cerveau d’une grande quantitĂ© de fluide nerveux. — Le somnambule ne doit sa luciditĂ© et toutes ses facultĂ©s merveilleuses qu’à la surabondance du fluide dont il est saturĂ© c’est une forte pile voltaĂŻque. Je n’ai pas besoin de dire quelle charitĂ©, quel dĂ©vouement , quelle abnĂ©gation exige la pratique du nia- 464 ONZIÈME LEÇON. gnĂ©tisme. MagnĂ©tiser, c’est donner ses forces, sa santĂ©, sa vie. Un de mes honorables confrĂšres, M. Chapelain , Ă  la suite d’un traitement qui avait exigĂ© de sa part de longs et pĂ©nibles efforts, se trouva, dit-on, dans un tel Ă©tat d’épuisement, qu’il fut plusieurs mois Ă  se rĂ©tablir. Ce qu’on Ă©prouve en pareil cas consiste dans un abattement gĂ©nĂ©ral, accompagnĂ© d’insomnie, de bourdonnements dans les oreilles et d’un affaiblissement considĂ©rable des facultĂ©s intellectuelles. En mĂȘme temps les tissus se dĂ©colorent, la chaleur du sang diminue, et tous les symptĂŽmes d’une vĂ©ritable consomption finiraient par se dĂ©clarer si l’on n’y portait remĂšde, et surtout si l’on continuait Ă  pratiquer le magnĂ©tisme \ ' Toutes les Ă©motions rĂ©itĂ©rĂ©es ont exactement les mĂȘmes effets; voilĂ  pourquoi l’onanisme est si fatal Ă  la santĂ© et aux progrĂšs intellectuels des malheureux enfants qui s’y livrent. ÏIN. RELATION d’un CAS HEUREUX D’AMPUTATION DE LA CUISSE, PENDANT l’État DE MESMERISME, CHEZ UN MALADE QUI n’eUT PAS CONSCIENCE DE CE QUI s’ÉTAIT PASSÉ. PAU W. TOPIIAM. Lue le 22 novembre 1842 Ă  la SociĂ©tĂ© royale mĂ©dicale et chirurgicale de Londres. Messieurs, En faisant le dĂ©tail des circonstances relatives au cas important que j’ai l’honneur de communiquer Ă  cette savante SociĂ©tĂ©, je m’abstiendrai entiĂšrement de remarques prĂ©liminaires quelconques sur la cause supposĂ©e des effets que j’ai produits. Je donnerai encore Ă  cet Ă©tat le nom de mesmĂ©risme, parce que ce terme n’implique aucun principe, et touche seulement aux phĂ©nomĂšnes et non Ă  leur cause spĂ©cifique. Il ne m’appartient pas de rechercher quel peut ĂȘtre l’agent au moyen duquel le mesmĂ©risme exerce son influence sur le patient; si c’est par quelque moyen qui nous soit dĂ©jĂ  familiĂšrement connu sous un autre nom, ou par un moyen totalement nouveau pour notre expĂ©rience. La plupart des hommes, en entendant parler de quelque phĂ©nomĂšne nouveau, s’efforcent, Ă  l’aide de leurs 30 466 RELATION Iâ€™ĂŒN CAS HEUREUX propres raisonnements, d’en connaĂźtre la cause, au lieu d’en constater la vĂ©ritĂ© par l’expĂ©rience seule; de lĂ  une croyance ou une nĂ©gation. Les phĂ©nomĂšnes Ă©tonnants du magnĂ©tisme ont souvent aussi justifiĂ© cette observation. C’est pourquoi je me bornerai aux faits, et seulement Ă  ceux que je pourrai personnellement affirmer. James Wombell, ĂągĂ© de quarante-deux ans, homme laborieux, d’un caractĂšre calme et tranquille, souffrait depuis six ans environ d’une affection douloureuse du genou gauche. Le 21 juin dernier, il fut admis Ă  District-hospital, Ă  Wellow, prĂšs Allerton Nolhs, n’étant plus capable de travailler et souffrant beaucoup. On reconnut bientĂŽt que l’amputation de la cuisse, au-dessus de l’articulation du genou, Ă©tait inĂ©vitable; et on proposa par hasard de la faire, si cela Ă©tait possible, pendant le sommeil magnĂ©tique. Je vis Wombell le g septembre pour la premiĂšre fois. Il Ă©tait Ă  l’hĂŽpital, assis sur son lit, seule position qu’il pĂ»t tenir. Il se plaignait d’une grande douleur au genou, et d’une grande excitabilitĂ© et d’une perte de force provenant d’une inquiĂ©tude permanente et cĂźe la privation de sommeil; en effet, il n’avait pas dormi, pendant les trois semaines prĂ©cĂ©dentes, plus de deux heures sur soixante-dix. Au premier essai de mesmĂ©risme, qui m’occupa trente- cinq minutes, le seul effet produit fut l’occlusion des paupiĂšres, avec animation du visage et sommeil magnĂ©tique; et, quoique parlant et Ă©veillĂ©, Wombell n’aurait pu ouvrir les paupiĂšres avant une minute et demie. Mon essai du lendemain fut plus heureux, et en DAMPUTATION DE LA CUISSE. 467 vingt minutes il s’endormit. Je continuai Ă  le magnĂ©tiser chaque jour, le 18 exceptĂ©, jusqu’au 24 septembre, sou impressionnabilitĂ© augmentant chaque jour, de telle sorte que, le 23 , le sommeil fut produit en quatre minutes et demie. La durĂ©e du sommeil Ă©tait variable il se prolongeait gĂ©nĂ©ralement pendant une demi-heure, quelquefois pendant une heure, et rarement pendant une heure et demie. Mais, Ă  deux exceptions prĂšs essai de converser avec lui, il fut invariablement Ă©veillĂ©, quoique sans surprise, par la douleur violente de son genou, laquelle revenait subitement Ă  certains intervalles. La troisiĂšme fois que je le vis, il Ă©tait dans une grande angoisse, et en Ă©tait rĂ©duit aux larmes. Je commençai Ă  faire des passes longitudinales sur le genou malade; en cinq minutes il se sentit, par comparaison, Ă  l’aise, et, en continuant Ă  le magnĂ©tiser, il Ă©tait, dix minutes aprĂšs, endormi comme un enfant. Non-seulement ses bras, mais la jambe malade elle-mĂȘme, pouvaient ĂȘtre pincĂ©s avec violence, sans produire une sensation quelconque; et cependant cette jambe Ă©tait si sensible Ă  la douleur dans son Ă©tat ordinaire, qu’elle ne pouvait supporter dans le reste de son Ă©tendue la couverture la plus lĂ©gĂšre. Il dormit, cette nuit, sept heures sans interruption. AprĂšs l’avoir magnĂ©tisĂ© pendant dix Ă  douze jours, on aperçut un grand changement dans son extĂ©rieur. Le teint de la santĂ© reparut, il devint frais, se sentit beaucoup plus fort, Ă©tait dispos de corps et d’esprit, donnait bien, et recouvra son appĂ©tit. Le 22 septembre, il apprit pour la premiĂšre fois la nĂ©cessitĂ© d’une amputation prochaine. La communi- 468 RELATION DÜN CAS HEUREUX cation lui parut tout Ă  fait inattendue, et l’affecta considĂ©rablement. Ce jour-lĂ , j’essayai, contre sa volontĂ©, l’expĂ©rience du mesmĂ©risme, procĂ©dant par contact avec la main, le chargeant d’appliquer spĂ©cialement son esprit Ă  prĂ©venir mon influence. Pendant l’action, il regardait de temps en temps autour lui, agitant ses yeux lorsqu’il les sentait s’appesantir, et en douze minutes et demie il passa au sommeil magnĂ©tique. Les deux ou trois jours prĂ©cĂ©dents, il avait reçu l’influence en six minutes. Il m’apprit plus tard qu’il avait, Ă  plusieurs reprises, essayĂ© de suivre l’avis qu’il venait de recevoir, et la grande souffrance qu’il avait Ă©prouvĂ©e; mais il avait bientĂŽt senti une influence irrĂ©sistible, et alors il avait perdu toute conscience. Cependant la prĂ©occupation de la perte de sa jambe, troubla, cette nuit, son sommeil naturel. Le jour suivant, il fut encore endormi en quatre minutes et demie, sous l’influence de mon toucher, quoique je le trouvasse inquiet, tourmentĂ©, et par consĂ©quent malade. Je m’absentai Ă  cette Ă©poque, et ne pus voir Wom- bell jusqu’au 28. Il paraissait en bonne santĂ© et de bonne humeur; son sommeil naturel Ă©tait profond et rĂ©gulier; et sa douleur mitigĂ©e et amoindrie. Il Ă©tait alors convaincu que l’opĂ©ration pouvait ĂȘtre convenablement essayĂ©e pendant le sommeil magnĂ©tique, et, avec son consentement positif, elle fut fixĂ©e au samedi suivant. Le samedi matin, i el octobre, je magnĂ©tisai encore Wombell, comme les deux jours prĂ©cĂ©dents. Cela se fit en prĂ©sence de MM. William Ward, Sq. de Wel- low l’opĂ©rateur, et de deux autres chirurgiens; c’était, 469 d’asiputation de cuisse. comme je croyais que cela arriverait, afin qu’une premiĂšre magnĂ©tisation tendĂźt Ă  rendre le sommeil plus profond quand on magnĂ©tiserait de nouveau pour l’opĂ©ration, et aussi pour le jeter dans l’état dans lequel il devrait ĂȘtre quand le temps en serait venu. Il dormit une heure, et fut Ă©veillĂ© par un essai de conversation avec lui. Je fis voir alors le pouvoir que j’avais d’agir sur l’un de ses membres, alors mĂȘme qu’il Ă©tait tout Ă  fait Ă©veillĂ©. A ma demande, il Ă©tendit alternativement ses deux bras. En faisant deux ou trois passes sur chacun d’eux, mais sans contact, je les fixai tellement, que, des Ă©paules jusqu’au bout des doigts, ils devinrent aussi roules et aussi inflexibles que des barres de fer, ne pouvant ĂȘtre flĂ©chis que par une force mĂ©canique assez puissante pour lĂ©ser le membre; et cependant, se relĂąchant instantanĂ©ment et tombant sur les cĂŽtĂ©s, par le seul effet de mon souffle. Sa jambe droite Ă©tait Ă©galement affectĂ©e, et on apportait souvent un soulagement immĂ©diat Ă  sa douleur, en faisant de semblables passes sur le cĂŽtĂ© malade. Quoique la sensibilitĂ© Ă  la douleur fĂ»t diminuĂ©e pendant la veille dans les membres affectĂ©s, je ne la trouvais totalement disparue que dans le sommeil magnĂ©tique. A une heure et demie, nous nous rendĂźmes Ă  la chambre de Wombell pour faire les prĂ©paratifs nĂ©cessaires. D’aprĂšs les douleurs qu’il Ă©prouvait par le mouvement, on regarda comme impossible, sans des tortures inutiles, de le placer sur une table. En consĂ©quence, on plaça sur une plate-forme temporaire le le lit trĂšs-bas sur lequel il reposait. Dix minutes aprĂšs avoir Ă©tĂ© magnĂ©tisĂ©, on le porta vers la partie 470 RELATION DÜN CAS HEUREUX inferieure du lit, Ă  l’aide des draps qui Ă©taient sous lui. Le mouvement excita nĂ©anmoins cette douleur qui l’avait si souvent empĂȘchĂ© de dormir antĂ©rieurement, ce qui avait encore lieu en ce moment. Il y avait quelque chose d’horrible dans la douleur produite par l’état dĂ» genou; car je l’avais vu pincer Ă  peu de distance, dans d’autres parties de la jambe malade, pendant le sommeil magnĂ©tique, sans qu’il en fĂ»t troublĂ©, ou qu’il en eĂ»t la conscience. Pour Ă©viter dĂ©sormais un mouvement nĂ©cessaire quelconque, on plaça la jambe dans la position la plus convenable qu’il pĂ»t supporter. BientĂŽt aprĂšs il dĂ©clara que la douleur avait cessĂ©; puis je le magnĂ©tisai de nouveau pendant quatre minutes. Un quart d’heure aprĂšs, je dis Ă  M. Ward qu’il pouvait commencer l’opĂ©ration. Je mis alors doucement deux doigts de chaque main sur les paupiĂšres fermĂ©es de Wombell, et les tins de la sorte jusqu’à ce qu’il fĂ»t profondĂ©ment endormi. M. Ward, aprĂšs avoir jetĂ© un coup d’Ɠil attentif sur le malade, plongea profondĂ©ment son couteau au centre du cĂŽtĂ© externe de la cuisse, jusqu’à l’os alors il fit une large incision autour de l’os, jusqu’au point opposĂ© Ă  la partie interne de la cuisse. Le silence, en ce moment, Ă©tait terrible on n’entendait que la respiration calme d’un homme endormi; car celle de tous paraissait comme suspendue. La position de la jambe fut plus incommode quelle ne paraissait, pour faire la seconde incision ; et l’opĂ©rateur n’aurait pu la faire avec la mĂȘme facilitĂ© que la premiĂšre. Peu aprĂšs la seconde incision, on entendit un gĂ©missement du malade, qui continua par intervalle jusqu’à la fin. Cela me donna l’idĂ©e d’un rĂȘve 4-71 d’amputation de ta cuisse. agitĂ©, car le sommeil continua aussi profond qu’aupa- ravant. Le calme de son visage ne changea pas un instant; toute l’économie resta sans contrainte dans un repos et une tranquillitĂ© parfaite; on ne vit pas un muscle ou un nerf se contracter. Vers la fin de l’opĂ©ration, comprenant le sciement de l’os, la ligature des artĂšres, et l’application des bandages, — ce qui dura un peu plus de vingt minutes, — il resta comme une statue. BientĂŽt aprĂšs l’ablation de la jambe, le pouls, devenant petit Ă  cause de la perte de sang, on lui versa dans la bouche un peu d’eau-de-vie et d’eau qu’il avala sans le savoir. Pendant qu’on appliquait le dernier bandage, je fis remarquer Ă  l’un des chirurgiens et Ă  un autre gentleman prĂ©sent, le tremblement particulier des paupiĂšres fermĂ©es dont il a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© parlĂ©. Finalement, quand tout fut achevĂ©, et que Woinbell Ă©tait sur le point d’ĂȘtre enlevĂ©, son pouls se trouvant encore trĂšs- petit, on lui administra un peu de sel volatil et d’eau; cela Ă©tant trop piquant et Ăącre, le malade s’éveilla graduellement et avec calme. D’abord il ne prononça pas un mot, et, pendant quelques instants, il parut tout troublĂ© et hors de lui-mĂȘme ; mais, aprĂšs avoir jetĂ© les yeux autour de lui, il s’écria Je bĂ©nis Dieu de trouver tout cela fini ! » On l’emporta alors dans une autre chambre ; et, le suivant immĂ©diatement, je lui demandai, en prĂ©sence de l’assemblĂ©e, de nous dire ce qu’il avait senti ou su aprĂšs avoir Ă©tĂ© magnĂ©tisĂ©. Sa rĂ©ponse fut Je ne sais rien de plus, et je n'ai ressenti aucune douleur du tout. Une fois j’ai Ă©prouvĂ© comme si j’entendais une sorte de craquement. Je demandai si cela Ă©tait douloureux? Il rĂ©pli- 472 RELATION DCN CAS HEUREUX qua Pas du tout, je n'ai senti aucune douleur, et n ai rien su jusqu’à ce que j’ai Ă©tĂ© Ă©veillĂ© par cette liqueur forte le sel volatil . Le craquement Ă©tait sans cloute le sciement de l’os de la cuisse. On le laissa tranquille et Ă  l’aise, et Ă  neuf heures du soir on le trouva dans le mĂȘme Ă©tat je le magnĂ©tisai de nouveau Ă  cette heure en une minute trois quarts, et il dormit une heure et demie. Je puis ajouter de plus que le lundi suivant, le premier pansement de la plaie fut fait pendant le sommeil magnĂ©tique. A ce pansement, ordinairement accompagnĂ© de beaucoup de douleur et de cuisson, le malade ne sentit rien; il dormit longtemps aprĂšs son accomplissement; il ne connaissait pas l’intention de M. Ward; et, aprĂšs avoir Ă©tĂ© Ă©veillĂ©, il n’avait pas la conscience de ce qui avait Ă©tĂ© fait. Le rĂ©cit de M. W. Ward, important Ă  cause de son observation personnelle et des soins qu’il a donnĂ©s avant et aprĂšs l’opĂ©ration , a pu heureusement ĂȘtre ajoutĂ© au mien , afin de rendre complĂšte de la sorte la narration de ce cas; je le donne sans une syllabe de commentaires. W. Toi>ham. Middle-Temple, 25 octobre 1842. AprĂšs la communication prĂ©cĂ©dente, M. W. Ward, Sq. prit la parole en ces termes Messieurs, me trouvant partie intĂ©ressĂ©e dans la prĂ©sentation du MĂ©moire qui vient d’ĂȘtre lu devant votre savante SociĂ©tĂ©, j’ai senti qu’en ma qualitĂ© de membre de votre profession et d’opĂ©rateur dont il a Ă©tĂ© 473 d’aMPDTATION DE LA CUISSE. parlĂ©, quelques observations de ma part devaient nĂ©cessairement ĂȘtre ajoutĂ©es Ă  celles qui viennent de vous ĂȘtre prĂ©sentĂ©es par mon ami, M. Topham. Les circonstances au milieu desquelles l’opĂ©ration a Ă©tĂ© faite sont si neuves qu’elles devront fournir un large champ Ă  la discussion; si les membres de notre profession auxquels j’ai l’honneur d’adresser ces observations veulent dĂ©libĂ©rer avec calme, et, sans prĂ©vention, examiner le sujet, qui si l’expĂ©rience ultĂ©rieure confirme les prĂ©visions auxquelles on est raisonnablement autorisĂ© d’aprĂšs le rĂ©sultat heureux du prĂ©sent essai mĂ©rite l’attention bienveillante des chirurgiens, lesquels ont pour objet, de tout temps, de s’appliquer Ă  l’étude d’adoucir les douleurs poignantes qui sont l’hĂ©ritage de l’humanitĂ©. » I! s’agissait, dans le cas sur lequel on vient d’appeler dĂ©jĂ  l’attention de la SociĂ©tĂ©, d’une ulcĂ©ration trĂšs-Ă©tendue des cartilages du genou existant depuis quatre ans et demi cette ulcĂ©ration Ă©tait la consĂ©quence d’une inflammation nĂ©gligĂ©e de la membrane synoviale, inflammation produite par une lĂ©sion et dans le principe traitĂ©e par un charlatan, mais qui a Ă©tĂ© connue de moi trois ans seulement environ avant l’admission du malade Ă  l’hĂŽpital du district Ă  Wellow. Supposant alors que l’ulcĂ©ration avait commencĂ© par les cartilages, j’ordonnai le repos absolu et le traitement ordinaire, auquel le malade se soumit seulement pendant dix jours. A celte Ă©poque, et malgrĂ© toutes les remontrances de ma part, il retourna, encore estropiĂ©, Ă  ses occupations habituelles agriculture. 11 tomba alors entre les mains d’autres chirurgiens 474 RELATION D’UN CAS HEUREUX dont le traitement Ă©tait moins sĂ©vĂšre et le pronostic moins grave que le mien. Je le vis frĂ©quemment, et lui parlai quelquefois de la perte Ă©ventuelle de sa jambe s’il continuait Ă  s’en servir. Sa derniĂšre espĂ©rance se fondait sur une promesse de guĂ©rison par les ventouses, ce qui ne produisit aucun soulagement. Il de» manda alors Ă  ĂȘtre admis Ă  l’hĂŽpital. A cette Ă©poque, la maladie avait fait beaucoup de progrĂšs, le moindre mouvement de l’articulation s’accompagnait de la plus cruelle douleur; ses nuits Ă©taient presque entiĂšrement sans sommeil, Ă  cause des soubresauts douloureux de la jambe; son pouls Ă©tait vif et rapide; sa face constamment marquĂ©e de la rougeur du phthisique ; sa langue Ă©tait sale, et son appĂ©tit nul. Il Ă©tait actuellement retenu dans son lit, sans pouvoir supporter une position horizontale. L’articulation Ă©tait soutenue par un appareil lĂ©ger; des cataplasmes, des fomentations, etc., Ă©taient appliquĂ©s; on surveillait sa santĂ© gĂ©nĂ©rale; on lui ordonna des opiats, de la quinine, du vin, etc., pour le mettre dans un Ă©tat convenable pour l’opĂ©ration qui paraissait inĂ©vitable, quoique sans aucun avantage apparent. Mais ayant entendu dire que M. Topham allait venir dans le voisinage, je pris la rĂ©solution de le prier d’essayer les effets du magnĂ©tisme sur le malade; dans l’intention, non-seulement de calmer le systĂšme nerveux, mais, si cela Ă©tait possible, de lui procurer un tel degrĂ© d’insensibilitĂ© Ă  la douleur qu’il n’eĂ»t pas la conscience de l’opĂ©ration elle-mĂȘme, dĂ©sirant, depuis longtemps, voir l’accomplissement de ce rĂ©sultat, comme le summum bonum du magnĂ©tisme. Cependant je fus, Ă  cette Ă©poque, obligĂ© de rentrer d’amputation de la cuisse. 475 chez moi Ă  cause d’une indisposition; mais je recevais chaque jour un rapport des progrĂšs faits sur mon malade. Lors de mon rĂ©tablissement, 27 septembre, trois semaines environ aprĂšs le commencement de la magnĂ©tisation , je fus autant Ă©tonnĂ© que satisfait de voir l’amĂ©lioration de l’état de cet homme. Il avait alors le teint de la santĂ© beaucoup plus qu’auparavant; ses nuits Ă©taient plus calmes et plus tranquilles ; son appĂ©tit Ă©tait revenu; et, en fait, son Ă©tat Ă©tait tel que, si je 11’avais pas su l’histoire antĂ©rieure, beaucoup de doutes se seraient Ă©levĂ©s dans mon esprit sur la convenance de faire une amputation immĂ©diate de la jambe. II est vrai qu’il y avait encore de la douleur au plus lĂ©ger mouvement de l’articulation, et de plus quelques soubresauts pendant la nuit, mais il ne paraissait plus souffrir dans sa santĂ© gĂ©nĂ©rale, qui se trouvait, au contraire, singuliĂšrement amĂ©liorĂ©e; nĂ©anmoins, je restai convaincu i nonobstant tous ces avantages en sa faveur, qu’il y avait encore une maladie trop grave pour penser Ă  une guĂ©rison finale. Comme j’étais tout Ă  fait dĂ©terminĂ© Ă  ne pas mettre de retard Ă  l’ablation de la cuisse, pendant que le malade Ă©tait sous l’influence magnĂ©tique, Ă  moins que je ne fusse convaincu de sa guĂ©rison, et comme il y avait avantage Ă  le voir dans cet Ă©tat, qui toutefois n’était pas sous l’influence de la pleine volontĂ© du malade, le 29 septembre je priai M. Tophatn de le magnĂ©tiser, et fus enchantĂ© de trouver si grande l’impressionnabilitĂ© du malade. Quand il dormait si je peux employer ce terme, sa respiration Ă©tait normale; son pouls tranquille, Ă  80 environ; son rĂ©veil Ă©tait lent et 476 RELATION Dâ€™ĂŒN CAS HEUREUX graduel et saus le moiudre soubresaut; enfin, je le trouvai insensible Ă  la piqĂ»re d’une Ă©pingle. En de telles circonstances, je ne vis aucun sujet de crainte ou d’hĂ©sitation; ayant obtenu le consentement du patient, ou plutĂŽt Ă  sa propre demande, faite avec instance, je fixai le samedi suivant, i' r octobre, pour le jour de l’opĂ©ration. Le malade comme cela a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dit fut placĂ© avec son lit sur une plate-forme, et, bien qu’il fĂ»t considĂ©rablement excitĂ© parce qu’il entendait les cris d’un autre patient sur lequel j’avais pratiquĂ© une opĂ©ration longue et douloureuse, dans une chambre contiguĂ«, il fut promptement mis en Ă©tat de sommeil magnĂ©tique; mais, comme je dĂ©sirais le placer dans la position ordinaire, les jambes Ă©tendues Ă  l’extrĂ©mitĂ© du lit, on essaya de l’entraĂźner avec ses draps, ce qui lui occasionna tellement de douleur qu’il fut Ă©veillĂ©. Je me trouvai alors quelque peu embarrassĂ©, parce que son membre, se trouvant en contact avec le lit, Ă©tait dans une position trĂšs-dĂ©favorable pour l’opĂ©rateur; mais Ă©tant arrivĂ© Ă  ce point, je ne voulais pas troubler ce premier essai de diminuer l’horreur et la douleur d’une opĂ©ration capitale, quoique, je dois le confesser, je n’eusse pas de confiance dans le succĂšs. Le malade fut de nouveau endormi auparavant, un chirurgien qui se trouvait lĂ  Ă©leva la jambe de deux pouces environ au-dessus du matelas, en appuyant le talon sur son Ă©paule et soutenant l’articulation avec sa main, promettant, en outre, si le malade s’éveillait, de l’entraĂźner aussitĂŽt en bas, de maniĂšre Ă  permettre Ă  la jambe de s’étendre au delĂ  de l’extrĂ©mitĂ© du lit. 477 d'amputation de la cuisse. Quelques minutes aprĂšs, M. Topliam dit qu’il Ă©tait prĂȘt ayant alors appliquĂ© le tourniquet la position dĂ©favorable du malade enlevant la possibilitĂ© de comprimer l’artĂšre, je procĂ©dai Ă  l’accomplissement de l’opĂ©ration, comme cela a Ă©tĂ© dĂ©crit. AprĂšs avoir fait le lambeau antĂ©rieur sans que le malade donnĂąt le moindre signe de connaissance, je me trouvai dans la nĂ©cessitĂ© de faire le postĂ©rieur en trois temps. Le premier en divisant une portion du lambeau sur le cĂŽtĂ©, puis une portion semblable du cĂŽtĂ© opposĂ©. Ce procĂ©dĂ© qui Ă©taiL plus long et douloureux que le procĂ©dĂ© ordinaire Ă©tait devenu nĂ©cessaire pour pouvoir passer le couteau sous l’os et achever ainsi le lambeau, parce que je n’aurais pas pu en abaisser suffisamment le manche, sans les deux incisions latĂ©rales. AprĂšs ce qui a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© si bien dĂ©crit par M. Tophain , j’ai Ă  peine besoin d’ajouter que le tremblement extrĂȘme ou l’action rapide des fibres musculaires divisĂ©es fut moindre que de coutume, et qu’il n’y eut pas beaucoup de contraction des muscles eux-mĂȘmes; je dois dire aussi qu’à deux ou trois reprises, je touchai l'extrĂ©mitĂ© divisĂ©e du nerf sciatique sans augmenter en quoi que ce soit ce lĂ©ger gĂ©missement plaintif dĂ©crit par M. Topham, et qui donna Ă  toutes les personnes prĂ©sentes l’idĂ©e d’un sommeil troublĂ©. Le malade se trouve remarquablement bien, et depuis samedi dernier il s’est mis sur son sĂ©ant pour prendre son repas. — H y a trois semaines qu’il est opĂ©rĂ©; il n’a pas Ă©prouvĂ© un seul symptĂŽme fĂącheux, ni mĂȘme cette excitation nerveuse que l’on observe si frĂ©quemment chez les malades qui ont subi des opĂ©ra- 478 RELATION D’UN CAS HEUREUX tions douloureuses et qui prĂ©alablement ont Ă©prouvĂ© des chagrins intĂ©rieurs. En dissĂ©quant l’articulation, les lĂ©sions confirmĂšrent pleinement mon diagnostic. Les cartilages du fĂ©mur, du tibia, de la rotule, avaient Ă©tĂ© entiĂšrement absorbĂ©s, exceptĂ© dans un point extrĂȘmement rĂ©trĂ©ci, couvrant une partie de la rotule. Il y avait une ulcĂ©ration profonde avec carie des extrĂ©mitĂ©s des os, et spĂ©cialement du condyle interne du fĂ©mur, qui avait entiĂšrement perdu sa forme peu de lymphe coagulĂ©e se trouvait Ă©panchĂ©e en plusieurs points Ă  la surface de la membraue synoviale, et l’articulation contenait une certaine quantitĂ© de pus noirĂątre. Mon intention n’est pas d’abuser du temps prĂ©cieux delĂ  SociĂ©tĂ© pour me poser devant elle comme le champion du. magnĂ©tisme en gĂ©nĂ©ral c’est une tĂąche pour laquelle je me sens complĂštement incapable. Depuis longtemps j’étais sceptique, et depuis longtemps j’étais Ă  la recherche d’un cui bono, quand, il y a quelques mois, je trouvai, grĂące Ă  M. Elliotson, l’occasion de voir par moi-mĂȘme la possibilitĂ©, avec cet agent, de produire le coma, de rendre les muscles rigides, et de causer jusqu’à un certain point l’insensibilitĂ© Ă  la douleur. Je vis, et je fus convaincu que mon opposition Ă©tait mal fondĂ©e le rĂ©sultat de cette conviction a Ă©tĂ© cet essai flatteur et heureux, rĂ©ponse suffisante pour ceux qui ne croient pas seulement qu’on puisse retirer le moindre avantage du magnĂ©tisme, car on trouvera dĂ©sormais peu d’opposants, mĂȘme des plus passionnĂ©s, qui oseront lui refuser la facultĂ© de produire le coma. De plus, ce fait fut observĂ© dans un tempĂ©rament trĂšs- 479 D’AMPUTATION DE IA CUISSE. cĂąline, non pas seulement, comme on le suppose souvent, chez une femme jeune et trĂšs-nerveuse, mais mĂȘme chez un laboureur de quarante-deux ans et de la plus grande insensibilitĂ©. Je n’ai certes pas besoin d’ajouter que l’excitabilitĂ© nerveuse, dans l’acception commune de ce mot, est presque entiĂšrement Ă©trangĂšre Ă  cette classe d’hommes. Il faut faire observer aussi que l’impressionnabilitĂ© Ă©tait si grande que le coma se dĂ©veloppait promptement dans les circonstances les plus dĂ©favorables par exemple, au milieu des douleurs de sa maladie, lorsqu’il employait sa volontĂ© pour empĂȘcher autant que possible ce coma, et quand il fut sur la table, la crainte de l’opĂ©ration devant les yeux. Quoique cette seule expĂ©rience dont nous venons de faire l’histoire devant la SociĂ©tĂ© soit Ă  peine suffisante pour laisser complĂštement la question dans le silence, n’est-elle pas d’une nature suffisamment encourageante pour en demander une rĂ©pĂ©tition immĂ©diate par ceux de noi confrĂšres Ă  qui les institutions splendides de la mĂ©tropole offrent si souvent de pareilles occasions? 29 octobre 1842. W. Ward, Sq. TABLE DES MATIERES. PREMIÈRE LEÇON. o Aperçu gĂ©nĂ©ral. — Nature et dĂ©finition du magnĂ©tisme. . 1 DEUXIÈME LEÇON. Histoire du magnĂ©tisme... 25 TROISIÈME LEÇON. Suite du mĂȘme sujet. — Opinions des anciens sur le fluide. — PremiĂšres thĂ©ories magnĂ©tiques. — Renaissance de ces thĂ©ories au x\ siĂšcle... 82 QUATRIÈME LEÇON. Mesmer et ses dĂ©mĂȘlĂ©s avec les corps savants. 128 CINQUIÈME LEÇON. Rapports de 1784. 175 SIXIÈME LEÇON. ThĂ©orie de Mesmer. 217 SEPTIÈME LEÇON. Effets produits par le magnĂ©tisme. 251 HUITIÈME LEÇON. Du somnambulisme. 293 NEUVIÈME LEÇON. Histoire du somnambulisme. 353 DIXIÈME LEÇON. Effets divers du magnĂ©tisme. — De ses applications.... 403 ONZIÈME LEÇON. ThĂ©orie gĂ©nĂ©rale du magnĂ©tisme. 438 Relation d’un cas heureux d’amputation delĂ  cuissepen-» dant l’état de mesmĂ©risme. . 465 - $\ ?} ‱‱‱ - ‱ / t, -, r *; v *, r ’ - - - » ' 1 " ' = 4? * j v ' 1 ^ ' ** jjp " ^ K x* A *, \ i ' Wt, ^ ‱ - ' , .;k?> ‱w? ‱‱?'*- ‱;!» ‱VÜ '‱ ÂŁE fV* ;^g[ĂŻr^ tir,* '-A'"-r^'' Ăź .*"*; ^V*/ - mW^] iSWStf^*Ăżi?* &L%*n S*- ^ia** r Skr~.'. Ăź.!5fcrV ,,.£‱ a 1 ; '- v ÎJrtL,^ Vv.^ .ĂźWWrf^ Mfc ĂźtsTi^ 5 ‱.- SnW; Y?* r-Ă» 1 . W ÂŁ4. 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Pour le second thĂšme, on aurait pu penser aussi Ă  Ă©teindre le rĂ©veil » ou allumer la tĂ©lĂ©vision ». Rapelons tout de mĂȘme que les rĂ©ponses ci-dessus est le rĂ©sultat d’un sondage. Pas de difficultĂ© particuliĂšre ici. On peut passer au niveau 3 de 94%.

premiere chose que je fais le matin 94