La premiĂšre chose que je fais en me levant le matin c'est de penser Ă mes pull-ups!» ï€Ș . Gabriel - thĂ©rapeute du sport agréé, prĂ©parateur physique Ă
Bloquerau 2Ăšme niveau sur le jeu mobile 94% ? Avec ce tutoriel nous allons vous aider Ă finir le jeu, pour le thĂšme âPremiĂšre chose que je fais le matinâ
LesTrĂ©sors de Margaux 22 Articles. Ă lire pour plus tard. Je suis devenue une maman qui crie. Je ne sais pas Ă quel moment ça a commencĂ©. Pourtant tout avait bien dĂ©butĂ© ce nâĂ©tait pas prĂ©vu. Pendant ma premiĂšre grossesse jâĂ©tais trĂšs Ă©panouie et trĂšs enthousiaste Ă lâidĂ©e de commencer cette nouvelle aventure : ĂȘtre maman !
Jefais les choses pour les gens. Il se peut que j'arrĂȘte du jour au lendemain, avant qu'on dise qu'il faut que M. Plaza s'en aille. Je sais que ce milieu est comme ça. "Nagui et CymĂšs sont
Jepense pouvoir m'arranger avec le MNS de mon cours de vendredi matin pour qu'il me laisse travailler ces points dans mon coin. Aymar a écrit : Pour moi la méthode d'entrainement "classique" devrait convenir : faire des séries de 50m à la vitesse maxi qui te permet de conserver une bonne technique, avec 10 sec de pause entre chaque 50.
Bonjour Voila ca va faire 3 jours que j'ai des symptomes qui me font peur, tout commence par un mal du cou qui dure toute la journée, ensuite vertiges, impossible pour moi de bouger et je sais que je tomberais et aprÚs j'ai des vomissements, tremblements , des que je bouge la tete quand je fais ce genre de crise je vomis direct: je n'ai pas de fievre, ni de mal de ventre, ni de diarrhée
. Coucou tout le monde ça fait longtemps que j'ai pas fait d'articles, je suis dĂ©solĂ©e ! Mais je suis de retour donc aujourd'hui je vous retrouve pour un article sur les "10 choses que je fais tous les matins " đC'est parti ! 1-Alors la premiĂšre que je fais le matin bah comme tout le monde je me lĂšve vers 7h sauf quand je commence plus tard ! 2- Ensuite je vais prendre mon petit dĂ©jeuner en gĂ©nĂ©ral je prends un bol de chocolat chaud avec une tartine et de l'eau oui je dĂ©jeune pas beaucoup ! â 3- Je vais me laver les dents et la figure. đ 4- Je m'habille en fonction du temps đ 5- Je me mets du mascara et mon mascara vient de chez Kiko đ 6- Je prĂ©pare les affaires sacs, manteaux... 7- Je fais du tĂ©lĂ©phone đ± 8- Je regarde si j'ai tout fait sur ma liste car j'ai une liste pour le matin đđ 9- Je vais dans ma voiture đ 10- Je vais au collĂšge et aprĂšs je fais ma journĂ©e de cours en fonction de mon emploi du temps đ VoilĂ j'espĂšre que mon article vous as plu, dites moi dans les commentaires si ça vous as plus ou pas et dites moi aussi si vous faites comme moi et ce que vous vous faites le matin. VoilĂ pendant ce temps je vous fait de gros bisous et je vous dis Ă trĂšs bientĂŽt pour un nouvel article ! đđ -Romane đ
f, -Ăź %s . * WV * > y I >,* * 3 yg .>âą.» > âą Sais tĂĂĂ mm , i ; &=>âą >. isiis SSĂIsSg .' \ '-' v, '.. âą? , P ; V p2fS ĂźSr-Si wm StiKr fl SgS*fc5R ^ÂŁss*' >f-saĂĂ; 'âą^ C V Wtl -? *}ÂŁ*'ÂŁ âą- - M§ Ă» '**.. âątSĂźM 1^3T 0 âą V. ^ Ȉ ij&ĂŻfgPl &-5S J-S?.; i-'i'vV S* irs* ab'ĂŒĂ S frĂźV iijĂź*. Y~^ âV . ; .âą -* -MĂ Z. >Vf**' **>.; iVi y&r*- %Ăfe ffiPK ' kĂŻt?Z 'fl RK, 'fcf âą^'W; >. *âą*'. ĂŒ^ĂŠ 7 ^. \fctf -;âąÂ§ÂŁ 4iV l=? 'V f ttfeâ âą>.> .; P?!*. Ă *V^ ââŹ?$-' â0ji& St^V ^->>-7 c , â v -W,taSĂź Ă©. m-ĂŻ -triĂŻ&i' VĂŽ.^Sw - ÂŁ&' "' 4*? ,- 55 tesP O ; -S- âą ^ ĂiiibĂĂŒĂ ĂżKi LE MAGNĂTISME ANIMAL EXPLIQUĂ OUVRAGES DE LâAUTEUR Manuel pratique de MagnĂ©tisme animal. Exposition mĂ©thodique des procĂ©dĂ©s employĂ©s pour produire les phĂ©nomĂšnes magnĂ©tiques et leur application Ă lâĂ©tude et au traitement des maladies. Nouvelle Ă©dition augmentĂ©e. Paris, 1843 , i vol. grand in- 18 . 4 f' âą De la Goutte, de ses Causes et du Traitement le plus rationnel a lui orrosEB. Broch. in- 8 , Paris, 1840 . Prix 1 fr. 5o c. Chez lâauteur, rue de Seine, 45. Sous presse. Essai sur la MĂ©decine des somnambules, ln-18. Des Sorciers, des PossĂ©dĂ©s et des Convulsionnaires, ou du MagnĂ©tisme en France avant Mesmer, a vol. in-8. DE LIMPR1ME1UE DE CHAPELET, 9, RUE DE VĂUG1RARD. IJK MAGNĂTISME ANIMAL EXPLIQUĂ OU LEĂONS ANALYTIQUES SUR LA NATURE ESSENTIELLE DU MAGNETISME , SUR SES EFFETS SON HISTOIRE , SES APPLICATIONS LES DIVERSES MANIĂRES DE LE PRATIQUER, ETC. Par Alph. TESTE DOCTEUR EN MEDECINE DE LA FACULTE DE PARIS MEMBRE DE PLUSIEURS SOCIETES SAVANTES Us imposeront les mains sur les malades et les malades seront guĂ©ris. Evangile selon suint Luc, ch. vut. Tout est prodige pour lâignorance qui dans le cercle Ă©troit de ses habitudes voit le cercle oĂč se meut lâunivers. Eus. Salyerte , des Science s ^occultes. A PARIS CHEZ BAILLIĂRE LIBRAIRE DE LâACADĂMIE ROYALE DE MĂDECINE 17 , RUE DE LâĂCOLE-D E - MĂDEC INE A LONDRES, CHEZ H. BAILLIĂRE, 219, REGENT-STREET 18A5 Sâil Ă©tait permis Ă un auteur dâexprimer son opinion sur ses propres ouvrages, je dirais sans hĂ©siter que celui-ci me paraĂźt de beaucoup supĂ©rieur Ă tout ce que jâai publiĂ© jusquâĂ prĂ©sent. Mais je sens quâen pareille cause je nâai pas voix dĂ©libĂ©rative. Dâailleurs, si mon livre a quelque mĂ©rite, je nâai pas besoin dâen prĂ©venir les lecteurs pour quâils sâen aperçoivent, et, sâil nâen a aucun, je nâaurais que mieux prĂ©parĂ© sa chute en essayant de prouver le contraire. Je ne dirai donc rien de ce volume, sauf quâil contient en substance mes leçons orales de lâhiver dernier. Ces leçons Ă©taient alors suivies par des savants, des philosophes, des magistrats, des mĂ©decins et des gens de lettres. LâextrĂȘme assiduitĂ© de cet auditoire dâĂ©lite me prouva quâelles nâĂ©taient pas dĂ©pourvues dâintĂ©rĂȘt, et telle fut la raison qui me dĂ©cida Ă les publier. â 'j â Mou excellent ami, M. Mialle, lâhomme de France qui peut-ĂȘtre a le mieux Ă©tudiĂ© le magnĂ©tisme , a bien voulu prendre la peine de revoir avec moi toutes les Ă©preuves. Ses sages observations mâont Ă©pargnĂ© beaucoup dâerreurs rien au monde ne mâest plus doux que de lâen remercier publiquement 1 . Ce livre sâadresse indistinctement Ă toutes les classes de lecteurs, car le sujet les intĂ©resse tous il sâagit de lâhomme, Ă©tudiĂ© physiquement et moralement dâun point de vue nouveau. Plai se Ă Dieu que ces incrĂ©dules Ă moitiĂ© convertis , qui commencent Ă dire du magnĂ©tisme Il y a quelque chose lĂ -dessous, » ajoutent aprĂšs avoir lu mes pages Il y a quelque chose lĂ dedans. » Quant aux incrĂ©dules systĂ©matiques qui, aprĂšs sâĂȘtre inconsidĂ©rĂ©ment prononcĂ©s contre le magnĂ©tisme , nâont pas assez de courage pour revenir sur leurs pas et se contentent de fermer les yeux en criant au charlatanisme, je ne leur demande quâune chose, câest de me laisser tranquille. â Esprits 1 M. Mialle, aux opinions duquel je nâai pu toujours sacrifier les miennes, ne saurait partager avec moi la responsabilitĂ© de celles-ci. A lâĂ©gard de Mesmer, par exemple, M. Mialle et moi nous sommes restĂ©s en plein dĂ©saccord. â V1 J â vains, bornĂ©s et faux , quâont-ils Ă dĂ©mĂȘler avec nos vĂ©ritĂ©s? Elles nâont que faire de leur appui pour grandir dans le monde, et lorsquâils affichent la prĂ©tention dâen arrĂȘter le cours, ils me rappellent ce paysan qui, mettant un pied sur la source du Danube, se persuadait quâil allait priver dâeau toutes les contrĂ©es que ce fleuve arrose. 1 \ \ \ I LE MAGNĂTISME ANIMAL EXPLIQUĂ. PREMIĂRE LEĂON. GĂNĂRAI.. â NATURE ET DĂFINITION DU MAGNĂTISME. Messieurs , Je vais vous entretenir dâune chose Ă la fois fort ancienne ou fort nouvelle, suivant la maniĂšre dont il vous conviendra de lâenvisager. Si par ces mots, magnĂ©tisme animal , vous dĂ©signez seulement lâensemble des diffĂ©rents phĂ©nomĂšnes que lâopinion publique, que la voix populaire, embrassent ordinairement sous cette dĂ©nomination, la chose est aussi ancienne que le monde, car elle est du domaine de ces vĂ©ritĂ©s physiologiques qui sont inhĂ©rentes, essentielles Ă la nature de l'homme, et partant, aussi vieilles que lâespĂšce humaine. Mais si, au contraire, vous entendez par ces mĂȘmes expressions de magnĂ©tisme animal un systĂšme raisonnĂ© 1 2 PREMIĂRE LEĂON, des phĂ©nomĂšnes dont je parle, oh! alors, la chose est nouvelle, si nouvelle, que je serais tentĂ© de vous dire quâelle nâexiste point encore. Cependant, des hommes enthousiastes ou peu Ă©clair rĂ©s, des nĂ©ophites ardents, en proie Ă cette sorte de vertige que donne aux esprits faillies la vue inopinĂ©e des faits extraordinaires, des fanatiques enfin car toutes les vĂ©ritĂ©s ont eu les leurs, pensent et proclament que le magnĂ©tisme est une science accomplie. Que dis-je! câest Ă leurs yeux la science par excellence, lâarhre du fruit dĂ©fendu qui donne toutes les connaissances ou qui du moins dispense dâen possĂ©der aucune. Convaincus dâailleurs que cette science ne sâapprend pas, quâelle est lâapanage innĂ© de tout ĂȘtre vivant, les hommes que je vous signale joignent lâexemple au prĂ©cepte, et, pratiquant avec confiance une doctrine inconnue, ils Ă©rigent en principes les effets incohĂ©rents quâils produisent, et dont ils nâont jamais songĂ© Ă se demander la cause. Parsuite de circonstances que, plus tard, il vous sera facile dâapprĂ©cier, lâart obscur de guĂ©rir est la premiĂšre carriĂšre quâils envahissent. Pour eux, dĂšs lors, plus dâautre systĂšme mĂ©dical que celui quâils professent; plus dâautres remĂšdes Ă nos maladies que le fluide magnĂ©tique , et câest pourquoi les mĂ©decins, froissĂ©s Ă la fois dans leurs croyances et peut-ĂȘtre aussi dans des intĂ©rĂȘts plus temporels , repoussent aveuglĂ©ment une dĂ©couverte quâils flĂ©trissent au lieu de lâĂ©tudier. De lĂ ce conflit ridicule entre la sottise et la mauvaise foi, entre lâignorance qui prĂ©tend tout savoir et la science qui ne veut rien ignorer. 3 AâATĂRE ET fMĂFIKITIOiV DU MAGNĂTISME. Quant Ă moi, je ne serai ici ni magnĂ©tiseur ni mĂ©decin. Entre le crĂ©puscule dâune Ă©colequi sâĂ©teint et lâaurore dâune Ă©cole nouvelle, câest dans les tĂ©nĂšbres du doute cpiâil faut se rĂ©signer Ă attendre la lumiĂšre; jâattends donc..., telle est ma profession de foi. Oui, en matiĂšre de magnĂ©tisme, comme en beaucoup dâautres choses, jâavoue que je suis sceptique , câest-Ă -dire, ainsi que vous tous, chercheur de vĂ©ritĂ©s. Sans cesse en garde contre les prĂ©jugĂ©s dâautrui et contre mes propres prĂ©ventions, câest avec de la glace sur le front que je mâefforce de voir et de juger. Mais une fois la cer* titude acquise que mes sens ne mâont pas trompĂ©, je rassemble mes souvenirs, je les rapproche , je les coin? pare, et jâenregistre,quels quâils soient, les rĂ©sultats que jâai obtenus. â Ce sont ces rĂ©sultats que je me suis proposĂ© de vous soumettre. Le magnĂ©tisme est-il une rĂ©alitĂ©? Oui, jâen suis aussi sĂ»r que de mon existence, parce que jâen ai des irrĂ©fragables, et ces preuves, je vous fournirai en temps et lieu les moyens de les acquĂ©rir. Mais le magnĂ©tisme est-il une science, on est-il susceptible dâen devenir une? Comment le dĂ©finirons-nous? Quelle est enfin sa place dans le cercle de nos connaissances? â Tels sont les premiers points quâil nous importe dâĂ©claircir. Le magnĂ©tisme est-il une science? Il est de toute Ă©vidence que, pour rĂ©soudre cette premiĂšre question, il faut prĂ©alablement sâentendre sur le sens du mot science. Or, par une singularitĂ© sans exemple dans les fastes de l'entendement humain, cette expression nâa jamais ctĂ© dĂ©finie dâune maniĂšre rigoureuse. Aristote, dans lâantiquitĂ©, Bacon, Ă la fin du moyeu Ăąge, Am- K PREMIĂRE LEĂON, pĂšre, clans les temps modernes, ces trois beaux gĂ©nies qui nous reprĂ©sentent comme les jalons de la saine philosophie, se sont tous trois occupĂ©s du classement de nos connaissances, sans dĂ©finir le mot qui en gĂ©nĂ©ralise lâidĂ©e. Aussi, les auteurs du Dictionnaire de /âAcadĂ©mie, qui dĂ©finissent la thĂ©orie une spĂ©culation et la spĂ©culation une thĂ©orie, nâont-ils rien trouvĂ© de mieux Ă nous dire au mot Science, que ceci Une science est la connaissance que nous avons dâune chose; dĂ©finition pleine de candeur et qui prouve incontestablement que le Dictionnaire de VAcadĂ©mie nâa pas plus Ă©tĂ© fait pour les magnĂ©tiseurs que pour les grammairiens ou les philosophes. Toute science en effet, loin de porter seulement sur une seule chose, sur un seul fait, embrasse toujours une multitude dâĂ©lĂ©ments lâun Ă lâautre coordonnĂ©s, câest-Ă -dire suppose toujours un certain enchaĂźnement de propositions dĂ©rivĂ©es les unes des autres et pouvant se rĂ©duire, par le raisonnement, Ă un petit nombre de propositions fondamentales qui , dans les mathĂ©matiques, ont reçu le nom d 'axiomes. Toute science, en un mot, est la connaissance dâun systĂšme , plus la thĂ©orie qui en lie les principes, plus les corollaires pratiques qui en dĂ©coulent. Or, dâaprĂšs la dĂ©finition des philosophes, ou plutĂŽt, dâaprĂšs celle que jâai donnĂ©e moi-mĂȘme dans un travail spĂ©cial rĂ©cemment publiĂ© 1 , un systĂšme est un ensemble dâĂȘtres ou de faits, comparĂ©s entre eux par celles de leurs propriĂ©tĂ©s qui leur sont communes, et disposĂ©s soit dans un ordre 1 EncyclopĂ©die dit xjx siĂšcle, art. SistĂšme. 5 NATURE ET DĂFINITION DU MAGNĂTISME. invariable que leur assigne la nature, soit de maniĂšre, aformer les termes d'une progression dont le raisonnement peut suivre la marche au delĂ des limites ou Vobservation s'arrĂȘte. Ceci posĂ©, il nous est logiquement permis de transformer celte question le magnĂ©tisme est-il une science ? en cette autre question le magnĂ©tisme est-il un systĂšme? Eh bien, sans faire aucune pĂ©tition de principes, câest-Ă -dire sans emprunter mes documents Ă un ordre de faits que vous ne connaissez pas ou que du moins vous nâĂȘtes pas censĂ©s connaĂźtre, je puis dĂšs Ă prĂ©sent vous rĂ©pondre affirmativement, et, tout en ne vous prĂ©sentant quâun aperçu gĂ©nĂ©ral du magnĂ©tisme, vous prouver quâil nâest point inaccessible Ă nos procĂ©dĂ©s habituels de systĂ©matisation. Toutefois, je vous lâai dĂ©jĂ fait pressentir,ce systĂšme, sâil existe , nâest encore quâune Ă©bauche. Le magnĂ©tisme, en un mot, est une science de formation nouvelle qui peut-ĂȘtre nâest pas susceptible dâacquĂ©rir un haut degrĂ© de certitude; mais qui nĂ©anmoins a dĂšs aujourdâhui sa place entre les plus belles acquisitions de lâintelligence humaine. Je vais essayer de vous montrer dans son essence le fait-principe dont il est le dĂ©veloppement. Tout le monde sait que les philosophes spiritualistes nâadmettent dans lâhomme que deux substances, lâesprit et la matiĂšre, lâĂąme et le corps. A leur avis, ces deux agents suffisent pour expliquer tous les phĂ©nomĂšnes de la vie lâĂąme commande et le corps agit; Ă la mort, la premiĂšre rentre au sein du CrĂ©ateur, tandis que lâautre pĂ©rit par dissolution. 11 est dâautres philosophes, au contraire, Spinosa, par exemple, au 6 PREMIĂRE LECOĂźb âą xvii' siĂšcle, le cĂ©lĂšbre Broussais 1 parmi les modernes, qui, tenant compte de certaines propriĂ©tĂ©s inhĂ©rentes Ă la matiĂšre, ont eu la prĂ©tention dâexpliquer par la seule intervention de ces propriĂ©tĂ©s tout ce que les premiers attribuent Ă lâAme dont ceux-lĂ nient lâexistence. Vous dirai-je, enfin, quâentre ces deux Ă©coles contradictoires, il'fut un temps oĂč lâon vit surgir une troisiĂšme secte de prĂ©tendus philosophes, qui, Ă lâinverse des matĂ©rialistes, niaient, en dĂ©pit de leur sens et du sens commun, la rĂ©alitĂ© des corps, et prouvaient imperturbablement que lâesprit est la substance unique dont lâunivers est formĂ© ceci nâest rĂ©ellement Ă mentionner que pour mĂ©moire, car lâexamen critique de toutes les folies humaines nâentre pas, Dieu merci, dans la lĂąche que jâai entreprise. Mais, une chose qui, plus dâune fois, embarrassa sĂ©rieusement les spiritualistes raisonnables, fut Y instinct des animaux, instinct qui, dans certaines espĂšces, semble sâĂ©lever jusquâĂ lâintelligence. Les bĂȘtes avaient- elles une Ăąme? Cette Ăąme ctait-elle analogue Ă celle des hommes? Etait-ce comme celle-ci une substance immatĂ©rielle, indivisible, immortelle, etc.? Quels sujets de conjectures et de controverse pour les reprĂ©sentants de la vieille Sorbonne! Tandis que des arguments spĂ©cieux semblaient militer pour lâaffirmative, le problĂšme, ainsi rĂ©solu, renversait toutes les croyances et conduisait au panthĂ©isme, la plus dĂ©sespĂ©rante des doctrines philosophiques. LâEglise eut la prudence de ne pas se prononcer dans cette question difficile 1 Voyez De lâIrritation et de la Folie, Paris, i83g. 2 vol. Ăźn-8°. NATURE ET DĂFINITION DU MAGNĂTISME. 7 seulement, elle rejeta, sous peine d'anathĂšme, toute espĂšce d'assimilation entre lâĂąme incontestable des animaux et l ame incontestĂ©e des hommes. Peut-ĂȘtre Ă©tait-ce pour rĂ©pondre Ă ses vĆux, dâailleurs mal exprimĂ©s, que dâillustres rĂȘveurs du xvn e siĂšcle repoussĂšrent jusquâĂ lâombre de lâanalogie entre les actes instinctifs des animaux et les actes intellectuels des hommes , et sâobstinĂšrent Ă ne voir dans les premiers que de simples automates. On devine quelles rĂ©clamations dut provoquer une semblable hypothĂšse. Les bĂȘtes, Ă la vĂ©ritĂ©, ne songĂšrent point Ă sâen plaindre, mais elles curent, sans en chercher, dâĂ©loquents dĂ©fenseurs. Le bon la Fontaine, entre autres, qui avait donnĂ© tant dâesprit aux siennes, protesta contre Descaries et FĂ©nelon dans une admirable Ă©pĂźtre Ă madame de la SabliĂšre. Qui de nous nâa lu souvent la jolie fable des Deux Bats, cette satire innocente et si pleine de raison oĂč le fabuliste dĂ©montre que les bĂȘtes quelquefois raisonnent, et, qui plus est, raisonnent bien, Ă lâinverse des philosophes, qui souvent divaguent. Lâopinion dâun poĂšte, bien mĂȘme que ce poĂšte fĂ»t la Fontaine, ne pouvait ĂȘtre dâun grand poids dans une question de cette nature. Mais la science ne tarda pas Ă venir en aide Ă lâallĂ©gorie, et la plume de Buffon tomba dans la balance; câĂ©tait lâĂ©pĂ©e de Bren- nus. Alors, au milieu de la mĂȘlĂ©e, oĂč le pour et le contre se dĂ©battaient sur un ton dâaigreur.... fort peu philosophique, alors, dis-je, des hommes sensĂ©s, convaincus par les raisons du grand naturaliste, proposĂšrent un moyen terme qui concilia tous les partis. La sublimitĂ© de notre intellect, sâĂ©criĂšrent - ils 8 PREMIĂRE LEĂON. prouve assez quâil existe eu nous quelque parcelle de la DivinitĂ©; mais, indĂ©pendamment de cette aine immortelle que le CrĂ©ateur nâa dĂ©volue quâĂ la seule espĂšce humaine, il y a chez l'homme comme chez tous les animaux une autre Ăąme, dâessence plus terrestre, sorte dâintermĂ©diaire entre les deux substances, et qui prĂ©side aux sensations comme elle rĂšgle les mouvements.» VoilĂ donc comment les animaux, depuis le ciron Ă lâĂ©lĂ©phant, depuis lâinfusoire au singe, furent tous gratifiĂ©s dâune Ăąme quâon appela Ăąme sensitive '. Cette opinion dâailleurs Ă©tait loin dâĂȘtre nouvelle les disciples de Platon lâavaient Ă©mise bien des siĂšcles auparavant, et depuis, lâapĂŽtre saint Paul lâavait dĂ©veloppĂ©e dans son EpĂźtre aux habitants de Thessalonique. Mais cette hypothĂšse , une fois admise, devait ouvrir une nouvelle carriĂšre aux spĂ©culations des mĂ©taphysiciens. En effet, ils ne tardĂšrent pas Ă sâapercevoir quâen expliquant par lâintervention dâune Ăąme les actes vitaux des bĂȘtes, ils sâĂ©taient interdit tout autre moyen dâexpliquer la vitalitĂ© des plantes. Cependant le fait Ă©tait flagrant si naĂźtre et mourir caractĂ©risaient la vie, il nây avait point Ă douter que les plantes ne vĂ©cussent. Puis oĂč Ă©tait, aprĂšs tout, lâinconvĂ©nient d 'animer les vĂ©gĂ©taux? Les chĂȘnes ni les bruyĂšres ne dĂ©mentiraient personne. Donc, comme de coutume, lâexpression courant avant lâidĂ©e, le vocabulaire sâenrichit dâune nouvelle association do mots on venait dâinventer sans trop dâefforts une Ăąme vĂ©gĂ©tative. Remarquez, au surplus, que je ne blĂąme point celte 1 On peut consulter Ă ce sujet le T mile.' de t Ame sensitive de 1,,-iunov. 9 NATURE ET DĂFINITION DU MAGNĂTISME, conception, et quâil nâentre pas dans mon intention dâen ridiculiser les auteurs. Loin de lĂ , je la trouve ingĂ©nieuse et parfaitement logique. Tout le mallieur est quâaprĂšs avoir adoptĂ© le principe on nâen ait pas Ă©puisĂ© les consĂ©quences. AprĂšs lâĂąme sensitive, il eĂ»t fallu trouver une Ăąme gravitative, car vous verrez plus loin que les minĂ©raux y avaient droit ; ou plutĂŽt, de toutes ces Ăąmes il nâen fallait imaginer quâune, qui les eĂ»t remplacĂ©es toutes. Jâaurai bientĂŽt Ă vous prĂ©senter les dĂ©veloppements que comporte cette proposition fondamentale dâune Ăąme universelle ; mais je devais, auparavant, vous signaler le pressentiment quâen eurent la plupart des philosophes, pressentiment qui se rĂ©vĂšle dans cette tendance inquiĂšte Ă gĂ©nĂ©raliser dans une expression commune les manifestations mĂ©taphysiques de la vie chez tous les ĂȘtres L Cette Ăąme de lâunivers, cause unique et primordiale dâeffets multiples et divers, qui deviennent causes Ă leur tour, est, suivant notre croyance, le souffle du CrĂ©ateur, ou, suivant quelques rĂȘveurs, lâessence incrééc des que soient, au surplus, sa nature et son origine, nos sens ou notre raison la rencontrent partout; dans le mouvement des globes cĂ©lestes comme dans le mouvement de la pierre qui tombe; dans la circulation de la sĂšve comme dans la circulation du sang; dans lâattraction de lâaimant comme dans lâattraction magnĂ©tique 2 . Ces rapprochements 1 Les stoĂŻciens et plusieurs pĂ©ripatĂ©liciens soutenaient la doctrine de lâĂąme universelle , doctrine que, trĂšs-probablement, ils tenaient des Indiens et des Persans, puisque les mĂȘmes notions se retrouvent dans les antiques croyances de ces peuples. 2 Nous ne savons pas si le principe de la vie est le mĂȘme qce celui de la pensĂ©e ; mais il est Ă©vident que le principe de la vie nâest 10 PREMIĂRE leçon. dâailleurs sont loin dâĂȘtre nouveaux ; mais ce quâil im* porte que vous sachiez et que vous reteniez Ă tout jamais, câest que le magnĂ©tisme animal, celte vieille vĂ©ritĂ© perdue que nous entreprenons de rĂ©habiliter, est aussi bien que le mouvement des astres, aussi bien que l'attraction terrestre ou que lâattraction atomique, aussi bien, en un inot, que toutes les puissances abstraites de la nature, une manifestation dĂ©terminĂ©e quoique mĂ©connue de PĂąme universelle. Disons seulement par anticipation que Cette propriĂ©tĂ© singuliĂšre des corps qui constitue le fond du magnĂ©tisme, nâexiste ou du moins ne se manifeste que dans la matiĂšre organisĂ©e. Peut- ĂȘtre mĂȘme est-elle, comme lâinstinct et lâintelligence, un des privilĂšges exclusifs de la vie animale. Quoi quâil en soit, vous voilĂ fixĂ©s sur le sens actuel de ces deux mots, magnĂ©tisme animal mais nous allons bien mieux encore prĂ©ciser Fobet de nos Ă©tudes, en parcourant dâun coup dâĆil rapide la succession des phĂ©nomĂšnes qui conduisent insensiblement de la force gravitative des minĂ©raux Ă ce que nous appellerons bientĂŽt la puissance magnĂ©tique de lâhomme. Entre l'homme et lâatome, ces deux extrĂ©mitĂ©s de lâĂ©chelle ontologique, rĂšgne un admirable enchaĂźnement dâĂȘtres et de faits successifs, chacun desquels semble le dĂ©veloppement de celui qui le prĂ©cĂšde, et point matĂ©riel. Il est probable cpic , Je mĂȘme que le CrĂ©ateur a imprimĂ© Ă la matiĂšre des formes diverses qui constituent les diffĂ©rents corps, il a douĂ© la substance spirituelle de divers degrĂ©s de perfection , depuis Celui qui produit la vie des polypes, peut-ĂȘtre mĂȘme celle des plantes, jusquâĂ celui qui donne Ă lâhomme la raison, lâimagination et la mĂ©moire. » f DĂ©leuze, Annales du Magn. ttnim., p. 026. il NATURE ET DĂFINITION tĂ MAGNĂTISME, l'Ă©lĂ©ment gĂ©nĂ©rateur de celui qui le suit. Câest sur les divers degrĂ©s de cette Ă©chelle immense que toutes iĂźos sciences sont assises. Chacune dâelles embrasse un ensemble dâĂȘtres ou de faits distincts en apparence, mais, au fond* tous enchaĂźnĂ©s par quelque loi commune. Plus les sciences sont haut placĂ©es sur lâĂ©chelle dont nous parlons, moins elles sont positives, parce quâĂ mesure quâelles sâĂ©lĂšvent, leurs Ă©lĂ©ments se compliquent en se multipliant. Le magnĂ©tisme, hĂątons- nous de le dire, occupe peut-ĂȘtre le dernier Ă©chelon du sommet aussi sera-t-il probablement toujours la plus vague et la plus incertaine de nos connaissances. Cependant, que la chaĂźne de la nature soit pour nous le fil dâAriane, et, sâil nous est interdit de dĂ©couvrir jamais lâessence du magnĂ©tisme, peut-ĂȘtre, au moins, parviendrons-nous Ă pĂ©nĂ©trer quelques- unes de ses lois. Alors la science du magnĂ©tisme sera chose accomplie, ou tout au moins bien commencĂ©e. Mais, une rĂ©flexion encore, avant de passer outre Je vous ai dit tout Ă l'heure que la dĂ©finition acadĂ©mique du mot science pĂšche par insuffisance, câest- Ă -dire parce quâelle nâexprime pas assez; il me serait facile maintenant de vous dĂ©montrer, en vous la prĂ©sentant sous un autre aspect, quâelle ne vaut rien encore parce quâelle exprime beaucoup trop. Le mot science, en effet, vient du verbe latin scire, qui signifie savoir, ce que lâAcadĂ©mie nous traduit par connaĂźtre. Or, en admettant cette dĂ©finition dans toute sa rigueur, il nây aurait pas de science possible, car, il nâest pas une seule chose, pas une seule, entendez-vous, quâil nous soit donnĂ© de connaĂźtre dâune maniĂšre absolue; et câest 12 PREMIĂRE LEĂON, justement de cette imperfection de nos moyens de connaĂźtre que provient le plus souvent lâimpossibilitĂ© oĂč nous sommes de saisir les rapports qui existent entre tel fait rĂ©putĂ© connu et tel autre que lâon avoue ne lâĂȘtre point encore. De lĂ des faits sans analogie apparente, et qui ne semblent avoir dâautre raison de leur existence que cette existence mĂȘme; de lĂ les miracles si communs autrefois, si rares aujourdâhui, et dont le nombre diminua progressivement Ă mesure que la raison les dĂ©pouilla de leur prestige en les expliquant. On comprend, dâailleurs, que ees conquĂȘtes successives de lâintelligence aient enfantĂ© tour Ă tour et cet orgueil insensĂ© dont Voltaire, an siĂšcle dernier, fut la personnification , et cette incrĂ©dulitĂ© nonchalante qui nâest guĂšre, chez nos contemporains, que lâimpuissance de pĂ©nĂ©trer plus avant dans les secrets de l'univers. Ajoutons, enfin, que l'orgueil et lâincrĂ©dulitĂ© se sont rĂ©unis pour nous inculquer la manie des raisonnements, bons ou mauvais, manie si gĂ©nĂ©rale aujourdâhui, surtout en France, que, pour y accrĂ©diter lâexistence dâune chose, il est plus sĂ»r dây prouver que cette chose peut exister que de dĂ©montrer quâelle existe. Contradictoires en apparence Ă toutes les lois connues de la physiologie, les faits magnĂ©tiques qui passaient autrefois pour des miracles sont simplement aujourdâhui niĂ©s par les savants *. Faisons donc Ă leur profit lâapplication dâune mĂ©thode devenue nĂ©ces- 1 GĂ©nĂ©ralement serait peut-ĂȘtre beaucoup dire Ă lâheure quâil est les jĂ©suites viennent de donner le mot dâordre Ă leurs adeptes afin que le magnĂ©tisme soit acceptĂ©. 13 NATURE ET DĂFINITION DU MAGNĂTISME, saire, en prouvant que non - seulement ils existent, mais quâils peuvent exister, quâils offrent des rapports dâanalogie frappants avec les faits les plus simples, enfin quâils nâont rien dans leur essence de plus Ă©trange que ces derniers. Ce que je vais vous dire a donc pour objet dâĂ©claircir la proposition que nous avons Ă©tablie, Ă savoir que le magnĂ©tisme est, comme la gravitation, comme lâaffinitĂ©, comme tous les mouvements, comme toutes les forces organiques et inorganiques, une des manifestations naturelles de la vie. Je procĂ©derai, pour ĂȘtre logique, du simple au composĂ©, et câest dans les minĂ©raux que nous rechercherons les premiĂšres analogies qui justifient mon assertion. Parmi tous les ĂȘtres de la nature que nous nommons inanimĂ©s, il serait impossible dâen trouver un qui, mieux quâun bloc de marbre, rĂ©alisĂąt lâidĂ©e de repos et dâinertie. Cependant jâose avancer quâen dĂ©pit de toute apparence, ce bloc de marbre est un corps vivant, un corps animĂ©. Je devine quâĂ ces paroles votre bon sens rĂ©voltĂ© suspecte le mien. Cependant, rĂ©primez vos prĂ©ventions et raisonnons avec sang-froid. Que signifient ces mots, corps vivant, corps animĂ©, sinon lâassociation dâune substance inerte tombant sous les sens, et dâune substance mĂ©taphysique que les sens ne saisissent pas? Voyons donc sâil nây aurait pas dans le marbre quelque trace de cette association, quelques-unes des propriĂ©tĂ©s qui caractĂ©risent lâune et lâautre des deux substances. Les propriĂ©tĂ©s physiques du marbre nâont pas besoin de dĂ©monstration je le vois, je le touche, donc 14 PREMIĂRE IBĂQ?». il existe proposition qui, je lâavoue, me semble aussi rationnelle que le fameux principe de la philosophie cartĂ©sienne je pense , donc jâexiste. Mais lâexistence matĂ©rielle dâun objet nâimplique nullement dans cet objet la prĂ©sence dâune substance immatĂ©rielle; celle- ci nâa guĂšre dâautre critĂ©rium que le mouvement, et le marbre en est dĂ©pourvu.â Peut-ĂȘtre, rĂ©pondrai-je, et jâespĂšre que sur ce point yotre raison va bientĂŽt dĂ©mentir vos sens. En effet, approchons-nous de ce marbre si parfaitement immobile, essayons de le soulever, de le sĂ©parer du sol, et nos efforts sont impuissants pour vaincre sa rĂ©sistance. Jusque-lĂ nĂ©anmoins il nây a rien qui vous Ă©tonne le marbre rĂ©siste parce quâil est pesant, et la pesanteur, bien que relative aux diffĂ©rents corps, est Ă notre connaissance un fait constant chez tous. Rien de mieux; mais la reproduction constante dâun mĂȘme fait ne suffit pas Ă beaucoup prĂšs pour en faire ressortir la cause, et je suis dans mon droit lorsque je demande quâest-ce que la pesanteur? Les physiciens aussitĂŽt me rĂ©pondent La pesanteur est lâattraction exercĂ©e par le globe sur chacun des diffĂ©rents corps qui reposent Ă sa surface Ă©trange dĂ©finition qui recule un peu la difficultĂ©, mais qui ne la rĂ©sout point. Gardons-nous, en effet, de nous payer de vaines paroles, et dĂ©clarons franchement que ce mot ééattraction ne nous fait pas mieux comprendre que celui de pesanteur la nature de ce lien invisible qui unit entre eux tous les corps de lâunivers, de pet agent iinmatc-r riel qui Ă©mane de la nature, comme la pensĂ©e dâun homme Ă©mane de son cerveau. NATDBE ET DĂFINITION DD MAGNĂTISME. 1 5 Nous voilĂ donc, dĂšs nos premiers pas dans la carriĂšre de lâobservation,en prĂ©sence dâun fait, au premier abord aussi simple que vulgaire, et pourtant, en dĂ©finitive, tout aussi inexplicable que les miracles du magnĂ©tisme. Et, sur ce fait, vous demanderiez eu vain des Ă©claircissements Ă la science ou aux gĂ©nies qui la reprĂ©sentent la science et les savants sont muets. Interrogez Newton, ou Lalande, ou Laplace; ces grands hommes vous enseigneront les lois dĂ©couvertes par le premier dâentre eux, lois qui sont devenues entre leurs mains les clefs de la mĂ©canique cĂ©leste, et leur ont suggĂ©rĂ© une explication plausible des grandes harmonies de lâunivers; mais aucun dâeux ne vous Ă©clairera sur la nature essentielle du phĂ©nomĂšne de la pesanteur. Au surplus, poursuivons; car ce fait lui- mĂȘme, malgrĂ© la valeur trĂšs-significative que vous ne manquerez pas de lui trouver en mĂ©taphysique, si vous prenez la peine dây rĂ©flĂ©chir assez longtemps, ce fait, dis-je, ne vous dĂ©terminerait guĂšre Ă admettre chez les corps du rĂšgne minĂ©ral quâune sorte de rĂ©sistance passive et trĂšs-distincte dâune vĂ©ritable viabilitĂ©, et comme jâai Ă ma portĂ©e des moyens de dĂ©r- monstration plus explicites et plus concluants, jâai hĂąte de m'en servir. Puisque nous avons pris le marbre pour exemple, quâil serve cette fois encore Ă notre dĂ©monstration. RĂ©pandons Ă sa surface un liquide douĂ© comme lui en apparence dâune inertie complĂšte, de 1 'acide sulfurique. AussitĂŽt, une secrĂšte activitĂ© se rĂ©vĂšle, la scĂšne sâanime, et des puissances inconnues se mettent en jeu. Les molĂ©cules du marbre sâagitent et se dĂ©composent, 16 PREMIĂRE LEĂON, un des Ă©lĂ©ments qui le constituaient se dĂ©gage dans lâatmosphĂšre, tandis que sur le sol un corps nouveau sâest formĂ© le marbre est devenu du sulfate de chaux. Comment donc sâest effectuĂ©e cette Ă©trange mĂ©tamorphose? Quel gĂ©nie mystĂ©rieux a opĂ©rĂ© ce miracle, et par quelle vertu magique la matiĂšre morte a-t-elle ainsi contractĂ© subitement la facultĂ© de se mouvoir ? Rien au monde de plus simple ; voici ce qui sâest passĂ© Le marbre, comme la plupart des corps qui tombent sous nos sens, est un composĂ© de matiĂšres diverses; il est formĂ© de chaux et dâacide carbonique. Un de scs Ă©lĂ©ments, la chaux, avait pour lâacide sulfurique plus dâaffinitĂ© que pour lâacide carbonique avec lequel elle Ă©tait combinĂ©e dâabord, et câest en raison de ce plus dâaffinitĂ©, de cette attraction Ă©lective, que le mouvement a eu lieu et que la chaux et lâacide sulfurique se sont unis en se rapprochant. Ainsi, vous le voyez, les minĂ©raux ont comme les hommes leurs sympathies et leurs antipathies. Tous recĂšlent dans leur sein des tendances particuliĂšres, qui nâattendent, pour ainsi dire, que lâoccasion de se mettre en jeu. Qui de vous eĂ»t soupçonnĂ©, avant que lâexpĂ©rimentation chimique le lui eĂ»t appris, que ces pierres immobiles et glacĂ©es sur lesquelles nous marchons, sont cependant toutes animĂ©es de forces diverses, nâayant besoin que dâĂȘtre mises en prĂ©sence pour agir, câest-Ă -dire pour constituer le mouvement, ce fait culminant de la vie? Certes, je ne suis ni athĂ©e ni matĂ©rialiste un magnĂ©tiseur ne saurait ĂȘtre ni lâun ni lâautre. Je recon- NATURE ET DĂFINITION DU MAGNĂTISME. 17 nais donc avec respect le gĂ©nie du CrĂ©ateur dans les admirables transformations que nous prĂ©sente incessamment la nature, mais je ne vois ni la nĂ©cessitĂ© ni mĂȘme lâutilitĂ© de faire intervenir, sans interruption, la volontĂ© divine dans des phĂ©nomĂšnes dont le principe Ă©mane Ă©videmment de sa toute-puissance, mais dont la succession nâest que le dĂ©veloppement naturel du mĂȘme principe. Or, ce principe, cette cause primordiale, essentielle, de toute activitĂ©, câest lâĂąme universelle, dont lâexistence nâest rien moins que chimĂ©rique et dont chaque sĂ©rie de manifestations est, ainsi que je vous lâai dit dĂ©jĂ , lâobjet spĂ©cial dâune de nos sciences. Ainsi, les physiciens ont circonscrit le domaine de celle quâils cultivent aux influences que les corps inertes exercent Ă des distances plus ou moins considĂ©rables; tandis que les chimistes Ă©tudient les mĂȘmes phĂ©nomĂšnes dans des conditions plus limitĂ©es, et poursuivent jusque dans les Ă©lĂ©ments irrĂ©ductibles de la matiĂšre les affinitĂ©s particuliĂšres dont est pourvu chacun dâeux. Les uns et les autres, les chimistes et les physiciens, ont en outre portĂ© leur attention sur divers phĂ©nomĂšnes accessoires auxquels donnent lieu certains faits du rĂšgne inorganique; je veux parler de la lumiĂšre, de la chaleur et de lâĂ©lectricitĂ©. Et voyez dĂ©jĂ quelle complication de mouvement, dâactivitĂ©, dans les manifestations de cette matiĂšre quâon nous dit inanimĂ©e' Regardez autour de vous, Messieurs, sur cette terre quâon a crue si longtemps immobile et qui se meut si violemment dans lâespace; sur les deux rivages de cet ocĂ©an, dont le flux et le reflux sem- 2 18 PREMIĂRE LEĂON, blent la respiration ; entre ces deux pĂŽles qui sâĂ©lĂšvent et sâabaissent tour Ă tour, comme le balancier de lâĂ©ternitĂ©, comme les deux ailes du temps, que de force, que de vie! Mais ce nâest pas tout encore; laissez la nature suivre son cours et se charger du soin de rassembler elle-mĂȘme les Ă©lĂ©ments Ă©pars des millions dâexistences quâelle enfante chaque jour. Ces Ă©lĂ©ments, quâun mystĂ©rieux pouvoir rapproche et rĂ©unit, se coordonnent par groupes autour de germes qui semblent ĂȘtre en quelque sorte la vie posthume dâĂȘtres analogues Ă ceux quâils doivent fournir, et bientĂŽt surgissent ces individualitĂ©s dont le mĂ©canisme Ă©chappe aux investigations de nos sens comme Ă celles de notre esprit, ici sous la forme dâun homme, lĂ sous lâaspect plus humble dâune mousse ou dâun lichen. ArrĂȘtons- nous un instant au plus simple de ces ĂȘtres que nous nommons organiques câest lĂ peut-ĂȘtre, Ă cette vĂ©gĂ©tation Ă©quivoque que nous voyons naĂźtre Ă la surface dâun liquide en putrĂ©faction; câest lĂ , dis-je, que pour les savants commence seulement la vie. Mais nâest-il pas Ă©vident que celte premiĂšre individualisation de lâexistence, tout en se caractĂ©risant par des phĂ©nomĂšnes qui lui sont propres, ne suppose pas nĂ©cessairement des Ă©lĂ©ments vitaux dâun nouveau genre, et peut trĂšs-rationnellement sâexpliquer par une combinaison, dans certaines proportions, des forces inhĂ©rentes Ă la matiĂšre inorganique. En dâautres termes lâactivitĂ© vitale des vĂ©gĂ©taux, comme celle des animaux, nâest vraisemblablement quâune modification particuliĂšre de la pesanteur, de lâaffinitĂ©, etc. Quoi quâil en soit, cette merveilleuse transforma- NATURE ET DĂFINITION DU MAGNĂTISME. 19 tion, cette sorte de condensation de la vie dans des ĂȘtres distincts, dĂ©finis, donnant lieu Ă une sĂ©rie de manifestations, ayant entre elles plus ou moins dâanalogie, devait ĂȘtre le sujet dâune science spĂ©ciale. Cette science, en effet, existe; câest la physiologie , ou la science de la vie \ Mais la physiologie, dâaprĂšs ce qui prĂ©cĂšde, devait aussi bien comprendre lâĂ©tude de la vie chez les ĂȘtres organiques que lâĂ©tude de la vie chez les ĂȘtres organisĂ©s, et , personne de vous nâignore quâil nâen est point ainsi. Cela tient Ă ce que la nature est grande, et lâesprit de lâhomme petit; car si lâadmirable systĂšme de lâunivers ne constitue rĂ©ellement pour le CrĂ©ateur quâune seule et mĂȘme vĂ©ritĂ©, les lambeaux Ă©pars de cette vĂ©ritĂ© la multiplient Ă nos yeux. VoilĂ donc pourquoi nous avons tant de peine Ă comprendre comment le magnĂ©tisme, ou la puissance magnĂ©tique appartenant exclusivement, au moins en apparence, aux espĂšces animales, peut avoir quelques rapports avec les propriĂ©tĂ©s abstraites de la matiĂšre inerte. Telle est pourtant la vĂ©ritĂ© que jâespĂšre vous faire comprendre. Ătablissons, en attendant, que le magnĂ©tisme est, ainsi que vous le soupçonnez dĂ©jĂ , une des branches les plus curieuses de la physiologie gĂ©nĂ©rale ce quâil me reste Ă vous dire aujourdâhui vous fournira les Ă©lĂ©ments dâune dĂ©finition plus prĂ©cise. On lâa dit depuis longtemps rien nâest plus difficile que de dĂ©finir la vie. Suivant Locke, câest le mouvement et suivant Bicliat l âensemble des phĂ©nomĂšnes 1 Voyez J. Manuel de Physiologie. Paris, 1 845. In-8°, avec figures. 20 PREMIĂRE LEĂON. qui rĂ©sistent a la mort y dĂ©finition qui, pour avoir Ă©tĂ© rĂ©pĂ©tĂ©e Ă satiĂ©tĂ© depuis ce cĂ©lĂšbre anatomiste, nâen est pas moins, selon nous, un pur et simple paralogisme. Mais Locke exprimait-il une opinion plus raisonnable, en considĂ©rant le mouvement comme essence de la vie ? Jâose affirmer, quant Ă moi, que cette assertion Ă©tait dĂ©fectueuse, et vous allez le comprendre La vie, loin dâĂȘtre constituĂ©e par un fait unique, indivisible, Ă©mane, chez tous les ĂȘtres, de deux Ă©lĂ©ments distincts, de deux facultĂ©s corrĂ©latives la facultĂ© iĂŻagir et la facultĂ© de sentir. Mais, prenez-y garde ces deux mots, sentir et agir, ont, dans mon esprit, un sens fort Ă©tendu. Tout sent dans la nature; mais cette facultĂ© universelle se modifie dans chacun des ĂȘtres, suivant son mode particulier dâexistence. Lâhomme ne sent pas comme la bĂȘte, celle-ci comme le vĂ©gĂ©tal, et les vĂ©gĂ©taux, Ă leur tour,ne sentent pas comme les minĂ©raux, qui ont aussi, je vous lâai prouvĂ©, leurs excitants, leurs modificateurs. Tout, pareillement, agit dans la nature la pierre qui gravite, la plante qui croĂźt, la bĂȘte qui se meut, lâhomme qui pense. U est Ă©vident dâailleurs que, sous le rapport de leur perfection, ces deux facultĂ©s de sentir et dâagir subissent un dĂ©veloppement parallĂšle, depuis le minĂ©ral oĂč elles commencent,jusquâĂ lâhomme oĂč elles sont Ă leur apogĂ©e. Rien ne nous serait plus facile que de suivre les traces de ce dĂ©veloppement dans toute la sĂ©rie des ĂȘtres. Nâest-il pas vrai, par exemple, que, dans la propriĂ©tĂ© double dont sont douĂ©s les minĂ©raux dâexercer et de subir lâattraction, nous 21 NATĂKE ET DĂFINITION DD MAGNĂTISME, pourrions sans un grand effort dâesprit reconnaĂźtre le double principe de lâactivitĂ© et de la sensibilitĂ© chez les ĂȘtres des ordres supĂ©rieurs. Je sais que les physiologistes ne consentiront jamais Ă nous accorder ce point; mais pour leur faire la partie plus belle, plaçons-nous sur leur domaine et prenons avec eux pour premier sujet dâexamen un ĂȘtre organisĂ©. La truffe, par exemple, qui se reproduit au sein de la terre, sans organes apparents de reproduction, la truffe vCagil-eWc point sur les sucs du sol en se les appropriant, et nâest-elle pas Ă son tour modifiĂ©e dans son existence par les diffĂ©rentes qualitĂ©s du milieu oii elle croĂźt? Lâaction et lâimpression sont ici, comme dans la pierre, les deux pĂŽles de la vie. Montons de quelques degrĂ©s encore dans la hiĂ©rarchie ontologique, et ces deux conditions vitales se caractĂ©risent de plus en plus. Ici, câest lâherbe qui respire activitĂ©, et qui a besoin pour vivre de chaleur et de lumiĂšre Un- pressionabililĂš ; lĂ , câest la belle-de-nuit qui ouvre ses pĂ©tales Ă la fraĂźcheur du crĂ©puscule, et plus loin, la sensitive qui contracte ses feuilles au plus lĂ©ger contact. Puis se prĂ©sentent, enfin , ces racines intelligentes, ou que du moins une sorte dâinstinct semble diriger, lorsquâelles tournent si habilement les rochers et les murailles, pour aller sâimmerger dans le sol qui les doit nourrir. Ce dernier exemple suffit pour faire comprendre par quelles transitions insensibles, lâobservateur qui suit fidĂšlement la nature, passe dâun rĂšgne Ă un autre rĂšgne. Disons, toutefois, quâĂ partir de ce point indĂ©terminable oĂč lâanimalitĂ© commence, la vie se centra- 22 PREMIĂRE LEĂON. * lise de plus en plus dans des appareils spĂ©ciaux qui semblent en ĂȘtre les foyers, mais qui vraisemblablement nâen sont que les rĂ©ceptacles. Enfin, des sens apparaissent, se perfectionnent en se multipliant, et diversifient, suivant leur nombre, les impressions qui arrivent Ă lâĂȘtre, dont lâindividualitĂ© est alors si distincte et si tranchĂ©e que nous serions tentĂ©s de voir en lui, ainsi que nous lâavons dĂ©jĂ fait remarquer, lâexpression dâune vie Ă part et complĂštement affranchie des lois de la matiĂšre inerte. Quoi quâil en soit, câest par suite de cette concentration de la vie que la facultĂ© de sentir, chez lâanimal, semble dĂ©plus en plus se rapporter Ă un certain point central qui serait en mĂȘme temps le principal foyer des voĂ»tions, câest-Ă -dire de lâactivitĂ©. Ces voĂ»tions, dâabord purement instinctives comme dans les plantes ou les mollusques, deviennent, Ă mesure qu'on sâĂ©lĂšve dâespĂšces en espĂšces, une vĂ©ritable volontĂ©. Chez lâhomme, le plus parfait des ĂȘtres organisĂ©s, la volontĂ© nâest plus Ă mettre en doute ; et chez lâhomme de gĂ©nie, la mĂȘme facultĂ©, dirigĂ©e par une Ăąme dâessence divine, est devenue lâindĂ©pendance absolue de la pensĂ©e et des actes *. La volontĂ© humaine, cette sorte de subtilisation de 1 De lĂ , sans doute, ces incessantes aspirations vers la libertĂ© morale , politique, religieuse, etc., qui, dans toutes les histoires, caractĂ©risent les nations intelligentes ; car ce besoin dâindĂ©pendance qui tourmente et soulĂšve les peuples nâest que lâexprtssion synthĂ©tique du mĂȘme besoin dans chaque individu. â Le libre arbitre, admis par la plupart des philosophes , est vĂ©ritablement, Ă mes veux, le critĂ©rium de lâhumanitĂ©. 23 NATURE ET DĂFINITION DU MAGNĂTISME, l'activitĂ© vitale, jointe Ă la sensibilitĂ©, si dĂ©licate et si variĂ©e dans ses moyens, qui nous est dĂ©volue, nous reprĂ©sentent donc les deux faces de la vie individuelle dans toute sa perfection, et câest dans ces deux admirables facultĂ©s que nous allons trouver enfin les Ă©lĂ©ments du magnĂ©tisme. Dâune part, en effet, cette volontĂ© qui constitue, dans le monde moral comme dans le monde physique, la suprĂ©matie de l'homme, qui rĂšgle tous nos actes de relations et h laquelle sont subordonnĂ©es toutes les parties de notre ĂȘtre, cette volontĂ©, dis-je, est susceptible de faire expansion hors de nous et dâembrasser plus ou moins, dans sa sphĂšre dâactivitĂ©, les ĂȘtres qui nous environnent. Dâun autre cĂŽtĂ©, la facultĂ© de sentir, ou la sensibilitĂ©, nous livre continuellement aux influences du monde ambiant. De lĂ une perpĂ©tuelle rĂ©ciprocitĂ© dâaction entre tous les ĂȘtres de la nature, et voilĂ le MagnĂ©tisme. Vous verrez dâailleurs comment lâhabitude et certaines conditions physiques peuvent augmenter indĂ©finiment lâinfluence extĂ©rieure de la volontĂ© *. Vous verrez Ă©galement comment, par suite dâune concentration artificielle de la vitalitĂ©, la sensibilitĂ© sâexalte et acquiert un tel degrĂ© de perfection et de dĂ©licatesse que lâhomme, dans son Ă©tat ordinaire, ne saurait sâen * Tout le monde sait que cette action expansive de la volontĂ© nâappartient pas exclusivement Ă lâhomme. Plusieurs animaux en donnent des preuves relativement Ă des ĂȘtres plus faibles quâeux. Lâoiseau fascine par le serpent peut servir dâexemple. Le serpent est, Ă son tour, un des animaux qui ressentent le mieux lâinfluence de la volontĂ© humaine. 24 PREMIĂRE LEĂON, faire une idĂ«e prĂ©cisĂ©, et ne se dĂ©cide mĂȘme Ă croire aux phĂ©nomĂšnes qui eu rĂ©sultent quâĂ lâinstant ou il voit les faits. Quoiquâon en ait pu dire, le magnĂ©tisme ainsi prĂ©sentĂ© nâa rien de miraculeux, câest-Ă -dire rien de contradictoire aux autres vĂ©ritĂ©s connues il ne faut quâun peu de rĂ©flexion pour le concevoir, quâun peu dâesprit pour le comprendre. Mais si le magnĂ©tisme consiste uniquement dans cette incessante rĂ©ciprocitĂ© dâaction de toutes les volontĂ©s, nous vous ferons voir par la suite que lâintermĂ©diaire de ces influences est aussi le principal agent qui prĂ©side aux actes intimes de tous les ĂȘtres organisĂ©s. Cela posĂ©, jâai donc le droit dâappeler la science qui a pour objet lâensemble de phĂ©nomĂšnes aussi importants la science de la vie par excellence, ou la physiologie transcendante , et telle est, en effet, la dĂ©finition que je donne du magnĂ©tisme. Mes leçons vous rĂ©vĂ©leront une partie du rĂŽle immense quâil joue nĂ©cessairement dans nos relations sociales ; mais je dois consacrer les plus prochaines Ă son histoire, câest-Ă -dire aux notions successives que les hommes en ont eues. DEUXIĂME LEĂON. HISTOIRE DU MAGNĂTISME. Messieurs, Si vous avez eu la patience de nie suivre attentivement dans les considĂ©rations gĂ©nĂ©rales qui ont fait le sujet de ma premiĂšre leçon , vous comprendrez facilement aujourdâhui que lâhistoire du magnĂ©tisme ait pour objet de rechercher et de constater, dans les Ă©vĂ©nements accomplis, la succession des effets produits par le jeu simultanĂ© des deux facultĂ©s corrĂ©latives sur lesquelles jâai appelĂ© votre attention la facultĂ© dont sont douĂ©s les ĂȘtres organisĂ©s dâinfluencer, au moyen dâun intermĂ©diaire invisible, tous les ĂȘtres qui les environnent, et la facultĂ© quâils possĂšdent tous de subir cette influence. Jâavoue quâau premier coup dâĆil la question, ainsi posĂ©e, ouvre Ă nos investigations une carriĂšre tellement vaste, tellement illimitĂ©e, que lâesprit le plus rĂ©solu peut sâeffrayer Ă lâidĂ©e de la parcourir; mais ce nâest pas ma faute si lâhistoire du magnĂ©tisme, ainsi que je la conçois se lie intimement Ă lâhistoire philosophique du genre humain tout entier. Jâai dâailleurs la cer- 26 DEUXIĂME LEĂON, titude que, malgrĂ© son Ă©trangetĂ©, ma pensĂ©e, Ă cet Ă©gard, obtiendra votre adhĂ©sion quand lâanalyse raisonnĂ©e des faits en aura justifiĂ© lâexpression. Lorsque Rabelais imaginait sa fable des moutons de Panurge, il Ă©tait loin, sans doute, de soupçonner tous les genres dâenseignements que renfermait celte plaisante allĂ©gorie. FrappĂ© comme tant dâautres penseurs de ce servilisme intellectuel qui semble spontanĂ©ment infĂ©oder les hommes, lâingĂ©nieux auteur de Pantagruel nâavait dâautre intention que de personnifier dans un type ridicule ce sot instinct dâimitation dont Horace sâĂ©tait moquĂ© bien des siĂšcles avant lui. Mais quelle surprise ne lui eĂ»t-on pas causĂ©e en lui apprenant que ce besoin dâimiter, qui le choquait si fort, dĂ©pendait de certaines conditions physiologiques essentielles et communes Ă tous les ĂȘtres organisĂ©s! Lâobservation la plus vulgaire multiplie continuellement sous nos yeux les preuves qui justifient cette assertion, contre laquelle cependant sâĂ©lĂšvent, au premier abord, notre raison et nos sens, Ă©galement blasĂ©s par lâhabitude. Si le raisonnement rĂšgle la plupart de nos actes physiques, personne nâoserait prĂ©tendre quâil en soit toujours ainsi; personne, du moins, ne serait en droit dâaffirmer que cette surveillance de lâĂąme sur le corps nâest jamais interrompue; en un mot, que nous nâagissons jamais sans nous ĂȘtre prĂ©alablement consultĂ©s sur la nĂ©cessitĂ© dâagir. Loin de lĂ , tout le monde convient que les mouvements automatiques, ou, si lâon veut, instinctifs, ne sont guĂšre moins frĂ©quents chez lâhomme que les mouvements raisonnĂ©s. Cette 27 HISTOIRE DU MAGNĂTISME, proposition qui est fondĂ©e relativement aux hommes, relativement surtout aux enfants, acquiert le plus haut degrĂ© dâĂ©vidence si ou lâapplique aux animaux. Or, une distinction quâil nous importe infiniment dâĂ©tablir, puisquâelle est la base de notre systĂšme, câest que, si les mouvements raisonnĂ©s Ă©manent nĂ©cessairement de lâesprit, si, en dâautres termes, ces mouvements ont leur principe dans lâorganisation mĂȘme de lâindividu qui les exĂ©cute, il nâen est pas ainsi des mouvements automatiques, dont la cause peut ĂȘtre Ă©trangĂšre Ă lâorganisme qui se meut. instinct, dans ce dernier cas, est, suivant tous les philosophes, le mot explicatif du phĂ©nomĂšne qui a lieu. Mais ce mot instinct a-t-il un sens dans la bouche des philosophes? Au moins faut-il convenir que, dans lâidĂ©e confuse quâils en expriment, il est impossible de dĂ©couvrir autre chose quâune pure entitĂ© de convention encore plus insaisissable que le sentiment ou la pensĂ©e. Cependant il me semble quâen complĂ©tant dâune certaine façon le sensorium des mĂ©taphysiciens, je parviens Ă concevoir lâinstinct dâune maniĂšre satisfaisante. Selon moi, câest une espĂšce de centre vital, de foyer dâanimation vers lequel convergent toutes les effluves du monde ambiant et dâoĂč rayonnent continuellement les diverses manifestations de la vie individuelle. Dans un degrĂ© supĂ©rieur, ou plutĂŽt dans un autre compartiment de la substance nerveuse, la pensĂ©e rĂ©side ou sâorganise dâaprĂšs des lois inconnues. Lâinstinct, sorte dâintermĂ©diaire entre le phĂ©nomĂšne intellectuel et le phĂ©nomĂšne de gravitation, entre lâĂąme et la matiĂšre, entre la vie individuelle et la vie universelle, lâinstinct reçoit, de 28 DEUXIĂME LEĂON, deux sources diffĂ©rentes, les excitations quâil transmet Ă lâĂ©conomie. Les influences de la raison et les influences du monde extĂ©rieur y aboutissent tour Ă tour ou simultanĂ©ment. Ces deux forces opposĂ©es sây combinent sans se neutraliser lâĂ©tat normal consiste dans leur parfait Ă©quilibre, et de la prĂ©dominance de la raison ou de la prĂ©dominance de lâimpressionabilitĂ© rĂ©sultent deux Ă©tats contradictoires diversement qualifiĂ©s dans le langage ordinaire. La foi-ce cl'cime et la faiblesse dâespril nâexistent jamais dâailleurs dâune maniĂšre absolue , et dĂ©pendent indirectement, comme personne ne lâignore, de certaines conditions physiologiques quâil serait ici hors de propos dâĂ©numĂ©rer. Cette hypothĂšse , hasardĂ©e peut-ĂȘtre, sur les lois de la vie organique me paraĂźt nĂ©anmoins fournir une explication assez plausible de la tendance instinctive Ă imiter quâon observe chez tous les animaux, et sur nous-mĂȘmes, lorsquâune prĂ©occupation intellectuelle nous abandonne, pour ainsi dire, dans notre partie physique, aux influences extĂ©rieures. Câest alors une puissance Ă©trangĂšre Ă notre propre individualitĂ© qui rĂšgle nos voĂ»tions, et secondairement nos actes. Qui dâentre vous quelquefois nâa ri en voyant rire? qui nâa rĂ©pĂ©tĂ© machinalement le geste dâun comĂ©dien â ? 1 Les deux anecdotes suivantes prouvent jusquâĂ quel point les impressions peuvent se transmettre, mĂȘme lorsquâelles ne sont quâimaginaires et mĂȘme lorsquâelles sont feintes Eu lâan 1686, pendant les mois de juin et de juillet, dit un chroniqueur, bien des gens encore vivants peuvent rendre tĂ©moignage que, dans les environs de Crossford-Boat, Ă deux milles au- dessous de Lanark, et particuliĂšrement Ă Mains, sur la Clyde, un grand nombre de personnes se rassemblĂšrent pendant plusieurs HISTOIRE DE MAGNĂTISME. 29 Quelle bouche nâa redit, sans la moindre participation de la pensĂ©e, les mots incohĂ©rents que lâoreille avait soirĂ©es, et il y avait une pluie de bonnets, de chapeaux, de fusils et de sabres qui couvraient les arbres et la terre; des compagnies dâhommes armĂ©s marchant en bon ordre sur le bord de lâeau; des compagnies rencontrant des compagnies, se traversant les unes les autres, puis tombant Ă terre et disparaissant ; dâautres compagnies paraissaient aussitĂŽt et marchaient de la mĂȘme maniĂšre. Je mây rendis trois soirĂ©es consĂ©cutives, et je remarquai quâil y avait les deux tiers des spectateurs qui voyaient ce prodige et un tiers qui ne le voyait pas; et quoique je ne pusse rien voir, il y avait une telle frayeur et un tel tremblement parmi ceux qui voyaient que ceux mĂȘme qui ne voyaient pas pouvaient sâen apercevoir. Il y avait debout, Ă cĂŽtĂ© de moi, un homme qui parlait comme parlent trop de gens et qui disait et Une troupe de maudits sorciers et sor- ciĂšres qui ont la seconde vue! Du diable, si je vois quelque chose ! » Et au mĂȘme instant il se fit sur sa physionomie un changement remarquable. Avec autant de crainte et de tremblement quâaucune des femmes que je voyais lĂ , il sâĂ©cria n Vous tous qui ne voyez pas, ne dites rien, car câest un fait, et chacun peut le n voir, Ă moins quâil ne soit complĂštement aveugle ! » Et ceux qui voyaient disaient quels chiens avaient les fusils, et leur longueur et leur calibre, et quelles poignĂ©es avaient les sabres, si elles Ă©taient petites ou Ă trois barres, ou Ă la maniĂšre des montagnards, et quels nĆuds terminaient les bonnets, et sâils Ă©taient noirs ou bleus ; et ceux qui virent ce prodige, quand ils faisaient un voyage, voyaient des bonnets et des sabres tomber sur leur chemin. Ce phĂ©nomĂšne singulier, auquel crut tout une multitude, quoique les deux tiers seulement eussent vu ce qui, si le prodige eĂ»t Ă©tĂ© rĂ©el, devait ĂȘtre Ă©galement visible pour tous, peut se comparer Ă lâexploit dâun plaisant qui, sâĂ©tant plantĂ© dans une attitude dâĂ©tonnement, les yeux fixĂ©s sur le lion de bronze bien connu qui orne la façade de Northumberland-Honse, dans le Strand, et ayant attirĂ© lâattention de ceux qui le regardaient, en murmurant » De par le ciel, il remue la queue! il la remue encore! » rĂ©ussit, en quelques minutes, Ă bloquer le passage dans cette rue par un attroupement immense, quelques-uns sâimaginant avoir rĂ©ellement vu le lion de Percy remuer sa queue, les autres sâattendant Ă voir le mĂȘme phĂ©nomĂšne. » Scott, De la De'monalogie. 30 DEUXIĂME LEĂON, saisis. Ces distractions, jâen conviens, ne sont ordinairement que des Ă©ventualitĂ©s Ă©phĂ©mĂšres, et dont le peu de durĂ©e prouve suffisamment lâanomalie. Mais imaginez quâelles se prolongent indĂ©finiment,et vous aurez fait des hommes de vĂ©ritables automates dont les actes auront pour principes les fantaisies de votre cette imitation automatique, cette activitĂ© dâemprunt, qui constitue chez lâhomme une facultĂ© accidentelle, mais susceptible de dĂ©veloppement, comme vous le verrez par la suite, est un des traits dominants et caractĂ©ristiques de lâanimalitĂ© dans les espĂšces infĂ©rieures. Regardez, par exemple, paĂźtre un troupeau de moutons. Ne dirait-on pas quâun rĂ©seau invisible unit entre eux tous ces animaux et les entretient continuellement dans une parfaite communautĂ© de mouvements et dâinstincts? Ils marchent ou sâarrĂȘtent avec le berger qui les conduit. Tous le suivent ou se suivent Ă la file sans que jamais personne ait songĂ© Ă leur faire une vertu de ce genre de fidĂ©litĂ©. Quâun pied dâherbe fraĂźche suspende la marche dâun dâentre eux, tous sâarrĂȘtent Ă son exemple; que le chien, au contraire, harcĂšle le dĂ©linquant, la frayeur que celui-ci en Ă©prouve se communique de proche en proche, et lâĂ©motion est gĂ©nĂ©rale. Tous les moutons, enfin , sont les moutons de Panurge.... Eh bien! changeons la scĂšne; Ă©largissons un peu ces cerveaux incomplets ; quâune Ă©tincelle de raison Ă©claire lâinstinct qui les anime; remontons enfin vers le CrĂ©ateur, et arrĂȘtons-nous Ă son image. Un million dâhommes est actuellement Ă la place du troupeau. Avons-nous donc la certitude que les Ăąmes immortelles, logĂ©es par la Providence dans ces tĂȘtes 31 HISTOIRE DĂ MAGNĂTISME, privilĂ©giĂ©es , rĂ©sisteront en tontes circonstances au terrible contre-poids dâimpulsions analogues Ă celles que je viens de dĂ©crire? Mais quoi! nous serait-il dĂ©montrĂ© que la pure raison, la froide et impassible raison, a seule prĂ©sidĂ© jusquâĂ prĂ©sent aux destinĂ©es humaines? que ces effrayantes convulsions qui, dâintervalle en intervalle, ont bouleversĂ© les sociĂ©tĂ©s, ne furent que les solutions nĂ©cessaires et logiques de problĂšmes froidement posĂ©s et froidement rĂ©solus? Les passions elles-mĂȘmes, sâil Ă©tait dans leur essence de rester individuelles, nâexpliqueraient pas mieux que les gĂ©nies inventĂ©s par les poĂštes, ou que les dĂ©mons dĂ©crits par Tertullien dans Y ApologĂ©tique ', ces accĂšs de dĂ©lire furieux, dont furent si souvent atteintes les nations les plus intelligentes et les plus Ă©clairĂ©es. Mais voici le mot de lâĂ©nigtne Les passions sont contagieuses. Ouvrez lâune aprĂšs lâautre les histoires de tous les peuples; Ă©voquez toutes les traditions; apprĂ©ciez dans leur cause, dans leur marche et dans leur objet les rĂ©volutions des temps antiques et les rĂ©volutions des temps modernes, et toujours vous reconnaĂźtrez, eu remontant jusquâĂ leur source ces courants irrĂ©sistibles qui emportĂšrent dans leurs flots des gĂ©nĂ©rations entiĂšres, la puissance surnaturelle qui en a fixĂ© la direction. Cette puissance, quelle est-elle? un seul homme, quelquefois aussi un grand gĂ©nie, mais, le plus souvent, un homme de plus surprenant , de plus incomprĂ©hensible que les innovations subites dans les croyances ou dans les mĆurs, * Traduction de Yassoult, p. i58 et suiv. 32 DEUXIĂME LEĂON, que nous voyons de loin en loin renouveler la face du monde. Au souffle puissant des MoĂŻse, des CĂ©sar, des Mahomet, des Charlemagne, lâhumanitĂ© sâagite, sâĂ©chauffe, sâembrase et se refond. Mais est-ce Ă lâintelligence seule de ces hommes extraordinaires quâil faut rapporter exclusivement lâhonneur des rĂ©gĂ©nĂ©rations accomplies sous leur empire? en vĂ©ritĂ©, je ne le crois pas. Si la force physique ne convainc personne , la raison ne sĂ©duit que les sages lorsquâelle nâest point corroborĂ©e par un pouvoir indestructible, plus fort que la pensĂ©e, plus fort que le gĂ©nie, plus puissant que la force elle-mĂȘme. Je parle de cet agent invisible qui trouble avant de convaincre et rayonne de certaines tĂȘtes comme une aurĂ©ole de feu ; je parle de cette vertu magique que lâhistoire et la fable ont tour Ă tour divinisĂ©e, lâune dans la verge de MoĂŻse, lâautre dans le thyrse de Bacchus; je parle, enfin , de cette puissance qui fascine sans raisonner, qui subjugue sans se faire connaĂźtre, de ce prestige qui fanatisait la France pour lâempereur NapolĂ©on, etconfie aujourdâhui les destinĂ©es de lâIrlande Ă la volontĂ© capricieuse dâun illustre dĂ©magogue *. Quâen jugeant les Ćuvres des chefs de sectes ou des chefs de partis, Mahomet, Calvin, Cromwel, Owen ou Saint-Simon, on fasse une large part Ă la pensĂ©e qui conçoit, Ă la vigueur qui exĂ©cute, et mĂȘme Ă lâadmiration que lâune et lâautre excitent, tout cela ne suffit point pour expliquer la succession rapide cl la spontanĂ©itĂ© de ccr- * Jâadmire autant que qui que ce soit le caractĂšre et le talent de M. OâConnell; mais cela ne mâempĂȘche pas de dire que lâIrlande est fanatisĂ©e pour sa personne, et nâen est plus Ă discuter ses opinions pour les adopter et les soutenir. 33 HISTOIRE DU MAGNĂTISME, tains Ă©vĂ©nements qui impliquent le fanatisme. Essentiellement incompatible avec les inductions mĂ©thodiques de lâintelligence, le fanatisme, cette conviction quand mĂȘme , ce sentiment dĂ©sordonnĂ© qui entraĂźne fatalement vers un but incompris, est Ă©videmment la nĂ©gation de tout raisonnement, de tonte logique, et caractĂ©rise en psychologie un ordre de faits spĂ©cial. Susceptible dâailleurs dâaffecter toutes les formes comme dâenvahir toutes les organisations, le fanatisme peut engendrer les rĂ©sultats les plus divers, et mĂȘme, en apparence , les plus contradictoires il a pour type lâamour, mais lâamour dans toute la vĂ©ritĂ© du mot, celui qui sâattache indiffĂ©remment Ă la vierge la plus pure comme Ă la plus infĂąme des prostituĂ©es. Loi suprĂȘme des bonzes, des fakirs, des marabouts, etc., le fanatisme inspira lâabnĂ©gation sublime des pĂšres de la Merci, dans le mĂȘme pays oĂč il alluma les bĂ»chers de lâinquisition. Cent fois plus contagieux que le typhus ou la variole, il se propage de proche en proche, sâĂ©tend comme un incendie, et souvent, tous tant que nous sommes, nous atteint Ă notre insu. Que sont, je vous le demande, nos convictions politiques? La certitude en cette matiĂšre aurait-elle son critĂ©rium? Eh mon dieu! qui sâen soucie? La tĂȘte pleine des impressions que nous ont transmises nos amis ou nos pĂšres, nous nous lions par le cĆur au parti qui nous adopte ou dans lequel nous sommes nĂ©s, et, voilĂ comment le fanatisme devient sous une main habile et puissante le levier avec lequel on soulĂšve les nations, lorsquâil sâagit dâĂ©riger ou de renverser un trĂŽne. Le fanatisme, enfin, est lâinstinct collectif, lâĂąme sensitive des sociĂ©- 3 34 DEUXIĂME LEĂON, tĂ©s que presque dans aucun cas la raison ne domine. Quelquefois nĂ©anmoins la raison et lui sâaccordent pour concourir Ă un mĂȘme but ; mais lâopposition flagrante qui presque toujours rĂšgne entre eux me paraĂźt une preuvesans rĂ©plique quâil existe positivement dâhomme Ă homme, et surtout au profit de certains hommes, un moyen puissant dâagir sur leurs semblables tout aussi indĂ©pendant de rinlelligence que de la force physique, et ce moyen est le magnĂ©tisme. Les abus quâon en a faits ajoutent Ă sa certitude ; elle me paraĂźt irrĂ©fragable dans une foule dâĂ©vĂ©nements dont lâhistoire nâa pas toujours dĂ©terminĂ© la vraie cause. Câest surtout dans les affaires de sentiments, câest- Ă -dire Ă lâoccasion des croyances qui, au lieu de sâappuyer sur des documents positifs, ne reposent que sur lâinterprĂ©tation Ă©quivoque de faits douteux ou con- trouvĂ©s; câesl dans lâhistoire des religions, en un mot, que les exemples dâentraĂźnement magnĂ©tique sont aussi nombreux que dĂ©plorables. Que, par exemple, on lise sans prĂ©jugĂ©s les annales du christianisme 1 , et en examinant, avec sang-froid, la maniĂšre dont se sont formĂ©es les sectes innombrables qui ont troublĂ© la paix du monde depuis les apĂŽtres jusquâĂ nos jours, on reconnaĂźtra dans chacune dâelles le dĂ©veloppement dâune vĂ©ritable Ă©pidĂ©mie, dont le point de dĂ©part est 1 On peut consulter, Ă cet Ă©gard, le Dictionnaire des Cultes, par Delacroix, le Dictionnaire de ThĂ©ologie de Bergier, et pardessus tout VHistoire de l'Eglise de M. l'abbĂ© Receveur, incontestablement supĂ©rieure Ă celle de Fleury comme Ă celle de BĂ©rault- Bercastel. â U Histoire de lâEglise par M. lâaLbĂ© Receveur est un livre de fonds qui doit se trouver dans toute bibliothĂšque bien composĂ©e. 35 HISTOIRE DU MAGNĂTISME, le cerveau dâun fou, quelquefois mĂȘme dâun fou furieux. Quelques exemples pris au hasard vont prouver ce que jâavance. Saint IrĂ©nĂ©e, saint Epiphane, Tertullien , ThĂ©odoret et saint Augustin, placent au 11' siĂšcle la secte des CaĂŻniles, mais ils ne nomment pas le dĂ©mon incarnĂ© qui en inventa la doctrine. Les caĂŻnites vĂ©nĂ©raient la mĂ©moire de CaĂŻn, des sodomites , dâEsaĂŒ, de CorĂ©, de Judas, etc. Ils reconnaissaient un principe supĂ©rieur a Dieu, et prĂ©tendaient que CaĂŻn en provenait, tandis quâAbel, disaient-ils, nâĂ©tait que le fils du CrĂ©ateur, et ils exaltaient la trahison de Judas comme une Ćuvre mĂ©ritoire, attendu que sa haute sagesse lui avait fait voir tout le bien que JĂ©sus-Christ ferait aux hommes, ce qui Ă©tait en opposition directe avec leurs maximes. Ils admettaient quâune certaine classe dâanges prĂ©sidait aux pĂ©chĂ©s et aidait Ă les commettre; en consĂ©quence, ils enseignaient, dâaprĂšs le contenu dâun livre Ă leur usage, intitulĂ© Ascension de saint Paul, quâil fallait renverser et dĂ©truire les ouvrages du CrĂ©ateur, et quâĂ cet effet, il Ă©tait licite, mĂȘme obligatoire de se livrer Ă tous les vices, Ă tous les crimes, si Von 'Voulait faire son salut. Que de pareilles monstruositĂ©s germent et sâĂ©laborent dans une tĂȘte en dĂ©lire; que mĂȘme, quelque infernal gĂ©nie, tel que le marquis de Sade, coordonne en prĂ©ceptes la morale inqualifiable que je viens dâexposer, on conçoit jusquâĂ un certain point que les bagnes ou les maisons dâaliĂ©nĂ©s prĂ©sentent, de loin en loin, de ces terribles anomalies. Mais que cette morale trouve des apĂŽtres de bonne foi, parmi des gens qui ne sont ni des 36 DEUXIĂME LEĂON. monstres, ni des fous reconnus pour tels, câest ce qui dĂ©passe toute conception, et câest pourtant ce qui eut lieu. Une femme nommĂ©e Quintilla, dit Tertullien, porta le caĂŻnisme en Afrique, et, comme elle y introduisit Ă son tour de nouvelles abominations, ses adhĂ©rents furent appelĂ©s quint illianites. » Ainsi, les quin- tillianites volaient, violaient, assassinaient pour le salut de leur Ăąme et pour la plus grande gloire du principe Ă©ternel. Quelle plus affreuse contagion a jamais dĂ©solĂ© le monde, et comment parviendrait-on Ă en expliquer les progrĂšs, sans lâintervention fatale dâun aveugle instinct dâimitation et dâun pouvoir fascinateur qui annihile lâintelligence. Cependant, je veux bien encore vous accorder quâun horrible Ă©goĂŻsme, quâune infĂąme sensualitĂ© aient suffi pour propager le dogme des caĂŻnites ' ; mais combien nâest-il pas dâautres sectes Ă lâĂ©gard desquelles il nâest plus possible dâĂ©voquer lâintĂ©rĂȘt personnel sacrifiĂ© dans leurs principes presque autant que la raison. La secte des valĂ©sicns peut en fournir la preuve 11 faut, dit lâapĂŽtre saint Paul, pour ĂȘtre Ă JĂ©sus- Christ, quâon crucifie sa chair avec ses vices et ses convoitises 2 . » Chacun sait quelle application firent de ces paroles les ascĂštes des premiers siĂšcles le grand fakir de lâInde ne les a pas tous surpassĂ©s. LâArabe ValĂ©sius m' siĂšcle, se mutilant pour combattre le dĂ©mon de la concupiscence, ne me surprend donc pas plus quâOri- 1 Les caĂŻnites, dans celte hypothĂšse, eussent fort, mal raisonnĂ©, puisque enfin la pratique de leurs vertus devait conduire au dernier supplice avant de mener au ciel. * 37 HISTOIRE DU MAGNĂTISME, gĂšne opposant le mĂȘme acte de rĂ©signation sauvage Ă la calomnie qui lui faisait un crime dâouvrir son Ă©cole Ă de jeunes filles. Mais que YalĂ©sius Ă©rige son martyre en doctrine â, quâil prĂȘche et quâil ait des apĂŽtres, enfin, que des milliers dâeunuques volontaires se rĂ©fugient Ă sa suite dans un dĂ©sert de lâArabie; voilĂ certes ce quâon ne peut expliquer sans lâintervention dâun agent psychique, plus entraĂźnant que la raison. Les m* et iv e siĂšcles furent fĂ©conds en Ă©pidĂ©mies du mĂȘme genre. CâĂ©tait lâĂąge dâor de Y hĂ©rĂ©sie, sous toutes les formes imaginables; mais pour ne point mâĂ©carter inutilement de mon sujet, je vous renvoie aux livres spĂ©ciaux, si vous ĂȘtes jaloux de vous Ă©difier sur toutes les pitoyables rĂ©bellions contre lâEglise et le sens commun qui, dans lâespace de dix-huit cents ans, ont * AprĂšs sâĂȘtre mutilĂ©, il soutint hautement que la qualitĂ© dâeunuque, bien loin dâĂȘtre un obstacle pour arriver an sacerdoce, devait ĂȘtre regardĂ©e, au contraire, comme le plus sĂ»r garant de la chastetĂ© quâun prĂȘtre doit garder. En consĂ©quence, il demanda dâĂȘtre Ă©levĂ© Ă la prĂȘtrise; mais, au lieu de lui accorder cette faveur, on le chassa de lâ retirĂ© dans un canton de lâArabie avec ses partisans, dont le tempĂ©rament Ă©tait conforme au sien, et qui en avaient apaisĂ© la fougue par le mĂȘme remĂšde, travailla , autant quâil put, Ă grossir le nombre des eunuques. Il ne tint pas Ă lui que la terre ne fĂ»t bientĂŽt dĂ©peuplĂ©e dâhabitants; car il enseignait publiquement que tout homme Ă©tait obligĂ©, en conscience, de se mutiler, et que, sans cette opĂ©ration nĂ©cessaire, il nây avait point de salut Ă espĂ©rer. Son zĂšle ne sâen tint pas aux simples exhortations tous ceux qui, malheureusement, tombaient entre ses mains, ou dans celles de ses disciples, Ă©taient Ips victimes de son fanatisme. ValĂ©sius les mettait, malgrĂ© eux, Ă lâabri des tentations. Aussi jamais retraite de brigands ne fut Ă©vitĂ©e avec plus de soin que le canton habitĂ© par YalĂ©sius. » DelacĂŒoix, Dictionnaire des Cultes religieux, art. YalĂ©sius. 38 DEUXIĂME LEĂON, si souvent donnĂ© lieu Ă des collisions sanglantes. Je ne vous dirai donc rien, ni dâArius, ni dâApollinaire, ni dâEutiehes, ni de SĂ©vĂšre 1 , ni bien moins encore de ces sectaires obscurs dont le rĂŽle, de JĂ©sus-Christ Ă Mahomet et de Mahomet Ă Luther, fut dâinfecter de leur folie quelque petit coin du globe. Mais Ă Luther je mâarrĂȘte, et je vous demande la permission de jeter avec vous un coup dâĆil rapide sur lâensemble et la succession des Ă©vĂ©nements de la rĂ©forme, dont la plupart me semblent porter le cachet de lâentraĂźnement magnĂ©tique. La rĂ©forme fut en Europe la contre-partie des croisades; câest-Ă -dire que cet engouement irraisonnĂ©, ce zĂšle ardent et fanatique que les prĂ©dications de saint Bernard et de Pierre lâHermite avaient autrefois suscitĂ© contre les infidĂšles, se tourna tout Ă coup contre lâĂglise catholique, et surtout contre la papautĂ©. Martin Luther fut le boute-feu de cette rĂ©volution, dont Zwingle et Jean Calvin rĂ©gularisĂšrent les effets. De ces trois hommes, dont lâapparition fut le grand Ă©vĂ©nement du xvi e siĂšcle, et dont les doctrines,, aprĂšs avoir coĂ»tĂ© * Les sĂ©vĂ©riens, pourtant, mĂ©riteraient bien une mention. SĂ©vĂšre, un des plus lĂ©gitimes aĂŻeux du manichĂ©isme, enseignait que le corps humain, depuis la tĂȘte jusquâau nombril, avait Ă©tĂ© créé par le bon principe , et le reste du corps par le mauvais. Passanten- suite Ă tout ce qui environne lâhomme, il enseignait que lâĂȘtre bienfaisant avait placĂ© autour de lui des objets propres Ă entretenir lâorganisation du corps sans exciter les passions, et que lâĂȘtre malfaisant, au contraire, avait mis autour de lui tout ce qui pouvait Ă©teindre la raison et allumer les passions. Ainsi, lâeau, qui calme et dĂ©saltĂšre, Ă©tait lâĆuvre de Dieu ; le vin et les femmes, les oeuvres du diable. » BĂ©rault-Beucastel , Histoire de lâEglise. HISTOIRE DU MAGNĂTISME. ?.9 tant de sang Ă lâEurope , se partagent encore aujourdâhui la moitiĂ© delĂ chrĂ©tientĂ©, le premier Ă©tait un simple professeur de Wurtemberg, qui, sâavisant un jour de f prĂȘcher contre les indulgences, se fit en quelques annĂ©es ! un parti si nombreux quâil put dĂ©fier impunĂ©ment j Charles-Quint et LĂ©on X. Le second Ă©tait un contro- versiste habile, mais moins influent que ses collĂšgues, parce quâil se montrait plus modĂ©rĂ©; le troisiĂšme enfin, j. fanatique enragĂ©, qui brĂ»lait ses adversaires quand il \ ne pouvait les convaincre se distinguait bien plus encore par la violence de son caractĂšre que par son talent dâĂ©crivain. Je suis loin dâailleurs dâen disconvenir, Luther, Zwingle et Calvin Ă©taient tous trois hommes dâintelligence, sinon mĂȘme hommes de gĂ©nie; mais quâeussent-ils fait de cette intelligence, sans lâart de mettre en jeu le grand levier dont jâai parlĂ©, sans le secret dâĂ©mouvoir les cĆurs en bouleversant la raison, sans le secours du fanatisme? En effet, câest par fanatisme que le peuple tient Ă la religion quâil pratique j. sans la comprendre, comme câest par fanatisme quâil ĂŻ lâabjure lorsquâil se prend Ă en changer. Je crois parce l que câest absurde, » disait saint Augustin Ă propos des t miracles; mais cette proposition supposait une subtilitĂ© , de dialectique dont le peuple est incapable; il croit parce quâil croit, câest-Ă -dire sans jamais se demander compte des motifs de sa foi. Les inductions de lâhistoire sembleraient mĂȘme prouver que la foi est dâautant plus vive quâelle est moins raisonnĂ©e, de mĂȘme que, dans 1 TĂ©moin lâinfortunĂ© Servet, brĂ»lĂ© en 1 553 pour avoir niĂ© le mystĂšre de la Sainte-TrinitĂ©. 40 DEUXIĂME LEĂON, lâamour vrai, lâesprit nâentre pour rien Je veux donc bien supposer puisquâon assure que les thĂ©ologiens se comprennent que les arguments allĂ©guĂ©s par Luther, Zwingle et Calvin, en faveur de la nouvelle doctrine, Ă©taient de nature Ă sĂ©duire les ennemis Ă©clairĂ©s de la cour de Rome; mais jâajoute avec conviction que le fond de cette doctrine Ă©tait lettre close pour la majeure partie des masses qui se passionnaient pour elle. YoilĂ pourquoi Bossuet prenait une peine inutile en rĂ©futant Calvin; car le livre des Variations nâempĂȘchait nullement le bon peuple dâAllemagne dâabjurer le catholicisme avec la mĂȘme passion, avec la mĂȘme frĂ©nĂ©sie que, quelques siĂšcles auparavant, il se faisait Ă©gorger pour lui. On peut dâailleurs suivre jusque dans ses derniers rameaux la marche de la rĂ©forme le porte-Ă©tendard de la foi nouvelle est presque toujours un homme du peuple. Tandisque Carlostadt,OEcolampade, etc., modifient les idĂ©es de leur maĂźtre en se les appropriant, un car- deur de laine 3 devient en France le principal apĂŽtre du calvinisme, et prĂȘche en qualitĂ© de ministre dans la premiĂšre association protestante formĂ©e dans notre pays. Que vous dirai-je enfin? Des triumvirs de la rĂ©forme, lâerreur ou la vĂ©ritĂ© rayonnait sur toute lâEurope, et la fiĂšvre qui les dĂ©vorait avait passĂ© dans toutes les tĂȘtes. A la main de chacun dâeux aboutissaient en faisceau les fils conducteurs qui les mettaient en rapport avec les millions dâorganismes subjuguĂ©s par leur puissance. ' VoilĂ pourquoi les femmes, qui gĂ©nĂ©ralement raisonnent moins que les hommes, sont plus quâeux susceptibles de piĂ©tĂ© et dâamour. a Cet homme sâappelait Jean Leclerc. Il finit, comme tant dâautres, par se faire brĂ»ler Ă Met?. par excĂšs de dĂ©votion. 41 HISTOIRE BU MAGNĂTISME. Quelques fils Ă la fin se rompirent dans lâespace,et voilĂ comment des enfants perdus du luthĂ©ranisme ou du calvinisme, rĂ©flĂ©chissant Ă leur tour, mais en la rĂ©fractant, la prĂ©tendue lumiĂšre quâils avaient reçue de leurs maĂźtres, fondĂšrent ces sectes sans nombre, dont deux seulement vont nous occuper, celles des quakers et des camisards. Voici comment Voltaire fait lâhistoire du quakerisme Ce fut dans le temps que trois ou quatre sectes dĂ©chiraient la Grande-Bretagne par des guerres civiles entreprises au nom de Dieu quâun nommĂ© George Fox, du comtĂ© de Leicester, fils dâun ouvrier en soie, sâavisa de prĂȘcher en vrai apĂŽtre, Ă ce quâil prĂ©tendait, câest- Ă -dire sans savoir ni lire ni Ă©crire; câĂ©tait un jeune homme de vingt-cinq ans, de mĆurs irrĂ©prochables, et seulement fou. Il Ă©tait vĂȘtu de cuir depuis les pieds jusquâĂ la tĂȘte ; il allait de village en village, criant contre la guerre et contre le clergĂ©. Sâil nâavait prĂȘchĂ© que contre les gens de guerre, il nâaurait eu rien Ă craindre; mais il attaquait les gens dâĂ©glise, il fut bientĂŽt mis en prison on le mena Ă Derby devant le juge de paix; Fox sĂ© prĂ©senta au juge avec son bonnet de cuir sur la tĂȘte; un sergent lui donna un grand soufflet en lui disant Gueux , ne sais-tu pas quâil faut paraĂźtre tĂȘte nue devant monsieur le juge? » Fox tendit lâautre joue, et pria le sergent de vouloir bien lui donner un autre soufflet pour lâamour de Dieu. Le juge de Derby voulut lui faire prĂȘter serment avant de lâinterroger Mon ami, sache, dit-il au juge, que je ne prends jamais le nom de Dieu en vain.» Le juge, en colĂšre dâĂȘtre tutoyĂ©, et voulant quâon jurĂąt, lâenvoya 42 DEUXIĂME EEĂON. aux Petites-Maisons de Derby pour y ĂȘtre fouettĂ©. Fox alla en louant Dieu Ă lâhĂŽpital des fous, ou lâon ne manqua pas dâexĂ©cuter la sentence Ă la rigueur. Ceux qui lui infligĂšrent la pĂ©nitence du fouet furent bien surpris quand il les pria de lui appliquer encore quelques coups de verges pour le bien de son Ăąme. Ces messieurs ne se firent pas prier Fox eut sa double dose, dont il les remercia trĂšs-cordialement ; puis il se mit Ă les prĂȘcher; dâabord on rit, ensuite on lâĂ©couta, et comme lâenthousiasme est une maladie qui se gagne, plusieurs furent persuadĂ©s, et ceux qui lâavaient fouettĂ© devinrent ses premiers disciples. DĂ©livrĂ© de la prison , il courut les champs avec une douzaine de prosĂ©lytes, prĂȘchant toujours contre le clergĂ© et fouettĂ© de temps en temps. On jour, Ă©tant mis au pilori, il harangua tout le peuple avec tant de force quâil convertit une cinquantaine dâauditeurs, et mit le reste tellement dans ses intĂ©rĂȘts quâon le tira en tumulte du trou oĂč il Ă©tait; on alla chercher le curĂ© anglican dont le crĂ©dit avait fait condamner Fox Ă ce supplice, et on le piloria Ă sa place. 11 osa bien convertir quelques soldats de Crom- wel, qui renoncĂšrent au mĂ©tier de tuer, et refusĂšrent de prĂȘter le serment. Cromwel ne voulait pas dâune secte oĂč lâon ne se battait point, de mĂȘme que Sixte Y augurait mal dâune secte dove non si chiavciva il se servit de son pouvoir pour persĂ©cuter ces nouveaux venus. On en remplissait les prisons; mais les persĂ©cutions ne servent presque jamais quâĂ faire des prosĂ©lytes ils sortaient de leurs prisons affermis dans leur crĂ©ance, et suivis de leurs geĂŽliers quâils avaient convertis. 43 HISTOIRE DU MAGNĂTISME. Mais voici ce qui contribua le plus Ă Ă©tendre la secte Fox se croyait inspirĂ©; il crut par consĂ©quent devoir parler dâune maniĂšre diffĂ©rente des autres hommes. Il se mit Ă trembler,Ă faire des contorsions et des grimaces, Ă retenir son haleine, Ă la pousser avec violence la prĂȘtresse de Delphes nâeĂ»t pas mieux fait. En peu de temps il acquit une grande habitude dâinspiration, et bientĂŽt aprĂšs il no fut guĂšre en son pouvoir de parler autrement. Ce fut le premier don quâil communiqua Ă ses disciples. Ils firent de ferme foi toutes les grimaces de leur maĂźtre; ils tremblaient de toutes leurs forces au moment de lâinspiration. DelĂ ils eurent le nom de quakers , qui signifie trembleurs. Le petit peuple sâamusait Ă les contrefaire; on tremblait, on parlait du nez, on avait des convulsions, et on croyait avoir le Saint-Esprit '. » Ce rĂ©cit, en vĂ©ritĂ©, nâa pas besoin de commentaire. Mais voulez-vous Ă prĂ©sent que je finisse en quatre mots lâhistoire du quakerisme? Ce Fox quâon traitait dâilluminĂ©, cet Ă©nergumĂšne qui ne savait pas lire 2 , gagna pourtant Ă sa doctrine le cĂ©lĂšbre Guil laume Penn 3 , qui Ă©tablit la puissance des quakers en AmĂ©rique, et qui les aurait rendus respectables en Europe si les hommes pouvaient respecter la vertu sous des apparences ridicules. Guillaume Penn, Ă son â Voltaire , MĂ©langes de Litl. , t. I, p. 4 1 et suiv. * Mahomet avait Ă©tĂ© dans le mĂȘme cas voilĂ pourquoi il nâ Ă©crivit pas le Coran, mais le dicta Ă ses disciples. s Guillaume Penn, ou William Penn, un deshommes les plus intelligents de la Grande-Bretagne, Ă©tait le fils unique du chevalier Penn, vice-amiral dâAngleterre et favori du duc dâYork, depuis Jacques II. U BBĂXIĂMB LEĂON, tour, convertit le philosophe Barclay, qui eĂ»t fait un quaker du roi Charles II si la conversion dâun roi eĂ»t Ă©tĂ© chose possible. Remarquez, au reste, que dans tout ceci il nâentre pas dans ma pensĂ©e de me moquer des quakers. Loin de lĂ , je les tiens pour les plus honnĂȘtes gens du monde, et je ne leur trouve que deux torts celui de se croire les seuls vrais catholiques, et celui, beaucoup plus grave peut-ĂȘtre, de ne point porter de boutons sur leurs habits, car ce fut lĂ ce qui les perdit leurs enfants, dit Voltaire, se faisaient protestants pour ĂȘtre Ă la mode. En dĂ©finitive, lâhistoire du quakĂ©risme nous prouve que, heureusement, la vertu est contagieuse comme le vice, et que'le bien sait voler, comme le mal, sur les ailes du magnĂ©tisme. Parlons maintenant des camisards. En i685, aprĂšs la rĂ©vocation de lâĂ©dit de Nantes, cet acte impolitique et dĂ©loyal du grand Roi, trompĂ© par son confesseur et ses maĂźtresses, les protestants desCĂ©venues et du GĂ©vaudan, ancien foyer de lâhĂ©rĂ©sie manichĂ©enne des Albigeois, privĂ©s de leurs ministres, dont la plupart avaient pris la fuite, de leurs temples quâon avait abattus, se rĂ©unissaient dans la solitude des forĂȘts pour y vaquer aux pratiques de leur culte. En butte Ă toutes les vexations imaginables, poursuivis, traquĂ©s comme des bĂȘtes fauves par les vrais catholiques et par les agents de lâautoritĂ©, lâĂ©tat de crainte et dâanxiĂ©tĂ© perpĂ©tuelles dans lequel ces malheureux se virent condamnĂ©s Ă vivre ne tarda point Ă altĂ©rer la raison dâun grand nombre dâentre eux, et Ă provoquer chez quelques-uns des accĂšs d 'extase et diverses aber- HISTOIRE DU MAGNETISME. 45 rĂąlions nerveuses qui se communiquĂšrent aux autres. Lâextase, en effet, peut, Ă lâaide de certaines conditions particuliĂšres, devenir rapidementcontagieuse dans une rĂ©union dâhommes elle les gagne de proche en proche comme le bĂąillement sympathique qui circule dans une sociĂ©tĂ© dont quelques membres sâennuient. Cette contagion du bĂąillement est un fait magnĂ©tique connue celle de toutes les nĂ©vroses. Dans les conjonctures dont il sâagit, le rapprochement forcĂ© des infortunĂ©s camisards 1 favorisait donc la propagation des phĂ©nomĂšnes insolites quâun petit nombre prĂ©senta dans le principe, et qui, plus tard, se multipliĂšrent dâune façon si prodigieuse. Mais ce qui est digne de remarque, câest que ces phĂ©nomĂšnes nâeurent point la spontanĂ©itĂ© que leur attribuent, en gĂ©nĂ©ral, des historiens mal informĂ©s. Ici comme toujours, lâĂ©pidĂ©mie eut son point de dĂ©part, lâinfection eut son foyer. Les camisards avaient des chefs dont lâesprit les dominait, et dont lâexaltation les poussa bientĂŽt aux derniers termes du fanatisme. Affaiblis par les privations et par les jeĂ»nes quâon leur imposait, lâexubĂ©rance dâune sensibilitĂ© factice les livrait Ă la merci de quelques fous furieux. Afin que pas un de vous ne suppose que, pour mettre ces faits en harmonie avec mou systĂšme et mes idĂ©es, je les altĂšre et les dĂ©nature en vous les racontant, la narration que je vais vous soumettre est celle dâun thĂ©ologien qui ne songeait guĂšre au magnĂ©tisme 1 Ils Ă©talent ainsi nommĂ©s dâune sorte de blouse blanche en languedocien, camise que portaient les habitants desCĂ©vennes et quâils avaient adoptĂ©e. 46 DEUXIĂME LEĂON. Un vieux calviniste, nommĂ© Du Serre, choisit dans son voisinage quinze jeunes garçons, que leurs parents lui confiĂšrent volontiers, et il fit donnera sa femme, quâil associa Ă son emploi, pareil nombre de filles. Ces enfants nâavaient reçu pour premiĂšre leçon du christianisme que des sentiments dâhorreur et dâaversion pour lâEglise romaine. Ils avaient donc une disposition naturelle au fanatisme; dâailleurs ils Ă©taient fort ignorants; ils Ă©taient placĂ©s au milieu des montagnes du DauphinĂ©, dans un lieu couvert dâĂ©paisses forĂȘts, environnĂ© de rochers et de prĂ©cipices, Ă©loignĂ© de tout commerce, et pleins de respect pour Du Serre, que tous les protestants du canton rĂ©vĂ©raient comme un des hĂ©ros du parti protestant. » Du Serre, leur dit que Dieu lui avait donnĂ© son esprit, quâil avait le pouvoir de le communiquer Ă qui bon lui semblait, et quâil les avait choisis pour les rendre prophĂštes et prophĂ©tesses, pourvu quâils voulussent se prĂ©parer Ă recevoir un si grand don de la maniĂšre que Dieu lui avait prescrite. Les enfants, enchantĂ©s dç leur destination, se soumirent Ă tout ce que Du Serre leur ordonna. La premiĂšre prĂ©paration Ă la prophĂ©tie fut un jeĂ»ne de trois jours, aprĂšs lequel Du Serre les entretint dâapparitions, de visions, dâinspirations. Il remplit leur imagination des images les plus effrayantes et des espĂ©rances les plus magnifiques, il leur fit apprendre par cĆur les endroits de lâApocalypse oĂč il est parlĂ© de lâanteehrist, de la destruction de son empire et de la dĂ©livrance de lâĂglise; il leur disait que le pape Ă©tait cet antechrist, que lâempire qui devait ĂȘtre dĂ©truit Ă©tait HISTOĂKE DU MAGNĂTISME. 47 le papisme, et que la dĂ©livrance de l'Eglise Ă©tait le rĂ©tablissement de la prĂ©tendue rĂ©forme. Du Serre apprenait en mĂȘme temps Ă ses prophĂštes Ă accompagner leurs discours de postures propres Ă en imposer aux simples 1 ; ils tombaient Ă la renverse, fermaient les yeux, gonflaient leur estomac et leur gosier, tombaient dans un assoupissement profond, se rĂ©veillaient tout Ă coup, et dĂ©bitaient avec un ton audacieux tout ce qui sâoffrait Ă leur imagination. Lorsque quelquâun des aspirants au don de prophĂ©tie Ă©tait en Ă©tat de bien jouer son rĂŽle, le maĂźtre-prophĂšte assemblait le petit troupeau, plaçait au milieu le prĂ©tendant, lui disait que le temps de son inspiration Ă©tait venu; aprĂšs quoi, dâun air grave et mystĂ©rieux, il le baisait, lui soufflait dans la bouche, et lui dĂ©clarait quâil avait reçu lâesprit de prophĂ©tie ; tandis que les autres, saisis dâĂ©tonnement, attendaient avec respect la naissance du nouveau prophĂšte, et soupiraient en secret aprĂšs le moment de leur installation. BientĂŽt Du Serre ne put contenir lâardeur dont il avait embrasĂ© ses disciples; il les congĂ©dia, et les envoya dans les lieux oĂč il croyait quâils jetteraient un plus grand Ă©clat. Au moment de leur dĂ©part, il les exhorta Ă communiquer le don de prophĂ©tie Ă tous ceux qui sâen * Il est probable que lâhistorien fait une supposition purement ' gratuite en avançant que du Serre apprenait Ă ses prophĂštes Ă accompagner leurs discours de postures propres Ă en imposer aux simples. Ces postures nâĂ©taient pas plus Ă©tudiĂ©es que ne lâĂ©taient autrefois les contorsions de la Pythie de Delphes, ou celles des convul iannaires de Saint-MĂ©dard. Mais nous devons pardonner cette critique, si naturelle de la part dâun homme sensĂ©, condamnĂ© Ă raconter des choses auxquelles il ne comprend rien. 48 DEUXIĂME LEOOX. trouveraient digues, aprĂšs les y avoir prĂ©parĂ©s de la mĂȘme maniĂšre dont ils avaient Ă©tĂ© disposĂ©s eux- mĂȘmes, et leur rĂ©itĂ©ra les assurances quâil leur avait donnĂ©es que tout ce quâils prĂ©diraient arriverait infailliblement. Deux des disciples de Du Serre se signalĂšrent entre les autres, la bergĂšre de Crest, surnommĂ©e la belle Isabeau, et Gabriel Astier, du village de Clien, en DauphinĂ©. La bergĂšre de Crest alla Ă Grenoble, oĂč, aprĂšs avoir jouĂ© son rĂŽle quelque temps, elle fut arrĂȘtĂ©e, et quelque temps aprĂšs convertie; mais sa dĂ©fection nâĂ©teignit pas lâesprit de prophĂ©tie. Les autres disciples de Du Serre se rĂ©pandirent dans le DauphinĂ© et dans le Vivarez,oĂč lâesprit prophĂ©tique se multiplia si prodigieusement quâil y avait des villages qui nâavaient plus que des prophĂštes pour habitants. On voyait des troupes de deux ou trois cents petits prophĂštes se former dans une nuit, prĂȘcher et prophĂ©tiser sans cesse, en public, au milieu des villages, et Ă©coutĂ©s par une multitude dâauditeurs Ă genoux pour recevoir leurs oracles. Si dans lâassemblĂ©e il y avait de plus grands pĂ©cheurs que les autres^ les prĂ©dicateurs les appelaient Ă eux; ils tombaient dans des tourments terribles, dans des convulsions, jusquâĂ ce que les pĂ©cheurs se fussent approchĂ©s dâeux. Ils mettaient les mains sur eux, et criaient sur leurs tĂȘtes, misĂ©ricorde et grĂące, exhortant les pĂ©cheurs Ă la repentance et le public Ă prier Dieu quâil leur pardonnĂąt. Si les pĂ©cheurs se repentaient sincĂšrement , ils tombaient eux- 49 HISTOIRE 1U MAGNĂTISME, mĂȘmes par terre, comme morts; rendus Ă eux, ils sentaient line fĂ©licitĂ© inexprimable. Cette espĂšce de ministĂšre nâĂ©tait pas exercĂ© seulement par des personnes dâun Ăąge mĂ»r et dâun caractĂšre respectable, mais par des bergers de quinze ou seize ans, quelquefois de huit ou de neuf, qui sâassemblaient, tenaient consistoire, et y faisaient faire Ă cinquante ou soixante pĂ©nitents rĂ©paration de leur apostasie, câest-Ă -dire de leur retour Ă lâEglise romaine; ces enfants sâacquittaient de ces fonctions avec une autoritĂ© de maĂźtres, questionnaient avec sĂ©vĂ©ritĂ© les pĂ©cheurs, leur dictaient eux-mĂȘmes la priĂšre par laquelle ils devaient tĂ©moigner leur repentance, et la finissaient par une absolution exprimĂ©e par ces paroles Dieu vous en fasse la grĂące ! Les accĂšs de prophĂ©tie variaient dans leur forme, la rĂšgle ordinaire Ă©tait de tomber, de sâendormir, ou dâĂȘtre surpris dâun assoupissement, auquel se joignaient des mouvements convulsifs; les exceptions Ă la rĂšgle furent de sâagiter et de prophĂ©tiser en veillant, quelquefois dans une extase simple, souvent avec quelques convulsions. Ces prophĂštes avaient formĂ© des attroupements dans le DauphinĂ© et dans le Vivarais, qui furent dissipĂ©s par M. de Broglie, lieutenant gĂ©nĂ©ral, et par M. de Barville, intendant de la province. Lefeu du fanatisme ne fut cependant pas Ă©teint,et lâesprit prophĂ©tique se perpĂ©tua secrĂštement et entretint dans les calvinistes lâespĂ©rance du rĂ©tablissc- 4 50 DEUXIĂME LEĂON, ment de leur secte. Les habitants de ces provinces Ă©taient presque tous des protestants Ă©levĂ©s et nourris grossiĂšrement. Ils roulĂšrent toujours dans leurs tĂȘtes ces idĂ©es dâinspiration que la solitude, leur maniĂšre de vivre, et peut-ĂȘtre le zĂšle indiscret et dur des catholiques fortifiaient en sorte que dans ces contrĂ©es lâenthousiasme et le fanatisme nâattendaient pour agir quâune occasion. Lâimpuissance prĂ©textĂ©e ou rĂ©elle de payer la capitation fut ou la cause ou lâoccasion qui fit Ă©clater le fanatisme et le mĂ©contentement de ces peuples. Ils se rĂ©voltĂšrent, les prophĂštes parurent aussitĂŽt sur la scĂšne, les puissances qui Ă©taient en guerre avec la France les secondĂšrent, et le Languedoc fut le théùtre dâune des plus cruelles et des plus horribles guerres civiles quâon ait vues, etc., etc. 1 » Lâouvrage auquel nous empruntons ces dĂ©tails fut imprimĂ© Ă Paris en i 762,câest-Ă -dire environ quinze ans avant lâarrivĂ©e de Mesmer en France. Lâauteur nâavait donc pu emprunter Ă la thĂ©orie mesmĂ©rienne la couleur trĂšs-caractĂ©ristique rĂ©pandue sur son rĂ©cit. InterprĂšte fidĂšle et dĂ©sintĂ©ressĂ© des tĂ©moins oculaires, il raconte avec impartialitĂ© les Ă©vĂ©nements tels quâil les a trouvĂ©s dans les chroniques contemporaines , et tout nous porte Ă croire que les choses se sont passĂ©es de la maniĂšre dont il les rapporte. Or, consultez sans prĂ©vention les ouvrages spĂ©ciaux publiĂ©s depuis sur le magnĂ©tisme par les disciples de Mesmer. ArrĂȘtez-vous * PtUQUET, MĂ©moires pour servir Ă lâHistoire des Ă©garements de lâesprit humain, t. I, p. 3g'2 et suiv. HISTOIRE DU MAGNĂTISME. 51 dans ces ouvrages Ă la description des procĂ©dĂ©s en usage parmi les magnĂ©tiseurs modernes, ainsi quâĂ la description des phĂ©nomĂšnes physiologiques qui rĂ©sultent de leur application, et vous reconnaĂźtrez avec nous quâil existe entre lâinsufflation cabalistique de Du Serre et lâart actuel de magnĂ©tiser la plus frappante analogie, de mĂȘme quâentre lâĂ©tat symptomatologique de nos somnambules et les Ă©tranges manifestations de l 'esprit prophĂ©tique parmi les inspirĂ©s des CĂ©vennes. Nos leçons ultĂ©rieures vous apprendront mĂȘme quâil y a entre les deux faits plus que de lâanalogie, et quâune Ă©tude plus approfondie en dĂ©montre lâidentitc. Le calviniste Du Serre pratiquait donc, Ă la fin du xvn° siĂšcle, ce que Mesmer ou de PuysĂ©gur dĂ©couvraient cent ans plus tard. On conçoit au reste Ă merveille comment, Ă lâĂ©poque des eami- sards, personne ne se soit avisĂ© de donner une explication scientifique des prodiges qui sâaccomplissaient dans les retraites de ces malheureux. Le fanatisme jetait un voile sacrĂ© sur tout ce qui, de prĂšs ou de loin, touchait Ă la religion. La France Ă©tait en feu, lâesprit de vertige gagnait les plus sensĂ©s; on se battait pour sauver son Ăąme, et tous les intĂ©rĂȘts dâici-bas sâeffacaient en prĂ©sence des intĂ©rĂȘts de lâautre vie. Dans le Midi, par exemple, il nây avait plus de Français, mais des Ă©lus et des damnĂ©s les damnĂ©s Ă©taient les calvinistes quâon Ă©gorgeait au nom du Christ, et leurs bourreaux Ă©taient les Ă©lus. Chacun, au reste, avait son tour, et les reprĂ©sailles Ă©taient terribles. Victimes ou bourreaux, tous Ă©taient en dĂ©mence ; et avec la croyance 52 DEUXIĂME LEĂON'âą stupide oĂč lâon Ă©tait que dans cette horrible mĂȘlĂ©e le CrĂ©ateur lui-mĂȘme Ă©tait aux prises avec lâesprit du mal, il Ă©tait juste quâon rapportĂąt directement Ă lâune ou Ă lâautre de ces deux puissances tous les Ă©vĂ©nements extraordinaires que faisait naĂźtre un pareil dĂ©sordre. Tout dans ces temps maudits venait du ciel ou de lâenfer, et les miracles, en consĂ©quence, nâĂ©tonnaient plus personne. CâĂ©tait, au dire des protestants, le Saint-Esprit que Jean Du Serre soufflait Ă scs prophĂštes, et le mĂȘme Du Serre, pour les catholiques, Ă©tait lâagent du diable. Cela convenu, tout Ă©tait dit, et malheur au calviniste qui eĂ»t niĂ© le Saint-Esprit, aussi bieii quâau catholique qui nâeĂ»t pas cru au diable ! lâun ou lâautre eĂ»t payĂ© de sa vie cet imprudent anachronisme. Câest avec ce systĂšme dâintimidation que lâaveugle moyen Ăąge a perpĂ©tuĂ© son ignorance; car si lâignorance engendre le fanatisme, le fanatisme, Ă son tour, la protĂšge et lâentretient. VoilĂ donc comment les xv% xvt' et xvu e siĂšcles ne nous ont laissĂ© sur leurs sorciers, leurs possĂ©dĂ©s, leurs convulsionnaires, etc., que des lĂ©gendes dĂ©figurĂ©es par lâesprit de superstition et totalement dĂ©nuĂ©es de critique. Une Ă©poque intĂ©ressante de lâhistoire du magnĂ©tisme est pourtant dans ces lĂ©gendes; malheureusement, le peu de certitude et de garanties quelles prĂ©sentent ĂŽtera toujours aux Ă©rudits le courage de les dĂ©pouiller. Je vous dirai pourtant tout Ă lâheure quelques mots des magiciens et des sorciers du moyen Ăąge; mais je veux, avant tout, attirer votre attention sur une particularitĂ© 53 HISTOIRE DU MAGNĂTISME, commune aux quakers, aux camisards et Ă une foule dâautres sectaires je veux parler du tremblement qui accompagnait Xinspiration, ou qui plutĂŽt marquait lâinstant oĂč lâinspiration Ă©tait donnĂ©e. Le tremblement et la convulsion sont deux faits de mĂȘme nature ; lâun et lâautre consistent dans un mouvement involontaire et dĂ©sordonnĂ©, qui suppose ou quelque lĂ©sion physique des centres nerveux, ou quelque autre cause entraĂźnant Ă©ventuellement aprĂšs elle une sorte de dĂ©sassociation momentanĂ©e ou persistante entre le corps et lâintellect; lâexpĂ©rience vous prouvera par la suite que le magnĂ©tisme produit quelquefois cette espĂšce de dĂ©sordre. Câest alors que lâagent extĂ©rieur, quâune puissance mystĂ©rieuse et Ă©trangĂšre Ă lâorganisme, prend possession du corps et soustrait momentanĂ©ment ses actes Ă lâempire de la raison. Le tremblement et les convulsions sont donc, Ă mon avis, des symptĂŽmes de la domination magnĂ©tique. Ces symptĂŽmes, qui se manifestaient frĂ©quemment autour des baquets de Mesmer, rĂ©sultent peut-ĂȘtre dâune lutte tacite entre lâintelligence qui dĂ©fend ses droits et la volontĂ© du magnĂ©tiseur qui cherche Ă sâen emparer. Au moins nous est-il dĂ©montrĂ©, par de nombreuses observations, que le mouvement convulsif provient frĂ©quemment dâune action magnĂ©tique incomplĂšte 1 ,ou provoquant, par un excĂšs dâactivitĂ©, une rĂ©- ' VoilĂ pourquoi les personnes magnĂ©tisĂ©es malgiâĂ© leur volontĂ© sont si exposĂ©es Ă Ă©prouver des convulsions qui ne cessent quâĂ lâinstant oĂč leur volontĂ© vaincue les abandonne Ă leur magnĂ©tiseur. 54 DEUXIĂME LEĂON. sistance involontaire du magnĂ©tisĂ©. Le tremblement des quakers et les convulsions des earnisards 4 ont 1 Le fait suivant, rapportĂ© rĂ©cemment par les journaux, peut servir de complĂ©ment Ă lâhistoire des quakers et des earnisards 11 vient de se fonder tout rĂ©cemment Ă Kuenheiin, petite commune situĂ©e Ă i a kilomĂštres de Colmar, une secte religieuse, une sociĂ©tĂ© de convulsionnaires, sur laquelle nous avons recueilli des dĂ©tails assez curieux. Cette sociĂ©tĂ©, qui procĂšde Au piĂ©tisme, comme le piĂ©tisme procĂšde du protestantisme, se compose de trente Ă quarante membres, hommes, felnmes, enfants, presque tous journaliers et assez misĂ©rables. Elle se rĂ©unit trois fois par semaine dans la maison de son chef, qui est un cultivateur peu aisĂ©, jeune encore, et qui sâest toujours fait remarquer par son exaltation religieuse. Sur la table se trouve une Bible ouverte, dans laquelle le chef lit Ă haute voix aux sectaires assis sur des bancs ou se tenant debout autour de lui. Cette lecture se fait dâun ton solennel, dâabord en allemand, seule langue que comprennent les assistants, puis arrive un jargon incomprĂ©hensible pour tout le monde, et mĂȘme pour lâorateur lui- mĂȘme Si, aprĂšs la sĂ©ance, vous demandez au chef dans quelle langue il a parlĂ©, il vous rĂ©pondra que câĂ©tait, tantĂŽt en latin, tantĂŽt en hĂ©breu; quâil ne connaĂźt ni le latin ni lâhĂ©breu, mais que, dans ces moments-lĂ , il est inspirĂ© par Dieu, qui lui fait parler la langue quâil veut. A mesure que le jargon de lâorateur devient plus rapide, plus fort et plus inintelligible, lâassemblĂ©e murmure, sâagite, parle haut, et enfin tous se mettent Ă rugir, Ă hurler dâune maniĂšre si terrible quâon les entend jusque dans la forĂȘt voisine, Ă plus dâun kilomĂštre de lĂ . Au milieu de cette agitation, les femmes se lĂšvent ce sont presque toujours les plus jeunes, agitent les bras au-dessus de la tĂȘte, tournant sur les talons en jetant des cris perçants qui dominent ce bruit sauvage; puis un mouvement convulsif sâempare de tout leur corps, et elles tombent comme Ă©puisĂ©es de fatigue. Des filles de douze Ă quinze ans sont atteintes aussi de ce paroxysme dâexaltation. Lorsque ces femmes se relĂšvent, aprĂšs un intervalle de dix minutes, elles se remettent Ă danser, Ă chanter et Ă rire, mais dâun rire nerveux comme celui de lâivresse ou de la folie ; leurs danses et leurs chants sont incohĂ©rents, dĂ©vergondĂ©s ; leurs yĂ©ux sont brillants, et les larmes coulent sur les joues de ces malheureuses. Ce spectacle a quelque chose de triste et de poignant. Pendant cet hor- 55 HISTOIRE DU MAGNĂTISME, donc en physiologie une valeur significative. Lâhistoire des uns et des autres devait nous conduire, par une transition naturelle, des faits magnĂ©tiques purement moraux , dont je vous ai entretenus dâabord, aux faits magnĂ©tiques purement physiques , dont je vais Ă prĂ©sent vous parler. Dans certaines circonstances , sur lesquelles jâaurai plus dâune fois, par la suite, lâoccasion de revenir, le magnĂ©tiseur ayant la conscience de son pouvoir, et agissant sciemment, sâempare dâune maniĂšre tellement absolue de lâorganisation du magnĂ©tisĂ© que celui-ci ne sâappartient plus et fait involontairement au premier lâabandon le plus explicite de toutes les parties de son ĂȘtre. Son corps nâest plus alors quâun instrument passif dont lâĂąme semble ĂȘtre sĂ©parĂ©e, dont il ne reçoit plus dâimpressions,enfin,dont les mouvements ou lâimmobilitĂ© ne dĂ©pendent plus de lui. Le magnĂ©tiseur, au contraire, en dispose Ă son grĂ©; les convulsions ou la roideur tĂ©tatique sây forment Ă sa voix *, il est lâame , rible vacarme, lâorateur conserve le calme dâun chef inspirĂ©. Il sâavance au milieu de ses disciples au moment oĂč lâagitation va se calmer; alors ceux qui sont un peu attiĂ©dis par la fatigue sâapprochent de lui ; ils se penchent en avant et le touchent au corps, qui de la tĂȘte, qui de la main ; quelques-uns parviennent seulement Ă le toucher du hout du doigt. Ainsi entourĂ©, le chef recommence son jargon et ses gesticulations emphatiques, en tournant et en faisant tourner autour de lui tous ces individus. Cinq minutes ne sont pas Ă©coulĂ©es que le paroxysme redouble et que de nouvelles convulsions sâemparent des femmes, pour se prolonger pendant neuf ou dix heures, et fort avant dans la nuit, etc. » Estafette du 4 octobre . 844 - * M. Marcillet, que je suis heureux de remercier publiquement de lâaimable concours quâil a bien voulu me prĂȘter Ă mes leçons, 56 DKĂXIĂMB LFCON. en un mot, de celte imicliiue inerte dont le vĂ©ritable maĂźtre est actuellement dĂ©possĂ©dĂ©. Faisons dâailleurs remarquer, par anticipation, que ces sortes dâactions magnĂ©tiques nâont pas lieu seulement dâhomme Ă homme, mais bien de certains hommes Ă certains animaux, et enfin quâelles sâexercent sur les objets inanimĂ©s, auxquels du moins elles semblent communiquer des propriĂ©tĂ©s particuliĂšres. Quoi quâil en soit, ces faits sont rares, et, si lâon en juge par lâanalogie, ils ont dĂ» lâĂȘtre dans tous les temps. 11 nâest donc pas Ă©tonnant que, dans lâantiquitĂ©, on les ait pris pour des miracles, et quâil se soit trouvĂ© des imposteurs, des ambitieux, et peut-ĂȘtre aussi des sages qui sâen soient fait un moyen dâaccrĂ©diter leur doctrine ou leur puissance, en se donnant aux yeux des peuples, pour les interprĂštes de la DivinitĂ© *. Si lâon juge encore de ce qui dut se passer autrefois dâaprĂšs ce qui se passe aujourdâhui, les actions physiques du magnĂ©tisme furent dĂšs le principe, comme Ă ne manque jamais dâouvrir ses sĂ©ances par des expĂ©riences de cette nature. Lejeune Alexis, quâil magnĂ©tise, est assis dans un fauteuil que plusieurs personnes vigoureuses sont chargĂ©es de maintenir, tandis quâun et mĂȘme deux des assistants montent brusquement sur ses jambes Ă©tendues, que ce poids Ă©norme ne fait pas flĂ©chir. Cette expĂ©rience, faite publiquement chez moi Ă plusieurs reprises, a pu ĂȘtre vĂ©rifiĂ©e par la moitiĂ© de Paris. ' DĂšs les temps les plus anciens, les hommes supĂ©rieurs qui voulaient imposer Ă leurs semblables le frein fie la religion prĂ©sentĂšrent les miracles et les prodiges comme des signes certains de leur mission, comme des Ćuvres inimitables de la DivinitĂ©, dont ils Ă©taient les interprĂštes. Saisie dâeffroi, la multitude se courba sous le joug, et lâhomme le plus superbe frappa les marches de lâautel de son front humiliĂ©. » E. , Des Sciences occultes, Paris. i8j5, p. 2 . 57 HISTOIRE IU MAGNĂTISME, prĂ©sent, les seuls Ă©lĂ©ments embrassĂ©s par l'Ă©tude dogmatique du sujet qui nous occupe. entraĂźnement moral, en effet, considĂ©rĂ© isolĂ©ment, ne prĂ©senta jamais rien dâassez distinct des autres actes psychologiques pour devenir, a priori, lâobjet dâune doctrine spĂ©ciale. Quant aux faits mixtes, ils furent de tout temps abandonnĂ©s aux investigations des physiologistes, qui nây virent que des anomalies, de bizarres exceptions Ă lâordre naturel, et qui nâen tirĂšrent, en consĂ©quence , aucune induction gĂ©nĂ©rale. Ainsi compris et circonscrit dans ces limites Ă©troites, le magnĂ©tisme fut pratiquĂ© sous diffĂ©rents noms, depuis les premiers hommes des temps historiques jusquâaux temps oĂč nous vivons. Lâhistoire de la magie est Ă©videmment son histoire, et les Ćuvres des magiciens, rĂ©pĂ©tĂ©es de nos jours pour la plupart par les disciples de Mesmer, ne laissent plus Ă cet Ă©gard subsister lâombre du doute. Longtemps, dit E. Salverte *, la magie a gouvernĂ© le monde. Art sublime dâabord, elle parut une participation au pouvoir de la DivinitĂ© admirĂ©e encore au commencement de notre Ăšre par des philosophes religieux, comme la science qui dĂ©couvre sans voile les Ćuvres de la nature 2 , et conduit Ă contempler les puissances cĂ©lestes 3 , » cent cinquante ans plus tard, le nombre et surtout la bassesse des charlatans qui en faisaient un mĂ©tieravait livrĂ© son nom au mĂ©pris des hommes Ă©clairĂ©s; tellement que le biographe dâApollonius de Tyane, Philostrate, sâempresse dâassurer que 1 Ouvrage citĂ©, p. 87. * Plui. Jud,, lib. De specialibus Legibus, 5 Idem, lib. Qtiod omnin probus liber. 58 DEUXIĂME LEĂON, son hĂ©ros nâĂ©tait pas un magicien *. Dans les tĂ©nĂšbres du moyen Ăąge, la magie, en reprenant de lâimportance, devint un objet dâhorreur et dâeffroi. Depuis un siĂšcle, le progrĂšs des lumiĂšres en a fait un objet de risĂ©e. a Les Grecs imposĂšrent Ă la science qui leur avait Ă©tĂ© enseignĂ©e par les mages 1 2 * le nom de magie, et lui donnĂšrent pour inventeur le fondateur de la religion des mages; mais, selon Annnien Marcellin s , Zoroastre ne fit quâajouter beaucoup Ă lâart magique des ChaldĂ©ens, Da ns les combats soutenus contre Ninus par Zoroastre, roi de la Baclriane, Arnobe 4 assure que de part et dâautre on employa les secrets magiques, non moins que les armes ordinaires. Suivant les traditions conservĂ©es par ses sectateurs, le prophĂšte de l 'AriĂ©ma fut, dĂšs le berceau, en butte aux persĂ©cutions des magiciens; et la terre Ă©tait couverte de magiciens avant sa naissance 5 . Saint Epiphane 6 raconte que Nembrod, en fondant Bactres, y porta les sciences magiques, dont lâinvention fut depuis attribuĂ©e Ă Zoroastre. Cassien parle dâun traitĂ© de magie 7 qui existait au v e siĂšcle, et quâon attribuait Ă Cliatn, fils de NoĂ©. Le pĂšre de lâEglise que nous avons citĂ© tout Ă lâheure fait remonter au temps 1 Philostrat , Vit. Apollon, lib. i, cap. i et 2. 4 Les mobeds, prĂȘtres des GuĂškres, ou Parsis, se nomment encore, en langage pelilvy, magoi. Zend-Avesta , t. Il, p. 5o6. 5 Amian. Marcell., lib. xxvi, cap. 6. * Arnob., lib. i. Zend-Avesta , Vie de Zoroastre, t.. I, 2° partie, p. io, 18 et suiv. * S. Epiphane, Adver. heeres., t. I, lib. i. 7 Cassien, Confer., lib. i, cap. 21. 59 HISTOIRE DĂŒ MAGNĂTISME. deJarad, quatriĂšme descendant de Seth, fils dâAdam, le commencement des enchantements et de la magie. La magie joue un grand rĂŽle dans les traditions hĂ©braĂŻques. Les anciens habitants de la terre de Chanaan avaient encouru lâindignation divine, parce quâils usaient dâenchantements '. A la magie recourent, pour se dĂ©fendre, et les AmalĂ©cites combattant les HĂ©breux Ă leur sortie dâĂgypte 2 , et Balaam assiĂ©gĂ© dans sa ville par le roi des Ăthiopiens, et ensuite par MoĂŻse 3 . Les prĂȘtres dâĂgypte Ă©taient regardĂ©s dans lâindoustan mĂȘme 4 comme les plus habiles magiciens de Funivers. Non moins versĂ©e quâeux dans leurs sciences secrĂštes 5 , lâĂ©pouse de Pharaon put en communiquer les mystĂšres Ă lâenfant cĂ©lĂšbre que sa fille avait sauvĂ© des eaux , et qui^ instruit dans toute la sagesse des Ăgyptiens , devint puissant en paroles et en Ćuvres 6 .» Justin, dâaprĂšs Trogue-PompĂ©e, raconte que Joseph, amenĂ© comme esclave en Ăgypte, y apprit les arts magiques, qui le mirent en Ă©tat dâexpliquer les prodiges et de prĂ©voir longtemps dâavatice lâhorrible famine qui, sans son secours, aurait dĂ©peuplĂ© ce beau royaume 7 . Et, Ă une Ă©poque bien plus rapprochĂ©e de nous, les hommes qui attribuaient Ă la magic les miracles du fondateur du christianisme lâaccusĂšrent dâen avoir dĂ©robĂ© les secrets ' Sapient., cap. 12, vers. 4 - s De Fita et Moite Mosis, etc., p. 55 . 5 Ibid., p. 18-21. 4 Les Mille et Une Nuits, t.. VU, p. 58 trad. dâĂnoĂŒAna Gauthier . * De Fita et Morte Mosis, etc., note, p. 199. * Act. apost., cap. 7, vers. 22. 7 Justin, lib. xxxvi, cap. 2. 60 DEUXIĂME merveilleux dans les sanctuaires Ă©gyptiens 1 . »â Celse, le premier philosophe paĂŻen qui ait attaquĂ© la religion chrĂ©tienne, reproche Ă©galement Ă JĂ©sus-Christ dâavoir opĂ©rĂ© ses miracles au moyen de procĂ©dĂ©s magiques empruntĂ©s aux prĂȘtres Ă©gyptiens; et, si lâon tient compte du caractĂšre de Celse, cette circonstance jette sur la nature de lâart magique une lumiĂšre Ă©clatante. En effet, il ne nous reste de ce philosophe que les fragments rapportĂ©s par OrigĂšne et par Tertullien, qui tous deux lâont rĂ©futĂ©; mais ces fragments suffisent pour nous le faire connaĂźtre. CâĂ©tait un Ă©crivain habile, joignant Ă une Ă©rudition aussi vaste que variĂ©e un esprit sceptique et railleur qui, se dĂ©fiant des hommes et des choses, rejetait volontiers lâextraordinaire comme invraisemblable et lâinvraisemblable comme impossible. Cependant cet incrĂ©dule croyait Ă la magie, puisquâil sâen faisait un argument contre la religion nouvelle. JĂ©sus-Christ, au dire de Celse , nâĂ©tait quâun magicien ; ses miracles nâĂ©taient que des Ćuvres de magie, et il avait dĂ©robĂ© aux prĂȘtres dâEgypte le secret de les opĂ©rer. Mais pour que ces assertions fussent trouvĂ©es raisonnables, pour que le public en tĂźnt compte, pour que les plus illustres pĂšres de lâEglise daignassent les rĂ©futer, il fallait bien quâĂ cette Ă©poque, câest-Ă -dire au 11 e siĂšcle , la vĂ©ritĂ© de la magie fĂ»t chose accrĂ©ditĂ©e ; il fallait de plus que Celse possĂ©dĂąt sur elle des documents prĂ©cis, il fallait enfin quâil y eĂ»t. entre les miracles Ă©vangĂ©liques et les opĂ©rations magiques des anciens prĂȘtres dâOrient quelque 1 Magusest clandestinis artibus omnia ilia perfecit Ăgyp- iiorum ex adyiis, angclorum pntentium nomina et romains fura tus est disciplinas. » Arnob., Disp. adv. gcntes, lib. i. 61 HISTOIRE DU MAGNĂTISME, apparence dâidentitĂ©. Si JĂ©sus-Christ, en un inot, guĂ©rissant les malades 4 en leur imposant les mains ou en les touchant de sa salive, pouvait passer pour un magicien, il Ă©tait donc admis et prouvĂ© que, bien des siĂšcles avant lui, les magiciens faisaient ces prodiges ou des prodiges analogues. Quâavec OrigĂšne et Tertullien on rejette les conclusions que Celse tirait de ce rapprochement Ă lâĂ©gard de JĂ©sus-Christ, jây souscris sans hĂ©siter; mais il nâen reste pas moins dĂ©montrĂ© que lâancienne magie consistait principalement Ă guĂ©rir les maladies par lâimposition des mains. Lâart divin de Zoroastre et de ses successeurs nâĂ©tait donc que le magnĂ©tisme. Aussi le magnĂ©tisme nous fournit-il une explication plausible des miracles racontĂ©s dans lâAncien Testament. Je nâen veux examiner quâun câest le miracle des verges transformĂ©es en dragons 2 . Voici la traduction de la Vulgate dâaprĂšs Le Maistre de Saci * Retirez-vous; car cette fille nâest pas morte, mais elle nâest qu 'endormie. Et ils se moquaient de lui. AprĂšs donc quâon eut fait sortir tout le monde, il entra et lui prit la main, et cette petite fille se leva. » Evangile selon saint Mathieu, ch. 9, vers. 242. Et quelques-uns lui ayant prĂ©sentĂ© un homme qui Ă©tait sourd et muet, le suppliaient de lui imposer les mains. Alors JĂ©sus, le tirant de la foule et le prenant Ă part, lui mit ses doigts dans les oreilles et de sa salive sur la langue. {Evangile selon saint Marc, ch. 7, vers. 32-53. Et JĂ©sus, voyant que le peuple accourait en foule , parla avec menace Ă lâesprit impur et lui dit Esprit sourd et muet, sors de cet enfant ! je le le commande, et nây rentre plus. » Alors cet esprit ayant jetĂ© un grand cri, et lâayant agitĂ© par de violentes convulsions, sortit, et lâenfant demeura comme mort, de sorte que plusieurs disaient quâil Ă©tait mort. » Id., ch. 8, vers. 24-20, etc. * Salverte, dans son Traite des Sciences occultes, explique tous 62 DEUXIĂME LEĂON- MoĂŻse et Aaron Ă©tant donc allĂ©s trouver Pharaon firent ce que le Seigneur leur avait commandĂ©. Aaron jeta sa verge devant Pharaon et ses serviteurs, et elle fut changĂ©e en serpent. Pharaon ayant fait venir les sages d 'Egypte et les magiciens, ils firent aussi la mĂȘme chose par les enchantements du pays et par les secrets de leur art. Et chacun dâeux ayant jetĂ© sa verge, elles furent changĂ©es en serpents, etc. 4 » VoilĂ donc MoĂŻse et les magiciens qui luttent de puissance, MoĂŻse faisant des miracles et les magiciens de la magie. Mais, si les chrĂ©tiens ont Ă©tabli cette distinction quelque peu subtile entre des faits absolument semblables, il paraĂźtrait que ni Pharaon ni les sages ne reconnurent aussi facilement la puissance surnaturelle que le chef des IsraĂ©lites se flattait de possĂ©der, car Alors le coeur de Pharaon sâendurcit, et il nâĂ©couta point MoĂŻse et Aaron, selon que le Seigneur lâavait ordonnĂ© 2 . » Le miracle des verges mĂ©tamorphosĂ©es en serpents fut dâailleurs rĂ©pĂ©tĂ© depuis par de nombreux profanes. Les bateleurs du Caire et dâAlexandrie en donnent actuellement des reprĂ©sentations quotidiennes sur les places publiques de ces deux villes, et les rares demeurants de la sorcellerie dans nos provinces de lâOuest endorment ençore aujourdâhui les serpents de les autres de la façon la plus satisfaisante celui-lĂ seul paraĂźt lâavoir embarrassĂ©. Câest que Salverte Ă©tait Ă©tranger au magnĂ©tisme. 4 Exode, ch. y, vers, io, ii, 12 . * Ibid., vers. i3. 63 HISTOIRE DU MAGNĂTISME, ces contrĂ©es 1 . Voici la raison scientifique de tous ces faits sous lâinfluence du contact humain et dâune volontĂ© ferme, le serpent, animal essentiellement magnĂ©tique, contracte une roideur gĂ©nĂ©rale qui le fait ressembler Ă un bĂąton, roideur qui cesse aussitĂŽt que le reptile est lĂąchĂ©. Il est Ă prĂ©sumer quâen opĂ©rant ce prodiqe, les bateleurs dâAlexandrie nâen connaissent pas plus la cause que les paysans de lâAnjou; mais trĂšs-certainement il nâen Ă©tait pas de mĂȘme des magiciens dâEgypte. Ces derniers cultivaient la science, et particuliĂšrement la science magique , câest-Ă -dire le magnĂ©tisme. Si maintenant vous me demandez comment il a pu se faire que cette science ne soit pas tout dâabord tombĂ©e dans le domaine public, et que, par la suite, elle se soit perdue, je vous rĂ©pondrai quâĂ lâĂ©poque des Pharaons il y avait en Egypte, comme dans tout lâOrient, des castes scientifiques qui, formĂ©es surtout par les prĂȘtres, Ă©taient intĂ©ressĂ©es Ă ne pas laisser sortir des temples les vĂ©ritĂ©s secrĂštes auxquelles elles devaient leur puissance; quâil existait Ă lâusage de ces castes une langue de convention inconnue du vulgaire, et qui les mettait en possession exclusive de toutes les traditions, qui passaient ainsi mystĂ©rieusement de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration sous lâombre des hiĂ©roglyphes 2 . Je vous dirai encore quâen lâannĂ©e 640, de prĂ©cieux documents sur lâart magique pĂ©rirent * Voj. Elien, de Animalium natura , 1 , 5 y, de Cerastis ; vi, 33 , de Ăgypiiorum in aves et serpentes incantatione; xvi, de Psyllis .â Sonnini, t. II, p. 43 et suiv. 4 MichaĂŻus, de VInfluence des opinions sur la langue, etc., p. 164. 64 DEUXIĂME LEĂON, probablement avec la bibliothĂšque dâAlexandrie, lorsque le lieutenant du calife Omar * fit chauffer pendant six mois avec les livres quâelle renfermait les quatre mille bains de cette capitale. Enfin , je vous rĂ©pondrais, si je nâĂ©tais point chrĂ©tien, que les traditions du magnĂ©tisme ne se sont jamais perdues, que tous les prĂ©ceptes en sont rĂ©sumĂ©s dans un livre divin devant lequel sâarrĂȘtera toujours la fureur des biblio- lythes; que ce livre vous est connu, quâil est entre vos mains Ă tous. ChrĂ©tien, ou non chrĂ©tien, je puis, en dĂ©finitive, vous le nommer sans blasphĂšme ce livre, câest Y Evangile. Oui, messieurs, lâĂvangile; et que cette allĂ©gation ne vous surprenne ni ne vous scandalise; car, sâil arrive que le magnĂ©tisme soit un jour Ă vos yeux comme aux miens une grande et belle vĂ©ritĂ© et de toutes les vĂ©ritĂ©s la plus utile aux hommes, vous nâaurez plus le droit de vous Ă©tonner que le Fils de Dieu lui-mĂȘme en ait joint les notions Ă toutes les notions du juste, du vrai et du beau, quâil a entassĂ©es dans son livre. JĂ©sus-Christ met en deux versets tout le code du magnĂ©tisme Ils imposeront' les mains sur les malades, et les malades seront guĂ©ris 2 . » 1 Le calife Omar, consultĂ© par Amrou sur ce que celui-ci devait faire des livres, lui Ă©crivit Si ce que ces livres contiennent sâaccorde avec le livre de Dieu , le livre de Dieu nous suffit ; sâils contiennent quelque chose qui y soit contraire, nous nâen avons pas besoin ainsi, il faut sâen dĂ©faire.» Aboulfar , Hisl. univers. â Amacin, Hist. sarac. 3 Evangile selon saint Luc , ch. 16. â Il y a dans le mĂȘme verset Us prendront les serpents avec les mains, et, sâils boivent quelques breuvages mortels, ces breuvages ne leur feront aucun mal. » HISTOIRE DO MAGNĂTISME. 65 Si vous aviez de la foi, gros comme un grain de sĂ©nevĂ©, vous diriez Ă cette montagne transporte-toi dâici lĂ , et elle sây transporterait,et rien ne vous serait impossible '. » Je nâignore pas quâen prenant Ă la lettre ces deux passages de lâEcriture, je suis en contradiction avec lâEglise,qui les interprĂšte tout diffĂ©remment. Mais une question dâorthodoxie est-elle de nature Ă nous interdire la discussion philosophique dâun sujet sur lequel lâĂglise elle-mĂȘme, Ă©clairĂ©e par des documents nouveaux, se fut, Ă nâen pas douter, prononcĂ©e autrement? Je le pense dâautant moins que les rĂšgles de lâorthodoxie ont variĂ© avec les progrĂšs des sciences, et que les savants ont forcĂ© plus dâune fois les conciles Ă revenir sur leurs dĂ©cisions. Je nâen veux dâautres preuves que lâexemple de GalilĂ©e, condamnĂ© au feu pour avoir avancĂ© que la terre tournait. Ee texte de la GenĂšse, dâabord si inflexible, a fini par concilier la tradition avec lâĂ©vidence , et je doute quâil se trouvĂąt de nos jours, je nâose dire en Europe, mais en France, un Ă©vĂȘque qui de nouveau condamnerait GalilĂ©e. Dâailleurs nâest-il pas Ă©vident que la religion, autrement entendue, serait le foyer de lâignorance et lâobstacle le plus invincible Ă toute espĂšce de progrĂšs? Dans tous les temps, cette maniĂšre de voir fut celle des hommes sensĂ©s; Pascal lui-mĂȘme, le plus fervent des philosophes chrĂ©tiens, oubliait volontairement sa foi lorsquâil voulait appliquer sa seule raison Ă la recherche de la vĂ©ritĂ© Je frappe Ă la porte de lâĂ©ternitĂ©, disait-il, et il me â livangile selon saint Mathieu, ch. 17 , vers. icj. 5 66 DEUXIĂME LEĂON, semble que le vide seul me rĂ©pond 1 . » Jamais doute plus dĂ©sespĂ©rant fut-il exprimĂ© par lâathĂ©isme? Remarquez, au reste, que lâinterprĂ©tation littĂ©rale des deux versets citĂ©s plus haut nâimplique en rien contradiction Ă lâessence divine de JĂ©sus-Christ; elle suppose tout au plus que le fils de Dieu, en se faisant homme, se serait contentĂ© dâĂȘtre lâemblĂšme irrĂ©prochable de de toutes les vertus, quâil nous donnait pour modĂšles, comme le type de toutes les puissances dont il nous a permis lâusage. Je ne dis donc point, avec Arnobe et Celse, que tous les miracles de JĂ©sus-Christ furent des Ćuvres de magie; mais je crois pouvoir avancer, avec toute la rĂ©serve et tout le repect que mâimpose la plus pure des religions, que le fondateur du christianisme nâaurait point failli Ă sa mission divine en nous lĂ©guant, iat., lib. xxx, cap. 1. 3 Ibid, lib. xvi, cap. 14.; lib. xxiv, cap. 11; lib. xxv, cap. 9; lib. xxix, cap. 5 . 4 Monter , De la plus ancienne Religion du Nord, avant le temps d'Odin. 68 DEUXIĂME LEĂON, fĂźt chez les autres peuples du Nord , sâaccordent merveilleusement sur la chose que ce mot dĂ©signe, et que cette chose, on nâen peut douter, est toujours le magnĂ©tisme. Ainsi, au dire de Plutarque 1 , Pyrrhus, roi dâEpire, pratiquait la magie lorsquâil guĂ©rissait les personnes qui souffraient de la rate, en les touchant lentement et longtemps sur Vendroit douloureux; de mĂȘme que, dâaprĂšs Celse, AsclĂ©piade faisait aussi de la magie lorsquâil endormait au moyen de frictions ceux qui Ă©taient atteints de frĂ©nĂ©sie 2 . Ainsi, lâexistence des faits magnĂ©tiques est aussi incontestable dans lâantiquitĂ© que de nos jours. Quant Ă lâinterprĂ©tation dogmatique quâils reçurent des initiĂ©s, aux diffĂ©rentes Ă©poques des temps historiques, elle nâa pu nous parvenir directement; nous avons dit pourquoi. Les ministres des religions, qui, dans les premiers temps, en furent les dĂ©positaires, Ă©taient trop intĂ©ressĂ©s Ă en garder le secret pour quâaucun deux le divulgĂąt. Aussi, lorsquâen Asie le culte de Zoroastre succĂ©da au sabisme, Ă lâadoration deShiva,deWishnouetde Brahma, les prĂȘtres hindous et les ChaldĂ©ens emportĂšrent-ils dans lâexil leur silence inviolable. Mais enfin, aprĂšs la chute de Smerdis, les mages se dispersĂšrent, et plusieurs dâentre eux portĂšrent en GrĂšce le secret des sciences occultes. La guerre du PĂ©loponĂšse, pendant laquelle Cyrus le le jeune devint lâarbitre de la GrĂšce, multiplia les relations des habitants de cette contrĂ©e avec les savants de la Perse, et voilĂ comment, 'eut cinquante ans plus 1 Plut., in Pyrrho. 2 , ih Re merlicn , lib. m. HIST01BE 1U MAGNĂTISME. >!» tard, la magie avait dans lâAttique ses apĂŽtres et ses croyants Quelques siĂšcles plus lard, des thaumaturges, contemporains de CicĂ©ron et de CĂ©sar, opĂ©raient publiquement leurs prodiges dans la capitale du monde 2 ; ils guĂ©rissaient les malades par des moyens magiques. Vers le milieu du vi e siĂšcle, les Francs et les Visi- goths portent des lois sĂ©vĂšres contre la magie, et ces lois sont renouvelĂ©es dans les Capitulaires de Charlemagne. Mais est-ce Ă la suite des annĂ©es romaines que les thĂ©urgistes de lâOrient avaient franchi les Alpes et sâĂ©taient rĂ©pandus dans les Gaules? Cette hypothĂšse nâest pas soutenable; car si, avant lâinvasion de CĂ©sar, les druides nâĂ©taieut pas initiĂ©s Ă toutes les sciences occultes de la ChaldĂ©e et de lâEgypte, il est certain pour nous quâils pratiquaient le magnĂ©tisme 8 . Au surplus, lâOrient demeura toujours le foyer oĂč se rĂ©chauffĂšrent ' DĂ©mostii. , in Aristoget. â TiiĂ©ocrite, dans sa 2 e idylle, parle dâune magicienne nommĂ©e Agamide,qui guĂ©rissait les maladies. * Origeke, Contra Gels., lib. i. â Si lâon ne consultait que les poĂštes, on admettrait sans examen cette multitude dâenchantements opĂ©rĂ©s par les CircĂ©, les MĂ©dĂ©e et autres semblables prodiges par lesquels ils ont prĂ©tendu rĂ©pandre du merveilleux dans leurs ouvrages Mais il paraĂźt difficile de rĂ©cuser le tĂ©moignage de plusieurs historiens, dâailleurs vĂ©ridiques, de Tacite, de SuĂ©tone, dâAmmien Marcellin , quâon nâaccusera pas dâavoir adoptĂ© aveuglĂ©ment et faute de bon sens ce quâils racontent des opĂ©rations magiques. Dâailleurs pourquoi tant de lois sĂ©vĂšres de la part du sĂ©nat et des empereurs contre les magiciens, si ce nâeussent Ă©tĂ© que des imposteurs et des charlatans propres tout au plus Ă duper la mullitude, mais incapables de causer aucun mal rĂ©el et physique? Encyct. de Diderot et dâAlembert, art. Sorciers 5 Nous reviendrons sur ce point Ă lâoccasion du somnambulisme. 70 DEUXIĂME LEĂON, de temps en temps des croyances que la religion , les mĆurs et les lois tendaient continuellement Ă Ă©teindre dans lâOccident. DĂšs le vm e siĂšcle, dit Salverte 1 , tranquilles au sein de leurs conquĂȘtes, les Arabes sâadonnĂšrent avec passion Ă lâĂ©tude de la magie. Au xi* siĂšcle, lorsque les musulmans, civilisĂ©s, redoutĂšrent Ă leur tour le fanatisme de leurs nouveaux frĂšres, les rapports des EuropĂ©ens avec les Arabes et les Maures avaient pris une grande activitĂ©; et lâon observe quâalors le commerce de ceux-ci infecta de superstitions magiques 2 les sciences quâils avaient apportĂ©es en Occident. De diverses contrĂ©es de l'Europe, les Ă©tudiants accouraient pour frĂ©quenter les Ă©coles de sciences occultes ouvertes Ă TolĂšde, Ă SĂ©govie, Ă Salamanque 3 . LâĂ©cole de TolĂšde Ă©tait la plus cĂ©lĂšbre; lâenseignement sây perpĂ©tua du xu c siĂšcle jusquâĂ la fin du xv e *. Les sociĂ©tĂ©s occultes de lâEurope prirent une part active Ă ces communications câest par les adeptes dont elles se composaient que nous avons connu la plupart des inventions physiques et chimiques des Arabes. » â Câest Ă CĂ©sar de Neisterbach, Ă©crivain du xm* siĂšcle, que Salverte a empruntĂ© le passage que je viens de citer, et dont voici en partie le texte original Com- plures ex diversis regionibus scholares apud Toletum student in arie necromantica. CâĂ©tait donc la nĂ©cromancie que les Arabes enseignaient en Espagne, câest- * Ouvrage citĂ©. a Thiedmann , De Questione, etc., p, 97. ' Fromakn, Tract, de Fascinalione, p. 7a. * llhatr. mira. et. Uni. mie., lib. v, cap. 4- HISTOIRE DU MAGNĂTISME. 71 Ă -dire lâensemble des sciences occultes. Mais les sciences occultes elles-mĂȘmes comprenaient lâastronomie, la physique, lâalchimie et la magie, et chacune de ces branches devait naturellement ĂȘtre cultivĂ©e par des hommes spĂ©ciaux. Aussi cette distinction est-elle Ă©tablie clairement dans les auteurs contemporains tandis que, la magie, ou le magnĂ©tisme car ces deux mots dĂ©sormais doivent avoir le mĂȘme sens pour vous, a, dans Albert le Grand, un apĂŽtre zĂ©lĂ©, elle rencontre dans Roger bacon un ardent dĂ©tracteur* .Roger Bacon, aussi bien quâAlbert le Grand, cherchait la pierre philosophale, et tous deux devaient aux Arabes les connaissances et la philosophie quâils enseignaient Ă leurs disciples. La dissidence que nous signalons entre ces deux hommes Ă©minents du xm e siĂšcle prouve donc Ă©videmment lâimportance quâon attachait alors au point de doctrine qui en fait le sujet; câest-Ă -dire que, dĂšs cette Ă©poque, le magnĂ©tisme Ă©tait dĂ©jĂ , parmi les savants , lâobjet de ces controverses violentes qui sc sont depuis si souvent renouvelĂ©es. A partir du xin" siĂšcle jusquâĂ la fin du xvi% câest- Ă -dire depuis Albert le Grand Ă Robert Flud exclusivement, il est Ă peu prĂšs impossible de suivre lâhistoire dogmatique du magnĂ©tisme, Ă travers les tĂ©nĂšbres Ă©paisses de ces temps dâignorance et de superstition. Il est hors de doute quâil occupait une place importante dans les Ă©tudes des philosophes hermĂ©tiques; mais lâimpossibilitĂ© absolue de les comprendre ne nous permet aucune conjecture fondĂ©e sur lâidĂ©e quâils sâeu fai- 4 R. Epis loin de secretis operibus et nullitatn magica. 72 DEUXIĂME LEĂON, saient. Je prĂ©sume cependant quâil existait, Ă cet Ă©gard, un ensemble de prĂ©ceptes, un corps de doctrine dont les Ă©lĂ©ments Ă©taient conservĂ©s et transmis dâĂąge en Ăąge par les membres des sociĂ©tĂ©s occultes. Au dire de tous les chroniqueurs, ces sociĂ©tĂ©s Ă©taient fort nombreuses ' en France et surtout en Allemagne. La plus cĂ©lĂšbre de toutes fut celle de rose-croix , fondĂ©e , dit- on , Ă la fin du xiv° siĂšcle, par un gentilhomme allemand, nommĂ© Rosenkreutz Rose-Croix, qui, si lâon en croit ses disciples, avait rapportĂ© dâun voyage en Turquie les secrets merveilleux auxquels il les initia. Quelques auteurs ne font remonter quâau commencement du xvn e siĂšcle, lâorigine de lâassociation de rose-croix, Ă laquelle ils donnent pour fondateur Valentin Andrea, qui rendit publique, en r5i6, une partie des choses dont sâoccupaient ses adeptes 1 2 . La sociĂ©tĂ© de Rosenkreutz, qui paraĂźt sâĂȘtre liĂ©e par des affiliations intimes avec les premiĂšres associations maçonniques, eut pour dernier reprĂ©sentant le fameux comte de Cagliostro, dont la vie et la mort sont Ă©galement connues. A lâexemple des anciens mages, les membres des sociĂ©tĂ©s occultes gardaient le silence le plus inviolable sur toutes les connaissances dont ils Ă©taient les dĂ©positaires. Ces connaissances, malgrĂ© lâesprit de mystĂšre qui en entravait les progrĂšs, Ă©taient vastes et variĂ©es. Un des plus beaux gĂ©nies dont se puisse honorer lâEurope et le genre humain , Leibnitz, pĂ©nĂ©tra Ă Nuremberg, dans une des sociĂ©tĂ©s dont nous parlons, et, 1 II en est plusieurs fois question dans la seconde partie du Roman de la Rose. 2 Valejntin. AnduĂŠ, C-onfessio RosĆ-Crucis. Paris, 1 5 1 5. 73 [histoire du magnĂ©tisme. tic l'aveu de son panĂ©gyriste 1 , il y puisa une instruction quâen vain peut-ĂȘtre il eut cherchĂ©e ailleurs. On sây livrait Ă lâĂ©tude de la magie, de lâalchimie, de lâastronomie, de la thĂ©ologie et des sciences exactes. Robert Flud,dont Kepler et Gassendi ont rĂ©futĂ© les opinions, fut un des membres de ces sociĂ©tĂ©s qui eurent le plus de crĂ©dit et de considĂ©ration. Malheureusement ses Ă©crits sur la magie sont aussi inintelligibles que tous ceux des autres philosophes hermĂ©tiques. Les savants du moyen Ăąge avaient, comme les savants de lâantiquitĂ©, leurs hiĂ©roglyphes, câest-Ă -dire une langue de convention, pour laquelle il nâest plus aujourdâhui dâinterprĂšte. Les prĂ©tendus signes cabalistiques que lâon voit dans les traitĂ©s dâalchimie ne sont vraisemblablement que des symboles gĂ©nĂ©ralisant, comme nos formules algĂ©briques, des proportions, des quantitĂ©s abstraites ou mĂȘme des procĂ©dĂ©s 2 . Quant aux invocations magiques, ellĂ©s ont une origine quâil est aise de dĂ©couvrir, et sur laquelle la lecture des traitĂ©s de philosophie occulte mâa parfaitement Ă©clairĂ©. ' , Eloge de Leibnitz. 2 Lâaiialvse de quelques-unes de ces formules fournil une nouvelle preuve Ă lâappui de lâorigine orientale des sciences occultes. On sait, par exemple, quel pouvoir sublime est attachĂ© Ă la syllabe om oum qui dĂ©signe la trimurti hindoue , composĂ©e de Shiva, Wislmou et Bramlia. En la prononçant, lâhomme pieux sâĂ©levait Ă Y intention intellectuelle des trois divinitĂ©s nom divin et son image mystĂ©rieuse sont rappelĂ©s dans deux livres de magie publiĂ©s en Allemagne au commencement du xvi' siĂšcle. Ils ont Ă©tĂ© citĂ©s dans la BibliothĂšque magique de Horst. Nâest-ce point lĂ un dernier anneau de la chaĂźne qui, malgrĂ© lâĂ©loignement des contrĂ©es et des Ăąges, malgrĂ© la diffĂ©rence des idiomes et des religions, rattache aux doctrines transcendantes de lâilindoustan les dĂ©bris quâen avaient conservĂ©s les adeptes modernes? 74 DEUXIĂME LEĂON. Tout fait magnĂ©tique consiste dans un acte de la volontĂ© , qui nâest jamais plus ferme et plus Ă©nergique quâĂ lâinstant oĂč elle croit avoir pour appui quelque puissance cĂ©leste ou infernale. Le prophĂšteĂlie sâĂ©crie, en sâĂ©tendant sur le fils de la veuve de Sarepta Seigneur, mon Dieu, faites, je vous prie, que lâĂąme de cet enfant rentre dans son corps 1 . » Et lâenfant fut rendu Ă la vie. Or, nâest-il pas infiniment probable que si quelque IsraĂ©lite se fĂ»t avisĂ© de rĂ©pĂ©ter sur dâautres moribonds le miracle du prophĂšte, lâinvocation faite par Elie se fĂ»t prĂ©sentĂ©e Ă son esprit, et que peut-ĂȘtre mĂȘme il y eĂ»t trouvĂ© le secret de sa puissance? Ce seul exemple suffit pour nous faire comprendre lâhistoire des formules magiques dont les guĂ©risseurs de nos campagnes conservent encore le secret comme un don du Tout-Puissant. Ces formules Ă©taient jadis variĂ©es Ă lâinfini, et cela devait ĂȘtre pour satisfaire aux croyances mystiques du moyen Ăąge. Si jâen juge par le TraitĂ© de philosophie occulte 2 de Corneille Agrippa, la doctrine des magiciens consistait dans une sorte de polythĂ©isme ridicule, monstrueux , et qui personnifiait sous la forme dâanges ou de dĂ©mons toutes les puissances de la nature. Les sorciers ou magiciens subalternes, qui pratiquaient la science sans trop se douter quâelle existĂąt, partageaient nĂ©anmoins ces crovances. Câest par quelques rĂ©flexions sur cette sorte de gens que je terminerai ma leçon. 1 Rois, liv. iii , ch. 17. a II est trĂšs-intelligible, Ă lâexception de quelques passages hiĂ©roglyphiques, mais il nâoffre , Ă mon avis, rien qui soit digne dâintĂ©rĂȘt. 75 HISTOIRE DU MAGNĂTISME. En appelant les sorciers des magiciens subalternes et ignorants, je crois bien les dĂ©finir. Il y en eut dans tous les temps, comme il en est encore de nos jours; la superstition les multipliait Ă lâinfini dans les siĂšcles dâignorance la terreur quâils inspiraient alors, et la foi quâils avaient en eux-mĂȘmes, faisaient toute leur puissance ;cette puissance, ils lâaliĂ©nĂšrent du jour oĂč ils commencĂšrent Ă en douter. Ceci vous explique comment la sorcellerie sâĂ©teignit avec lâesprit religieux. Lâhomme, qui croyait volontiers aux miracles opĂ©rĂ©s par le dĂ©mon , nâosa pas ajouter foi Ă ses propres miracles, quand il fallut en prendre pour soi la responsabilitĂ©. Le pouvoir des magnĂ©tiseurs, subordonnĂ© aux mĂȘmes lois que le pouvoir des sorciers, exclut, comme lui, le scepticisme et cesse dâĂȘtre dĂšs lâinstant oĂč il croit nâĂȘtre plus. Le vrai magnĂ©tiseur ne doute de rien quâil soit fort, nerveux, ignorant et fanatique, et vous avez en lui le vrai sorcier du moyen Ăąge, placĂ© toutefois dans un autre milieu moins favorable Ă son empire. â Cependant, que le magnĂ©tisme se propage, et, dans toutes les classes de la sociĂ©tĂ©, se reproduiront bientĂŽt, plus ou moins, sur un fond scientifique, tous les prĂ©tendus actes impossibles attribuĂ©s aux sorciers. Au surplus, les documents historiques desquels ressort lâexistence de ces derniers dans tous les temps et dans tous les pays sont aussi prĂ©cis que nombreux; en voici dâirrĂ©fragables Une des lois de MoĂŻse condamne Ă mort ceux qui font des malĂ©fices '. Est-ce des magiciens ou des sor- Maleficos non palicris vivere. Exode, cap. au, vers. 18. 76 DEUXIĂME LKĂOX. tiers quâil sâagit clans ce passage de lâExode? le texte nâĂ©tablit point cette distinction, apparemment aussi indiffĂ©rente pour le lĂ©gislateur que pour nous. â Sorciers ou magiciens Ă©taient Ă©galement magnĂ©tiseurs, car voici pour leurs somnambules Quâil nây ait personne parmi vous qui fasse des malĂ©fices, qui soit enchanteur, etc.; ou qui consulte ceux qui ont des pythons, etc. K . 11 est impossible de ne pas reconnaĂźtre dans ces deux passages le double Ă©lĂ©ment du magnĂ©tisme. Le mĂȘme systĂšme se reproduit dans la sorcellerie des Grecs l âenchanteur et l 'enchantĂ© ont un nom particulier, le mot eitccvidoc dĂ©sigue le premier et le mot ftotvnç le second. Les Romains Ă©tablissent encore des distinctions plus nombreuses, parce quâils spĂ©cifient dans leur langage toutes les branches des sciences occultes. Ils ont leur venenarii ou venefici qui prĂ©parent les poisons, les genethliaci qui tirent les horoscopes, les augures et les aruspices dont on sait les fonctions; les Thessali et les ChaldĆi , lĂ©gitimes hĂ©ritiers des mages; puis enfin, les sortiarii et les sortiariĆ qui nâont pas de doctrine acquise comme les fils de la ChaldĂ©e, mais qui nâen font pas moins des malĂ©fices, et sont condamnĂ©s Ă mort par les lois lombardes, sous le nom de Marcce. Les sortiarii des Romains Ă©taient donc les mĂȘmes ' ĂŒeuteâron., ch. 27, v. 10. â M. Victor Manequin a commentĂ© ces leux versets de la Bible dans son Introduction Ă VHistoire de la LĂ©gislation française p. 587, ouvrage qui renferme sur le peuple juif des considĂ©rations dâun intĂ©rĂȘt majeur et que nous recommandons Ă nos lecteurs comme une des productions les plus originales et les plus remarquables de lâĂ©poque. 77 HISTOIRE DU MAGNĂTISME, que nos sorciers du moyen Ăąge, si impitoyablement condamnĂ©s au feu par les ordonnances de nos rois Mais en quoi consistaient, en dĂ©finitive, les malĂ©fices des sorciers? Gardez-vous bien de vous en rapporter sur ce point aux actes dâaccusations dirigĂ©es contre ces malheureux, non plus mĂȘme quâaux aveux que leur arrachait la torture. 11 nâest pas de fable absurde, pas de monstruositĂ©s , que , dans ces temps dâignorance, nâaient inventĂ©es la calomnie, la sottise ou la cupiditĂ©. Quâon en juge par le fait suivant, auquel lâauteur qui le raconte a joint ses rĂ©flexions En cette annĂ©e i/j5g, dit Monstrelet, en la ville dâArras, au pays dâArtois, advint un terrible cas et pytoyable, que lâon nommoit Vaudoisie, ne sai pourquoi mais lâon disoit que câĂ©toient aucunes gens, hommes et femmes, qui de nuit, se transportoient, par vertu du diable, des places oĂč ils Ă©toient, et soudainement se trouvoient en aucuns lieux arriĂšre de gens, Ăšs bois ou Ăšs dĂ©serts, lĂ oĂč ils se trouvoient entre grand nombre dâhommes et de femmes, et trouvoient illec un diable en forme dâhomme, duquel ils ne vesitent jamais le visage ; et ce diable leur lisoit ou disoit ses commandements et ordonnances, et comment et par quelle maniĂšre ils le dĂ©voient avrer et servir, puis faiâ soit par chacun dâeux baiser son derriĂšre, et puis il bailloit Ă chacun un peu dâargent, et finalement leur administroit vins et viandes, en grande largesse, dont ils se repaissoient; et puis, tout Ă coup chacun prenoit ' Celles, entre autres, de Charles VIII en 1490 et de Charles IX en i 56 o.â Ce ne fut quâen 1672 que Louis XIV dĂ©fendit Ă tous les tribunaux dâadmettre les simples accusations de snrcelhrit, 78 DEUXIĂME LEĂON. sa chacune, et en ce point sâestaindoit la lumiĂšre, et connaissoient lâun lâautre charnellement, et ce fait, soudainement se retrouvoit chacun en sa place dont ils Ă©toient partis premiĂšrement. Pour cette folie furent prins et emprisonnĂ©s plusieurs notables gens de la dite ville dâArras, et autres moindres gens, femmes folieuses et autres, et furent tellement gehinĂ©s et si terriblement tormentĂ©s que les uns confessĂšrent le cas leur ĂȘtre tout ainsi advenu, comme dit est; et outre plus confessĂšrent avoir veu et cogneu en leur assemblĂ©e plusieurs gens notables, prĂ©lats, seigneurs et autres gouverneurs de bailliages et villes voire tels, selon commune renommĂ©e, que les examinateurs et les juges leur nommoient etmettoient en bouche si que par force de peines et torments ils les accusoient et disoient que voirement ils les y a voient veus; et les accusĂ©s, ainsi nommĂ©s, Ă©toient tantĂŽt aprĂšs prins et emprisonnĂ©s et mis Ă torture, et tant et si longuement et par tant de fois que confesser le leur convenoit; et furent ceux-ci qui Ă©toient de moindres gens, exĂ©cutĂ©s et brĂ»lĂ©s inhumainement. Aucuns autres plus riches et plus puissants se rachetĂšrent par force dâargent, pour Ă©viter les peines et les hontes quâon leur faisoit. Plusieurs gens de bien cogneurentassez que cette maniĂšre dâaccusation fut une chose controuvĂ©e par aucunes mauvaises personnes, pour grĂšver et destruire, ou deshonorer, ou par ardeur de convoitise, aucunes notables personnes, que ceux bayaient de vieille haine, 79 HISTOIRE BU MAGNĂTISME, et que malicieusement ils feirent prendre ineschantes gens tous premiĂšrement, auxquels ils faisoient par forces de peines et de torments, nommer aucuns notables gens tels que lâon leur mettoil Ă la bouche, lesquels ainsi accusĂ©s Ă©taient prins et tormentĂ©s, comme dit est *. » Ainsi, les tribunaux français du xv* siĂšcle en usaient avec les sorciers comme les inquisiteurs dâEspagne Ă lâĂ©gard des hĂ©rĂ©tiques ils inventaient le dĂ©lit pour avoir Ă dĂ©pouiller le coupable. Cependant, Ă cĂŽtĂ© de ces machinations diaboliques, qui suffisent pour caractĂ©riser lâĂ©poque oĂč elles Ă©taient possibles, lâhistoire de la sorcellerie nous prĂ©sente quelques Ă©pisodes qui, pour ĂȘtre plus incroyables encore, nâont pourtant pas Ă©tĂ© inventĂ©s Ă plaisir; mais la science a depuis longtemps dĂ©chiffrĂ© cette autre Ă©nigme. Les sorciers avaient comme leurs maĂźtres , les magiciens, leurs sociĂ©tĂ©s secrĂštes, dont lâinstitution portait lâempreinte Ă©vidente des traditions druidiques. Il serait dâailleurs hors de propos de rechercher si ces sociĂ©tĂ©s se formĂšrent dans le principe , comme je le suppose, des dĂ©bris du culte gaulois, et si le sabbat Ă©tait vĂ©ritablement lâimage dĂ©figurĂ©e des danses et des festins nocturnes que jadis cĂ©lĂ©braient les druides en lâhonneur de Nera. Mais ce quâil mâimporte de vous faire savoir, câest quâĂ chaque assemblĂ©e nouvelle, de nombreux et ardents nĂ©ophytes subissaient âą Chroniques, 3* vol., p. 8L Ă©dition de Paris, 1072, in-fol. 80 DEUXIĂME LEĂON, lâinitiation dans une ceremonie bizarre, dont il vous sera facile dâapprĂ©cier les consĂ©quences. AprĂšs les avoir mis tout nus, en prĂ©sence du bouc et du chat noir, on les frottait de la tĂȘte aux pieds avec le suc dâune plante Ă laquelle on attribuait plusieurs vertus magiques, et qui avait rĂ©ellement celle de plonger les patients dans un sommeil profond et agitĂ©, dont ils ne se rappelaient, au rĂ©veil, que les rĂȘves effrayants. En effet, la plante dont il sâagit nâĂ©tait autre, suivant Gassendi, que le datura-stramonium, narcotieo-Ăącre dont on a depuis constatĂ© lâexcessive Ă©nergie. Telle Ă©tait la vĂ©ritable cause des visions extravagantes que les stupides initiĂ©s eux-mĂȘmes transmettaient Ă leurs amis comme autant de rĂ©alitĂ©s, et dont la lĂ©gende perpĂ©tuait le souvenir. â Ainsi, vous lĂ© voyez, en vous rapportant les faits et gestes des sorciers, je fais largement la part des circonstances controuvĂ©es et des circonstances imaginaires. Mais si, dans tous les temps, il y eut des fous et des esprits faibles pour les imiter, faudrait-il en conclure quâil nây eut jamais de sorciers? Au moins est-il, Ă lâappui de lâexistence de ces derniers, certains faits quâon ne peut rĂ©cuser sans sâĂ©lever contre lâassentiment unanime des historiens qui les racontent. Si dâailleurs lâexpĂ©rience vient Ă vous dĂ©montrer un jour que, par le seul moyen dâune volontĂ© forte et soutenue, il est possible dâagir physiquement en bien ou en mal sur les individus, comme de modifier relativement lâaspect et les propriĂ©tĂ©s des ĂȘtres inanimĂ©s, lâanalogie vous forcera bien de voir autre chose que des visionnaires ou des monstres dans les juges qui condamnĂšrent le HISTOIRE DĂ MAGNĂTISME. 81 duc de Glocester Pierre de Latilly, Raoul de Presles 2 , Guichard 3 , Enguerrand de Marigny 4 , CĂŽme de Rug- gieri 5 , la marĂ©chale dâAncre, etc., etc. On se souviendra avec Ă©tonnement, dit Voltaire dans son Essai sur le siĂšcle de Louis XIV, jusquâĂ la derniĂšre postĂ©ritĂ©, que la marĂ©chale dâAncre fut brĂ»lĂ©e en place de GrĂšve comme sorciĂšre , et que le conseiller Courtin, interrogeant cette femme infortunĂ©e, lui demanda de quel sortilĂšge elle sâĂ©tait servie pour gouverner lâesprit de Marie de MĂ©dicis; que la marĂ©chale lui rĂ©pondit Je me suis servie du pouvoir qu'ont les Ăąmes fortes sur les esprits faibles, et quâenfin celte rĂ©ponse ne servit quâĂ prĂ©cipiter lâarrĂȘt de sa mort. » Câest quâapparemment les juges de la marĂ©chale avaient devinĂ© le magnĂ©tisme, oubliĂ© ou mĂ©connu au temps oĂč Ă©crivait Voltaire. * AccusĂ© par lord Hastiugs de lui avoir dessĂ©chĂ© le bras par sortilĂšge. 2 Pierre de Latilly et Raoul de Presle furent emprisonnĂ©s tous les deux sous la double prĂ©vention dâavoir fait mourir Philippe le Bel et Philippe le Hardi. 5 AccusĂ© dâavoir abrĂ©gĂ© par sorcellerie les jours de la reine femme de Philippe le Bel . 4 Enguerrand de Marigny, surintendant des finances de Louis le Ilutin. Il avait, dit son historien , piquĂ© le monarque, messire Charles et autres barons, de maniĂšre que, si on nây apportait remĂšde, ils ne feraient chaque jour que amenuiser, sĂ©cher, dĂ©chirer, et, en brief, mourroienl de maleworl. 5 AccusĂ© de sâĂȘtre servi de magie pour faire pĂ©rir Charles IX. 6 TROISIĂME LEĂON. O SlITtE DE LâHISTOIRE MJ MAGNĂTISME. â OPINIONS DES ANCIENS SUR LE FLIJIOE. â PREMIĂRES THĂORIES MAGNĂTIQUES. â RENAISSANCE DE CES THĂORIES AU XV e SIĂCLE. Messieurs, Sâil est vrai quâen commençant mon cours, jâaie eonçtl la pensĂ©e hardie dâautres diront tĂ©mĂ©raire dâĂ©riger le magnĂ©tisme en systĂšme, je dois mâattacher par-dessus tout Ă fixer votre attention sur lâenchaĂźnement de mes idĂ©es, de maniĂšre Ă ce que vous ne perdiez jamais de vue ni notre point de dĂ©part, ni le Lut vers lequel nous marchons. Je vais, en consĂ©quence, vous rappeler sommairement les considĂ©rations que je vous ai soumises dans mes deux leçons prĂ©cĂ©dentes. Dans la premiĂšre, je vous ai prĂ©sentĂ© comme Ă©lĂ©ments primordiaux du magnĂ©tisme les deux facultĂ©s qui, dans tous les ĂȘtres, paraissent constituer la vie, la facultĂ© de sentir et la facultĂ© dâagir. Je les ai prises toutes deux Ă leur point initial, dans leur germe, pour ainsi dire, et je vous ai fait voir comment, par une suite de transformations insensibles, elles finissent par devenir en se perfectionnant la sensibilitĂ© et la volontĂ© humaines. Je vous ai dit Ă©galement comment, THĂORIES ANCIENNES DĂ MAGNĂTISME. 83 entre cos deux facultĂ©s, l'ampliation de la vie dĂ©veloppe progressivement, dâĂȘtres en ĂȘtres, ou dâespĂšces en espĂšces, un foyer central, qui paraĂźt manquer dans les minĂ©raux, et dont lâimportance dans les animaux semble se proportionner Ă la prĂ©pondĂ©rance physique et exclusive des centres nerveux. Peut-ĂȘtre eussĂ©-je dĂ» ajouter que ce foyer central de lâexistence rompt en quelque sorte dans les ĂȘtres supĂ©rieurs lâharmonie primitive des deux facultĂ©s qui nous occupent, et dont chacune dans lâatome pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme la consĂ©quence immĂ©diate de lâautre. Tel est donc le point dont nous sommes partis la double manifestation de la vie, considĂ©rĂ©e dans lâatonie, Ă son Ă©tat rudimentaire, a Ă©tĂ© pour nous lâunitĂ© gĂ©nĂ©sique dâun systĂšme rĂ©gulier dont je vous ai marquĂ© dĂ©jĂ les principaux dĂ©veloppements, en vous signalant les divers degrĂ©s auxquels peuvent atteindre chez lâhomme la facultĂ© de sentir et la facultĂ© de vouloir. EnfermĂ©es toutes deux dans le cercle Ă©troit de lâorganisation individuelle, la volontĂ© et la sensibilitĂ© nâont eu presque jusquâĂ prĂ©sent pour le sensualisme grossier de nos Ă©coles dâautre champ dâaction que le corps vivant que fait mouvoir la premiĂšre, et dont la seconde perçoit les actes. Mais, indĂ©pendamment des cas anormaux oĂč lâune et lâautre acquiĂšrent Ă dĂ©faut dâextension visible une perfection incontestable, nous avons Ă©tabli, dâune part, sur des notions physiques gĂ©nĂ©ralement adoptĂ©es, dâautre part, sur des documents historiques non moins inattaquables, que les deux facultĂ©s dont il sâagit sont au moins, dans certains cas, susceptibles dâentretenir entre les ĂȘtres des relations lointaines, tout 84 TROISIĂME LEĂON. aussi positives que les relations plus Ă©videntes qui proviennent des sens. Ainsi, aprĂšs avoir appelĂ© votre attention sur lâanalogie frappante qui existe entre les phĂ©nomĂšnes de gravitation et les actes magnĂ©tiques proprement dits, jâai empruntĂ© Ă des faits connus, quoique jusquâĂ prĂ©sent mal interprĂ©tĂ©s , les preuves de lâaction quâun homme peut exercer sur dâautres hommes sans lâintervention visible dâaucun de ses organes. Ces faits ont Ă©tĂ© par moi divisĂ©s en trois ordres. Jâai fait consister ceux du premier ordre dans ces sortes dâentraĂźnements purement moraux, mais irrĂ©sistibles, que certains esprits effervescents ont souvent provoquĂ©s en dĂ©pit de la raison, de lâintĂ©rĂȘt individuel comme de lâintĂ©rĂȘt public. Ceux du second ordre , ou faits mixtes, sont, vous ai-je dit, caractĂ©risĂ©s par les symptĂŽmes physiques qui accompagnent lâeffet moral, produit seul dans les prĂ©cĂ©dents. Enfin, dans ceux du troisiĂšme ordre, faits si rares quâentre les mains des anciens prĂȘtres, des magiciens et des thaumaturges ils ont passĂ© pour des miracles, je vous ai fait voir lâannihilation absolue de volontĂ©s humaines, si complĂštement absorbĂ©es par dâautres volontĂ©s plus puissantes que, par suite de la plus Ă©trange association , la pensĂ©e dâun individu semble devenir le centre volitif dâun autre individu. Tous ces faits, au moins ceux des deux derniers ordres, ont Ă©tĂ© maintes fois soumis on nâen saurait douter Ă lâanalyse scientifique et au contrĂŽle de la raison. Mais, ainsi que je vous lâai fait observer, les inductions systĂ©matiques quâils ont dĂ» fournir aux savants des diffĂ©rentes Ă©poques 11e nous sont point par- THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME. 85 venues. Elles se sont perdues avec tant dâautres vĂ©ritĂ©s qui nâont dĂ©chirĂ© le voile Ă©pais des hiĂ©roglyphes Ă©gyptiens que pour se dĂ©rober derechef aux yeux profanes sous les formules indĂ©chiffrables que le moyen Ăąge nous a laissĂ©es. Cependant la dĂ©couverte des effets Ă distance de la volontĂ©, est loin dâĂȘtre nouvelle, et les traces de cette croyance se produisent Ă chaque instant dans la plupart des Ă©crits mystiques antĂ©rieurs au xvi e siĂšcle. 11 est vrai quâelle sây trouve mĂȘlĂ©e aux conjectures les plus absurdes, les plus extravagantes, mais qui, pour cela mĂȘme, nâen prouvent que mieux que le fait dont elles sont des interprĂ©tations vicieuses avait Ă©tĂ© constatĂ©. Lâintervention du diable, par exemple , est une thĂ©orie tout comme une autre, mais une thĂ©orie qui implique Ă©videmment un ordre de choses que le concours dâune puissance surnaturelle est seul capable de produire. Aussi ne serais-je pas trop Ă©loignĂ© de voir dans lâidĂ©e du diable que tous les peuples paraissent avoir conçue le reflet de certaines anomalies qui de tout temps durent se montrer, soit dans lâordre physique, soit dans lâordre physiologique. Remarquez, dâailleurs, que ces anomalies, que ces prĂ©tendus Ă©vĂ©nements contre nature ne nous semblent tels quâautant que nous en ignorons la cause; dâoĂč il suit quâils se multiplient toujours en raison directe de lâignorance des peuples. VoilĂ justement pourquoi, au moyen Ăąge, le diable se trouve partout, dans le dogme, dans les sciences, et surtout dans la magie. Mais, indĂ©pendamment de ce que nous penserions avec le P. Malebranche' faire trop dâhonneur au diable * Malebranche, Rech. de la VĂ©ritĂ©, liv. m, ch. 8. 86 TROISIĂME LEĂON. en attribuant Ă sa puissance toutes les histoires quâon en raconte, nous tenons, en gĂ©nĂ©ral, pour essentiellement dĂ©fectueux tout systĂšme scientifique dont il est le principe. Nous laisserons donc aux thaumaturges du xv e siĂšcle le soin dâutiliser dans leur doctrine ce principe inconnu, et nous ne demanderons pas plus Ă lâenfer quâau paradis les raisons des phĂ©nomĂšnes dont nos sens nous rendront tĂ©moins. Sentir et vouloir, tels sont les axiomes du magnĂ©tisme, et, si lâon y regarde de prĂšs, les axiomes de la physiologie tout entiĂšre. Mais, aprĂšs avoir Ă©tabli ces deux pivots de rotation, il sâagit Ă prĂ©sent dâen chercher lâengrenage en dâautres termes, comment, par quel mĂ©canisme, par quel agent intermĂ©diaire la volontĂ© opĂšre-t-elle sur la sensibilitĂ©? Câest lĂ le secret du magnĂ©tisme, l'Ă©nigme quâon sâest posĂ©e bien des siĂšcles avant moi, et qui, entre les griffes du sphinx, eĂ»t coĂ»tĂ© la vie Ă plus dâun OEdipc. Enfin je vous ai fait entrevoir le systĂšme, je vais actuellement vous initier Ă ce que nous nommons la thĂ©orie. Si lâidĂ©e dâune Ăąme immatĂ©rielle nâĂ©tait la seule issue qui soit ouverte Ă lâespĂ©rance des hommes, si Ă cette idĂ©e ne se rattachait lâattente des biens destinĂ©s Ă nous consoler dans une autre vie de tous nos maux dâici-bas, il est probable que jamais mortel nâeĂ»t conçu cette idĂ©e. Daignez en effet y rĂ©flĂ©chir un esprit ! quelque chose quâon ne peut voir, quâon ne peut entendre, quâon ne peut sentir! quelque chose qui est et qui nâest pas, qui a sa place dans votre cerveau, et qui ne serait rien dans lâespace! Convenez que tout cela est si profondĂ©ment incomprĂ©hensible quâil faut 87 THĂORIES ANCIENNES ĂU MAGNĂTISME. avoir bien besoin dây croire pour ne pas sâen moquer. Cependant, loin de nous en moquer, nous y croyons tous avec ferveur, et rien , en dĂ©finitive, nâest plus logique que cette croyance; car, si lâĂąme immatĂ©rielle nâest pas comprĂ©hensible, Dieu ne lâest pas davantage, et nous tenons pour incontestable la rĂ©alitĂ© de Dieu. Aussi, soit orgueil, soit Ă©goĂŻsme, soit piĂ©tĂ© instinctive, il nâest presque plus personne aujourdâhui qui rejette explicitement lâexistence de lâĂąme humaine. Mais, en mĂȘme temps il nâest personne qui ne convienne volontiers quâelle soit dâune conception difficile, si difficile quâil est Ă peu prĂšs impraticable dâen faire aux sciences, câest-Ă -dire aux choses raisonnĂ©es, la moindre application, Ă moins de la considĂ©rer sans cesse comme un point mathĂ©matique. Si les psychologistes , personnifiant lâhomme moral dans lâĂąme qui le fait agir et penser, attribuent Ă celle-lĂ toutes sortes de facultĂ©s, dâautre part, ils nous accordent que ces facultĂ©s ne se manifestent quâau prix dâun appareil organique, autrement dit, par lâintervention dâune substance matĂ©rielle. Ainsi, dans lâordre naturel, les organes sont regardĂ©s par eux comme indispensables Ă toutes les perceptions et Ă toutes les volitions de lâĂąme. Le magnĂ©tisme, au premier abord, semble renverser ce principe, puisque les organes paraissent nâentrer pour pieu diju 1 certains effets de la volontĂ©. Mai§ quoi ! faudra-t-il donc admettre quâen pareil cas lâĂąme dont Ă©mane cette volontĂ© se dĂ©place, abandonne la glande pinĂ©ale ou la moelle allongĂ©e dont les philosophes ont fait sa demeure, pour aller elle-mĂȘme accomplir ce quâelle veuf? Cela peut ĂȘtre, aprĂšs tout, parce quâune fois 88 TROISIĂME quâon a mis le pied sue le domaine de l'inconnu, toute supposition devient raisonnable ; mais on se demande nĂ©anmoins sâil nây aurait point Ă faire Ă cet Ă©gard quelque hypothĂšse plus satisfaisante, et surtout plus accessible Ă notre infime raison? Si, par exemple, entre lâĂąme impressionnante et lâĂąme impressionnĂ©e, il nây aurait pas possibilitĂ© dâadmettre quelque moyen dâaction, quelque chaĂźne physique, quoique invisible, enfin quelque substance subtile, intermĂ©diaire, pour ainsi dire, Ă la matiĂšre et Ă lâesprit. Or, 1 & fluide admis par les magnĂ©tiseurs est cet ĂȘtre conjectural, dont nous essaierons nĂ©anmoins plus tard de vous prouver lâexistence, et auquel vous accorderez peut-ĂȘtre avec moi par la suite une importance infinie dans la production de tous nos actes vitaux. Toutefois, je comprends sans peine que ce fluide magnĂ©tique , qui Ă©chappe en mĂȘme temps Ă la vue et au toucher, passe encore pour une chimĂšre dans lâesprit de beaucoup de gens. Quant Ă moi, sans vous le prĂ©senter comme une vĂ©ritĂ© mathĂ©matique, je vous dĂ©clare que jây crois, mais comme les physiciens croient Ă lâĂ©lectricitĂ©. Câest-Ă -dire que notre fluide nâest peut- ĂȘtre, ainsi que celle-lĂ , quâune fiction ingĂ©nieuse, un moyen de sâentendre, un agent de convention que nous sommes prĂȘts Ă vous sacrifier, si vous avez mieux Ă nous offrir. Nâallez pas dâailleurs vous imaginer, Ă lâexemple de beaucoup de gens du monde et de quelques magnĂ©tiseurs, que Mesmer lâait inventĂ©. Trois mille ans avant lui, cette chose Ă©tait admise sous un autre nom, et cent ans avant que Mesmer fĂ»t connu, un grand mĂ©decin, un grand penseur, un grand 89 THĂ0K1ES ANCIENNES DU MAGNĂTISME, philosophe, notre maĂźtre Ă tous, Van Helmont, enfin . dont je vous ferai connaĂźtre tout Ă lâheure les principales idĂ©es, avait tirĂ© de cette hypothĂšse les plus admirables inductions. Mais, avant de vous exposer la thĂ©orie de Yan Helmont, je dois vous rapporter Jes opinions de quelques philosophes qui lâavaient prĂ©cĂ©dĂ© dans une carriĂšre oĂč ses successeurs nâont pas mĂȘme eu lâintelligence de le suivre. Sanchoniathon, le plus ancien des historiens connus, attribuait la conservation de lâunivers Ă un esprit subtil qui, rĂ©pandu dans lâair, animerait les hommes, et serait la cause des sympathies et des antipathies '. Il est probable que Sanchoniathon nâĂ©tait point lâauteur de cette thĂ©orie Ă laquelle jâai donnĂ© moi-mĂȘme avant de la connaĂźtre un large dĂ©veloppement. Est-ce donc le hasard ou la force de la vĂ©ritĂ© qui, Ă plusieurs milliers dâannĂ©es dâintervalle, conduit ainsi les hommes Ă professer les mĂȘmes idĂ©es? L'immortel fondateur de lâĂ©cole italique, Pythagorc rĂ©pandit en GrĂšce la doctrine dâun fluide quâil nommait la force productrice de l'univers a . EmpĂ©dode admettait Ă©galement pour principe gĂ©nĂ©ral , un esprit qui mettait tout en mouvement, et il croyait que les parties matĂ©rielles des corps avaient entre elles amour et haine 3 . Cet amour et cette haine dont parle EmpĂ©dode sont Ă©videmment Xattraction et la rĂ©pulsion atomiques 1 EusĂšbe, PrĂ©paration et DĂ©monstration Ă©vangĂ©liques, i vol. iu-fol. Paris, 1628. 2 Times, de Loc., t. III. s OiugĂšne , cap. 3, et FrĂ©ret, MĂ©moires de lâAcad. des Inscrip., 90 TROISIĂME LEĂON- de nos physiciens modernes, double facultĂ© quâils attribuent aussi Ă un fluide. Zenon, le cĂ©lĂšbre panthĂ©iste de lâantiquitĂ©, faisait du Dieu quâil enseignait un air ardent, une espĂšce de feq universellement rĂ©pandu, qui animait chaque chose, et qui, par sa providence, dirigeait tous les ĂȘtres selon les lois immuables de lâordre ou de la raison. Enfin les stoĂŻciens qui succĂ©dĂšrent Ă ZĂ©non, reproduisirent sous toutes les formes la grande pensĂ©e de leur maĂźtre. Ainsi que lui, ils admettaient lâexistence dâun fluide infiniment dĂ©liĂ©, et qui seul, suivant eux, vivifiait toute la nature. Dans leur systĂšme, nos Ăąmes et celles des bĂȘtes Ă©taient des particules sĂ©parĂ©es du grand tout, et qui, Ă la mort de lâindividu, devaient retourner Ă leur source commune. Pour faire entendre leur idĂ©e, ils comparaient les animaux Ă des bouteilles remplies dâeau qui flotteraient dans la mer, et dont le contenu, si on les brisait, se rĂ©unirait Ă lâOcĂ©an. Câest ce qui arrive aux Ăąmes, disaient- ils, quand la mort brise, pour ainsi dire, les organes oĂč elles sont renfermĂ©es, et les rĂ©unit Ă la grande Ăąme du monde. FĂ©nelon, dans son TĂ©lĂ©maque, a rendu avec autant dâĂ©lĂ©gance que de prĂ©cision cette pensĂ©e des stoĂŻciens lâĂąme universelle, dit-il, est un vaste ocĂ©an de lumiĂšre; nos Ăąmes sont autant de petits ruisseaux qui y prennent leur source et retournent sây perdre. » Ainsi, l'idĂ©e dâun fluide universel, que Mesmer, au xvm e siĂšcle, promulgua comme une nouveautĂ©, est aussi vieille que le monde. Jusquâici, nĂ©anmoins, je ne vous ai rapportĂ© que de pures abstractions philosophiques dont peut-ĂȘtre vous ne saisissez pas les rapports avec le magnĂ©tisme moderne. Câest que, en effet, vous ne 91 THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME, supposiez pus et vous aviez raison quâil y eĂ»t de la philosophie dans les passes des magnĂ©tiseurs, dont la plupart, je vous lâaccorde, moins Ă©rudits que charitables, oublient volontiers, dans leur dĂ©vouement, de se demander la cause du bien quâils font. Mais il nâen Ă©tait point ainsi lors des premiĂšres applications quâon fit des doctrines stoĂŻciennes Ă lâart de guĂ©rir- AsclĂ©piade, par exemple, qui nâĂ©tait pas moins philosophe que mĂ©decin, agissait bien certainement avec connaissance de cause lorsque, rejetant la doctrine dâIlippocrate, il ordonnait seulement Ă ses malades lâexercice et les frictions Plotin, au 111 e siĂšcle, Ă©tonnait ses contemporains par une bizarrerie du mĂȘme genre. Il guĂ©rissait, sans employer de remĂšdes, les malades quâil traitait; et tandis que ses confrĂšres attribuaient ses cures Ă un dĂ©mon familier, lui leur disait sou secret au iv e livre de ses EnnĂšades ce secret consistait dans lâapplication quâil faisait Ă la mĂ©decine dâun systĂšme de sympathie et dâantipathie, naissant, suivant lui, dâune force unique quâil nominaityb/re magique de la nature 2 . 1 Pune, lib. xvi, cap. 3. * Plotin, nĂ© lâan ao5 de JĂ©sus-Christ, Ă Lycopolis, dans la haute Egypte, appartenait Ă la secte des nĂ©oplatoniciens. Il sâattacha Ă lâĂ ge de vingt-huit ans au philosophe Ammonius Saccas, dont il suivit les leçons pendant onze ans, accompagna, en 244, lâempereur Gordien dans une expĂ©dition contre les Perses, pour puiser Ă sa source la philosophie des Orientaux, vint, aprĂšs PavĂ©- nement de Philippe, se fixer Ă Rome, vers lâĂ ge de quarante ans, y ouvrit une Ă©cole de philosophie oĂč afflua bientĂŽt un immense concours, et obtint la vĂ©nĂ©ration universelle aussi bien par ses vertus que par sa science. Plotin se retira, dans sa vieillesse, en Campanie, et y mourut vers 270. 11 avait, dit-on , obtenu de l'empereur Gallien la permission de bĂątir dans la Campanie une ville oĂč il devait rĂ©aliser la rĂ©publique idĂ©ale de Platon ; mais 92 TROISIĂME Je ne sais si les rois de France Philippe 1 er et Charles Y, qui, Ă l'exemple de Pyrrhus et de Vespasien , guĂ©rissaient les malades par lâattouchement jetaient initiĂ©s Ă la doctrine et au secret mĂ©dical de Plotin; mais, depuis ce philosophe, jusquâaux mĂ©decins thaumaturges du xv e siĂšcle, la thĂ©orie des fluides cessa dâĂȘtre professĂ©e, et fut remplacĂ©e, comme je vous lâai dit, par la thĂ©orie des mauvais auges. Pomponace et Paracelse, premiers restaurateurs ou divulgateurs de lâart magique, firent tous deux leur entrĂ©e dans le monde cent ans avant lâĂ©poque oĂč Spinosa devait rĂ©habiliter en philosophie la doctrine des stoĂŻciens. Puis vinrent Robert Boyle, Sebastien Wirdig, Maxwel et enfin Van Helmont. Pierre Pomponace ou Pomponazzi, nĂ© Ă Mantoue en 1462, Ă©crivit un traitĂ© ex professo sur la puissance occulte des enchantements â. MalgrĂ© les hypothĂšses hasardĂ©es et les croyances mystiques que renferme cet ouvrage, le dĂ©mon des enchanteurs 11âv est pas moins dĂ©trĂŽnĂ© par cette assertion remarquable Certains hommes ont une vertu inhĂ©rente de guĂ©rir, et peuvent ses ennemis firent Ă©chouer ce projet. â Le but de la philosophie, selon Plotin, est lâunion immĂ©diate de lâĂąme humaine avec lâĂȘtre divin, ce quâil appelle lâ unification ou la simplification henosis, haplosis on y arrive par la contemplation et par l'extase. Plolin prĂ©tendait avoir plusieurs fois lui-mĂȘme joui de la vue de Dieu. â Il laissa sur sa doctrine cinquante-quatre traitĂ©s que son principal disciple Porphyre se chargea de reviser et de publier sous le titre d 'EnnĂ©ades câest-Ă -dire Neuvaines. â Cette coâ- lection, dont il existe une traduction latine Oxford, v855, 5 vol. in- 4 0 , mĂ©rite dâĂȘtre consultĂ©e. Je la tiens pour un monument dans lâhistoire du magnĂ©tisme. * Etienne du Conti , Histoire de France. t De incantalionum potestale. 93 THĂORIES ANCIENNES DĂŒ MAGNĂTISME, opĂ©rer des cures par attouchement sans magie. » Remarquez dâailleurs que cette magnifique observation ne paraĂźt nullement suggĂ©rĂ©e Ă Pomponace par lâĂ©tude de lâantiquitĂ©. Mais comment se fit-il quâune semblable dĂ©couverte, quâune vĂ©ritĂ© de fait qui renfermait en elle, sinon tout le magnĂ©tisme, du moins tout lâart pratique du magnĂ©tisme mĂ©dical, ne soit pas devenue plus fĂ©conde entre les mains de son auteur ? Paracelse 1 fit dans le monde beaucoup plus de bruit que Pomponace; il fut lâidole de ses apologistes, il fut pour ses dĂ©tracteurs un effrontĂ© charlatan. Croirons- nous ses apologistes ou bien ses dĂ©tracteurs? en vĂ©ritĂ©, je nâose vous le dire, car il y a dans la vie de cet homme presque autant dâobscuritĂ© que dans ses Ă©crits. Paracelse, aprĂšs avoir voyagĂ© dans toute lâEurope, aprĂšs sâĂȘtre fait par de belles cures la plus brillante rĂ©putation, se fixa en iĂ 2 y Ă BĂąle, oĂč il fut nommĂ© professeur de mĂ©decine. 11 prĂ©tendait faire une rĂ©volution dans les sciences mĂ©dicales, et dĂ©truire lâautoritĂ© dâHippocrate, de Galien, dâAvicenne; mais bientĂŽt il laissa apercevoir le vide profond de ses dĂ©clamations, et perdit Ă la fois ses malades et son auditoire. Ce fut alors que, reprenant son ancien mĂ©tier de mĂ©decin ambulant, il promena sa science de ville en ville jusquâĂ Salzbourg, oĂč il mourut Ă lâhĂŽpital de Saint- Etienne a . » Ce rĂ©cit est-il exempt de toute partialitĂ©? Le mĂ©decin dont toute lâEurope avait admirĂ© les ' Paracelse Bombast de Hohenheim, dit, nĂ© en 1 49^, Ă Einsiedeln canton de Scliweitz, et mort en i54i. â Ses Ćuvres complĂštes forment 3 vol. in-fol. GenĂšve, i658. â Bouillet, Diction, univers, dâhistoire et de gĂ©ographie- Paris, i843, in-8, 94 TROISIĂME tEtiONi succĂšs, le novateur infatigable Ă qui la thĂ©rapeutique doit Xopium et le mercure, nâĂ©tait-il rĂ©ellement , comme nous lâinsinue son biographe, quâun dĂ©elama- teur vain et prolixe? Peut-ĂȘtre faudrait-il appliquer Ă Paracelse le mot de NapolĂ©on sur Robespierre Son procĂšs a Ă©tĂ© jugĂ©, mais il nâa point Ă©tĂ© plaidĂ©. Combien de fois, en effet, ne prit-on pas pour le vide de lâesprit la profondeur du gĂ©nie ! et qui peut dire si Paracelse ne fut pas honni de son siĂšcle pour lâavoir devancĂ©. Nous savons, dieu merci, par expĂ©rience, Ă quel l'idi- cule expose la prĂ©tention de faire croire Ă des faits dont lâinconstance ne permet pas toujours la vĂ©rification. Que dis-je! ne suffĂźt-il pas quâun fait soit nouveau, ou nouvellement signalĂ©, pour paraĂźtre paradoxal ? Quelles contradictions nâeut pas Ă vaincre, avant de prĂ©valoir, la belle Ă©cole psychologique d'Edimbourg ! et Gall % le plus grand observateur des temps modernes , ne passe-t-il pas encore aux yeux de la moitiĂ© de nos contemporains pour un sophiste et un rĂȘveur? Quant Ă moi, je vous le rĂ©pĂšte, je nâose me prononcer sur le compte de Paracelse; mais je ne serais pas Ă©loignĂ© de croire que cet homme singulier eĂ»t jouĂ© prĂ©cisĂ©ment au x\u e siĂšcle le rĂŽle hasardeux que reprit Mesmer Ă la fin du xvm e . IndĂ©pendamment des controverses quâont soulevĂ©es leurs doctrines, ces deux personnages ont entre eux plus dâun point de ressemblance. Tous deux, fauteurs enthousiastes et opiniĂątres dâinnovations quâon traita dâextravagances, ils excitĂšrent tour Ă tour lâun et lâautre la haine et lâenvie, le âą Voyez son ouvrage Sur les fonctions du cerveau et sur celles de chacune de ses parties. Paris, i8a5, 6 vol. in-8. 95 THĂORIES ANCIENNES DĂŒ MAGNĂTISME. mĂ©pris et lâadmiration. Tous deux, enfin, prĂ©conisĂšrent une panacĂ©e universelle; rĂȘve sublime, lorsquâil Ă©mane dâune conception gigantesque dont la trame Ă©chappe au vulgaire; rĂȘve absurde, qui lie mĂ©rite Palteution de personne lorsquâil nâest que le caprice dâune imagination bizarre. Dans laquelle de ces deux catĂ©gories rangerons-nous la panacĂ©e de Paracelse ? dans la premiĂšre, messieurs, car l 'onguent des armes f , nâen doutez pas, Ă©tait moins une drogue quâun systĂšme. Il lut le drapeau de ralliement de cette fameuse doctrine des sympathies qui occupa pendant plus dâun siĂšcle tous les savants de lâEurope, et qui a sa place dans les annales de lâentendement humain. Cette doctrine reposait essentiellement sur lâexistence dâun fluide, universellement rĂ©pandu, entretenant dans chaque corps de la nature une harmonie perpĂ©tuelle et une telle solidaritĂ© entre leurs que la sĂ©paration mĂȘme des parties nâen dĂ©truisait pas les rapports. De lĂ Ă lâidĂ©e de traitements par des actions Ă distance, le passage Ă©tait facile aussi vit-on de toutes parts prĂ©coniser la vertu dĂ©s traitements par sympathie. Il suffisait dâavoir lâĂ©pĂ©e ensanglantĂ©e qui avait produit une plaie, ou un linge teint du sang du blessĂ© pour guĂ©rir ce dernier Ă distance eu appliquant seulement au linge ou Ă lâĂ©pĂ©e le spĂ©cifique propre Ă agir par lâintermĂ©diaire du fluide. Le spĂ©cifique, comme vous le pensez bien, Ă©tait l 'onguent des armes. Quel 1 L'onguent des armes Ă©tait un composĂ© dâusnĂ©e ou mousse du crĂąne humain et de divers corps gras. On sâen servait pour frotter le sabre ou lâĂ©pĂ©e qui avait fait une blessure. Cette mĂ©thode Ă©tait dĂ©signĂ©e par le nom de cure magnĂ©tique des blessures. 96 TROISIĂME LEĂON, malheur que Paracelse ait souillĂ© sa gloire de cette imposture ou de cette ineptie! A cela prĂšs de ce grossier mensonge, jamais fiction plus ingĂ©nieuse ne rĂ©unit la mĂ©taphysique et la mĂ©decine, ces deux sciences si malheureusement irrĂ©conciliables depuis la scission que le matĂ©rialisme a opĂ©rĂ©e entre elles. Nâallez pas croire cependant que je me fasse aveuglĂ©ment le champion de la doctrine des sympathies. Je sens tout aussi bien que nos modernes esprits forts ce quâil y avait dâinsoutenable et dâabsurde dans la thĂ©rapeutique de Paracelse; mais puissent-ils comprendre Ă leur tour aussi bien que je le comprends moi-mĂȘme ce quâil y avait de rationnel et dâĂ©levĂ© dans sa thĂ©orie Ă cela prĂšs, je le rĂ©pĂšte, de la spĂ©cificitĂ© imaginaire du trop fameux onguent des armes, cette thĂ©orie nâĂ©tait que la consĂ©quence extrĂȘme dâun principe dont rien, en dĂ©finitive, ne prouvait la faussetĂ©. Ce fut dâailleurs sur la mĂȘme donnĂ©e mĂ©taphysique que reposa lâinvention de certaines pratiques, depuis longtemps abandonnĂ©es, et dont lâobjet commun Ă©tait de communiquer Ă distance. Le sel de sang, la lampe de vie et Xalphabet sympathique ne sont-ils que de poĂ©tiques souvenirs? Jâai la faiblesse de lâavouer, je voudrais que lâexpĂ©rimentation ne dĂ©daignĂąt pas de sâenquĂ©rir sâil nây aurait pas parmi ces rĂȘveries quelques rĂ©alitĂ©s. Le sel de sang Ă©tait une composition dans laquelle entrait du sang de la personne Ă©loignĂ©e dont on voulait avoir des nouvelles. Cette composition , qui restait rouge et vermeille tant que la personne se portait bien , se ternissait dans le cas de maladie ou de mort. THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME. 97 La lampe de vie, qui brĂ»lait dâun feu clair tant que la personne qui en avait fourni la substance se portait bien, pĂąlissait Ă ses souffrances et sâĂ©teignait Ă sa mort. L alphabet sympathique supposait une rĂ©ciprocitĂ© dâaffection et de dĂ©vouement si rares au temps oĂč nous vivons, que cette seule circonstance suffirait pour expliquer la dĂ©suĂ©tude dans laquelle est tombĂ©e la pratique dont il sâagit. Deux amis qui voulaient sâentendre Ă toutes lĂšs distances imaginables Ă©changeaient stoĂŻquement quelques parties de leur chair. Sur chacun de ces deux lambeaux de forme Ă©gale qui se remplaçaient mutuellement sur le bras droit des deux amis, oĂč certaines lois trĂšs-positives de la vie organique ne tardaient pas Ă les faire adhĂ©rer, on traçait en rond les lettres de lâalphabet. Lorsquâune des deux personnes touchait avec un stylet ces caractĂšres magiques, lâautre en Ă©tait instruite par une piqĂ»re aux endroits oĂč se trouvaient les lettres dĂ©signĂ©es. Un fait trĂšs-extraordinaire confirma, ditThouret*, la doctrine des sympathies. Un habitant de Bruxelles sâĂ©tant fait faire un nez artificiel par la mĂ©thode de Ta- liacot 1 2 , il sâen Ă©tait retournĂ© ainsi rĂ©parĂ© dans ses traits au lieu de son sĂ©jour ordinaire, oĂč il continua de vivre assez bien portant, lâopĂ©ration ayant rĂ©ussi. 1 Tiiouret, et Doutes sur le MagnĂ©tisme animal. Paris, 1784, in-12. 2 Taiiacot, cĂ©lĂšbre chirurgien, professeur de mĂ©decine Ă lâUniversitĂ© de Bologne, naquit en i 546 , et mourut en 1600. U Ă©crivit sur les procĂ©dĂ©s quâil mettait en usage. Quand il mourut, les magistrats de Bologne lui Ă©levĂšrent une statue; et pour faire connaĂźtre Ă la postĂ©ritĂ© le genre dâopĂ©ration par lequel il sâĂ©tait illustrĂ©, on lui mit un nez dans la main. 7 98 TROISIĂME LEĂON. Mais tout Ă coup, dit-on, la partie factice quâil sâĂ©tait procurĂ©e devint froide, pĂąle, livide, se pourrit et tomba. On ne savait Ă quelle cause attribuer ce changement imprĂ©vu dont on ne voyait aucune raison plausible; mais on apprit bientĂŽt que le jour mĂȘme de la chute du nez factice Ă Bruxelles, un crocheteur de Bologne qui, pour de lâargent, avait fourni une portion de peau prise Ă son bras, Ă©tait mort dans cette ville oĂč avait Ă©tĂ© pratiquĂ©e lâopĂ©ration. Peu de temps aprĂšs, plusieurs faits du mĂȘme genre furent recueillis et publiĂ©s, et lâon devine aisĂ©ment lâinterprĂ©tation quâen donnĂšrent les successeurs de Paracelse '. Wirdig publia Ă Hambourg, en 167 3 , sa Nova Me- dicina Spirituum, livre singulier qui rĂ©pandit en Allemagne les principales idĂ©es du mĂ©decin dâEinsiedeln. Toute la nature est magnĂ©tique, dit cet auteur ; le magnĂ©tisme est la base du monde, toutes les vicis- situdes des choses dâici-bas arrivent par son fait ; 4 Ces faits eurent un tel retentissement quâils suggĂ©rĂšrent Ă Voltaire la plaisanterie suivante Ainsi Taliacotius, Grand Esculape dâĂtrurie, RĂ©para tous les nez perdus Par une admirable industrie. Il vous prenait adroitement Un morceau du cul dâun pauvre homme, Lâappliquait au nez proprement ; Enfin, il arrivait quâen somme, Tout juste Ă la mort du prĂ©teur, Tombait le nez de lâemprunteur ; Et souvent, dans la mĂȘme biĂšre , Par justice et par bon accord, On remettait, au grĂ© du mort, Le nez auprĂšs de son derriĂšre. THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME. 99 câest le magnĂ©tisme qui conserve la vie, comme il dĂ©- termine la fin de toutes choses. » Guillaume Maxwell, mĂ©decin du roi dâAngleterre, reprit en sous-Ćuvre les principes Ă©tablis par Paracelse et Wirdig, et leur donna de longs dĂ©veloppements dans sa MĂ©decine magnĂ©tique Son systĂšme est une sorte de panthĂ©isme bĂątard,qui, tout en admettant une Ăąme universelle et lâexpansion des volontĂ©s individuelles, donne Ă celles-ci pour intermĂ©diaire un ridicule mĂ©lange de sang et dâhumeurs excrĂ©mentitielles LâĂąme, dit-il, nâest pas seulement au dedans, mais elle est mĂȘme au dehors de son propre corps; elle nâest point circonscrite dans lâenceinte dâun corps organisĂ©. LâĂąme opĂšre hors de ce quâon appelle communĂ©ment son propre corps. 11 Ă©mane de tout corps des rayons corporels, qui sont autant de vĂ©hicules par lesquels lâĂąme transmet son action, en leur communiquant son Ă©nergie et sa puissance pour agir ; et ces rayons non-seulement sont corporels, mais ils sont mĂȘme composĂ©s de diverses matiĂšres, etc. » Un peu plus loin, Maxwell fait Ă la thĂ©rapeutique lâapplication de ces idĂ©es On doit se proposer, dit-il, dans tous les maux, de fortifier, multiplier et rĂ©gĂ©nĂ©rer lâesprit vital; câest ainsi quâon parviendra facilement Ă guĂ©rir toutes les maladies. » Enfin, Maxwell rĂ©sume toute sa philosophie mĂ©dicale dans la proposition suivante, qui, dans la suite, devint lâaxiome de la doctrine mesmĂ©rienne Quâil puisse y avoir un remĂšde universel, câest ce dont on ne peut douter, car, en se fortifiant, lâesprit ' De re Magnetica, lib. ni, 1679. 100 TROISIĂME LEĂON, vital particulier devient capable de guĂ©rir toutes sortes de maladies. Il nây en a aucune en effet que cet esprit nâait quelquefois dissipĂ©e sans le secours des mĂ©decins. La mĂ©decine universelle nâest rien autre chose que lâesprit vital augmentĂ©, multipliĂ© dans une proportion convenable.» Los principes de Maxwell eurent en Angleterre de nombreux partisans sous le rĂšgne de Charles II. Robert Boyle', le fondateur de la SociĂ©tĂ© royale de Londres, leur donna de la consistance en les appuyant de son immense autoritĂ©. Boyle, dit un de ses biographes, sâĂ©leva constamment contre la doctrine dâAristote, encore enseignĂ©e de son temps dans les Ă©coles, et, convaincu comme Bacon de lâindispensable nĂ©cessitĂ© des faits pour sâĂ©lever Ă la dĂ©couverte de la vĂ©ritĂ©, il ne voulut pas mĂȘme connaĂźtre les ouvrages de Descartes, qui faisaient alors beaucoup de bruit, dans la crainte dây puiser plus dâimagination que dâobservation, et des hypothĂšses sĂ©duisantes plutĂŽt que des faits. » Ce Robert Boyle riâĂ©tait donc ni un rĂȘveur, ni un visionnaire; mais un esprit positif, grand mathĂ©maticien et surtout grand observateur, dont les assertions, mĂȘme les plus Ă©tranges, Ă©taient dignes dâattention. Aussi les savants de son temps daignĂšrent-ils lire son traitĂ© De mira corporum sublilitate, dans lequel il admettait i° un fluide universel; a 0 une rĂ©ciprocitĂ© dâaction Ă distance entre les corps organisĂ©s. Mais cet ouvrage ne fut pas mieux compris 1 Robert Boyle, de la famille des comtes de Cork et dâOrrery, nĂ© Ă Lismore, en Irlande, le 25 janvier 1626, et mort Ă Londres le 5 o dĂ©cembre 1691. â Ses ouvrages, tous Ă©crits en anglais, ont Ă©tĂ© recueillis par Birel en 5 vol. in-fot. Lond , iy 44 , avec une vie de lâauteur. â lien existe une traduction latine incomplĂšte, formant 4 vol. in- 4 °. GenĂšve, 1680. THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME. 101 que ceux de Wirdig ou de Paracelse; il nâĂ©tait dâailleurs pas Ă la hauteur des Ă©crits de Van Helmont sur le mĂȘme sujet. De tous les hommes qui se sont livrĂ©s jusquâĂ prĂ©sent Ă lâĂ©tude du magnĂ©tisme, je viens de vous nommer le plus cĂ©lĂšbre et celui qui a le plus de droit Ă votre admiration. Van Helmont est un des plus grands gĂ©nies que le genre humain ait produits. De quelque cĂŽtĂ© quâon lâenvisage, quâon juge en lui le mĂ©decin, le physiologiste, le philosophe ou lâĂ©crivain, cet homme est prodigieux. Aucun autre, peut-ĂȘtre, ne joignit au mĂȘme degrĂ© lâart dâobserver la nature et le talent de lâinduction. Vous avez tous entendu parler de la rĂ©volution quâil fit dans les sciences mĂ©dicales, en substituant lâĂ©tude des lois vitales Ă la routine des galĂ©nistes et des mĂ©decins arabes. Eh bien! cette rĂ©volution, dont les effets durent encore, il lâopĂ©ra par la seule puissance de sa raison, et sans le secours de ces passions fougueuses qui distinguent la plupart des novateurs, et qui sont, le plus souvent, la moitiĂ© de leur gĂ©nie. Permettez-moi donc de faire prĂ©cĂ©der de quelques mots sur la vie de cet homme extraordinaire lâexamen critique de ses idĂ©es. Jean-Baptiste Van Helmont, seigneur de MĂ©rode, Royenboch, Oorschot et Pellines, naquit Ă Bruxelles, en 1577, dâune famille noble et considĂ©rĂ©e dans le pays. Son pĂšre Ă©tant mort en i58o, il demeura confiĂ© aux soins de sa mĂšre et dâun oncle, qui, frappĂ©s lâun et lâautre de sou intelligence prĂ©coce, se firent un devoir de la cultiver. CâĂ©tait alors un enfant curieux, voulant tout savoir, et comprenant merveilleusement tout ce quâon lui enseignait. AprĂšs avoir passĂ© dans sa famille 102 TROISIĂME LEĂON. les premiĂšres annĂ©es de sa vie, il alla suivre Ă Louvain son cours dâhumanitĂ©s; mais aprĂšs lâavoir achevĂ©, il ne prit pas, selon lâusage, le titre de maĂźtre Ăšs arts, parce quâil regardait, disait-il, les titres et les dignitĂ©s acadĂ©miques comme des hochets de la vanitĂ©. Les jĂ©suites qui faisaient alors des cours de philosophie Ă Louvain, au grand dĂ©plaisir des professeurs de celle ville, eurent lâart de lâattirera leurs leçons, et lâun dâentre eux, le P. Martin del Rio, voulut lâinitier aux mystĂšres de la magie, quâil enseignait. Mais Yan Helmont, observateur avant tout, nâavait pas encore Ă©tĂ© prĂ©parĂ© par lâexpĂ©rience Ă distinguer ce quâil y avait de vĂ©ritable dans une science qui nâĂ©tait plus Ă cette Ă©poque quâun tissu informe de toutes les subtilitĂ©s de la dialectique. Un peu plus tard , les Ă©crits de Thomas Kempis et de Tau- lerus entraĂźnĂšrent cette imagination ardente dans les voies obscures du mysticisme, et Van Helmont, pour obtenir la faveur de participer Ă lâinfluence de la grĂące divine, abandonna par humilitĂ© tous ses biens Ă sa sĆur, et renonça sans regret aux privilĂšges que lui assurait sa naissance. Si nous en croyons ses propres rĂ©cits, il ne tarda pas Ă recueillir les fruits de cette entiĂšre abnĂ©gation de soi-mĂȘme, car il jouit de la contemplation des thĂ©ophanies, et, comme Socrate, il eut un gĂ©nie qui lui apparut dans toutes les occasions importantes.â Cette particularitĂ©, dans la suite, nâaura pour vous rien dâĂ©trange. Vous y verrez simplement les effets des Ă©tudes thĂ©osophiques sur une imagination de feu, ou, pour parler plus physiologiquement, le rĂ©sultat dâune continuelle surexcitation cĂ©rĂ©brale. Quoi quâil en soit, lâabandon de sa fortune ne pa- THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME. 103 raissant pas encore Ă Van Helmont un sacrifice assez mĂ©ritoire, il rĂ©solut, pour imiter en tout la conduite du Christ, dâapprendre la mĂ©decine, afin de pouvoir la pratiquer comme une Ćuvre de bienfaisance et de charitĂ©. Il commença donc, suivant lâusage adoptĂ© dans toutes les Ă©coles, par Ă©tudier les Ćuvres dâHippocrate, de Galien et de leurs premiers successeurs. Mais loin de partager lâenthousiasme gĂ©nĂ©ral quâexcitaient les thĂ©ories des anciens sur la nature et le traitement des maladies, il fut frappĂ© tout dâabord du vide quâelles prĂ©sentaient. Celle du mĂ©decin de Pergame, surtout, lui semblait dĂ©nuĂ©e de fondement, et il se proposait de la rĂ©former, lorsquâun Ă©vĂ©nement fort simple le dĂ©goĂ»ta delĂ mĂ©decine. Van Helmont, ayant contractĂ© la gale, consulta les mĂ©decins galĂ©nistes qui, attribuant cette maladie Ă la combustion de la bile et Ă lâĂ©tat salin du phlegme, lui conseillĂšrent lâusage des purgatifs qui lâaffaiblirent et ne le guĂ©rirent pas. Alors il prit en haine une science conjecturale dont il venait si tristement de constater lâimpuissance. Il y renonça donc et se mit Ă voyager en France et en Italie. Cependant, dix ans plus tard, une voix quâil crut entendre en songe, son gĂ©nie familier, rĂ©veilla en lui le dĂ©sir quâil avait autrefois conçu de renverser le systĂšme des humoristes. Un empirique quâil avait rencontrĂ© lui donna quelques notions de chimie expĂ©rimentale. Van Helmont prit goĂ»t pour cette science qui lui suggĂ©ra, comme Ă tant dâautres beaux gĂ©nies, la chimĂ©rique espĂ©rance de dĂ©couvrir un remĂšde universel. Ce fut Ă peu prĂšs Ă la mĂȘme Ă©poque quâil Ă©pousa une riche Brabançonne, dont il 104 XKOIS1ĂME LEĂON. eut plusieurs enfants, entre autres un fils, François Mercure, devenu cĂ©lĂšbre dans les fastes de la thĂ©osophie. RetirĂ© dans une terre prĂšs de Vilvorde, il sây occupa jusquâĂ la fin de ses jours dâopĂ©rations chimiques et de thĂ©ories sur lâorganisation physique et intellectuelle du genre humain. Pendant prĂšs de trente ans il ne quitta pas son laboratoire, quoiquâil assure que le nombre des malades traitĂ©s et guĂ©ris par lui sâĂ©leva Ă plusieurs milliers chaque annĂ©e. Ce nombre, si considĂ©rable quâil soit, paraĂźtra cependant dâautant moins exagĂ©rĂ© que Yan Helmont nâexerça jamais lâart de guĂ©rir dans des vues intĂ©ressĂ©es de lâaveu de tous ses biographes, il refusait le salaire quâon lui offrait pour ses conseils et mĂȘme pour ses prĂ©parations, et ce fut en vain que les empereurs Rodolphe II, Mathias et Ferdinand II essayĂšrent de lâattirer Ă Vienne par lâappĂąt des richesses et des dignitĂ©s. Rien ne put le dĂ©terminer Ă quitter sa retraite oĂč il Ă©crivit la plupart des ouvrages quâil nous a laissĂ©s, et oĂč il mourut, dâune fluxion de poitrine, le 3o dĂ©cembre ĂŻ 644* Certes, la vie que je viens de vous raconter est celle dâun homme honorable, et si quelque pĂ©dant, qui ne comprenait pas la valeur des termes, a pu dire de Yan Helmont quâil nâĂ©tait quâun visionnaire, personne assurĂ©ment nâeut jamais le droit de lâaccuser de charlatanisme. Aussi les mĂ©decins modernes, tout en manquant de documents pour apprĂ©cier lâĂ©tendue et la profondeur de son intelligence, sâaccordent-ils pour rendre justice Ă sa sincĂ©ritĂ©. Il croyait de si bonne foi, dit Jourdan 1 , aux prĂ©tendus miracles opĂ©rĂ©s par la 1 Biographie medicale. Paris, 1822, t. Y, p. t47- 105 THEORIES ANCIEN-NES ]>C MAGNĂTISME. chimie, que la mort de sa femme et de quatre de scs enfants, moissonnĂ©s sous ses yeux par des maladies diverses, nâavait pu lâen dĂ©sabuser. â Van Helmont Ă©tait nourri de la lecture des adeptes. DouĂ© dâune imagination ardente, il lâavait encore exaltĂ©e dans leur commerce assidu. Le feu de leurs fourneaux avait achevĂ© dâenflammer sa tĂȘte. Cepegdant, au milieu de cette fumĂ©e alchimique et superstitieuse, oĂč trop souvent ces idĂ©es sont comme perdues, jail- lissent par intervalle des traits dâune vive lumiĂšre. Câest sur la route de lâerreur quâil a fait dâheureuses dĂ©couvertes, et câest dans la langue des charlatans quâil annonce de brillantes vĂ©ritĂ©s. » De tous les critiques de Van Helmont, Deleuze, qui lâavait le plus Ă©tudiĂ©, est aussi celui qui lâa le mieux jugĂ©. Van Helmont, dit-il ', Ă©tait un homme de gĂ©nie il fait Ă©poque dans lâhistoire de la physiologie et de la mĂ©decine. Câest lui qui le premier a fait connaĂźtre le systĂšme des forces Ă©pigastriques. Il reconnut lâaction puissante de lâestomac sur les autres organes; il vit Ă©galement que le diaphragme est un centre principal dans lâĂ©conomie du corps vivant. En considĂ©rant lâensemble des ĂȘtres et en recherchant la cause de leur influence rĂ©ciproque, il aperçut dans tous les corps un principe de mouvement inhĂ©rent Ă leur nature, une force particuliĂšre que leur a imprimĂ©e le CrĂ©ateur, et par laquelle ils agissent les uns sur les autres, et il donna le nom de blas Ă ce principe dâaction. Combien de vues profondes sur lâincertitude 1 Deleuze De P opinion de Van Helmont sur la nature, la cause et les effets du magnĂ©tisme. 106 TROISIĂME LEĂON. de la mĂ©decine et sur les moyens de la perfectionner, Sur lâinsuffisance de la logique scolastique et sur les vĂ©ritables fondements de nos connaissances, sur la nĂ©cessitĂ© dâallier les sciences mĂ©taphysiques et morales aux sciences physiques et naturelles pour arriver Ă la vĂ©ritĂ©, se trouvent dans ses Ă©crits! Combien dâidĂ©es maintenant rĂ©pandues dans plusieurs traitĂ©s de physiologie et surtout dans ceux de lâĂ©cole de Montpellier, doivent leur origine aux principes quâil a le premier Ă©noncĂ©s! En chimie, il fit plusieurs dĂ©couvertes importantes. Câest Ă lui quâon doit la premiĂšre connaissance des fluides aĂ©riformes, auxquels il donna le nom de gaz, sous lequel on les dĂ©signe encore aujourdâhui. Sans lui Stahl nâaurait probablement jamais donnĂ© une nouvelle impulsion aux sciences. Si son imagination lâentraĂźna dans quelques erreurs, du moins sa bonne foi nâest jamais douteuse. Sâil se crut inspirĂ©, câest quâil nâavait puisĂ© ses idĂ©es ni dans les livres, ni dans le commerce des hommes, mais dans nue profonde mĂ©ditation des phĂ©nomĂšnes de la nature. Ce qui donne un charme particulier Ă la lecture de ses Ă©crits, câest lâĂ©lĂ©vation de son Ăąme, lâabsence totale du dĂ©sir de la rĂ©putation et de tout intĂ©rĂȘt terrestre; câest un amour ardent de la vĂ©ritĂ©, subordonnĂ© cependant Ă lâamour du bien; câest un sentiment religieux qui met en harmonie ses autres sentiments, et qui, fondĂ© sur une foi vive, mais exempt dâintolĂ©rance, ne se montre au dehors que par la charitĂ© câest que, lors mĂȘme que son style est obscur, il excite lâimagination du lecteur, Ă©meut son Ăąme et lui fait naĂźtre de nouvelles pensĂ©es. Le tĂ©moignage dâun tel homme est 107 THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME, dâun grand poids et ses opinions ne doivent point ĂȘtre rejetĂ©es sans examen. Ses divers ouvrages, et particuliĂšrement sa Dissertation sur la cure magnĂ©tique des blessures, prouvent quâil avait rĂ©ellement devinĂ© le principe et connu lâaction du magnĂ©tisme, et si lâexplication quâil en donne est, Ă certains Ă©gards, erronĂ©e, elle est, du moins, assez ingĂ©nieuse pour mĂ©riter quelque attentionâ. » Une note annexĂ©e Ă lâopuscule, aujourdâhui fort rare, dont je viens de vous rapporter un fragment, peut complĂ©ter Ă vos yeux le portrait de Yan Helmont; cette note est ainsi conçue On a dit de Yan Helmont quâil Ă©tait fort crĂ©dule et cela est vrai, peut-ĂȘtre mĂȘme a-t-ou eu raison de le traiter de visionnaire; mais on lâa accusĂ© dâĂȘtre superstitieux et ceci mĂ©rite explication. Si lâon donne le nom de superstition Ă toute croyance pieuse qui, pouvant sâaccorder avec les dogmes et les principes de la religion, nâest cependant pas au nombre des choses que lâEglise nous oblige * Les ouvrages de Yan Helmont sont les suivants De Magnelica vulnerum naturali et lĂ©gitima curaĂŒone. Paris, 1621, in- 4 °- Cologne, 1624, in-8°; De aquis Leodiensibus medicalis supplementum. Cologne, 1724,in-8°; Febriitm doctrina inaudila. Anvers, i652,in-i6. Traduct. franc, par A. Baudie. Paris, i653, in-8°; Opuscula medica inaudila. Cologne, 164 4 , in- 8 °; Ortus medicince , id est initia physicĆ inaudila , progressas me- dicinĆinmorborumcurationemadvilani longam. Amsterdam, 1648, in- 4 ». Lyon, i 652, in-fol. Leyde, 1667, in-fol. Francfort, 1642, in- 4 0 . Londres, 1642, in- 4 °. Traduction franc.; Lyon, 1671, in- 4 °; Ce dernier ouvrage a Ă©tĂ© publiĂ© par François Mercure Yan Helmont , fils de lâauteur, nĂ© en 1618 et mort en 169g. 108 TROISIĂME LEĂON. Ă recevoir comme acte de foi, Van Helmont nâĂ©tait pas exempt de superstition. Regardant lâEcriture comme le dĂ©pĂŽt de toutes les vĂ©ritĂ©s, il y cherchait lâexplication de plusieurs phĂ©nomĂšnes physiques sans penser que lâobjet des livres saints est seulement de nous instruire de nos devoirs et de notre destinĂ©e. Mais si lâon donne le nom de superstition aux croyances et aux pratiques qui tendent Ă nuire aux hommes, soit en les portant Ă lâintolĂ©rance et au fanatisme, soit en affaiblissant lâempire de la raison, jamais la superstition nâeut un plus grand ennemi. De nos jours, pour dĂ©truire les funestes effets de la superstition, quâon a prĂ©sentĂ©e comme bien plus dangereuse que lâathĂ©isme, et comme la premiĂšre cause de presque tous les maux du genre humain, on a attaquĂ© la religion. On a voulu donner plus dâempire Ă la raison humaine, en lui soumettant tout et en ne voyant dans la nature que des forces mĂ©caniques. En reconnaissant lâexistence de lâĂąme, celle de la DivinitĂ© et mĂȘme la Providence, ou en a fait abstraction dans lâexplication du systĂšme du monde. On nâa voulu admettre comme vrai, que ce qui est reconnu par le tĂ©moignage des sens, ou prouvĂ© par la raison sans faire attention que souvent les sens nous trompent et que la raison mĂȘme nous Ă©gare. On a sapĂ© tous les prĂ©jugĂ©s sans examiner sâils Ă©taient utiles ou nuisibles, fondĂ©s sur des idĂ©es favorables au bonheur, ou contraires Ă la tranquillitĂ© des individus et Ă lâharmonie de la sociĂ©tĂ©. Il eĂ»t cependant Ă©tĂ© essentiel de faire cette distinction. Câest, par exemple, une croyance funeste que celle qui attribue au dĂ©mon la puissance THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME. 109 dâagir physiquement et de produire des effets dans la nature. Mais la croyance que les anges, mĂ©diateurs entre Dieu et les hommes, veillent sur les gens de bien, leur inspirent des idĂ©es de paix, les excitent Ă la vertu et les consolent dans leurs malheurs; que les ĂȘtres qui nous ont prĂ©cĂ©dĂ©s dans la vie, sâoccupent encore de nous, Ă©coutent nos vĆux et peuvent nous communiquer de bonnes pensĂ©es; quâil y a une correspondance entre le ciel et la terre, entre le temps et lâĂ©ternitĂ©; que Dieu favorise ceux qui le prient en fortifiant leur cĆur, en Ă©clairant leur esprit, en leur donnant des lumiĂšres quâils nâauraient point acquises par lâĂ©tude, et cent autres opinions de ce genre, tant ridiculisĂ©es de nos jours; quel mal font-elles aux hommes? quel dĂ©sordre portent-elles dans la sociĂ©tĂ©? Et comment croire quâelles abrutissent lâintelligence, lorsquâon sait que tant de grands gĂ©nies les ont eues, depuis Platon jusquâĂ FĂ©nelon ? Van Helmont donna dans ces idĂ©es ou dans ces prĂ©jugĂ©s. Mais personne, en se renfermant dans les limites de la foi catholique, nâa jamais combattu avec plus de force et par de meilleures raisons la puissance attribuĂ©e au diable, et toutes les pratiques qui ne sont point en accord avec la simplicitĂ© du christianisme. Il sâarrĂȘte Ă la volontĂ© de Dieu pour rendre raison de plusieurs phĂ©nomĂšnes quâon a depuis expliquĂ©s par les forces de la nature; mais ceux qui se sont moquĂ©s de son systĂšme nâont fait que reculer la difficultĂ©. » Yan Helmont est lâauteur dâun systĂšme dâanthropologie qui a joui longtemps, dans nos Ă©coles, dâune grande cĂ©lĂ©britĂ©. Ce systĂšme dont on sâest beaucoup 110 TROISIĂME LEĂON. moquĂ© saus le comprendre, et, qui plus est, sans lâĂ©tudier, reposait essentiellement sur le spiritualisme; câest-Ă -dire que Van Ilelinont croyait Ă lâexistence dâune Ăąme immortelle, faite Ă lâimage du CrĂ©ateur, et de laquelle Ă©manaient la pensĂ©e, le libre arbitre et toutes les prĂ©rogatives morales dĂ©volues Ă l'humanitĂ©. Mais indĂ©pendamment de ce principe divin, Van Hel- mont admettait une sorte de principe mixte, auquel il donnait le nom d 'archĂ©e. Ce principe qui, pour lui, rĂ©sultait de lâassociation dâune substance spirituelle avec diverses humeurs, prĂ©sidait immĂ©diatement aux actes de la vie organique, et aux actes instinctifs de la vie de relation. 11 ne diffĂ©rait guĂšre, ainsi que vous en pouvez juger, de lâĂąme sensitive imaginĂ©e par les philosophes de la mĂȘme Ă©poque. Seulement lâarchĂ©e de Van Helmont Ă©tait dĂ©fini dans son essence. Il nâabandonnait le corps quâĂ sa dissolution, et constituait une sorte de ferment au moyen duquel les ĂȘtres organisĂ©s se survivaient et transmettaient la vie Ă dâautres ĂȘtres de mĂȘme nature quâeux. LâarchĂ©e jouait donc le principal rĂŽle dans toutes les conceptions. Il Ă©tait le germe immatĂ©riel du tout fĂ©condĂ©, lâagent plastique qui tirait les parties solides des corps vivants, de lâeau, principe de tout dans les idĂ©es du temps. La premiĂšre invention de cette ingĂ©nieuse entitĂ©, qui devint par la suite le principe vital de Stahl, nâappartient pas Ă Van Helmont. Paracelse en avait eu lâidĂ©e; mais en la dĂ©finissant avec plus de clartĂ©, le philosophe de Bruxelles se lâappropria et lui donna de la consistance dans le monde savant. LâarchĂ©e, dit Van Helmont, consiste dans lâunion THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME. 111 dâun esprit vital avec un noyau spirituel qui fĂ©conde les germes. Il est douĂ© de toutes les facultĂ©s et de toutes les notions nĂ©cessaires pour remplir sa desti- nation. Il est lâorgane de la vie et du sentiment. Depuis le premier moment de lâexistence jusquâĂ la mort, il prĂ©side Ă tous les mouvements organiques et \ les dirige vers le but qui leur est assignĂ© *. » i Cet archĂ©e, dont probablement lâobservation des faits magnĂ©tiques avait suggĂ©rĂ© lâidĂ©e Ă Paracelse, devint aussi pour Van Helmout le moyen de les expliquer. ! Ce dernier dissĂ©mine dans ses divers ouvrages les notions approfondies quâil possĂ©dait sur le magnĂ©tisme ; mais il rĂ©sume Ă peu prĂšs sa thĂ©orie dans la 1 Archeus faber, § 1-7. â On a dit que Van Helmont admettait plusieurs arcliĂ©es subalternes, et que chacun des organes avait son archĂ©e particulier, qui y rĂ©sidait et en dirigeait les opĂ©rations. Cela a besoin dâĂȘtre expliquĂ©. Van Helmont admet plusieurs centres de vie, ou une vitalitĂ© propre Ă divers organes, et cette opinion, quâil a trĂšs-bien exposĂ©e dans le traitĂ© intitulĂ© Fila multiplex, est parfaitement conforme Ă celle de Bichat; mais, loin de considĂ©rer ces principes de vie existant dans chaque organe comme des ĂȘtres distincts, il les croit des Ă©manations ou dĂ©pendances de lâarchĂ©e principal. LâarchĂ©e est lâhabitation de lâĂąme sensitive, ou plutĂŽt il ne fait quâun avec elle; et voici comment Van Helmont sâexprime sur lâĂąme sensitive Cette Ăąme unique, dit-il, est la cause immĂ©diate, le centre, le siĂšge, la source et le principe de toutes les facultĂ©s et de toutes les actions vitales.... Elle dissĂ©mine dans les divers organes les facultĂ©s nĂ©cessaires pour la vie.... Elle est comme une lumiĂšre vitale dont le foyer, placĂ© dans lâestomac, envoie ses rayons dans toutes les parties du corps. Vnica anima sensiliva est causa immediata, centrum, nidus, fons, et origo facultatum et actionum vitalium quarumeumque.... Seminavit suas facultates per organa cor- poris.... Sensihvum lumen vitee hospitalur in stomacho, tamquam radice vitĆ mortalis. Confirmalur morborum sedes in anima sensitiva, § 1 et 2. ĂŒeleuze, Note sur Fan Helmont. 2 TROISIĂME LEĂON. brochure intitulĂ©e De Magnetica vulnerum curatione disputcilio. Nous suivrons Deleuze dans lâanalyse quâil nous en a laissĂ©e. Le magnĂ©tisme, dit Van Helmont, agit partout; il nâa rien de nouveau que le nom; il nâest un paradoxe que pour ceux qui se moquent de tout, et qui attribuent au pouvoir de Satan ce quâils ne peuvent expliquer. MagnĂ©tisants, quia passim viget, prceter no- men, nil novi continet nec paradoxtts nisi iis qui cuncta dĂ©rident, et in Satartice dominium ablegant qitĆcumque non inlelligunt § 1 . » Quâest-ce donc que le magnĂ©tisme? Nous donnons, en gĂ©nĂ©ral, ce nom Ă lâinfluence occulte que les corps exercent Ă distance les uns sur les autres, soit par attraction, soit par impulsion. Sic vocitamus eam occultant coaptationem qua absens in absens per iu- Jluxum agit, sive trahendo vel impellendo jiat § 66. Le moven de cette influence est dĂ©signĂ© par Yan Helmont sous le nom de Magnale magnum. Ce nâest point une substance corporelle, câest-Ă -dire qui puisse ĂȘtre condensĂ©e, mesurĂ©e, pesĂ©e comme les Ă©manations des corps; câest un esprit en ne prenant pas ce mot dans le sens dâĂąme ou dâintelligence Ă©tliĂ©rĂ© , pur, vital, qui pĂ©nĂštre tous les corps, et agite la masse de lâunivers. 11 est le modĂ©rateur du monde , parce quâil Ă©tablit une correspondance entre toutes ses parties, et entre toutes les forces dont elles sont douĂ©es. La lumiĂšre du soleil, lâinfluence des astres, les commotions donnĂ©es par la torpille, la vue du basilic , etc., sont des qualitĂ©s spirituelles, câest-Ă -dire quâelles ne sont pas lancĂ©es Ă la maniĂšre des Ă©manations corpo- THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME. 113 relies, mais Ă la maniĂšre dâune lumiĂšre imperceptible, qui se porte par irradiation dâun objet sur un autre objet qui lui convient. » Ce paragraphe renferme Ă©videmment lâidĂ©e fondamentale du systĂšme exposĂ© plus tard par Mesmer. Mais Van Hehnont, beaucoup plus philosophe que ce dernier, pĂ©nĂštre plus avant dans la nature intime des choses; et si lâexplication quâil donne des faits nâest pas toujours satisfaisante, elle offre constamment des idĂ©es dâun ordre trĂšs-Ă©levĂ©. Van Helmont distingue lâhomme en extĂ©rieur et en intĂ©rieur, assignant Ă lâun et Ă lâautre certaines facultĂ©s Lâhomme extĂ©rieur se compose de la chair et du sang; il est animĂ© par un principe vital ; il a une volontĂ©, une imagination; câest un animal agissant par la raison du sang. â Lâhomme intĂ©rieur est lâimage de Dieu. â Dico hominem externum esse animal ratione et vo- luntale sanguinis utens; internum vero non animal sed imaginent Dei veram § 83 . » VoilĂ lâancienne doctrine, de lâĂąme sensitive et de lâĂąme raisonnable. LâarchĂ©e ne diffĂšre donc pas essentiellement de la premiĂšre; mais Van Hehnont va plus loin que les philosophes dans lesattributs quâil lui donne. Lâesprit de lâanimal, dit-il, reste uni au corps qui a cessĂ© de vivre, jusquâĂ ce quâil soit dissipĂ© par la putrĂ©faction. Lorsque le sang sorti du corps se corrompt, la portion dâesprit qui lui Ă©tait unie sâĂ©chappe, et va se joindre de nouveau au corps auquel elle appartenait voilĂ pourquoi, lorsquâon applique le remĂšde sur le sang retirĂ© de la blessure, ce remĂšde agit sur la blessure mĂȘme § 76-80. » 114 TROISIĂME LEĂON. AssurĂ©ment cette explication ne saurait ĂȘtre admise, mais les observations qui y ont donnĂ© lieu nâen doivent pas moins ĂȘtre examinĂ©es. â Ainsi que je crois vous lâavoir dit dĂ©jĂ , cet examen est encore Ă faire. Il y a, dit Van Helmont, des extases miraculeuses, ou des rĂ©vĂ©lations faites Ă lâhomme intĂ©rieur ; mais lâhomme extĂ©rieur ou lâanimal a aussi des extases lorsque son imagination est exaltĂ©e. Alors il peut avoir le sentiment des objets Ă©loignĂ©s; une multitude dâexemples le prouvent. Or ce nâest point lâĂąme qui sort du corps; car, une fois sortie, elle nây rentrerait plug, Il y a donc dans le sang une puissance extatique * qui, excitĂ©e par un ardent dĂ©sir, porte sur les objets absents lâesprit de lâhomme intĂ©rieur. Cette facultĂ© est cachĂ©e dans lâhomme extĂ©rieur; elle y est en puissance, et elle ne devient active quâautant quelle est excitĂ©e par une ardente imagination, par un violent dĂ©sir, ou par quelque chose de semblable. â Igitur in sanguine est qucedam poleslas, quce si quando ardenti desiderio excita Juerit, etiam ad absens aliquod objecturn, exterioris horninis spirilum deducendo sil ea autem polestas in exleriori homini latet velut in potentia; nec ducitur ad actum, nisi excitetur accensa ima- ginatione, ferventi desiderio aut arte aliqua pari §76.» La distinction que Van Helmont Ă©tablit entre les extases de ĂŻĂąme ou de lâhomme intĂ©rieur, et les extases de l'archĂ©e ou de lâhomme extĂ©rieur, ne me paraĂźt fondĂ©e sur aucune raison solide. Mais abstrac- 4 Jâemploie ce mot, dit Van Helmont, faute dâun autre plus convenable. Sic voco clymi penuria. » THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME. J 15 tion faite de cette subtilitĂ©, le reste du paragraphe nâen prouve pas moins que Van Ilelinont avait une connaissance exacte de lâĂ©tat magnĂ©tique, dĂ©signĂ© de nos jours sous le nom de somnambulisme lucide, et, vous verrez par la suite que notre thĂ©orie des vues a distances, pour ĂȘtre , nous lâespĂ©rons, plus claire et plus logique, ne diffĂšre cependant pas absolument de la sienne. Dâailleurs, sauf le mĂ©lange de certaines idĂ©es mystiques que Van Helmont peut-ĂȘtre nâeĂ»t pas aussi explicitement adoptĂ©es de nos jours, le paragraphe suivant est un ingĂ©nieux dĂ©veloppement de la mĂȘme thĂ©orie. Avant la chute de lâhomme, dit-il, son Ăąme Ă©tait douĂ©e dâune science innĂ©e, dâune puissance prophĂ©tique , dâune force par laquelle elle agissait au dehors ces facultĂ©s existent toujours en elle; et si elles ne se montrent plus, câest quâune foule dâobstacles sâopposent Ă leur exercice. Cependant, les effets de la chute de lâhomme ne se faisant pas autant sentir pendant le sommeil, il sâensuit que dans cet Ă©tat on peut ĂȘtre Ă©clairĂ© dâune lumiĂšre surnaturelle, et câest ce qui explique les phĂ©nomĂšnes Ă©tonnants que prĂ©sentent les somnambules. Pendant la veille, les sensations dont nous sommes continuellement affectĂ©s nous empĂȘchent de discerner ces inspirations intĂ©rieures ; et comme les facultĂ©s dont lâhomme avait Ă©tĂ© douĂ© primitivement sont engourdies, il faut un moyen extraordinaire pour leur rendre leur Ă©nergie. On y parvient par la priĂšre, par la contemplation, par les pratiques, qui, en affaiblissant lâempire de la chair, retirent lâĂąme de 116 TROISIĂME LEĂON, cet engourdissement, et lui rendent sa puissance naturelle et magique § io5. » Ainsi que vous pouvez en juger, Van Helmont sâappuie dâabord sur une conjecture purement gratuite, lorsquâil prouve que les effets de la chute de lâhomme ne se font pas autant sentir pendant le sommeil que pendant la veille. Une bonne thĂ©orie du sommeil, celle que nous vous donnerons dans la suite, aurait levĂ© la difficultĂ©. Vous verrez en effet que lâĂ©tat de sommeil conduit naturellement aux mĂȘmes conditions physiologiques que font naĂźtre la priĂšre, la contemplation , et les pratiques qui rendent Ă lâame sa puissance magique. Quoi quâil en soit, observe Deleuze, on voit que Van Helmont prend le mot magie dans un sens favorable. Toute science occulte, dit-il, ou qui sâĂ©lĂšve au-dessus de celle que nous acquĂ©rons par lâobservation et le calcul, est magie; toute puissance qui nâappartient pas Ă une action mĂ©canique est une puissance magique, et la nature est la grande magicienne. » AprĂšs avoir prouvĂ© que la vertu de Xonguent des armes ne vient point de lâaction du dĂ©mon , et que la maniĂšre de lâemployer ne se lie avec aucune superstition, Van Helmont arrive aux propositions suivantes LâĂąme humaine Ă©tant lâouvrage de Dieu , elle Ă©tait naturellement douĂ©e dâune certaine vertu magique par laquelle elle agissait dâune maniĂšre particuliĂšre, câest-Ă - dire spirituellement et Ă distance, et beaucoup plus puissamment que par le moyen des organes corporels. Les facultĂ©s de lâĂąme ayant Ă©tĂ© engourdies par la THĂORIES ANCIENNES DĂŒ MAGNĂTISME. 117 science que lâhomme a acquise en mangeant le fruit dĂ©fendu, elle se borne, dans lâĂ©tat ordinaire, Ă mouvoir et conduire le corps qui lui appartient. Mais si sa vertu magique se rĂ©veille , elle peut agir, par sa seule volontĂ© , hors de sa demeure, sur des objets Ă©loignĂ©s. Câest en quoi consiste toute la magie naturelle , et non point dans de vaines cĂ©rĂ©monies et des pratiques superstitieuses qui ont Ă©tĂ© introduites par le dĂ©mon, toujours occupĂ© Ă corrompre ce qui est bien. â Eadem vero anima, magica virtule non nihil expergejacta , extra suum ergaslulum, in aliucl distans objectum solo nutu agere posse, per media deportato in eo nempe sitam esse totam basim magiĆ naturalis , nullatenus aulem, in ceremoniis variisque supersti- tionibus § 12a. Le mot magie doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©, comme il lâest dans lâĂcriture, en bonne ou mauvaise part, selon le but quâon se propose. Par ce mot, nous entendons cette connaissance Ă©levĂ©e des choses, et cette puissance extraordinaire dâagir qui nous a Ă©tĂ© donnĂ©e comme Ă Adam, et qui nous est naturelle comme Ă lui. Le pĂ©chĂ© ne lâa point Ă©teinte, il 11e lâa point effacĂ©e ; mais il lâa engourdie, et câest pour cela quâelle a besoin dâĂȘtre excitĂ©e. LâEsprit saint peut la rĂ©veiller en nous; le dĂ©mon le peut aussi; mais ce dernier nâagissant que pour le mal, on est sĂ»r quâelle nâest point excitĂ©e par lui lorsquâon se propose de faire du bien. Cette vertu magique existe aussi dans lâhomme extĂ©rieur, quoique plus faible; on en voit mĂȘme quelques traces dans les brutes. 118 TROISIĂME LEĂON. Il y a une connexion entre les choses qui agissent spirituellement; il y en a une entre les esprits; et comme lâhomme est supĂ©rieur aux autres crĂ©atures corporelles, il peut par sa magie naturelle dompter la leur. Cette puissance a Ă©tĂ© faussement attribuĂ©e aux incantations. Les esprits analogues agissent les uns sur les autres; ainsi, la femme enceinte, lorsquâelle est frappĂ©e de lâidĂ©e dâune chose, en imprime lâimage sur le foetus. Les esprits, et en quelque sorte les essences de toutes choses, sont cachĂ©s au dedans de nous, et la force de lâimagination leur donne naissance et les fait paraĂźtre. » Que de gĂ©nie! quelle puissance dâintuition! ou plutĂŽt quelle observation dĂ©licate de faits oubliĂ©s de nos jours dont Mesmer ne sâest pas doutĂ©, et que les hasards seuls de lâexpĂ©rimentation ont reproduits sous nos yeux! Je vous ferai connaĂźtre, lorsquâil en sera temps, ces faits qui ouvrent positivement une voie nouvelle Ă la psychologie, oĂč elle trouvera, pour lâĂ©claircir, le flambeau de Van llehnont. Lorsque lâimagination, poursuit-il, est fortement excitĂ©e, lâĂąme engendre une idĂ©e rĂ©elle ou essentielle qui nâest point une qualitĂ© sĂ»re, mais une substance inter- termĂ©diaire entre le corps et lâesprit. Quand cette idĂ©e a ainsi revĂȘtu une substance corporelle et puis une entitĂ© ou existence propre, lâintelligence la reconnaĂźt, la volontĂ© sây attache et la dirige , la mĂ©moire la rappelle. Lorsque cette entitĂ© idĂ©ale se rĂ©pand au dehors en esprit vital, elle nâa besoin que dâune lĂ©gĂšre excitation 119 THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME, pour se porter au loin et exĂ©cuter ce qui lui est enjoint par la volontĂ©. Les corps ne sont que la moitiĂ© du monde les esprits y sont aussi rĂ©pandus partout. Ainsi, ce sont les esprits qui sont les ministres du magnĂ©tisme; non point les esprits du ciel ou de lâenfer, mais les esprits qui sont formĂ©s par lâhomme et qui sont en lui comme le feu dans le caillou. La volontĂ© de lâhomme sâempare dâune portion de son esprit vital, qui, sâunissant Ă lâentitĂ© idĂ©ale, acquiert une existence intermĂ©diaire entre ce qui est corporel et ce qui ne lâest pas, et se rĂ©pand comme la lumiĂšre. La volontĂ© envoie et dirige cette substance, qui, une fois lancĂ©e, semblable Ă la lumiĂšre, et nâĂ©tant pas un vĂ©ritable corps, nâest arrĂȘtĂ©e ni par la distance ni par le temps. Cette substance nâest point un dĂ©mon; elle nâest point produite par le dĂ©mon câest une action de lâesprit qui appartient Ă notre nature. Le monde matĂ©riel est rĂ©gi par le monde immatĂ©riel, et les autres corps sont soumis Ă lâhomme § iu5 et suivants. » Je sens trop bien, messieurs, que nâayant encore sur le magnĂ©tisme que des notions vagues et gĂ©nĂ©rales, vous nâĂȘtes pas en Ă©tat dâapprĂ©cier comme je puis le faire lâadmirable profondeur de ces propositions; jâai mĂȘme la certitude quâelles ne vous paraissent rien autre chose que les divagations dâun spiritualisme dĂ©sordonnĂ©. Mais si, comme jâen ai lâespĂ©rance, je parviens un jour Ă vous rendre tĂ©moins de cette matĂ©rialisation de lâesprit, de cette sorte dâincarnation de la pensĂ©e qui sert de point dâappui Ă ces prĂ©tendues rĂȘve- 120 TROISIĂME LEĂON. ries, quelle admiration nâaurez-vous pas pour Yan Hel- mont, pour cet -immortel rĂȘveur que lâhistoire du magnĂ©tisme semble avoir oubliĂ© ! Sâil sut voir les faits quâimplique sa thĂ©orie, il fut le plus grand observateur de lâĂ©poque oĂč il vĂ©cut; sâil les a devinĂ©s, il en fut le plus grand gĂ©nie. Mesmer, il sâen faut beaucoup, ne poussa pas aussi loin ses investigations ; aussi, sans la nĂ©cessitĂ© de me conformer Ă lâordre chronologique, vous aurais-je exposĂ© sa doctrine avant celle de Yan Helmont dont il a mĂ©connu les travaux ou quâil nâa pas su comprendre. â Que justice soit faite Ă tous depuis longtemps Mesmer usurpe la gloire dâavoir dĂ©couvert le magnĂ©tisme ; mais je jugerai Mesmer et ses Ćuvres dans ma prochaine leçon ; revenons-en donc Ă son illustre prĂ©dĂ©cesseur. Yan Helmont, aprĂšs avoir citĂ© comme positif le fait quâune femme grosse, lorsquâelle est frappĂ©e dâun objet, en imprime lâimage sur lâenfant quelle a dans son sein, explique ce fait par sa thĂ©orie. Lâimagination de la femme vivement excitĂ©e produit une idĂ©e, et cette idĂ©e qui a revĂȘtu une substance intermĂ©diaire entre le corps et lâesprit se portant sur lâĂȘtre avec lequel la femme a le plus de relation , y imprime lâimage de ce qui lâa le plus affectĂ©e. â Je ne saurais dire assez combien cette thĂ©orie est ingĂ©nieuse et combien elle semble juste lorsquâelle est corroborĂ©e par certaines expĂ©riences dont vous serez un jour tĂ©moins. Les mĂ©decins modernes , ceux qui ont lu Van Helmont il nâen est pas un sur mille, nâont pas manquĂ©, comme bien vous pensez, de tourner en ridicule cette allĂ©ga- THĂORIES ANCIENNES DĂŒ MAGNĂTISME. 121 tion que presquâaucun dâeux nâest en Ă©tat de comprendre, et, afin de ne pas sâembarrasser lâesprit dâune thĂ©orie trop subtile pour leur intelligence, ils ont tranchĂ© la difficultĂ© en niant un fait trĂšs-positif et contestĂ© par eux seuls. Mais les mĂ©decins! Ah! si vous aviez fait comme moi lâanalyse de leur science, que leurs nĂ©gations ou leurs affirmations diminueraient de valeur Ă vos yeux! Comme observateurs, le moindre de nos romanciers les surpasse; comme savants, ils nâont que des prĂ©jugĂ©s ; comme philosophes ! ah ! comme philosophes, ils font pitiĂ©! Leur mĂ©taphysique quand ils en ont une roule sur un atome ou se dĂ©bat dans un cercle imaginaire dont quelques rares gĂ©nies ont Ă peine, de loin en loin, franchi la circonfĂ©rence. Je vous Ă©tonnerais bien, vous, gens du monde, comme ils vous appellent, si je vous prĂ©sentais les titres de gloire des demi-dieux quâils adorent. Que je voudrais peser dans la mĂȘme balance le scalpel de Bichat et la plume de Van Helmont ! Mais le temps nâest pas venu encore \ * Je nâai pas besoin de faire observer quâen rĂ©cusant les mĂ©decins comme observateurs, comme savants et surtout comme philosophes, jâadmets des exceptions ; mais relativement Ă la multitude des prĂȘtres dâEpidaure dont la parole fait autoritĂ© dans le monde, ces exceptions sont peu nombreuses. Cela tient Ă ce que lâĂ©ducation mĂ©dicale, essentiellement matĂ©rialiste, fausse le jugement sur certaines questions et rĂ©trĂ©cit les idĂ©es sur toutes. AbsorbĂ©e par lâĂ©tude routiniĂšre dâune spĂ©cialitĂ© dont elle prend imperturbablement les hypothĂšses pour des axiomes, la gent mĂ©dicale va droit devant elle, sans se soucier des inductions de la vĂ©ritable philosophie, dont elle ne parle quâavec dĂ©dain. â Ăcoutez, par exemple, les dĂ©tracteurs de la phrĂ©nologie ils traitent Gall et Spurzheim de rĂȘveurs, dâilluminĂ©s, sans se douter le moins du 122 TROISIĂME LEĂON. i» Suivant Van Helmont, le magnĂ©tisme de lâaimant et celui de toutes les choses inanimĂ©es a lieu par une sympathie naturelle. Dieu est la vie, dit-il, son esprit remplit lâunivers, et tout ce quâil a créé a reçu une portion de vie, une sorte de sentiment. Câest cet esprit qui est la cause de la sympathie par laquelle lâaction dâun corps se porte de prĂ©fĂ©rence sur un autre ainsi, lorsque nous attribuons ces sympathies aux propriĂ©tĂ©s des corps, nous prenons lâeffet pour la cause. » Les thĂ©ories chimiques de MM. Dumas et BerzĂ©lius supposent implicitement le mĂȘme principe, regardĂ© comme une rĂȘverie pendant un siĂšcle et demi. La force magique qui a pour principe la vie se montre dans les aniamux; ils ont la puissance de produire une entitĂ© rĂ©elle et de lâenvoyer au loin par la volontĂ©. Câest ce qui explique lâaction des chiens, du basilic, de plusieurs poissons, etc., » autres rĂȘves qui finiront aussi par devenir de belles et bonnes rĂ©alitĂ©s. â Enfin, il y a une vertu magique sĂ©parĂ©e pour ainsi dire du corps; elle a lieu par lâexcitation de la puissance intĂ©rieure de lâĂąme , et elle produit au dehors les effets les plus Ă©tonnants ; car la nature agissant par elle- mĂȘme est dâautant plus forte quâelle est plus spirituelle. â Postremo estvirlus magica a corpore quasi abs- tracta, quĆ fit excitamento interioris potestatis animĂ©e, undefiantpotentissimee procreationes et validis- simi eJJ'ectus. Utrobique scilicet natura maga est, et monde que ces deux grands hommes ne sont que les continuateurs de Kant, de Reid et de Dugald Stewart. Et le magnĂ©tisme ! quâest- il pour eux ? une vision de Mesmer_ dont ils nâont pas lu un mot. Vanitas vanitatum ! 123 THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME. per phantasiam suarn agit, et quo spiritualior eo potentior § 1 5y . Toute vertu magique a besoin dâexcitation. Dans les corps bruts, cette excitation a lieu par une cbaleur intĂ©rieure qui fait sortir une vapeur spirituelle et rĂ©veille le mouvement des esprits corporels ; dans le magnĂ©tisme elle a lieu par un attouchement intĂ©rieur. La vertu magique des animaux est excitĂ©e par une conception intellectuelle ; celle de lâhomme extĂ©rieur par une forte imagination, une attention continue et profonde; celle de lâhomme intĂ©rieur par le Saint-Esprit. » Il est impossible de ne pas reconnaĂźtre dans cette proposition une admirable gĂ©nĂ©ralisation de tous les faits magnĂ©tique, y compris le somnambulisme spontanĂ©, le somnambulisme artificiel, lâextase, etc. Si les magnĂ©tiseurs avaient pris la peine de revenir Ă cette source, ils ne se seraient point Ă©garĂ©s comme ils lâont fait dans des distinctions qui ne reposent sur rien dâessentiel et qui, en isolant les faits, rompt par avance dans lâesprit de lâobservateur le lien qui les unit. Van Helmont continue Jâai diffĂ©rĂ© jusquâici de dĂ©voiler un grand mystĂšre câest quâil y a dans lâhomme une Ă©nergie telle que par sa seule volontĂ© et par son imagination, il peut agir hors de lui et imprimer une vertu, exercer une influence durable sur un objet trĂšs-Ă©loignĂ©. Cela explique ce que nous avons dit de lâentitĂ© idĂ©ale qui va exĂ©cuter les ordres de la volontĂ© du magnĂ©tisme de toutes choses, produit par lâimagination de lâhomme, ou par lâesprit des autres choses, et de la supĂ©rioritĂ© magique de lâhomme sur tous les autres corps. â Ingens mysterium propalare hactenus distuli osten- 124 TROISIĂME LEĂON. dere videlicet in homine sitam esseenergicim quasolo nuta et phanlasia sua queat agere in distans , et imprimere virlutem, aliquam injluentiam, deinceps per se perseverantem et agentem in objeclum longis- sime absens § i58. Cette puissance que nous avons dâagir hors de nous par notre seule volontĂ© est sans doute incomprĂ©hensible; mais concevons-nous mieux comment notre volontĂ© agit sur nos propres organes, comment elle remue notre liras? Lâunion de lâĂąme et du corps, lâaction de lâun sur lâautre, sont des phĂ©nomĂšnes dont la cause est impĂ©nĂ©trable. Cependant, si nous rĂ©flĂ©chissons sur notre origine, le raisonnement nous prouvera dâabord ce quâil nous est facile de constater par lâexpĂ©rience. Lâhomme est lâimage de Dieu, non par sa forme extĂ©rieure, mais par son Ăąme, par les facultĂ©s dont il est douĂ©. Or, Dieu, qui nâa point dâorganes corporels, agit par sa seule volontĂ©; câest par sa seule volontĂ© quâil imprime le mouvement Ă toutes les crĂ©atures ; il suit de lĂ que lâhomme peut aussi faire quelque chose par sa seule volontĂ©. â Quocirca si Deus agat per nutum, perverbum; sic oportet hominem, si'verum debeat dici ejus simulacvum, agere nonnulla solo tiutu § 91 . » â Ceci sâaccorde merveilleusement avec lâinterprĂ©tation que jâai donnĂ©e dans ma deuxiĂšme leçon Ă deux versets de lâĂvangile, et avec les rĂ©flexions quâils mâont suggĂ©rĂ©es. LâĂąme humaine, continue Van Helmont, Ă©tant lâimage la plus parfaite du CrĂ©ateur, câest en elle que rĂ©side, dans un plus haut degrĂ© que dans les autres crĂ©atures, la puissance de la volontĂ©; elle la transmet THĂORIES ANCIENNES DU MAGNĂTISME. 125 Ă lâesprit vital qui est en accord avec elle, et qui reproduit extĂ©rieurement ses facultĂ©s ; mais cette puissance dâagir en dehors 11e lui appartient pas exclusivement; elle se montre, quoique bien plus faible, dans tous les ĂȘtres douĂ©s de la vie et du sentiment; ceux-ci ont une portion de volontĂ© plus ou moins active, plus ou moins influente , selon quâils sont plus ou moins rapprochĂ©s de lâhomme qui les domine tous et cela doit ĂȘtre , parce que Dieu est le principe de la vie, et que son esprit est rĂ©pandu dans toute la nature. » Plus loin, Van Helmont prĂ©tend que nous pouvons attacher Ă un corps la vertu dont nous sommes douĂ©s, lui communiquer certaines propriĂ©tĂ©s, et nous en servir comme dâun intermĂ©diaire pour opĂ©rer des effets salutaires. â Cette allĂ©gation a Ă©tĂ© vĂ©rifiĂ©e par le marquis de PuysĂ©gur et par la plupart des magnĂ©tiseurs modernes. Elle renferme toute lâhistoire des talismans, des amulettes, etc., câest-Ă -dire des objets magnĂ©tisĂ©s dans une certaine intention et portĂ©s par des malades. Notre savant ami, M. Mialle, a publiĂ© Ă cet Ă©gard un fait intĂ©ressant qui lui est personnel et dont vous trouverez le rĂ©cit dans la prĂ©face de ses Cures opĂ©rĂ©es par Le magnĂ©tisme. âAu surplus, Van Helmont rapporte lui-mĂȘme Ă lâappui de son sentiment plusieurs observations quâil nâest guĂšre possible de contester, et voici la conclusion quâil en tire Puisque lâhomme a la force dâagir par sa volontĂ© sur un objet Ă©loignĂ©, il est clair que cette Ă©nergie lui a Ă©tĂ© donnĂ©e par Dieu, et quâelle lui est naturelle. Câest sâignorer soi-mĂȘme que de transporter Ă Satan une puissance dont on est douĂ©. â Probalo nunc eo quod homo 126 TROISIĂME LEĂON. habeat vim per nutum agencli, salis confirmatum est homini istam^energiam a Deo dalam et naturaliter ipsi competere § 172 . » AprĂšs lâexposition si claire de la thĂ©orie dont je viens de vous rapporter les principaux fragments, thĂ©orie, je vous le rĂ©pĂšte, qui nâa Ă©tĂ© comprise jusquâ Ă prĂ©sent que par un trĂšs-petit nombre de magnĂ©tiseurs, Van Hel- mont termine sa brochure par quelques considĂ©rations trĂšs-remarquables sur les conditions nĂ©cessaires au succĂšs de lâaction magnĂ©tique. Voici comment il sâexprime Nous avons dit que toute force magique Ă©tait endormie dans lâhomme et quâelle avait besoin dâĂȘtre excitĂ©e. Cela est constamment vrai si le sujet sur lequel on veut agir nâest pas dans la disposition la plus favorable; si son imagination intĂ©rieure ne sâabandonne pas entiĂšrement Ă lâimpression quâon veut produire sur lui ; ou bien si celui sur qui se porte lâaction a plus de force que celui qui agit ; mais dans le cas oĂč le patient est bien disposĂ©, ou faible, il succombe facilement au magnĂ©tisme de celui qui agit sur lui par son imagination; pour agir fortement, il est nĂ©cessaire dâemployer un moyen, mais ce moyen est nul sâil nâest accompagnĂ© de lâaction intĂ©rieure. Il faut savoir exciter la vertu magique de son esprit § 172.» â Suit enfin sa profession de foi religieuse, que lâauteur se fĂ»t probablement dispensĂ© de faire publiquement de nos jours, mais qui, Ă lâĂ©poque oĂč il vivait, Ă©tait loin dâĂȘtre un hors-dâĆuvre Je suis catholique romain, dit-il, et je rejetterais toute opinion contraire Ă la doctrine de lâEglise. Jâai publiĂ© ce que je sais avec une libertĂ© philosophique. THĂORIES ANCIENNES DĂŒ MAGNĂTISME. 127 Les effets naturels ont Ă©tĂ© créés par Dieu ; ce sont des dons quâil a faits Ă ses crĂ©atures. Quiconque les attribue au dĂ©mon dĂ©robe Ă Dieu lâhonneur qui lui est dĂ», et le transporte Ă Satan, ce qui est une vĂ©ritable idolĂątrie. » Van IĂźelmont a rĂ©pandu dans ses divers ouvrages les principes quâil a dĂ©veloppĂ©s dans la brochure dont je viens de vous donner lâextrait % et le simple Ă©noncĂ© de ces principes suffit pour vous prouver que non-seulement ce grand mĂ©decin connaissait le magnĂ©tisme, mais quâil lâavait Ă©tudiĂ© dans ses effets les plus extraordinaires, et quâil avait coordonnĂ© ses observations en un systĂšme , sinon inattaquable, du moins fort ingĂ©nieux. â Mesmer, comme vous le verrez bientĂŽt, fut moins heureux dans ses conceptions. Câest quâil eut le tort impardonnable, je vous lâai dit dĂ©jĂ , ou de ne pas connaĂźtre les travaux de Van Helmont, ou de ne pas les comprendre. Plus tard, vous comparerez ces deux hommes et vous aurez la justice de reconnaĂźtre, avec moi, que lâintelligence de Mesmer, dont lâĂ©clat Ă©blouit ses disciples, ne fut pourtant quâiin reflet du gĂ©nie de son devancier. â- Van Helmont est un de ces astres lointains que rapetisse la distance Ăąux yeux du vulgaire, mais dont le savant constate lâimmensitĂ©. ' Voir les traitĂ©s de Peslilenlia, de Ortu formarum, Logica inuĂŒlis, Idea demens, et enfin les trois articles initulĂ©s Promissa auctoris, Confessio auctoris, Studia auctoris. QUATRIĂME LEĂON. MESMER ET SES DĂMĂLĂS AVEC LES CORPS SAVANTS. Messieurs , Si le gĂ©nie du CrĂ©ateur peut embrasser dâun seul coup dâĆil lâensemble des choses de lâunivers dans leurs causes, dans leur enchaĂźnement et dans leurs consĂ©quences, il a conservĂ© pour lui seul cette prĂ©rogative de sa toute-puissance. LimitĂ© par nos souvenirs et par nos perceptions, le cercle des connaissances humaines est essentiellement incomplet. Des deux larges segments qui lui manqueront toujours, lâun appartient Ă lâavenir, lâautre appartient au passĂ©. Dans le champ de lâĂ©ternitĂ© le fleuve de lâesprit humain coule sans sâĂ©largir ce quâil paraĂźt gagner Ă lâune de ses rives se dĂ©pose en alluvion sur la rive opposĂ©e. Les mĂ©andres se multiplient; suivant les terrains quâelle arrose, lâeau change mĂȘme de couleur, mais sa quantitĂ© reste la mĂȘme. Ainsi, une dĂ©couverte anĂ©antit les fruits dâune dĂ©couverte antĂ©rieure, et, tandis que lâhorizon scientifique ne fait que changer dâaspect, nous nous imaginons quâil sâagrandit. Mais comme la civilisation des MESMER ET TES CORPS SAVANTS. 129 peuples semble ainsi que les mondes dans lâespace dĂ©crire une courbe rĂ©guliĂšre, elle revient par longues pĂ©riodes aux points quâelle a traversĂ©s jadis, et, dâintervalle en intervalle, certaines vĂ©ritĂ©s surgissent avec certaines conditions morales que ramĂšne le cours naturel des choses dâici-bas, et avec lesquelles elles disparaissent pour se reproduire encore. Nulle vĂ©ritĂ© plus que le magnĂ©tisme, nâa subi ces alternatives. PratiquĂ© dĂšs les premiers temps historiques par les mages de la ChaldĂ©e, il se rĂ©pandit des rives de lâEuphrate dans lâEgypte et dans lâInde. AprĂšs les prĂȘtres dâIsis les prĂȘtres du dieu des Juifs furent ses dĂ©positaires, et les chrĂ©tiens en hĂ©ritĂšrent. De la GrĂšce il passa Ă Home, et de Rome, dit-on, dans les Gaules-, mais je ne crois point .Ă cette filiation, car les druides Ă©taient mieux informĂ©s sur ce point que les thaumaturges ultramontains. Cependant, les adeptes du moyen Ăąge furent moins les disciples des druides que des professeurs de TolĂšde et de SĂ©govie. ĂtouffĂ©e dans lâombre Ă©paisse oĂč ils la cultivent, la science magnĂ©tique renaĂźt au jour avec Paracelse qui lâenseigne ex projesso, et en fait la base dâune nouvelle Ă©cole mĂ©dicale. Un demi-siĂšcle plus tard, Van Ilelmont lui consacre en pure perte quarante annĂ©es de labeurs et de mĂ©ditations, car il nâest pas compris. Mesmer, enfin , au xvm e siĂšcle , dĂ©couvre le magnĂ©tisme qui, aprĂšs plus de trois mille ans dâexamen et de controverse, compte enfin aujourdâhui qualre-viugis aus dâexistence. Tels sont les faits fauteurs et dĂ©tracteurs les acceptent Ă©galement; mais voici les inductions quâil est lo- 9 130 QUATRIĂME LEĂON. gique dâen tirer ou bien, la connaissance du magnĂ©tisme sâest transmise, rĂ©guliĂšrement dâĂąge en Ăąge, parles voies habituelles de la tradition, et, dans ce cas, il est impossible de le considĂ©rer comme une erreur, ou comme un mensonge, car le mensonge et lâerreur sont Ă©galement inconciliables avec tant de longĂ©vitĂ© ; ou bien et câest mon opinion , les notions sur le magnĂ©tisme se sont rĂ©ellement perdues certaines Ă©poques pour ĂȘtre de nouveau retrouvĂ©es, dĂ©couvertes, et, dans ce dernier cas, la parfaite identitĂ© du magnĂ©tisme avec lui-mĂȘme dans ses diverses apparitions est une autre preuve irrĂ©fragable de sa rĂ©alitĂ©. Cela posĂ©, le xvin 8 siĂšcle nâeut pas absolument tort dâattribuer la dĂ©couverte du magnĂ©tisme Ă Mesmer ; mais sans taxer ce dernier dâignorance, nous ne pouvons ratifier en tous points le titre dâinventeur que lui ont dĂ©cernĂ© ses contemporains. Mesmer, câest ma conviction, ne puisa ni dans Paracelse ni dans Van Helmont lâidĂ©e premiĂšre de la thĂ©orie qui lâa rendu cĂ©lĂšbre, mais il donna comme lui appartenant une doctrine qui Ă©tait la leur. Avec lui nĂ©anmoins commence pour le magnĂ©tisme une Ăšre nouvelle, dont on ne rechercha que plus tard les liaisons avec les Ă©poques antĂ©cĂ©dentes. Le rĂ©cit des Ă©vĂ©nements quâil eut le talent de faire naĂźtre, ou dâutiliser au profit de sa renommĂ©e, est aujourdâhui dâun intĂ©rĂȘt trop gĂ©nĂ©ral pour ne point prĂ©cĂ©der ici lâexamen de sa thĂ©orie. F. Antoine Mesmer, une des plus grandes cĂ©lĂ©britĂ©s dont sâenorgueillit ou dont rougit lâAllemagne, suivant lâopinion flottante encore de ses habitants, Ă lâĂ©gard MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 131 du magnĂ©tisme , F. Antoine Mesmer naquit en Souabe, Ă Weiier, prĂšs de Stein, eu 17^4. Nous savons peu de chose sur sa famille, et presque rien sur ses premiĂšres annĂ©es, sauf quâil Ă©tait passionnĂ© pour lâĂ©tude des phĂ©nomĂšnes de la nature et pour leur contemplation. Ainsi que tous les esprits mĂ©ditatifs, il aimait la solitude, et ce fut en errant dans les forĂȘts de son pays quâil rĂȘva le plan dâun systĂšme gĂ©nĂ©ral de mĂ©taphysique dont il jeta les rudiments dans sa thĂšse inaugurale, et que, par la suite, il dĂ©veloppa pour ses disciples de Paris. La facultĂ© de Vienne le reçut docteur en 1766, et la thĂšse dont je viens de vous parler fut son premier manifeste contre la vieille routine des Ă©coles, et le prĂ©lude de la grande rĂ©volution scientifique que dĂšs cette Ă©poque il. se flattait dâopĂ©rer. Cette dissertation avait pour titre De l'Influence des planĂštes sur le corps humain. Son objetĂ©tait de rattacher Ă lâattraction newtonienne les lois fondamentales de la physiologie. Mesmer y admettait comme agent de cette attraction le fluide universel que nous avons dĂ©jĂ vu figurer tant de fois dans les thĂ©ories de lâantiquitĂ© et du moyen Ăąge. Le fluide universel Ă©tait pour lui le vĂ©hicule des influences sidĂ©rales, câest-Ă -dire un intermĂ©diaire permanent entre tous les ĂȘtres de la nature, et partant, entre les astres et les corps organisĂ©s. Je ne sais si Mesmer devait ses idĂ©es Ă ses lectures, ou seulement Ă ses mĂ©ditations; mais il les donna comme venant de lui, et il eut mĂȘme par la suite lâhabiletĂ© dâen faire nu secret Ă vendre dont il passa quinze ans de sa vie Ă dĂ©battre le prix. Son grand principe Ă©tait que tout dans la nature se 132 QUATRIĂME LEĂON. faisait par attraction, de telle sorte que lâaimant nâĂ©tait quâune manifestation particuliĂšre de cette loi gĂ©nĂ©rale de lâunivers. CâĂ©tait donc lâaimant qui devait ĂȘtre mis en Ćuvre dans ses premiers essais pratiques, persuadĂ© quâil Ă©tait, sâil parvenait Ă des rĂ©sultats satisfaisants, de les gĂ©nĂ©raliser bien vite dans la thĂ©orie quâil avait conçue. Nâoubliez pas toutefois que le fluide } enfant hypothĂ©tique de ses rĂȘves ou de ses rĂ©miniscences, Ă©tait toujours dans son esprit le mĂ©diateur indispensable de toute espĂšce dâattraction. De cette conjecture Ă regarder le fluide comme le principe de toute harmonie, comme la puissance non pas gĂ©nĂ©sique, mais organisatrice de la matiĂšre, il nây avait quâun pas, et Mesmer nâĂ©tait pas homme Ă sâarrĂȘter en chemin. Ce ne fut donc point un simple hasard comme on lâa cru longtemps, mais bien une thĂ©orie prĂ©conçue, qui le dĂ©termina Ă essayer de lâaction de lâaimant dans le traitement des maladies. La premiĂšre expĂ©rience quâil fit dans ce genre, et qui devait ouvrir une nouvelle carriĂšre Ă son imagination, date de 1771 1 . La personne sur laquelle il fit cet essai Ă©tait une demoiselle atteinte dâune maladie convulsive. 11 lui appliqua, pendant un de ses accĂšs, des plaques aimantĂ©es sur la poitrine et les jambes; le rĂ©sultat fut extraordinaire. La malade Ă©prouva intĂ©rieurement des courants douloureux dâune matiĂšre subtile qui, aprĂšs diffĂ©rents efforts pour prendre leur direction , se dĂ©terminĂšrent vers la partie infĂ©rieure du 1 Voyez MĂ©moire sur la dĂ©couverte du MagnĂ©tisme animal, par Mesmer. MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 133 corps et firent cesser tous les symptĂŽmes de la crise. La mĂȘme expĂ©rience fut rĂ©pĂ©tĂ©e Ă plusieurs reprises avec le mĂȘme succĂšs; mais en en variant les conditions, Mesmer ne tarda point Ă reconnaĂźtre que les effets obtenus dĂ©pendaient beaucoup moins de la vertu intrinsĂšque de lâaimant que de la volontĂ© de lâopĂ©rateur admirable dĂ©couverte, une des plus importantes assurĂ©ment que les hommes aient jamais faites, et qui sera toujours pour Mesmer son vrai titre de gloire. Cependant, comme il tenait du pĂšre Hell, professeur dâastronomie Ă Vienne, les piĂšces dâacier aimantĂ© dont il sâĂ©tait servi, Mesmer devait Ă ce savant le rapport des rĂ©sultats heureux quâil venait dâobtenir. Il lui fit donc le rĂ©cit de ce qui sâĂ©tait passĂ©, mais en prenant si bien ses rĂ©serves que ce jĂ©suite, abusĂ© par sa demi-confidence, publia loyalement quâil venait de dĂ©couvrir dans lâaimant, lui P. Hell, une vertu dĂ©pendante de sa forme, et qui donnait le moyen de guĂ©rir les maladies de nerfs les plus graves; assertion qui fut accueillie du public avec dâautant plus dâempressement que ces maladies ont Ă©tĂ© de tout temps lâĂ©cueil de la mĂ©decine. Mesmer, aussi surpris quâindignĂ© de cette conduite, protesta de toutes ses forces contre les prĂ©tentions de son maladroit spoliateur. Mais il Ă©tait encore peu connu, et le pĂšre Ilell jouissait dâune grande rĂ©putation. 11 eut donc beau publier, pour dĂ©truire lâerreur gĂ©nĂ©rale, lâexistence du magnĂ©tisme animal comme un fait absolument distinct des propriĂ©tĂ©s de lâaimant, la prĂ©vention Ă©tait Ă©tablie, et lâon sâopiniĂątra Ă croire que lâaimant seul opĂ©rait les effets constatĂ©s. â Quel malheur pour 134 QUATRIĂME LEĂON, la science que le pĂšre Hell nâeĂ»t pas devinĂ© juste ! La gloire de Mesmer, Ă la vĂ©ritĂ©, Ă©tait sacrifiĂ©e sans retour, mais les jĂ©suites, en prenant fait et cause pour le magnĂ©tisme, nâeussent pas manquĂ© dâentraĂźner aprĂšs eux tous les savants de lâEurope, tandis quâils se virent dans lâobligation de soutenir le pĂšre Hell quand mĂȘme, et de sacrifier Ă lâesprit de corps une dĂ©couverte quâils nâavaient pu sâapproprier. Ainsi, le premier pas de Mesmer rencontra un Ă©cueil, et bien que lâĂ©vidence de ses succĂšs pĂ»t servir de contre-poids Ă lâĂ©trangetĂ© de ses assertions, il ne se trouva dâabord personne, je ne dirai pas seulement capable de lâentendre, mais qui daignĂąt lâĂ©couter. Cependant, comme il connaissait particuliĂšrement le baron de Storck, prĂ©sident de la facultĂ© de Vienne et premier mĂ©decin de lâempereur, il jugea convenable de lâinstruire de la nature de sa dĂ©couverte, et, lui mettant sous les yeux les dĂ©tails de ses opĂ©rations, il lâinvita Ă sâen convaincre par lui-mĂȘme en lâassurant que son intention Ă©tait de lui rendre compte successivement de tous les progrĂšs quâil ferait. Devinez quelle fut la rĂ©ponse du baron de Storck Ă cette proposition ? les savants sont de bien tristes gens quand ils manquent de cĆur ou dâesprit! M. de Storck invita Mesmer Ă ne pas compromettre la FacultĂ© par une innovation. Mon brave ami Frapart avait donc raison de dire Les corps savants sont des despotes qui ne cĂšdent que ce quâon leur arrache, qui nâavancent que quand on les entraĂźne, » puisque toute innovation les Ă©pouvante et les compromet. 135 MESMER ET LES CORPS SAVANTS. Au surplus, ce fut peut-ĂȘtre uu excĂšs de savoir- faire qui empĂȘcha Mesmer de rĂ©ussir dans son pays. MystĂ©rieux par goĂ»t, par instinct, par habitude, il prĂ©tendait faire croire Ă sa dĂ©couverte sans expliquer exactement en quoi elle consistait. C est ainsi qu en publiant Ă cette Ă©poque 1771 une partie de sa thĂ©orie et les succĂšs -quâil avait obtenus de son application, il sâabstenait, dans des intentions que nous nâaurons que trop lâoccasion de qualifier par la suite, de donner aucune notion sur sa maniĂšre dâopĂ©rer. La volontĂ© mĂȘme, le grand pivot de sa doctrine, nâĂ©tait pas nommĂ©e dans sa brochure*. 11 Ă©tait en consĂ©quence bien permis Ă ses lecteurs de prendre pour des rĂȘveries les paroles que voici Jâai observĂ© que la matiĂšre magnĂ©tique est preste que la mĂȘme chose que le fluide Ă©lectrique, et quâelle se propage de mĂȘme que celle-ci par des corps intermĂ©diaires. Lâacier nâest pas la seule substance qui y soit propre; jâai rendu magnĂ©tiques du papier, du pain, de la laine, de la soie, du cuir, des pierres, du verre, de lâeau, diffĂ©rents mĂ©taux, du bois, des hommes, des chiens; en un mot, tout ce que je toute chais, au point que ces substances produisaient sur les malades les mĂȘmes effets que lâaimant. Jâai remet pli des flacons de matiĂšre magnĂ©tique de la mĂȘme te façon quâon le pratique avec le fluide Ă©lectri- que, etc. » 1 Lettre de Mesmer, docteur en mĂ©decine de la facultĂ© de Vienne, Ă M. Vuzen, docteur en mĂ©decine. Mercure savant dâAltona, 1771. 136 QUATRIĂME LEĂON. Le public, qui ne connaissait dâautre fluide magnĂ©tique que celui de lâaimant, ne vit quâune prĂ©tention ridicule ou une erreur Ă©vidente dans cette prĂ©tendue communication de ce fluide Ă des substances qui lui sont entiĂšrement hĂ©tĂ©rogĂšnes. Pour comble de malheur, le physicien Ingenhousz qui avait eu plusieurs entrevues avec Mesmer, et qui avait paru convaincu de la rĂ©alitĂ© do ses expĂ©riences, se rangea contre lui au parti des jĂ©suites, et rĂ©pandit que tout ce quâil avait vu nâĂ©tait quâune supercherie ridicule et concertĂ©e. De tels rapports de la part dâIngenhousz parurent si peu croyables Ă Mesmer quâil fut assez longtemps sans y ajouter foi; mais, enfin, ne pouvant plus douter sinon de leur sincĂ©ritĂ©, du moins de leur rĂ©alitĂ©, il voulut justifier sa conduite, et donner aux savants de son pays une idĂ©e prĂ©cise de ses moyens. En consĂ©quence, il fit part Ă M. de Storck de sa rĂ©solution et lui demanda de prendre les ordres de la cour pour quâune commission de la FacultĂ© fĂ»t chargĂ©e de constater les faits et de les rendre publics M, de Storck parut dâabord flattĂ© de cette dĂ©marche et promit dây donner suite; mais bientĂŽt il y mit de la froideur, et, sâĂ©tant laissĂ© influencer, dit M. de Lau- sane, il ne marqua plus pour cet objet quâune invincible rĂ©pugnance. La conduite de la facultĂ© de "Vienne, personnifiĂ©e dans son prĂ©sident, dĂ©cida de celle des diverses acadĂ©mies auxquelles Mesmer avait adressĂ© sa lettre. Une a Annales du MagnĂ©tisme animal, n° 2 , p. 5j, 137 MESMER ET LES CORPS SAVANTS, seule, celle de Berlin, lui fit lâhonneur dây rĂ©pondre; mais confondant les propriĂ©tĂ©s du magnĂ©tisme animal avec celles de lâaimant, cette sociĂ©tĂ© dĂ©clara, comme avait fait le public, que Mesmer Ă©tait dans lâerreur. Remarquez bien dâailleurs quâil devait en ĂȘtre ainsi, car, lâAcadĂ©mie de Berlin, nâayant Ă juger que lâexposĂ© dâun systĂšme incompatible avec les lois physiques gĂ©nĂ©ralement admises, ne pouvait sans preuves sensibles ratifier une thĂ©orie contradictoire en apparence Ă ces lois. RebutĂ© par le mauvais accueil des savants, Mesmer en revint aux malades, gĂ©nĂ©ralement plus faciles Ă persuader et de bonne composition avec tous ceux qui leur promettent la santĂ©. Mais il Ă©tait Ă©crit que Mesmer justifierait le proverbe Nul nâest prophĂšte dans son pays. AprĂšs quelques voyages en Souabe et en Suisse, oĂč il laissa, notamment Ă Berne et Ă Zurich, plusieurs mĂ©decins convaincus de lâexistence du magnĂ©tisme, il retourna Ă Vienne opĂ©rer plusieurs cures Ă©clatantes. Mais le plus beau de ses succĂšs fut le pire de ses malheurs. Le pĂšre dâune de ses malades, influencĂ©, comme le prĂ©sident de Storck, par le mauvais gĂ©nie qui essayait dâĂ©touffer le magnĂ©tisme dans ses langes , faillit le faire incarcĂ©rer pour avoir guĂ©ri sa fille dâune amaurose incurable Ă laquelle il devait une pension du gouvernement. â Cette histoire scandaleuse de mademoiselle Paradis 1 mâa toujours semblĂ© un des beaux exploits de la compagnie de ' Voyez MĂ©moire sur la decouverte du MagnĂ©tisme animal, par Mesmer. 138 QUATRIĂME LEĂON. JĂ©sus. â Enfin, Mesmer dĂ©goĂ»tĂ© par lâingratitude de ses compatriotes, et persuadĂ© pourtant que quelque jour ils lui rendraient justice, se dĂ©cida Ă quitter Vienne 1777 pour aller chercher dans un pays plus sage et plus hospitalier le repos que sa dĂ©couverte lui avait ravi dans sa patrie*. Ce fut au mois de fĂ©vrier 1778 que Mesmer arriva Ă Paris, oĂč dĂ©jĂ la renommĂ©e, cette mensongĂšre dĂ©esse, avait rĂ©pandu sur sa personne et sur sa doctrine les versions les plus opposĂ©es les uns lâadmiraient sur parole et lâattendaient avec la plus vive impatience; les autres, abusĂ©s par des rĂ©cits calomnieux, lâavaient jugĂ© avant de lâentendre et 11e le considĂ©raient que comme un habile charlatan. Dâune part, on le peignait comme victime de lâintrigue; de lâautre, comme un homme dangereux quâun ordre supĂ©rieur forçait Ă quitter sa patrie. Mais au milieu de ces bruits contradictoires, la foule de consultants qui lâassaillirent Ă son dĂ©but lui fit bientĂŽt espĂ©rer que, sâil nâavait point le bonheur de faire accepter sa dĂ©couverte par les savants de notre capitale, une immense et rapide fortune le dĂ©dommagerait de cet Ă©chec. â LâĂ©vĂ©nement, Ă cet Ă©gard, rĂ©alisa ses prĂ©visions. La cour et la ville, en quelques mois, affluĂšrent Ă ses traitements, oĂč le fluide universel se vendait au poids de lâor-, mais il ne reçut pas le mĂȘme accueil des membres de la FacultĂ©. 1 Consultez, pour plus de dĂ©tails, la spirituelle brochure de M. Mialle ayant pour titre Rapport confidentiel du R. P. Sco- bardi Ă la sociĂ©tĂ© de VIndex sur le MagnĂ©tisme animal ; traduit de lâitalien par le soi-disant docteur Ch. B***. Chez BaillĂšre. MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 139 Cependant, le diiâecteur de lâAcadĂ©mie des Sciences, le Roi, avant assistĂ©, chez Mesmer, Ă plusieurs expĂ©- riencesquâil observa avec assezdâattention pour sâassurer de leur rĂ©alitĂ©, parut prendre intĂ©rĂȘt Ă la nouvelle dĂ©couverte, et proposa sa mĂ©diation auprĂšs de sa compagnie. Mesmer accepta cette proposition, remit Ă le Roi un exposĂ© sommaire de son systĂšme et convint dâun jour oĂč il se rendrait Ă lâAcadĂ©mie pour entendre le rapport. Mesmer fut exact au rendez-vous. Mais, hĂ©las! cette seule sĂ©ance dut suffire pour lui prouver que, si le bon peuple de Paris sâengouait facilement des nouveautĂ©s et accueillait avec enthousiasme toute rĂ©putation Ă©trangĂšre, il nâen Ă©tait pas de mĂȘme des acadĂ©mies, qui, dans tous les pays du monde, ont les mĂȘmes prĂ©jugĂ©s. Je ne saurais, dit M. de Lausane, donner une qualification convenable Ă la conduite de la sociĂ©tĂ© lâAcadĂ©mie des Sciences; elle ne voulut pas souffrir quâon abordĂąt la question.âą Lorsquâun corps Ă©tabli pour les progrĂšs des sciences se comporte dâune ma- niĂšre aussi injurieuse et compromet ainsi la nation quâil reprĂ©sente, que ne peuvent se permettre les particuliers qui ne doivent compte Ă personne de leurs opinions! LâAcadĂ©mie pouvait croire Mesmer dans lâerreur; mais cette erreur nâĂ©tait point de celles quâon mĂ©prise ; la signaler, la rĂ©futer, en prouver les consĂ©quences dangereuses Ă©tait alors son devoir 1 .» â Quâeussiez-vous dit, monsieur de Lausane, de ce qui sâest passĂ© depuis ! Mais revenons Ă Mesmer. ' Annales du MagnĂ©tisme animal, n° 3 , p. 99. 140 QUATRIĂME LEĂON. On devine quâil se retira peu satisfait de sa dĂ©marche. Quelques jours aprĂšs, nĂ©anmoins, il vit plusieurs membres de lâAcadĂ©mie, se plaignit amĂšrement et reçut dâeux ces excuses lĂ©gĂšres que la politesse française sait toujours rendre sans rĂ©plique. 11 fit encore en leur prĂ©sence plusieurs expĂ©riences qui les convainquirent ; mais tous avouĂšrent ingĂ©nument que la crainte de se faire moquer dâeux les empĂȘcherait de rendre compte Ă lâAcadĂ©mie de ce quâils avaient vu. â Oh! que voilĂ bien notre pays, oĂč le ridicule sâattache comme une lĂšpre dĂ©vorante Ă toutes les innovations sĂ©rieuses. â A la fin, pourtant, MM. les savants proposĂšrent Ă Mesmer de se charger du traitement de quelques malades dont la guĂ©rison, dirent-ils, attesterait la vĂ©ritĂ© de sa dĂ©couverte dâune maniĂšre victorieuse. â La facultĂ© de mĂ©decine, en effet, nâavait point encore Ă cette Ă©poque dĂ©clarĂ© judicieusement que les guĂ©risons ne prouvaient rien. Mesmer accepta, et, aprĂšs avoir fait constater, par des mĂ©decins de la FacultĂ©, lâĂ©tat des malades quâon lui dĂ©signa, il se retira avec eux au village de Creteil, Ă deux lieues de Paris, et ne sâoccupa plus quâĂ leur donner ses soins. Enfin il envoya quatre mois aprĂšs la lettre suivante Ă lâAcadĂ©mie A M. le Roi, directeur de VAcadĂ©mie des Sciences de Paris. Creteil, 22 aoĂ»t 1778. Jâai eu lâhonneur, monsieur, de vous entretenir plusieurs fois Ă Paris, en votre qualitĂ© de directeur MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 141 a de lâAcadĂ©mie, du MagnĂ©tisme animal. Quelques- uns de MM. vos confrĂšres ont eu aussi des confĂ©- renccs avec moi sur ce principe. Son existence vous a paru sensible par les Ă©preuves que jâai faites sous vos yeux et sous les leurs. Je vous ai remis mes propo- sitions sommaires pour ĂȘtre communiquĂ©es Ă lâAca- dĂ©mie; jâai aussi laissĂ© Ă M. le comte de Maillebois un MĂ©moire relatif. Vous mâavez paru lâun et lâautre dĂ©sirer, quâaux preuves de lâexistence, je joignisse celle de lâutilitĂ©; jâai entrepris, en consĂ©quence, le traitement de plusieurs malades qui ont bien voulu, pour cet effet, se rendre au village de CrĂ©teil, que jâbabite depuis quatre mois. Quoique jâignore encore, monsieur, la façon de penser de lâAcadĂ©mie sur mes propositions', je mâempresse de lâinviter, par votre mĂ©diation, et vous- mĂȘme aussi, particuliĂšrement, monsieur, Ă constater lâutilitĂ© du MagnĂ©tisme animal appliquĂ© aux maie ladies les plus invĂ©tĂ©rĂ©es, leur traitement devant finir avec ce mois. Jâose espĂ©rer que vous voudrez bien me transmettre les intentions de lâAcadĂ©mie, en mâindiquant le jour et lâheure oĂč ses dĂ©putĂ©s seront disposĂ©s Ă mâhonorer de leur visite, afin que je me mette en Ă©tat de les recevoir. Câest avec des sentiments de la plus profonde con- sidĂ©ration que jâai lâhonneur dâĂȘtre, monsieur, etc. » L'AcadĂ©mie ne jugea pas Ă propos de rĂ©pondre! VoilĂ donc avec quelle attention, avec quelle im- â Ces propositions sont rapportĂ©es plus loin. 142 QUATRIĂME LEĂON. partialitĂ©, avec quelle justice le magnĂ©tisme fut jugĂ© dans lâorigine, et câest ainsi quâil lâa toujours Ă©tĂ©. Mesmer, dĂ©couragĂ©, Ă©tait sur le point de quitter Paris lorsquâun heureux hasard lui fit connaĂźtre dâEslon, professeur influent Ă la facultĂ© de mĂ©decine et premier mĂ©decin du comte dâArtois. FrappĂ© de quelques faits singuliers qui se passĂšrent sous ses yeux, dâEslon, observateur judicieux et sincĂšre, ne tarda point Ă sâavouer convaincu de la rĂ©alitĂ© dâun principe dont ne daignait plus sâoccuper lâAcadĂ©mie des Sciences. Sans sâattacher, comme ses confrĂšres, Ă rechercher follement lâagent opĂ©rateur de merveilles quâil importait bien plus de constater que dâexpliquer, dâEslon rendit hautement tĂ©moignage de ce quâil avait vu, et dit Ă qui voulut lâentendre que Mesmer Ă©tait possesseur du secret le plus prĂ©cieux. DâEslon fit plus encore, il offrit Ă Mesmer sa mĂ©diation auprĂšs de la FacultĂ©, et le dĂ©cida Ă rĂ©diger un MĂ©moire sur sa dĂ©couverte h Lorsque ce MĂ©moire fut terminĂ©, dâEslon rĂ©unit chez lui douze de ses confrĂšres Ă dĂźner pour entendre la lecture du manuscrit. On se rendit fidĂšlement Ă ce rendez-vous scientifique. La lecture eut lieu au dessert, et Mesmer y joignit la proposition de faire dans un hĂŽpital les expĂ©riences les plus propres Ă vider la question. Cette proposition fut acceptĂ©e.... Le moyen de sâen dĂ©fendre chez son amphitryon ! Mais ou ne dĂźne point Ă lâhĂŽpital, et, lorsquâil sâagit de lâexĂ©cution, dâEslon ne parvint plus Ă rassembler ses convives. Cependant, le MĂ©moire imprimĂ©, Mesmer crut de 1 MĂ©moire sur la decouverte du Magnet. animal, par Mesmer. Paris, 1779. MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 143 son devoir dâen adresser un exemplaire au doyen de la FacultĂ©. Mais M. le Vacher de la Feutrie Ă©tait apparemment aussi dĂ©nuĂ© de politesse que de loyautĂ© scientifique; car, non content de ne pas communiquer lâouvrage Ă ses collĂšgues, il ne fit pas mĂȘme Ă lâauteur lâhonneur de lui rĂ©pondre. En vĂ©ritĂ©, lorsquâon lit ces dĂ©tails, on peut encore soupçonner Mesmer dâintrigue et de cupiditĂ©, mais on ne peut sâempĂȘcher dâadmirer sa patience. Au reste, nous avons nous-mĂȘme eu besoin, Ă cet Ă©gard , de profiter de ses leçons et dâapprendre de lui Ă ne pas plus nous dĂ©concerter des quolibets des sots que de la morgue insolente de certains beaux esprits. Enfin, en dĂ©sespoir de cause, Mesmer pensa quâil fallait se restreindre, et se contenter de convaincre trois Ă quatre mĂ©decins, assez amis de la vĂ©ritĂ© pour la professer hautement dĂšs quâils lâauraient reconnue. MM. Bertrand, Maloet et Sollier de la Rominais lui furent donc Ă cet effet prĂ©sentĂ©s par dâEslon. Pauvre dâEslon ! que nâaviez-vous en main la lanterne de DiogĂšne? peut-ĂȘtre quâavec son aide vous eussiez mieux choisi, car Dieu sait comment se comportĂšrent ces amis de la vĂ©ritĂ©. Le premier sujet quâon leur prĂ©senta fut un paralytique, auquel huit jours dâun traitement magnĂ©tique rendirent la chaleur et la sensibilitĂ©, complĂštement Ă©teintes dans les membres infĂ©rieurs. â Chaleur et sensibilitĂ©, dirent nos trois mĂ©decins, peuvent ĂȘtres dues Ă la seule nature. Une jeune fille Ă©tait encore dans un Ă©tat plus triste que le paralytique. La scrofule, celte horrible affection 144 QUATRIĂME LEĂON, que guĂ©rissaient jadis nos rois, mais que les mĂ©decins ne guĂ©rissent point malgrĂ© la dĂ©couverte de lâiode, la scrofule avait couvert son corps de tumeurs ulcĂ©rĂ©es. La maladie avait envahi les paupiĂšres et la conjonctive un des yeux mĂȘme sâĂ©tait fondu, changĂ© en une plaie hideuse, et lâinfortunĂ©e nây voyait plus de celui qui lui restait. â Or, aprĂšs six semaines de traitement, cette fille avait repris de lâembonpoint, elle y voyait parfaitement de son Ćil Ă©clairci, et la plupart des plaies sâĂ©taient cicatrisĂ©es. â Mais Ă cet Ăąge, objectĂšrent nos docteurs, la nature est si puissante! = La nature, hommes sans foi, aurait pu leur dire Mesmer, pourquoi donc vous sert-elle si mal lorsque vous prĂ©tendez lui venir en aide? Enfin, plusieurs cures analogues Ă celles que je viens de citer, et qui faisaient dans le public la plus grande sensation, ne parurent rien prouver Ă ces messieurs, que la rĂ©surrection de Lazare nâeĂ»t sans doute pas convaincus. Ce ne fut pourtant quâa prĂšs sept mois entiers de scĂšnes fatigantes et insipides la sottise a quelquefois la persistance du gĂ©nie que dâEsIon, Ă la priĂšre de Mesmer dont la patience Ă©tait Ă bout, les congĂ©dia eu les remerciant de leur louable assistance. Cependant, Ă cette Ă©poque, dâEslon sâoccupa Ă rĂ©diger ses observations sur le magnĂ©tisme ', et son livre nâavait pas encore paru quâil Ă©tait dĂ©jĂ la proie des libellĂątes de haut et bas Ă©tage. Un M. Dehorne, entre autres, instruit apparemment de cette prochaine publication, fit paraĂźtre, peu de 1 Observations sur le MagnĂ©tisme animal, par M. dâEslon. Paris, 1780. MESMER ET LES COUPS SAVANTS. 145 jours auparavant, une brochure intitulĂ©e RĂ©ponse dâun mĂ©decin de Paris Ă un mĂ©decin de province sur le prĂ©tendu magnĂ©tisme animal. Cet ouvrage Ă©tait absurde et ne pouvait manquer de lâĂȘtre ; lâauteur nâavait aucune idĂ©e de la chose dont il parlait. â Que de gens, depuis ont suivi sa mĂ©thode ! La France est la terre classique des opinions prĂ©conçues. â Enfin lâouvrage de dâEslon parut, et la FacultĂ©, indignĂ©e quâun de ses membres, un de ses docteurs- rĂ©gents eĂ»t osĂ© prendre publiquement la dĂ©fense du magnĂ©tisme, sâassembla, et, comme vous verrez, lança ses foudres sur lâimprudent qui avait prĂ©fĂ©rĂ© la vĂ©ritĂ© Ă Platon... je me trompe, Ă lâesprit de corps. â Une circonstance solennelle devait ĂȘtre bientĂŽt pour elle lâoccasion dâĂ©clater. Mesmer, sentant la nĂ©cessitĂ© de rendre le public juge de sa conduite, rĂ©digea plusieurs propositions quâil pria dâEslon, devenu son ami intime, de communiquer Ă la FacultĂ©. Voici le texte de ces propositions, qui forment une piĂšce importante dans lâhistoire moderne du magnĂ©tisme La dĂ©couverte du magnĂ©tisme animal a donnĂ© lieu Ă l'impression dâun MĂ©moire dans lequel il est avancĂ© que la nature offre un moyen universel de guĂ©rir et de prĂ©server les hommes; quâavec cette connaissance, le mĂ©decin jugera sĂ»rement lâorigine, la nature et les progrĂšs des maladies, mĂȘme les plus compliquĂ©es; quâil en empĂȘchera lâaccroissement et parviendra Ă leur guĂ©rison sans jamais exposer le malade Ă des effets dangereux ou Ă des suites fĂącheuses, quel que soit lâĂąge, le tempĂ©rament et le sexe. 10 146 QUATRIĂME LEĂON. Ce systĂšme, en opposition Ă toutes les idĂ©es reçues, a passĂ© pour illusoire. Lâauteur de la dĂ©couverte sây attendait; mais il nâa pas tardĂ© Ă justifier le raisonnement par le fait. II a entrepris, aux yeux de tout Paris., un nombre considĂ©rable de traitements. Les soulagements procurĂ©s et les cures opĂ©rĂ©es par le magnĂ©tisme animai,, ont invinciblement prouvĂ© la vĂ©ritĂ© des assertions avancĂ©es. NĂ©anmoins, il faut observer que les expĂ©riences faites jusquâĂ ce jour ont dĂ©pendu de tant de volontĂ©s diverses, que la plupart nâont pu ĂȘtre portĂ©es au point de perfection dont elles Ă©taient susceptibles ; car, si quelques malades ont suivi leurs traitements avec la constance et lâassiduitĂ© nĂ©cessaires, il en est un grand nombre qui les ont sacrifiĂ©s Ă des convenances Ă©trangĂšres. Si lâauteur ne visait quâĂ la cĂ©lĂ©britĂ©, il suivrait constamment la mĂȘme marche ; mais lâespoir dâĂȘtre plus gĂ©nĂ©ralement utile lui en prescrit une autre. Il a pour but de convaincre le gouvernement; mais le gouvernement ne peut raisonnablement statuer, en pareilles matiĂšres, quâĂ lâaide des savants. Sâil est en Europe un corps qui, sans prĂ©somption, puisse se flatter dâune prĂ©pondĂ©rance non rĂ©cusable dans lâobjet dont il est question, câest sans doute i,a FacultĂ© de MĂ©decine de Paris. Sâadresser par son entremise au gouvernement est donc la preuve la plus formelle de la sincĂ©ritĂ© de lâauteur et de lâhonnĂȘtetĂ© de ses vues. En consĂ©quence, il propose Ă la FacultĂ© de prendre, MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 147 dâun commun accord, et sous les auspices formels du gouvernement, les moyens les plus dĂ©cisifs de constater FutilitĂ© de sa dĂ©couverte. Rien ne paraĂźtrait mener plus directement Ă ce but que Fessai comparatif de la mĂ©thode nouvelle avec les mĂ©thodes anciennes. Lâadministration des remĂšdes usitĂ©s ne pouvant ĂȘtre en meilleures mains quâen celles de la FacultĂ©, il est Ă©vident que, si la mĂ©thode nouvelle obtenait lâavantage sur lâancienne, les preuves en sa faveur seraient des plus positives. Voici quelques-uns des arrangements qui pourraient ĂȘtre pris Ă cet Ă©gard. Il est inutile de dire que, de part et dâautre, on doit conserver la plus grande libertĂ© dâopinions et une autoritĂ© Ă©gale sur les malades soumis Ă chaque traitement i° Solliciter lâintervention du gouvernement; mais comme il est aisĂ© de sentir que la demande dâun corps tel que la FacultĂ© doit avoir plus de poids que celle dâun particulier, il serait Ă propos quâavant tout la FacultĂ© se chargeĂąt de cette nĂ©gociation. a° Faire choix de vingt-quatre malades, dont douze seraient rĂ©servĂ©s par la FacultĂ© pour ĂȘtre traitĂ©s par les mĂ©thodes ordinaires ; les douze autres seraient remis Ă lâauteur, qui les traiterait suivant sa mĂ©thode particuliĂšre. 3° Lâauteur exclut de ce choix toute maladie vĂ©nĂ©rienne. 4° Il serait prĂ©alablement dressĂ© procĂšs-verbal de lâĂ©tat de chaque malade; chaque procĂšs-verbal serait signĂ© tant par les commissaires de la FacultĂ© que par 148 QUATRIĂME LEĂON', lâauteur et par les personnes proposĂ©es par le gouvernement. 5â Le choix des malades serait fait parla FacultĂ©, ou par la FacultĂ© et lâauteur rĂ©unis. a 6° Pour Ă©viter toutes discussions ultĂ©rieures et toutes les exceptions que lâon pourrait faire dâaprĂšs la diffĂ©rence dâĂąge, de tempĂ©raments, de maladies, de leurs symptĂŽmes, etc., la rĂ©partition des malades se ferait par la voie du sort. 7 ° La forme de chaque examen comparatif des maladies et de leurs Ă©poques serait fixĂ©e dâavance, afin que, par la suite, il ne pĂ»t sâĂ©lever aucune discussion raisonnable sur les progrĂšs obtenus par lâune ou lâautre de ces mĂ©thodes. 8 ° La mĂ©thode de lâauteur exigeant peu de frais, il ne demanderait aucune rĂ©compense de ses soins; mais il paraĂźtrait naturel que le gouvernement prĂźt sur lui les dĂ©penses relatives Ă lâentretien des vingt-quatre malades. 9 0 Les personnes prĂ©posĂ©es par le gouvernement assisteraient Ă chaque examen comparatif des malades, et en signeraient les procĂšs-verbaux; mais comme il est essentiel dâĂ©viter, de la part du public, toutes les inculpations dâintelligence ou de connivence, il serait indispensable que les prĂ©posĂ©s du gouvernement ne fussent pris dans aucun corps de mĂ©decine. Lâauteur se flatte que la facultĂ© de mĂ©decine de Paris ne verra dans les propositions ci-dessus quâun juste hommage rendu Ă ses lumiĂšres, et lâambition de faire prospĂ©rer, par les soins dâun corps cher Ă la nation, la vĂ©ritĂ© qui peut lui ĂȘtre la plus avantageuse. » Telles Ă©taient les propositions rĂ©digĂ©es par Mesmer. MESMER ET LES COUPS SAVANTS. 149 Jâavoue quâau premier abord elles peuvent sembler tĂ©mĂ©raires. NâĂ©tait-ce pas Ă©trange, en effet, quâun simple particulier,quâun Ă©tranger,quâun mĂ©decin deVienne, conçût la prĂ©tention dâimposer des conditions Ă la facultĂ© de mĂ©decine de Paris, et de traiter de puissance Ă puissance avec le premier corps mĂ©dical du monde? Mais si lâon considĂšre que Mesmer, Ă cette Ă©poque, jouissait dĂ©jĂ dâune immense rĂ©putation, si lâon tient compte de lâadhĂ©sion publique donnĂ©e Ă sa doctrine par une foule de notabilitĂ©s scientifiques, littĂ©raires, artistiques, nobiliaires, et qui plus est mĂ©dicales, on conviendra que cette doctrine, abstraction faite de son auteur , mĂ©ritait quelque attention; et comme, dâun autre cĂŽtĂ©, il ne paraissait exister aucun autre moyen de constater avec impartialitĂ© les effets thĂ©rapeutiques de la mĂ©thode de Mesmer que dâaccepter ses propositions, la dignitĂ© mĂȘme de la FacultĂ© semblait lui faire un devoir dây souscrire. Mais lâillustre corps' mĂ©dical comprit autrement sa mission. DâEslon, dâaprĂšs les statuts, ne pouvait prĂ©senter que dans une assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale les propositions de Mesmer. Il alla donc trouver Ă cet effet M. le Vacher de la Feutrie, alors doyen en charge, et le pria de convoquer cette assemblĂ©e. M. le Vacher, qui avait de lâamitiĂ© pour dâEslon, fut alarmĂ© de sa demande, et lui reprĂ©senta tous les dangers quâil encourait en se prononçant aussi ouvertement pour un systĂšme condamnĂ© dâavance. NĂ©anmoins, comme dâEslon insista, lâassemblĂ©e, aprĂšs de nombreux dĂ©lais, fut enfin accordĂ©e pour le 18 septembre 1780, jour fatal ou la FacultĂ© de 150 QUATRIĂME LEĂON. Paris devait se dĂ©shonorer par un de ces arrĂȘts Ă la fois stupides et ridicules dont les annales de lâinquisition fournissent seules des exemples. Mais il faut que vous sachiez dâabord que, pendant que dâEslon, nâĂ©coutant que la voix de lâhonneur et de la conviction, se dĂ©vouait pour le magnĂ©tisme par une dĂ©marche dont il ne se dissimulait point le pĂ©ril, un de ses ennemis personnels, M. Roussel de Vauzesmes, lancĂ© contre le magnĂ©tisme par les dĂ©tracteurs de Mesmer, sollicitait aussi, de son cĂŽtĂ©, une assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, pour dĂ©noncer Ă la FacultĂ© la conduite et le livre de dâEslon. Or,par suite dâune combinaison absurde ou ignoble, lâassemblĂ©e quâil demandait lui fut accordĂ©e, comme Ă dâEslon, pour le 18 septembre!....'âNâest-ce pas quâelles sont hideuses ces basses intrigues de lâenvie dans les hautes rĂ©gions delĂ science? Nâest-ce pas quâil y avait bien de la sottise ou de la lĂąchetĂ© Ă mettre ainsi en prĂ©sence des opinions encore plus passionnĂ©es que contradictoires, afin dâavoir Ă opposer lâemportement et lâoutrecuidance dâun jeune homme Ă la noble et grave conviction dâun savant?âEnfin lejour de cette fameuse assembleĂ© arriva, et sans connaĂźtre encore quelles pouvaient ĂȘtre les propositions dont dâEslon Ă©tait chargĂ©, M. de "Vauzesmes se leva le premier et, demandant la parole, commença en ces termes De tous temps, il a existĂ© des gens Ă secret, posses- seurs de recettes miraculeuses pour la guĂ©rison des maladies; et le public, ignorant en mĂ©decine, a toute jours Ă©tĂ© la dupe des vaines promesses de ces aventu- riers. Ils nâĂ©tablissent nulle part une demeure fixe, car leurs manĆuvres sont bientĂŽt mises au grand MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 151 jour; et ce mĂȘme public, honteux dâavoir Ă©tĂ© grossiĂšre rement sĂ©duit, les traite ensuite avec lâindignation quâils ont justement encourue. Mais, par une faiblesse attachĂ©e Ă lâhumanitĂ©, qui ne cesse de courir aprĂšs lâerreur, sâil vient encore Ă paraĂźtre sur la scĂšne un nouveau charlatan, il attire bien vite les regards de la multitude. Ainsi, M. Mesmer, aprĂšs avoir fait pendant assez longtemps beaucoup de bruit Ă Vienne en Aller triche; aprĂšs avoir Ă©tĂ©, comme câest la coutume, dĂ©- masquĂ© et ridiculisĂ©, est venu Ă©tablir son théùtre dans cette capitale, oĂč, depuis prĂšs de trois ans, il donne des reprĂ©sentations le plus tranquillement du monde, re Tous les mĂ©decins qui exercent ici noblement leur profession se contentaient de le mĂ©priser, et certai- nement son rĂšgne aurait Ă©tĂ© de courte durĂ©e, si M. dâEslon, un de nos confrĂšres, ne sâĂ©tait point donnĂ© ouvertement comme son procureur, son prĂŽneur et son satellite; et le titre de docteur-rĂ©gent de cette Face culte,dont M. dâEslon est revĂȘtu, nâa pas peu contri- cc huĂ© Ă donner au jongleur allemand une espĂšce de cĂ©lĂ©britĂ© momentanĂ©e Ă laquelle il ne devait pas sâat- cc tendre... » VoilĂ dans quels termes M. de Vauzesmes, un jeune homme, je le rĂ©pĂšte, attaquait une dĂ©couverte que sanctifiaient dĂ©jĂ les plus grands noms de lâĂ©poque, et dont il nâavait pas la moindre idĂ©e. Que de vaniteuses mĂ©diocritĂ©s, qui ne veulent rien voir ou qui ne savent rien comprendre, ont depuis soixante ans rhabillĂ© contre nous les lieux communs quâil dĂ©bitait. â Charlatans! charlatans!... VoilĂ votre grand mot, votre cheval de bataille, votre argument sans rĂ©plique, nâest-ce pas, mes 152 QUATRIĂME LEĂON, illustres confrĂšres en mĂ©decine, vous autres, hauts barons dâune science Ă laquelle vous ne croyez soyons francs entre nous guĂšre plus quâau magnĂ©tisme. â Mais jâoublie quâil ne sâagit que de Mesmer et de dâEslon, et que je ne suis point en cause. M. de Yauzesmes poursuivit sur le mĂȘme ton pendant une demi-heure, injuriant au lieu de discuter, et se contentant de nier les cures rapportĂ©es dans lâouvrage de dâEslon pour sâĂ©viter lâembarras dâen expliquer la cause ; ce fut ainsi quâil termina Jâaurai rempli la tĂąche que je me suis imposĂ©e, si jâai pu, messieurs, vous prouver les manĆuvres de M. Mesmer, lâassociation scandaleuse de M. dâEslon avec les charlatans. Si je vous ai fait voir quâil avait injuriĂ© les corps littĂ©raires et spĂ©cialement celte Fa- culte ; enfin, si jâai dĂ©montrĂ© le ridicule, le faux de ses principes, lâabsurditĂ©, lâimpossibilitĂ©, la faussetĂ© des cures quâil vous prĂ©sente Ă examiner, jâattaque seule- ment sa ridicule et trĂšs-dangereuse doctrine 1 que je regarde comme ennemie du bien public, et qui cora- promet cette compagnie, puisque câest comme doeteur- rĂ©gent de cette FacultĂ© quâil la soutient, cette doctrine. Je laisse Ă votre jugement, messieurs, Ă dĂ©cider sur lâouvrage de M. dâEslon, car, je le rĂ©pĂšte, je nâen veux point Ă sa personne 2 . » 1 TrĂšs-dangereuse doctrine !.... » OĂč donc Ă©tait le danger si le magnĂ©tisme nâĂ©tait rien? â La passion et la logique sont choses contradictoires. 8 Je nâen veux point Ă sa personne. » â AprĂšs les grossiĂšres injures qui venaient de lui Ă©chapper, M. de Yauzesmes avait besoin de faire cette dĂ©claration; son auditoire aurait assurĂ©ment supposĂ© le qon* traire. 1 53 MESMER ET TES CORPS SAVANTS. Il faut bien croire que le mĂ©pris donne quelquefois du cahne et de la rĂ©signation, car dâEslon eut la patience dâĂ©couter jusquâau bout les diatribes et les outrages de son antagoniste. A son tour, il prit la parole, et, par un discours aussi sage que digne, il essaya de provoquer une conciliation, en mĂ©nageant habilement lâamour-propre de. ses collĂšgues. Enfin, il donna lecture des fameuses propositions;et, aprĂšs avoir dĂ©posĂ© son manuscrit sur le barreau, il sortit pour laisser dĂ©libĂ©rer. Lorsquâil rentra, le doyen lui lut un dĂ©cret portant la dĂ©libĂ©ration singuliĂšre que voici a âInjonction dâĂȘtre plus circonspect Ă lâavenir; a° Suspension pendant un an de voix dĂ©libĂ©rative dans les assemblĂ©es de la FacultĂ©; 3° Radiation, Ă lâexpiration de lâannĂ©e, du tableau des mĂ©decins de la FacultĂ©, sâil nâavait pas Ă cette Ă©poque dĂ©savouĂ© ses observations sur le magnĂ©tisme animal; 4° Les propositions de Mesmer rejetĂ©es. Ceci se passait, je vous lâai dit, le 18 septembre 1780, non pas au Divan, non pas au conseil des Dix, non pas au tribunal de lâInquisition, mais au sein dâun des plus cĂ©lĂšbres corps savants de lâEurope, Ă la facultĂ© de MĂ©decine de Paris! â Vus de prĂšs, les hommes sont, jâen conviens, quelquefois bien repoussants ; mais, vus de loin , ils font pitiĂ© ! Cependant la dĂ©cision de la FacultĂ© nâeut pas, Ă beaucoup prĂšs, le succĂšs quâon sâen Ă©tait promis. O11 ne vit, dans cette dĂ©cision, quâun acte de rĂ©voltante partialitĂ©; et les propositions de Mesmer, insĂ©rĂ©es dans le Journal de Paris , firent dans lâopinion publique une 154 QUATRIĂME LEĂON, vĂ©ritable rĂ©volution. Le moyen, en effet, de ne voir quâun charlatan vulgaire dans un homme qui prĂ©sentait tous les moyens de vĂ©rifier sa dĂ©couverte et dâen constater lâutilitĂ©? Le charlatanisme craint le grand jour, et ce nâest quâen opĂ©rant dans lâombre quâ abuser un instant les hommes inattentifs. NĂ©anmoins, comme vous le pensez bien, la conduite de laFacultĂ© fut sensible Ă Mesmer, et sans les instances de ses nombreux amis et de seswalades, plus nombreux encore, il quittait immĂ©diatement Paris. Enfin, il se dĂ©cida Ă sâadresser directement au gouvernement, et ce fut encore dâEsIon qui, bravant de nouveaux anathĂšmes, se chargea dâentamer cette derniĂšre nĂ©gociation. Sur ces entrefaites, M. de Lassonne, premier mĂ©decin du roi, dĂ©clara, de maniĂšre Ă ne pouvoir plus se rĂ©tracter, quâil Ă©tait entiĂšrement convaincu de lâexistence et de lâutilitĂ© du magnĂ©tisme animal. Heureux dâun appui sur lequel ils nâavaient pas comptĂ©, Mesmer et dâEsIon sâadressĂšrent aussitĂŽt Ă ce mĂ©decin et lui soumirent leurs intentions. Dans le MĂ©moire que dâEsIon lui remit, Mesmer demandait des commissaires, non pour examiner ses procĂ©dĂ©s, mais pour prendre connaissance des faits et en rendre compte. M. de Lassonne, qui paraissait dâabord tout approuver, indiqua MM. dâAngevilliers, Saron, de Montigny, dâAubenton, BĂącher, Grandelas, Lorry et Mauduyt, tous membres de lâAcadĂ©mie ou de la FacultĂ©. Cette affaire, qui ne semblait plus admettre aucune difficultĂ©, se termina pourtant dâune façon singuliĂšre. AprĂšs maints dĂ©lais inexplicables, dâEsIon, pressant MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 155 M. de Lassonne dâarriver Ă une conclusion, celui-ci lui rĂ©pondit enfin que les commissaires dĂ©signĂ©s ayant trouvĂ© la commission inadmissible, il sâagissait de pourvoir Ă de nouveaux arrangements. Cette solution nâĂ©tait pas claire; et Mesmer ayant eu la curiositĂ© de pĂ©nĂ©trer les vĂ©ritables motifs de ces juges rĂ©fractaires, apprit bientĂŽt, Ă sa grande surprise, quâaucun des prĂ©tendus commissaires nâavait Ă©tĂ© prĂ©venu. â Ătait-ce donc le dĂ©mon ou encore les jĂ©suites qui avaient menti par la bouche de M. de Lassonne? â Je ne sais, mais le plus patient des saints eut perdu , Ă pareil jeu, sa place au paradis, et Mesmer, poussĂ© Ă bout par tant de lĂąchetĂ©s et de trahisons, signifia enfin Ă ses malades que, devant quitter la France, il finirait ses traitements le 1 5 avril suivant 1 y8 i . Cettenouvelle effrayatousceux qui avaient perdu confiance en la mĂ©decine ordinaire. Le nombre en Ă©tait grand, dit M, de Lausane, et parmi eux Ă©taient tant de gens de distinction que leurs alarmes pĂ©nĂ©trĂšrentbientĂŽt jusquâau pied du trĂŽne. La reine ne dĂ©daigna pas de se mĂȘler de cette affaire; elle fit dire Ă Mesmer quâelle trouvait de lâinhumanitĂ© dans lâabandon de ses malades, et quâil ne devait pas quitter la France de cette maniĂšre. Mesmer rĂ©pondit que son long sĂ©jour en France ne pouvait laisser aucun doute sur le dĂ©sir quâil avait de la prĂ©fĂ©rer Ă tous les autres Ătats, exceptĂ© Ă sa patrie ; mais que, dĂ©sespĂ©rant de voir une conclusion Ă lâaffaire importante qui lây avait conduit, il sâĂ©tait dĂ©cidĂ© Ă profiter de la saison nouvelle pour faire des opĂ©rations, quâĂ son grand regret il diffĂ©rait depuis longtemps; et que, dâailleurs, il suppliaitSa MajestĂ© dâexaminer quâil y avait, 156 QUATH1ĂME LEĂON, jusquâau i 5 avril, assez de temps pour prendre une dĂ©termination, si la nĂ©cessitĂ© dâen prendre une Ă©tait parfaitement reconnue. » Quelques jours aprĂšs, une personne de la cour, suffisamment autorisĂ©e, fit prier Mesmer et dâEslon de venir sâentendre avec elle ; et, aprĂšs bien des dĂ©bats, Mesmer consentit Ă signer les propositions suivantes, Ă lâinstant mĂȘme rĂ©digĂ©es Il est proposĂ© Que le gouvernement nomme cinq commissaires, dont deux seulement mĂ©decins, les trois autre§ gâŹn§ instruits, pour prendre les derniers renseignements que lâon juge nĂ©cessaires, dans lâobjet de ne laisser aucun doute sur lâexistence et lâutilitĂ© de la dĂ©couverte du magnĂ©tisme animal; Que les commissaires examinent un nombre dĂ©terminĂ© de malades traitĂ©s par M. Mesmer, lesquels malades seront indiffĂ©remment choisis dans ceux qui suivent encore les traitements par le magnĂ©tisme animal, ou dans ceux qui ne les suivent plus; Que cet examen porte sur la suite des procĂ©dĂ©s de M. Mesmer. â Voici Ă peu prĂšs les questions que pourront faire les commissaires aux malades 1° Quel Ă©tait leur Ă©tat avant dâĂȘtre soumis au magnĂ©tisme animal? â Les consultations et attestations des mĂ©decins de Paris ou autres pourraient ĂȘtre demandĂ©es Ă lâappui; 2° Quels effets ils ont sentis pendant leur traitement, et quelle a Ă©tĂ© la marche de ces effets; â Si lâon interrogeait quelques malades actuellement entre les mains de M. Mesmer on examinerait les effets nuisibles, tels 157 MESMER ET LES COUPS SAVANTS, que lâembonpoint, les bouffissures, obstructions devenues sensibles, etc.; 3 ° Sâils ont pris des mĂ©dicaments pendant le traitement par le magnĂ©tisme animal? 4 ° Dans quel Ă©tat Ă©tait leur santĂ© lorsquâils ont quittĂ© M. Mesmer? Que si le rapport des commissaires est favorable Ă la dĂ©couverte, le gouvernement reconnaĂźtra, par une lettre ministĂ©rielle i° Que M. Mesmer a fait une dĂ©couverte utile; 2° Que, pour rĂ©compenser M. Mesmer, et lâengager Ă Ă©tablir et propager sa doctrine en France, le roi lui donnera, en toute propriĂ©tĂ©, un emplacement qui puisse lui convenir pour y traiter le plus avantageusement possible des malades et communiquer ses connaissances aux mĂ©decins; 3 ° Que, pour fixer M. Mesmer en France et reconnaĂźtre ses services, il lui sera accordĂ© une pension viagĂšre de 20,000 livres; Que Sa MajestĂ© exige de M. Mesmer quâil reste en France jusquâĂ ce quâil ait suffisamment Ă©tabli sa doctrine et ses principes, et quâil ne puisse la quitter quâavec la permission du roi. Il est encore proposĂ© Que M. Mesmer jouisse des avantages qui lui seront accordĂ©s dĂšs le moment que le gouvernement aura reconnu lâutilitĂ© de la dĂ©couverte; Que le roi nomme une personne pour prĂ©sider et veillera lâĂ©tablissement fait par M. Mesmer. Jâai acceptĂ© ces propositions, purement et simplement, mais Ă la condition expresse quelles seront exĂ©- 158 QUATRIĂME LEĂON, cutĂ©es pour le quinziĂšme jour dâavril prochain, Ă©poque Ă laquelle je ne serai plus engagĂ© Ă rien , si les propositions ci-dessus nâont pas Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es. A Paris , le 1 4 mars 1781. u SignĂ© Mesmer. » VoilĂ donc Mesmer, lâinconnu, comme 011 disait, lâaventurier, le charlatan, qui traite dâĂ©gal Ă Ă©gal avec le roi Louis XVI et daigne Ă peine accepter, comme choses dues Ă son mĂ©rite, les plus exorbitantes faveurs dont jamais ne se vit combler aucun savant français. Cette transaction, dispendieuse fantaisie dâune reine, qui, dans ses largesses envers Mesmer, fĂȘtait plutĂŽt son compatriote quâelle ne rĂ©compensait le novateur, cette transaction, dis-je, me paraĂźt un des actes caractĂ©ristiques de ce gouvernement frivole, qui ne pouvait manquer de sâabĂźmer dans une rĂ©volution. Sans doute, entre Mesmer et les corps savants, il Ă©tait licite au gouvernement dâintervenir. Il Ă©tait mĂȘme de son devoir de rĂ©clamer officiellement, des acadĂ©mies, lâexamen rĂ©gulier dâune dĂ©couverte qui obtenait de la part du public une adhĂ©sion presque gĂ©nĂ©rale ; mais en Ă©rigeant un piĂ©destal Ă Mesmer, sans un rapport prĂ©alable sur le magnĂ©tisme, lâenvie quâon excitait contre sa personne se changeait en prĂ©ventions contre sa dĂ©couverte, et je suis persuadĂ© que rien ne fut plus fatal Ă la nouvelle doctrine que la protection irrĂ©flĂ©chie de Marie-Antoinette. Au surplus, le gouvernement, qui, procĂ©dant toujours Ă lâaventure, oubliait souvent le lendemain ses engage- MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 159 inents de la veille, agit alors avec Mesmer comme il lit plus tard avec la nation ses propositions nâeurent pas de suite. Le 28 mars, M. de Maurepas fĂźt appeler Mesmer, lui annonça que le roi voulait bien le dispenser dâĂȘtre examinĂ© par des commissaires, et lui accordait une pension de 20,000 livres; quâil lui paieiâait, en outre, un loyer de 10,000 livres pour la maison que lui, Mesmer, reconnaĂźtrait propre Ă former des Ă©lĂšves ; quâau nombre de ses Ă©lĂšves, dont le choix dĂ©pendrait de Mesmer, sâen trouveraient trois du gouvernement, et quâon lui accorderait de nouvelles grĂąces lorsque les Ă©lĂšves du gouvernement auraient reconnu lâutilitĂ© de sa dĂ©couverte. Mesmer refusa! Il eut tort, dit M. de Lausane, car, ces propositions acceptĂ©es, le magnĂ©tisme animal eĂ»t triomphĂ© sans aucun doute h Il eut raison, et voici pourquoi Les offres qui me sont faites, dit-il, me semblent pĂ©cher, en ce quâelles prĂ©sentent mon intĂ©rĂȘt pĂ©cunier, et non lâimportance de ma dĂ©couverte, comme lâobjet principal. La question doit ĂȘtre absolument envisagĂ©e en sens contraire, car, sans ma dĂ©couverte, ma personne nâest rien. Jâai toujours agi conformĂ©ment Ă ces principes, en sollicitant lâaccueil de ma dĂ©couverte, jamais celui de ma personne. Si lâon nây croit point, Ă cette dĂ©couverte, 1 Annales du MagnĂ©tisme animal, t. I, p. 249. 160 QUATRIĂME LEĂON', on a Ă©videmment le plus grand tort de mâeu offrir 3o,ooo livres de rente; si lâon y croit, le sort de lâhumanitĂ© ne doit point ĂȘtre sacrifiĂ© Ă lâamour-propre de quelques savants, ni Ă la crainte de faire quelques dĂ©penses indispensables. a Puisque lâon sâest Ă©levĂ© au-dessus des formes usitĂ©es, il me paraĂźt incomprĂ©hensible, ou tout au moins contradictoire, de penser Ă me faire juger par mes Ă©lĂšves; cette clause, dâailleurs, est rigoureusement inadmissible peut-on prĂ©voir quels intĂ©rĂȘts dicteront leur jugement? Que deviendrait, par exemple, la vĂ©ritĂ©, si lâon me donne pour Ă©lĂšves, commissaires et juges, MM. Maloet et Sollier 1 ? Quoique je me sois exposĂ© patiemment, pendant quinze annĂ©es consĂ©cutives, Ă la dĂ©rision publique, je nâen suis pas plus disposĂ© Ă signer ma honte ; et je regarderais comme trĂšs-avilissante pour moi, si elle Ă©tait fondĂ©e, la supposition que je pourrais accepter 20 , 3o, 4o et mĂȘme ioo mille livres de rente pour une vĂ©ritĂ© quâau fond du cĆur je saurais ne pas exister, etc. » Que dâorgueil! se sont maintes fois Ă©criĂ©s, Ă propos de ce refus, certains savants famĂ©liques pour qui les sentiments Ă©levĂ©s sont aussi inaccessibles que les vĂ©ritĂ©s nouvelles; que dâorgueil pour un charlatan! â Oui, certes, messeigneurs, noble orgueil 2 sâil en fut; mais * Il y a plus de dĂ©pit que de logique dans ces derniĂšres objections de Mesmer, puisquâaux ternies des conditions qui lui Ă©taient offertes il devait rester libre de choisir ses Ă©lĂšves. 2 Pourquoi faut-il que la conduite ultĂ©rieure de Mesmer lasse suspecter son dĂ©sintĂ©ressement dans cette circonstance! MESMEIt ET TES COUPS SAVANTS. 161 cet orgueil-lĂ vous ne lâaurez jamais et vous ne sauriez le comprendre. M. de Maurepas combattit de son mieux les raisons de Mesmer; mais ce dernier fut inĂ©branlable. La lettre suivante , que de retour chez lui il Ă©crivit Ă la reine, renferme dâailleurs lâexplication plus dĂ©taillĂ©e de sa conduite, et ses vĂ©ritables intentions Madame, Je nâaurais dĂ» Ă©prouver que les mouvements de la satisfaction la plus pure, en apprenant que Votre MajestĂ© daignait arrĂȘter ses regards sur moi; et cependant ma situation pĂšse douloureusement sur mon cĆur. On a prĂ©cĂ©demment peint Ă Votre MajestĂ© le projet que jâavais de quitter la France comme contraire Ă lâhumanitĂ©, en ce que jâabandonnais des malades Ă qui mes soins Ă©taient encore nĂ©cessaires. Aujourdâhui je ne doute point quâon nâattribue Ă des motifs intĂ©ressĂ©s mon refus indispensable des conditions qui mâont Ă©tĂ© offertes au nom de Votre MajestĂ©. Je nâagis, madame, ni par inhumanitĂ©, ni par aviditĂ©. Jâose espĂ©rer que Votre MajestĂ© me permettra dâen placer les preuves sous ses yeux; avant toute chose, je dois me rappeler quâelle me blĂąme ; et mon premier soin doit ĂȘtre de faire parler ma respectueuse soumission pour ses moindres dĂ©sirs. Dans cette vue,uniquement par respect pour Votre MajestĂ©, je lui offre lâassurance de prolonger mon sĂ©jour en France jusquâau 18 septembre prochain, et dây continuer jusquâĂ cette Ă©poque mes soins Ă ceux de mes malades qui me continueront leur confiance. Il 162 QUATRIĂME LEĂON. Je supplie instamment Votre MajestĂ© de considĂ©rer que cette offre doit ĂȘtre Ă lâabri de toute considĂ©ration recherchĂ©e... Câest Ă Votre MajestĂ© que jâai lâhonneur de la faire ; mais indĂ©pendante de toutes grĂąces, de toutes faveurs, de toute espĂ©rance autre que celle de jouir, Ă lâabri de la puissance de Votre MajestĂ©, de la tranquillitĂ© et de la sĂ»retĂ© mĂ©ritĂ©es qui mâont Ă©tĂ© accordĂ©es dans ses Etals depuis que jây fais mon sĂ©jour; câest enfin, madame, en dĂ©clarant Ă Votre MajestĂ© que je renonce Ă tout espoir dâarrangement avec le gouvernement français, que je la supplie dâagrĂ©er le tĂ©moignage de la plus humble, de la plus respectueuse et de la plus dĂ©sintĂ©ressĂ©e des dĂ©fenses. Jecherche,madame,un gouvernement qui aperçoive la nĂ©cessitĂ© de ne pas laisser introduire lĂ©gĂšrement dans le monde une vĂ©ritĂ© qui, par son influence sur le physique des hommes, peut opĂ©rer des changements que, dĂšs leur naissance, la sagesse et le pouvoir doivent contenir et diriger dans un cours et vers un but salutaires. JjCS conditions qui mâont Ă©tĂ© proposĂ©es au nom de Votre MajestĂ© ne remplissant pas ces vues, lâaustĂ©ritĂ© de mes principes me dĂ©fendait impĂ©rieusement de les accepter. Dans une cause qui intĂ©resse lâhumanitĂ© au premier chef, lâargent ne doit ĂȘtre quâune considĂ©ration secondaire. Aux yeux de Votre MajestĂ©, quatre ou cinq cent mille francs de plus ou de moins employĂ©s Ă propos ne sont rien le bonheur des peuples est tout. Ma dĂ©couverte doit ĂȘtre accueillie, et moi rĂ©compensĂ© avec une munificence digne du monarque auquel je mâattacherai. Ce qui doit me disculper sans rĂ©plique de toute fausse interprĂ©tation Ă cet Ă©gard, câest que depuis mon sĂ©jour MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 163 dans vos Etats je nâai tyrannisĂ© aucun de vos sujets. Depuis trois ans, je reçois chaque jour des offres pĂ©cuniaires; Ă peine mon temps suffit Ă les lire, et je puis dire que, sans compter, jâen ai brĂ»lĂ© pour des sommes considĂ©rables. Mamarche dans les Ătats de Votre MajestĂ© a toujours Ă©tĂ© uniforme; ce nâest assurĂ©ment ni par cupiditĂ©, ni par amour dâune vaine gloire que je me suis exposĂ© au ridicule prĂ©texte dont votre AcadĂ©mie des sciences, votre SociĂ©tĂ© royale et votre facultĂ© de mĂ©decine de Paris ont prĂ©tendu me couvrir tour Ă tour. Lorsque je lâai fait, câĂ©tait parce que je croyais devoir le faire. AprĂšs leur refus, je me suis cru au point que le gouvernement devait me regarder de ses propres yeux. TrompĂ© dans mon attente, je me suis dĂ©terminĂ© Ă chercher ailleurs ce que je ne pouvais plus raisonnablement espĂ©rer ici, Je me suis arrangĂ© pour quitter la France dans le mois dâavril prochain ; câest ce quâon appelle inhumanitĂ©, comme si ma marche nâavait pas Ă©tĂ© forcĂ©e! Dans la balance de lâhumanitĂ©, vingt ou vingt-cinq malades, quels quâils soient, ne pĂšsent rien Ă cĂŽtĂ© de lâhumanitĂ© entiĂšre; et pour faire lâapplication de ce principe Ă une personne que Votre MajestĂ© honore de sa tendresse, ne puis-je pas dire que donner Ă madame la duchesse deChaulnes la prĂ©fĂ©rence sur la gĂ©nĂ©ralitĂ© des hommes, serait au fond aussi condamnable Ă moi que de nâapprĂ©cier ma dĂ©couverte quâen raison de mes intĂ©rĂȘts personnels? Je me suis dĂ©jĂ trouvĂ©, madame, dans la nĂ©cessitĂ© dâabandonner des malades qui mâĂ©taient chers, et Ă qui mes soins Ă©taient encore indispensables. Ce fut dans ce 164 QUATRIĂME LEĂON. temps que je quittai les lieux de la naisssanee de Votre MajestĂ©; ils sont aussi ma patrie! Alors pourquoi ne mâaccusa-t-on pas dâinhumanitĂ©? Pourquoi, madame? parce que cette accusation grave devenait superflue, parce que lâon Ă©tait parvenu, par des intrigues plus simples, Ă me perdre dans lâesprit de votre auguste mĂšre et de votre auguste frĂšre. Celui, madame, qui toujours aura comme moi prĂ©sent Ă lâesprit le jugement des nations et de la postĂ©ritĂ©; celui qui se prĂ©pare sans cesse Ă leur rendre compte de ses actions, supportera, comme je lâai fait, sans orgueil, mais avec courage, un revers aussi cruel. Car il saura que, sâil est beaucoup de circonstances oĂč les rois doivent guider lâopinion des peuples, il en est encore un plus grand nombre oĂč lâopinion publique domine irrĂ©sistiblement sur celle des rois. Aujourdâhui, madame, ou me lâa assurĂ© au nom de Votre MajestĂ©, votre auguste frĂšre nâa que du mĂ©pris pour moi. Eh bien! quand lâopinion publique aura dĂ©cidĂ©, il me rendra justice si ce nâest pas de mon vivant il honorera ma tombe de ses regrets. Sans doute lâĂ©poque du 18 septembre que jâai indiquĂ©e Ă Votre MajestĂ© lui paraĂźtra extraordinaire; je la supplie de se rappeler quâĂ pareil jour de lâannĂ©e derniĂšre il ne tint pas aux mĂ©decins de vos Etats quâun de leurs confrĂšres, Ă qui je dois tout, ne fĂ»t dĂ©shonorĂ© Ă mon occasion ; ce jour-lĂ fut tenue lâassemblĂ©e de la facultĂ© de mĂ©decine de Paris, oĂč furent rejetĂ©es mes propositions. Et quelles propositions! Votre MajestĂ© les connaĂźt. Jâai toujours cru, madame, et je vis encore dans la persuasion quâaprĂšs un Ă©clat aussi avilissant pour les mĂ©decins de votre ville de Paris, toute personne Ă©clairĂ©e MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 165 ne pouvait plus se dispenser de fixer les yeux sur ma dĂ©couverte, et que la protection de toute personne puis- , santĂ© lui Ă©tait dĂ©volue sans difficultĂ©. Quoi quâil en soit, i au 18 septembre prochain, il y aura un an que jâaurai fondĂ© mes soins sur les soins vigilants et paternels du gouvernement. A cette Ă©poque, jâespĂšre que Votre MajestĂ© jugera mes sacrifices assez longs et que je ne leur ai ; fixĂ© un terme ni par inconstance, ni par humeur, ni par inhumanitĂ©, ni par jactance. Jâose enfin me flatter que sa protection me suivra dans les lieux oĂč ma destinĂ©e mâentraĂźnera loin dâelle; et que, digne protectrice de la vĂ©ritĂ©, elle ne dĂ©daignera pas dâuser de son pouvoir sur lâesprit dâun frĂšre et dâun Ă©poux pour mâattirer leur bienveillance. - Je suis, etc.» Cette lettre serait pleine de convenance et fort honorable pour Mesmer si elle ne renfermait cette phrase Ă©trange, qui vous a sans doute frappĂ©s Aux yeux de Votre MajestĂ©, 4 ou 5oo ooo francs de plus ou de moins employĂ©s Ă propos ne sont rien. » â Mesmer convoitait donc encore le chĂąteau dont la propriĂ©tĂ© lui avait Ă©tĂ© offerte dans les premiĂšres propositions du gouvernement, et, grĂące Ă lâintervention de la duchesse de Chaulnes, que sa puissance magnĂ©tique avait mise Ă sa discrĂ©tion , il nâabjurait pas encore ses ambitieuses espĂ©rances. O grands hommes, que vous ĂȘtes petits! Cependant lâopinion publique se tournait contre Mesmer. Le journalisme, cette mousse lĂ©gĂšre et vide qui, depuis son origine, se forme Ă la surface des sociĂ©tĂ©s europĂ©ennes des agitations de tous les genres qui en 166 QUATRIĂME LEĂON, soulĂšvent la vase, le journalisme couvrait de ridicule le magnĂ©tisme et son inventeur. Les pamphlets pour ou contre se succĂ©daient rapidement, et faisaient retentir le monde savant de furieuses imprĂ©cations ou de niais Ă©clats de rire. Le plus remarquable de ces Ă©crits fut une lettre pseudonyme du cĂ©lĂšbre avocat Bergasse , qui > usant envers les dĂ©tracteurs du magnĂ©tisme de cette inflexible argumentation dont il accabla Beaumarchais, faisait retomber sur eux le ridicule avec lequel ils avaient eu lâimprudence de lâattaquer. Ici, malheureusemĂ«nt, se terminent les derniers actes honorables de la vie de Mesmer, qui vĂ©cut trop pour sa gloire. AprĂšs avoir admirĂ© ce grand acteur en scĂšne, pĂ©nĂ©trons dans la coulisse, oĂč nous le trouverons sans cothurne et sans fard. Que le fanatisme des magnĂ©tiseurs me fasse un crime de mon irrĂ©vĂ©rence, peu mâimporte aprĂšs lâĂ©loge, le blĂąme quand il est mĂ©ritĂ©. Mesmer eĂ»t-il Ă©tĂ© mon maĂźtre et mon ami, que je le jugerais avec ma conscience et point avec mon cĆur. Mesmer et dâEslon , ces deux intimes jusquâalors si dĂ©vouĂ©s lâun pour lâautre, scandalisĂšrent leurs contemporains par de pitoyables dĂ©mĂȘlĂ©s qui appartiennent aujourdâhui Ă lâhistoire. Tandis que le premier accomplissant, ou plutĂŽt feignant dâaccomplir ses menaces de quitter la France, Ă©tait allĂ© se dĂ©lasser aux eaux de Spa de ses derniĂšres tribulations, lesecond,reconnaissant que lemagnĂ©tisme, Ă dĂ©faut de mieux, Ă©tait un filon dâor pour celui qui lâexploitait, se mit hardiment en devoir de remplacer son maĂźtre, et dâescompter en son absence le secret Ă©ventĂ© dont Mesmer rĂȘvait encore la vente. Ce nâest MESMER ET LES COUPS SAVANTS. 167 pas tout lâexamen officiel du magnĂ©tisme, quâil avait autrefois sollicitĂ© de la facultĂ© de mĂ©decine pour le compte de Mesmer, il le demanda pour lui-mĂȘme, assurant que lui aussi avait opĂ©rĂ© des cures au moyen de la nouvelle dĂ©couverte. â RepoussĂ© de la FacultĂ© comme les fois prĂ©cĂ©dentes, il en appela au parlement. Quelles quâaient Ă©tĂ© les conventions de Mesmer et de dâEslon, cette nouvelle frappa, dit-on, le premier dâun coup de foudre; il sâĂ©cria que sa confiance Ă©tait trahie et Ă©crivit la lettre suivante Ă M. Philip, alors doyen de la FacultĂ© Monsieur , On mâa fait lire le discours que M. dâEslon a prononcĂ© dans votre assemblĂ©e du 20 du mois dâaoĂ»t dernier, et lâacte par lequel, pour avoir entretenu des relations avec moi, que vous regardez comme pratiquant illicitement la mĂ©decine, vous le suspendez de ses fonctions doctorales pendant lâespace de deux annĂ©es; aprĂšs quoi, sâil 11e change de conduite et de maximes, il sera dĂ©finitivement rayĂ© du tableau de la FacultĂ©. Je ne vous demanderai pas, monsieur, ce que câest que pratiquer la mĂ©decine illicitement. JusquâĂ prĂ©sent, la mĂ©decine mâavait paru, non pas un droit, mais une science, et jâavais pensĂ© que celui qui dĂ©montre quâil peut guĂ©rir ne devait pas ĂȘtre privĂ© de la libertĂ© de le faire. Je nâexaminerai pas non plus sâil est vrai quâon peut regarder comme pratiquant illicitement la mĂ©decine un homme reçu mĂ©decin dans une facultĂ© assez fameuse, avouĂ© depuis par votre propre gouvernement, qui a voulu se lâattacher par des offres honorables, et QUATRIĂME LEĂON, tenant dĂšs lors de la mĂȘme autoritĂ© que vous la permission dâexercer la profession quâil a choisie. a Un autre objet mâoccupe en ce moment. M. dâEslon, dans son discours, aprĂšs avoir annoncĂ© que je ne devais plus retourner en France, quoiquâil sĂ»t trĂšs-bien que mon absence nâĂ©tait que momentanĂ©e, fait entendre quâil est dĂ©positaire de mon systĂšme et de ma dĂ©couverte; et pour donner plus dâautoritĂ© Ă ses paroles, il demande quâd soit procĂ©dĂ©, par des commissaires choisis dans le sein de votre compagnie, Ă lâexamen de trente cures quâil a, dit-il, opĂ©rĂ©es par le magnĂ©tisme animal. II est possible que M. dâEslon ait opĂ©rĂ© des cures par le magnĂ©tisme animal. Devenu, par un concours de circonstances dont je crois inutile de rendre compte, le seul agent que je pusse employer auprĂšs des compagnies savantes que je dĂ©sirais associer Ă mes travaux, ayant Ă©tĂ© ensuite mon interprĂšte quand il sâagit de rĂ©pondre aux propositions que le gouvernement a bien voulu me faire Ă lâĂ©poque oĂč il a souhaitĂ© que je me fixasse en France, et depuis nâayant nĂ©gligĂ© aucune occasion de publier avec Ă©clat son dĂ©vouement Ă ma cause et son zĂšle pour le progrĂšs de mes opinions, M. dâEslon mâavait paru un ami sĂ»r dont il ne me convenait pas de me dĂ©fier. InterrogĂ© frĂ©quemment par lui sur les malades que je traitais, sur ceux quâil traitait lui-mĂȘme, je nâai donc pas craint de lui faire entrevoir mes procĂ©dĂ©s. Ainsi, je ne serais pas surpris quâen les imitant, comme jâentends dire quâon les imite ailleurs, il ait produit des effets salutaires, et ceci ne prouverait autre MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 169 chose que la perfection du moyen que je mets en Ćuvre. Mais je ne lâai jamais positivement instruit, jamais je ne lui ai dĂ©voilĂ© la thĂ©orie trĂšs-Ă©tendue, et je crois assez profonde, quâil faut Ă©tudier pour se dire, avec quelque vĂ©ritĂ©, possesseur de ma doctrine et de ma dĂ©couverte. Il y a plus, en lui faisant apercevoir combien les connaissances imparfaites que je lui laissais acquĂ©rir Ă©taient insuffisantes pour constituer proprement une science, comment dĂšs lors elles pouvaient devenir facilement abusives, et quel inconvĂ©nient il y aurait Ă les divulguer avant que je fusse placĂ© dans des circonstances propres Ă dĂ©velopper tout Ă la fois le systĂšme auquel elles appartiennent, je lâavais engagĂ© Ă ne pas sâen prĂ©valoir, surtout dâune maniĂšre publique; et, convaincu de la sagesse de mes motifs, il mâavait donnĂ© sa parole de garder le silence le plus absolu sur tout ce quâil apprendrait auprĂšs de moi. Et cependant M. dâEslon annonce quâil a ma dĂ©couverte. Que fait-il en se permettant cette dĂ©marche? il se rend Ă©videmment coupable dâun double crime. II me trahit, parce quâil dispose sans mon aveu dâune chose que je dois regarder comme ma propriĂ©tĂ©, et comme une propriĂ©tĂ© dâautant plus prĂ©cieuse quâelle inâa coĂ»tĂ© plus de peine Ă acquĂ©rir, et quâelle mâa exposĂ© Ă plus dâinfortunes. Il en impose au public, parce quâil essaie de faire croire, sans aucune restriction, quâil peut me remplacer ; quâon doit espĂ©rer de lui tout ce quâon avait attendu de moi ; et que ses connaissances sont assez complĂštes pour que mon absence ne laisse point de regrets Ă ceux qui avaient quelque opinion de mon savoir, 170 QUATRIĂME LEĂON. Or, monsieur, comme on est accoutumĂ© Ă penser que M. dâEslon nâagit que dâaprĂšs mon impulsion, comme en effet, jusquâĂ pre'sent, nos dĂ©marches ont Ă©tĂ© Ă peu prĂšs communes, et quâĂ cause de nos relations anciennes la mesure de confiance quâon aurait en lui serait infailliblement dĂ©terminĂ©e dâaprĂšs la confiance quâon pourrait avoir en moi, il importe Ă ma rĂ©putation, que je dois lâempĂȘcher de compromettre, et plus que cela au progrĂšs de ma doctrine, dont il connaĂźt Ă peine quelques Ă©lĂ©ments, et dont mĂȘme, sous le prĂ©texte de faire le bien, je ne veux pas quâon abuse, il importe, dis-je, quâon sache quelle opinion jâai de ses procĂ©dĂ©s; il faut surtout quâon soit averti que je nâavouerai dĂ©sormais rien de ce quâil pourra faire ; que ses fautes lui seront personnelles comme ses succĂšs ; et que ce nâest pas chez lui, quoiquâil ait essayĂ© de le faire entendre, quâil faut aller chercher le systĂšme de mes connaissances. M. dâEslon ayant prononcĂ©, en prĂ©sence de votre compagnie, le discours dont je me plains, ce nâest quâĂ vous, monsieur, que je peux recourir pour donner Ă la dĂ©claration que je fais ici toute la publicitĂ© quâelle doit avoir. Vos confrĂšres nâauraient certainement pas accueilli M. dâEslon, dĂ©montrant mĂȘme quâil avait ma dĂ©couverte, et que ma dĂ©couverte Ă©tait utile, parce quâil leur eĂ»t paru odieux de profiter dâune chose qui ne peut appartenir Ă personne sans lâabandon ou le consentement decelui qui en est le confrĂšres ne doivent donc pas approuver la conduite que M. dâEslon a tenue dans cette circonstance. DâaprĂšs cela, monsieur, je me persuade que vous ne MESMER ET LES COUPS SAVANTS. 171 refuserez pas de lire, dans le mĂȘme lieu oĂč lâon a si publiquement abusĂ© de ma bonne foi, la lettre que jâai lâhonneur de vous Ă©crire. Plus accoutumĂ© Ă la rĂ©signation quâĂ la vengeance, je me tairais si je pouvais me taire; mais dans une affaire qui est devenue celle de toute ma vie, et de laquelle dĂ©pend aujourd'hui toute ma renommĂ©e, je dois la vĂ©ritĂ© au public, et je la lui dois dâautant plus que, si je gardais le silence, il pourrait ĂȘtre plus facilement trompĂ©. Jâose donc espĂ©rer, monsieur, que vous daignerez faire quelque attention Ă ma demande. Comme il nĂ© sâagit en cette occasion ni de ma personne ni de mon systĂšme, mais dâun simple acte de justice, quelle que soit la diffĂ©rence de nos sentiments, jâai une trop haute opinion de votre Ă©quitĂ© pour ne pas croire que vous nĂ© verrez ici que la nĂ©cessitĂ© de ma rĂ©clamation, et que vous voudrez bien mettre quelque empressement Ă nie satisfaire. Je suis, etc. SignĂ© Mesmer, Docteur-mĂ©decin de la facultĂ© de Vienne. » Cette Ă©pĂźtre est Ă la fois et la condamnation de la facultĂ© de mĂ©decine de Paris et la condamnation de Mesmer. La rĂ©clamation de ce dernier, qui Ă©tait juste en principe, ne lâĂ©tait pas en fait; car Mesmer savait fort bien que le magnĂ©tisme tel que le pratiquait dâEslon Ă©tait exactement conforme Ă sa dĂ©couverte; mais la FacultĂ© lâignorait, et sa conduite, en Se prononçant sur Mesmer dâaprĂšs les documents que lui offrait dâEsIou, 172 QUATRIĂME LEĂOX. nâĂ©tait pas seulement une irrĂ©gularitĂ©, mais une injustice criante. Vous saurez dâailleurs dans un instant comment les choses se passĂšrent; mais avant de continuer lâhistoire du magnĂ©tisme, arrĂȘtons-nous encore sur le caractĂšre de son inventeur. Quelques-uns des malades de Mesmer qui lâavaient suivi Ă Spa, partagĂšrent son chagrin Ă la nouvelle de ce qui se passait Ă Paris, et rĂ©solurent entre eux dâassurer sa fortune et sa gloire en assurant ils le pensaient le bien de lâhumanitĂ©. Ils formĂšrent donc le plan dâune souscription ayant pour objet de le mettre en Ă©tat de publier sa doctrine. Ce projet, fort goĂ»tĂ© par Mesmer, dĂ©termina promptement son retour Ă Paris. Le plan de la souscription fut accueilli avec empressement de plusieurs personnes de distinction, telles que MM. de PuysĂ©gur, le Bailli des Barres, le P. GĂ©rard, Court de GĂ©- belin, etc. Au bout dâun mois, vingt souscriptions Ă©taient remplies, bien que le prix de chacune fĂ»t de ioo louis !.... Cet homme exerçait rĂ©ellement sur son entourage une influence magique! Cependant, en mĂȘme temps que ces arrangements avaient lieu, un ami de dâEslon travaillait auprĂšs de Mesmer Ă opĂ©rer entre eux une rĂ©conciliation quâon croyait nĂ©cessaire Ă la prospĂ©ritĂ© delĂ nouvelle doctrine. Cette rĂ©conciliation se fit en effet; mais, soit quâelle ne fĂ»t pas sincĂšre, soit quâil survĂźnt entre nos deux philanthropes quelque rivalitĂ© dâamour-propre ou dâintĂ©rĂȘt, une rupture dĂ©finitive rĂ©sulta de leurs nouveaux dĂ©mĂȘlĂ©s. La fameuse souscription fut donc remplie; on organisa une sociĂ©tĂ©, et Mesmer confia enfin sa dĂ©couverte et sa MESMEK ET LES CORPS SAVANTS. 173 doctrine Ă cent personnes assez amis de lâhumanitĂ©pour acheter dâune partie de leur fortune le droit et le pouvoir de faire le bien. Si, dans cette circonstance singuliĂšre, les acheteurs ont droit Ă notre admiration, en est-il de mĂȘme du vendeur? Comparez, messieurs, le noble dĂ©sintĂ©ressement de Van Helmont Ă lâinsatiable aviditĂ© de Mesmer, et prononcez entre ces deux hommes. Le premier, refusant mĂȘme de recevoir de ses nombreux malades le lĂ©gitime salaire des soins quâil leur donne, se croirait dĂ©shonorĂ© sâil trafiquait de sa science; le second, au contraire, ne sait quel prix demander dâune dĂ©couverte que la lecture de ses devanciers lui eĂ»t Ă©vitĂ© la peine de faire. Mais, sâil est incapable dâabnĂ©gation, admirez son savoir-faire câest Ă lâinstant oĂč il reconnaĂźt que son secret est trahi et va tomber inĂ©vitablement dans le domaine public, câest alors quâil se dĂ©cide Ă le dire moyennant la modeste somme de 1^0 ooo francs. Quel saint amour de lâhumanitĂ©! Cependant, a-t-on dit, Mesmer, dans cette circonstance, nâagissait point par cupiditĂ©, et la preuve de son dĂ©sintĂ©ressement est quâil admit au nombre de ses disciples quelques personnes qui, plus dĂ©vouĂ©es que riches, nâĂ©taient pas en mesure de fournir les 100 louis exigĂ©s. Charlatanisme de gĂ©nĂ©rositĂ©! voilĂ tout ce que jâaperçois dans ces charitables concessions. En effet, lâimportant, pour Mesmer, Ă©tait dâarriver vite Ă ses fins en complĂ©tant quand mĂȘme le nombre de ses souscripteurs, car mieux valait encore pour lui de recevoir 200 000 francs seulement que de ne rien recevoir du tout. Cela, jâen conviens, est triste Ă dire; mais en jugeant sĂ©vĂšrement la conduite 174 QUATRIĂME LEĂON, privĂ©e de Mesmer, je nâaltĂšre en rien lâimportance des idĂ©es ou des faits quâil eut la gloire de rĂ©habiliter, et je ne vois pas quâil soit nĂ©cessaire pour dĂ©fendre le magnĂ©tisme de justifier tous les actes de son inventeur. Au surplus, le cours de Mesmer, malgrĂ© le prix exorbitant quâil fallait payer pour y ĂȘtre admis, ne laissa pas que de donner Ă la nouvelle doctrine des partisans dâautant plus chauds quâils lâavaient plus chĂšrement acquise. Ce furent ces nouveaux initiĂ©s qui fondĂšrent un peu plus tard la SociĂ©tĂ© de lâharmonie et portĂšrent dans toute lâEurope les principes du magnĂ©tisme. Mais, nonobstant lâorganisation de cette sociĂ©tĂ©, nonobstant de nouvelles rĂ©clamations de Mesmer, qui sâadressa successivement Ă Franklin, premier commissaire nommĂ© par le roi pour lâexamen du magnĂ©tisme, et au ministre lui-mĂȘme, ce fut chez dâEslon et non chez lui que se rendit la commission. Une discussion succincte du rapport de Bailly, du rapport secret de celui de Jussieu, fera le sujet de notre prochaine leçon, nous rĂ©servant de vous prĂ©senter enfin dans la leçon suivante la thĂ©orie de Mesmer. CINQUIĂME LEĂON. RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME DE 1784. Messieurs , Je crois vous avoir dĂ©jĂ dit quâen cĂ©dant aux instances rĂ©itĂ©rĂ©es de dâEslon, et en faisant procĂ©der chez ce mĂ©decin Ă lâexamen du magnĂ©tisme, le gouvernement sâĂ©tait rendu coupable, Ă lâĂ©gard de Mesmer, dâune injustice criante. Jâajoute que cette circonstance fut un malheur irrĂ©parable pour la nouvelle doctrine. Cette doctrine Ă©tait jugĂ©e dâavance par les commissaires chargĂ©s dâen rendre compte au roi, et leur mission Ă©tait accomplie avant dâĂȘtre commencĂ©e. Mesmer, dans cette circonstance orageuse, Ă©tait le seul homme capable de sauver une dĂ©couverte contre laquelle on conspirait sous prĂ©texte de lâexaminer. Il avait tant de sang-froid, dâhabiletĂ© et de puissance magnĂ©tique, que peut-ĂȘtre il eĂ»t dĂ©concertĂ© le mauvais vouloir ou la mauvaise foi de ses juges; mais trois annĂ©es dâintrigues devaient avoir leur fruit. Et dâabord, dit le R. P. Scobardi â, les dĂ©lĂ©guĂ©s de Sa MajestĂ©, savants et mĂ©decins, sâempressĂšrent Rapport confidentiel, etc., p. aa. 176 CINQUIĂME LEĂON, dâaller examiner le magnĂ©tisme, non chez lâinventeur, mais chez un de ses disciples publiquement dĂ©savouĂ©, montrant ainsi que, pour juger quelquâun, il Ă©tait tout Ă fait inutile de le voir ou de lâentendre. Celte jurisprudence nâavait pas le mĂ©rite de la nouveautĂ©, car nous les jĂ©suites lâavions Ă©tablie dans tous les pays soumis au suprĂȘme bienfait de lâinquisition; mais nous devons avouer quâen France elle Ă©tait complĂštement inconnue » La commission nommĂ©e par le roi, le 12 mars 1784, se composait dâabord des mĂ©decins Borie, Sallin, J. dâArcet et Guillotin; ce fut sur leur demande quâon leur adjoignit cinq membres de lâAcadĂ©mie des sciences, B. Franklin, Le Roi, S. Bailly, de Boryet Lavoisier. â Borie Ă©tant mort dans le commencement du travail de la commission , le roi nomma pour le remplacer Majault, docteur de la FacultĂ©. â Le rapport fut rĂ©digĂ© par Bailly que le ciel le lui pardonne!.... Bien que rĂ©digĂ© avec beaucoup dâart, ce rapport ne soutient pas une analyse impartiale, et porte Ă chaque page lâempreinte des prĂ©ventions qui lâont dictĂ©. AprĂšs les prĂ©liminaires dâusage, Bailly expose sommairement la doctrine du magnĂ©tisme animal telle que Mesmer lâavait publiĂ©e dans son MĂ©moire sur la dĂ©couverte du MagnĂ©tisme page 74 et suiv., puis il ajoute Tel est l 'agent que les commissaires ont Ă©tĂ© chargĂ©s dâexaminer et dont les propriĂ©tĂ©s sont avouĂ©es * La commission double, nommĂ©e en 1837 pour vĂ©rifier ie phĂ©nomĂšne somnambulique de la lecture ou vision sans le secours des yeux, a suivi fidĂšlement la mĂȘme marche. On ne saurait trop bien conserver les bonnes traditions. {Rapport confidentiel. RAPPORTS SDR LE MAGNĂTISME DE 1784. 177 par M. dâEslon, qui admet tous les principes de M. Mesmer. Cette thĂ©orie fait la base dâun mĂ©moire qui a Ă©tĂ© lu chez M. dâEslon, le 9 mai, en prĂ©sence de M. le lieutenant gĂ©nĂ©ral de police et des commissaires. On Ă©tablit dans ce mĂ©moire quâil nây a quâune nature, une maladie, un remĂšde, et ce remĂšde est le magnĂ©tisme animal. Ce mĂ©decin, en instruisant les commissaires de sa doctrine et des procĂ©dĂ©s du magnĂ©tisme, leur en a enseignĂ© la pratique en leur faisant connaĂźtre les pĂŽles, en leur montrant la maniĂšre de toucher les malades, et de diriger sur eux le fluide magnĂ©tique. M. dâEslon sâest engagĂ© avec les commissaires, i° Ă constater lâexistence du fluide animal ; 2 0 Ă communiquer ses connaissances sur cette dĂ©couverte; 3° Ă prouver lâutilitĂ© de cette dĂ©couverte et du magnĂ©tisme animal dans la cure des maladies. » Des trois paragraphes suivants, le premier est consacrĂ© Ă la description du traitement ', le second aux explications donnĂ©es par dâEslon relativement aux dispositions adoptĂ©es; le troisiĂšme,enfin,Ă la maniĂšre dâexciter et de diriger le magnĂ©tisme animal. Ces trois paragraphes nâĂ©tant que dâun intĂ©rĂȘt secondaire, jâen viens de suite aux effets observĂ©s sur les malades. â Ce point me paraĂźt capital. Je vais plus loin il ne serait pas impossible que toute la question fĂ»t lĂ ; car en admettant quâil nây eĂ»t aucun moyen de rendre sensible le fluide magnĂ©tique, lâexistence de cet agent nâen Ă©tait pas moins dĂ©montrĂ©e, sâil produisait sur lâĂ©conomie des effets apprĂ©ciables. Or Ă©cou- * On trouvera cette description dans mon Manuel pratique du MagnĂ©tisme animal, V Ă©dit., revue et corrigĂ©e, Paris, 1840 , grand in*^ de 480 pages. 12 178 CINQUIĂME LEĂON, tons notre rapporteur Alors les malades offrent un tableau trĂšs-variĂ©, par les diffĂ©rents Ă©tats oĂč ils se trouvent. Quelques-uns sont calmes, tranquilles, et nâĂ©prouvent rien; dâautres toussent, crachent, sentent quelque lĂ©gĂšre douleur, une chaleur locale ou une chaleur universelle , et ont des sueurs; dâautres sont agitĂ©s et tourmentĂ©s par des convulsions. Ges convulsions sont extraordinaires par leur nombre, par leur durĂ©e et par leur force. DĂšs quâune convulsion commence, plusieurs autres se dĂ©clarent. Les commissaires en ont vu durer plus de trois heures; elles sont accompagnĂ©es dâexpectorations dâune eau trouble et visqueuse arrachĂ©e par la violence des efforts. On y a vu quelquefois des filets de sang, et il y a entre autres un jeune homme malade qui en rend souvent avec abondance. Ces convulsions sont caractĂ©risĂ©es par les mouvements prĂ©cipitĂ©s, involontaires do tous les membres et du corps entier, par le resserrement Ă la gorge, par des soubresauts des hypochondrcs et de lâĂ©pigastre, par le trouble et lâĂ©garement des yeux, par des cris perçants, des pleurs, des hoquets et des rires immodĂ©rĂ©s. Elles sont prĂ©cĂ©dĂ©es ou suivies dâun Ă©tat de langueur ou de rĂȘverie, dâune sorte dâabattement et mĂȘme dâassoupissement. Le moindre bruit imprĂ©vu cause des tressaillements; et lâon a remarquĂ© que le changement de ton, et de mesure dans les airs jouĂ©s sur le piano-forte *, influait sur les malades, en sorte quâun mouvement * Mesmer et dâEslon croyant que le son concourait Ă la transmission du fluide, un piano Ă©tait placĂ© dans la salle des traitements. RAPPORTS SUR UE MAGNĂTISME DE 1784 . 179 plus vif les agitait davantage et renouvelait la vivacitĂ© de leurs convulsions. Il y Ă une salle matelassĂ©e et destinĂ©e primitivement aux malades tourmentĂ©s de ces convulsions, nommĂ©e salle des crises; mais M. dâEslon ne juge pas Ă propos dâen faire usage; et tous les malades, quels que soient les accidents, sont Ă©galement rĂ©unis dans les salles du traitement public. Rien nâest plus Ă©tonnant que le spectacle de ces convulsions; quand on ne lâa point vu, on ne peut sâen faire une idĂ©e; en le voyant, on est Ă©galement surpris et du repos profond dâune partie de ces malades, et de lâagitation qui anime les autres; des accidents variĂ©s qui se rĂ©pĂštent, des sympathies qui sâĂ©tablissent. On voit des malades se rechercher exclusivement, et, en se prĂ©cipitant lâun vers lâautre, se sourire, se parler avec affection, et adoucir mutuellement leurs crises. Tous sont soumis Ă celui qui magnĂ©tise; ils ont beau ĂȘtre dans un assoupissement apparent, sa voix, un regard, un signe les en retire. On ne peut sâempĂȘcher de reconnaĂźtre, Ă ces effets constants, une grande puissance qui agite les malades, les maĂźtrise, et dont celui qui magnĂ©tise semble ĂȘtre le dĂ©positaire. Cet Ă©tat convulsif est appelĂ© crise dans la thĂ©orie du magnĂ©tisme animal suivant cette doctrine, il est regardĂ© comme une crise salutaire du genre de celle que la nature opĂšre ou que le mĂ©decin habile a lâart de provoquer pour faciliter la cure des maladies. Les commissaires adopteront cette expression dans la suite de ce rapport ; et lorsquâils se serviront du mot crise, ils entendront toujours lâĂ©tat ou de convulsions, ou dâassoupis- 180 CINQUIĂME LEĂON. seraient, en quelque sorte lĂ©thargique, produit par les procĂ©dĂ©s du magnĂ©tisme animal. » Cette description seule devait, selon moi, fournir aux commissaires des conclusions affirmatives sur lâexistence du magnĂ©tisme animal. Cet Ă©tat si singulier des malades en crise, Ă©tat dont on ne peut se faire une idĂ©e quand on ne lâa pas vu, avait nĂ©cessairement une cause spĂšciale; aussi les commissaires ne peuvent-ils sâempĂȘcher de reconnaĂźtre Ă ces effets constants une grande puissance qui agite les malades, et dont celui qui magnĂ©tise semble ĂȘtre le dĂ©positaire. Jâavoue quâaprĂšs cette dĂ©claration formelle jâaurais cru la question dĂ©cidĂ©e; mais on se hĂąta de la dĂ©placer pour la rendre insoluble. Les effets de la grande puissance dont dispose Ă son grĂ© le magnĂ©tiseur ne laissaient, Ă la vĂ©ritĂ©, aucun doute sur lâexistence de celle-ci, et nĂ©anmoins il fut dĂ©cidĂ© quâon ne lâadmettrait quâautant quâon parviendrait Ă lavoir ou la toucher. Tout le reste du rapport roule sur lâutilitĂ© de cette recherche Ă©trange. Vous allez voir, dâailleurs, quel degrĂ© dâattention on y apporta L * Rien de plus contradictoire, de plus burlesque que les causes assignĂ©es par les auteurs du temps aux effets magnĂ©tiques; voici celles que Tliouret, dans ses Recherches et Doutes sur le MagnĂ©tisme, Ă©nonce successivement i° lâirradiation perpĂ©tuelle et rĂ©ciproque des Ă©manations qui sâĂ©tablissent entre le magnĂ©tiseur et les malades, p. 58 ; â 2° lâattouchement, p. 72, 202; â 5â la crĂšme de tartre, p. ~] 5 , 180, 181, 188; â f les bains, p. 75, 181, 188; â 5° les saignĂ©es, p. 75, 182; â 6° les purgatifs, p. 73, 182; â 7 0 le toucher sur lâĂ©pigastre, p- 79 ; â 8° les tiges de fer conducteurs, p. 83; â 9 0 la transpiration du malade, p. 87; â io° la propretĂ©, p. 87; â 11 0 la singularitĂ© des opinions de Mesmer, p. i3g; â 12° la confiance, p. 179, 212; â i3° quelques-uns RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME DE 1784. 181 Les commissaires ont observĂ© que, dans le nombre des malades en crise, il y avait toujours beaucoup de femmes et peu dâhommes; que ces crises Ă©taient toujours une ou deux heures Ă sâĂ©tablir; et que, dĂšs quâil y en avait une dâĂ©tablie, toutes les autres commençaient successivement et en peu de temps ; mais, aprĂšs ces remarques gĂ©nĂ©rales, les commissaires ont bientĂŽt jugĂ© que le traitement public ne pouvait pas devenir le lieu de leurs expĂ©riences. La multitude des des remĂšdes ordinaires de la mĂ©decine, p. 180; â i4° les secours moraux, p. 182 ; â i5° la rĂ©union des malades au mĂȘme traitement, p. 182; â 16» leur sĂ©jour Ă la campagne, p. 184; â 17° lâexercice quâils font pour se rendre au lieu du traitement, p. 185, 188; les occasionsde visites et la dissipation que cela leur occasionne, p. i85, 188 ; â 19° la musique instrumentale, p. 186; â 20° lâespoir inattendu de la guĂ©rison, p. 188; â 21 0 la rĂ©action du moral sur le physique, p. 188; â 22 0 la cessation des remĂšdes, p. 188; â 23° une vie plus active , p. 188 ; â 24° une existence plus agrĂ©able, p. 188; â 25° le tempĂ©rament trĂšs-sensible, trĂšs-irritable des personnes nerveuses et vaporeuses, p. 196 ; â26° lâimagination, p. 190; â 27° la prĂ©vention , p. 190 ; â 28° lâexaltation morale et physique des malades, p. 190 ; â 29 0 lâaimant, p. ig5; â 5o° lâĂ©lectricitĂ©, p. 194; â 3i° les Ă©manations de diverses substances, p. ig5; â 32° certaines poudres ou mĂ©langes, tels que du soufre et de la limaille de fer, lâaimant pulvĂ©risĂ© et Ă©lectrisĂ©, p. 197 ; â 33° la matiĂšre de la transpiration du magnĂ©tiseur, p. 198 ; â 34° la chaleur de la main, p. 202 ; â 35° les frictions, p. 2o3 ; â 36° lâappareil du traitement magnĂ©tique, p. 206; â 37° les gestes du magnĂ©tiseur, p. 207 ; â 38° les aspersions quâil fait avec le doigt, une tige de fer, un bouquet, une fleur, et mĂȘme le souffle, p. 202, 209 ; â 39° la simple direction de ses doigts, p. 20g ; â 4°° lâimitation, p. 212; â 41° lâenthousiasme, p. 212; â 4 2 ° le dĂ©sir dâĂ©prouver des crises, p. 2i3 ; â 43° lâambition de fixer les regards du public, p. 2i4; â 44° lâinfluence sexuelle, p. 2i5 ; â 45° les convulsions simulĂ©es, p. 217 ; â 46° la mobilitĂ© nerveuse, p. 217; â 47° le choix des sujets convenables, p. 247. Rapport confidentiel. 182 CINQUIĂME LEĂON, effets est un premier obstacle; on voit trop de choses, en effet, pour en bien voir une en particulier. Dâailleurs , des malades distinguĂ©s qui viennent au traitement pour leur sautĂ© pourraient ĂȘtre importunĂ©s par les questions ; le soin de les observer pourrait ou les gĂȘner ou leur dĂ©plaire; les commissaires eux-mĂȘmes seraient gĂȘnĂ©s par leur discrĂ©tion. Ils ont donc arrĂȘtĂ© que, leur assiduitĂ© nâĂ©tant point nĂ©cessaire Ă ce traitement, il suffisait que quelques-uns dâeux y vinssent de temps en temps pour confirmer les premiĂšres observations gĂ©nĂ©rales, en faire de nouvelles sâil y avait lieu et en rendre compte Ă la commission assemblĂ©e.» Ainsi MM. les commissaires Ă©taient fort discrets et dâune courtoisie que les acadĂ©miciens leurs successeurs nâont pas toujours imitĂ©e ; la crainte dâimportuner les personnes distinguĂ©es que traitait dâEslon les empĂȘcha Ă 'interroger ces malades! â Au fait, quâavaient-ils besoin de les interroger?Lâunique but quâils se proposaient Ă©tant de constater physiquement lâexistence dâun fluide nouveau, toutes les dĂ©clarations des malades nâeussent pas Ă©tĂ© de nature Ă les Ă©clairer sur ce point. Cependant, aprĂšs sâĂȘtre dispensĂ©s dâassister assidĂ»ment aux expĂ©riences du traitement public, voilĂ quâils dĂ©duisent de ces expĂ©riences les consĂ©quences les plus explicites Le moyen le plus sĂ»r, poursuit le rapporteur, de constater lâexistence du fluide magnĂ©tique animal, serait de rendre sa prĂ©sence sensible ; mais il nâa pas fallu beaucoup de temps aux commissaires pour reconnaĂźtre que ce fluide Ă©chappe Ă tous les sens. » A cela, je rĂ©pondrai dâabord qu 'avec un peu plus de 183 RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME DE 1784. temps et d'attention, lâopinion de MM. les commissaires se serait peut-ĂȘtre modifiĂ©e sur ce point. En se donnant la peine de magnĂ©tiser eux-mĂȘmes ce qui, de leur part, jâen conviens, eĂ»t Ă©tĂ© bien mĂ©ritoire, ils eussent Ă©prouvĂ© dans les doigts une sensation par- culiĂšre qui, partagĂ©e par les malades, aurait pu les mettre sur la voie de ce je ne sais quoi de sensible dont ils avaient eu la folle pensĂ©e de sâoccuper exclusivement. Il le fluide nâest point lumineux et visible comme lâĂ©lectricitĂ©, » â qui 11âest pas toujours visible.â Son action ne se manifeste pas Ă la vue comme lâattraction de lâaimant. » â Erreur, pour ne rien dire de plus; car Y attraction magnĂ©tique devait exister en 1784 si lâespĂšce humaine, depuis un demi- siĂšcle, nâa pas changĂ© de nature. Cette attraction, Ă la vĂ©ritĂ©, essentiellement subordonnĂ©e Ă la volontĂ© du magnĂ©tiseur, est loin,dâailleurs, dâĂȘtre constante comme celle de lâaimant. Ainsi que tous les autres phĂ©nomĂšnes organiques, elle varie avec la puissance qui la produit, et se proportionne aux forces vitales de celui qui la subit et de celui qui lâexerce. Lâhomme, en effet, dans aucun cas, 11e peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un ĂȘtre purement passif. Quelque faible que soit sa volontĂ©, cette volontĂ© existe toujours, et devient constamment un obstacle Ă celledu magnĂ©tiseur lorsquâelle lui est contraire. VoilĂ pourquoi des expĂ©riences faites sur des hommes prĂ©venus, et qui, plus est, malveillants comme la plupart des commissaires chargĂ©s dâexaminer le magnĂ©tisme, ne sauraient rien prouver '. Le rapporteur 1 MM. Gerdy, Dubois dâAmiens, etc., prĂ©tendent nâavoir jamais vu d'expĂ©riences magnĂ©tiques qui les eussent satisfaits; cette 184 CINQUIĂME LEĂON, continue Il est sans goĂ»t et sans odeur. » â Le savant Bailly divague! Quels sont donc le goĂ»t et lâodeur du calorique, de la lumiĂšre et de lâĂ©lectricitĂ©? â Il marche sans bruit et vous entoure ou vous pĂ©nĂštre sans que le tact vous avertisse de sa prĂ©sence. » â Nous avons soutenu le contraire. â Sâil existe en nous et autour de nous, câest donc dâune maniĂšre absolument insensible.» âQuoi! et les convulsions! et tous ces phĂ©nomĂšnes insolites dont on ne peut pas se faire une idĂ©e, quand on ne les a pas vus!.... Ce rapport , en vĂ©ritĂ©, me semble une plaisanterie. NĂ©anmoins, poursuivons â Parmi ceux qui professent le magnĂ©tisme, il en est qui prĂ©tendent quâon le toujours le fluide voit quelquefois sortir de lâextrĂ©mitĂ© des doigts, qui lui servent de conducteurs, ou qui croient sentir son passage lorsquâon promĂšme le doigt devant le visage ou sur la main. » â Parmi ceux qui professent le magnĂ©tisme, il en est , etc. Qui sont ces gens-lĂ ? Mesmer, ni mĂȘme dâEsion,que je sache, nâont jamais avancĂ© quâon voyait le fluide, et MM. les commissaires mâont bien lâair de sâattaquer Ă des moulins Ă vent. â Dans le premier cas, observe Bailly, lâĂ©manation aperçue nâest que celle de la transpiration, qui devient tout Ă fait visible lorsquâelle est grossie au microscope solaire. Dans le second, lâimpression de froid ou de frais quâon Ă©prouve , impression dâautant plus marquĂ©e quâon a plus chaud, rĂ©sulte du mouvement de lâair qui suit le doigt, et dont la tempĂ©rature est toujours au- circonstance, dont ils se glorifient, ne fait pas honneur Ă leur caractĂšre. 185 RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME RE 1784. dessous du degrĂ© de la chaleur animale. Lorsque, au contraire, on approche le doigt de la peau du visage et quâon le laisse en repos, on fait Ă©prouver un sentiment de chaleur qui est la chaleur animale communiquĂ©e. » â SupĂ©rieurement raisonnĂ©! Le grand malheur est que, dans certains cas, lâair frais, agitĂ© parle doigt, fait Ă©prouver aux malades une sensation de chaleur. Comment les commissaires expliquent-ils ce fait bizarre? Ils nâen disent pas un mot, ce qui lĂšve toute difficultĂ©. Nonobstant les expĂ©riences au microscope solaire dont parle Bailly, tout le reste de son rapport est rĂ©digĂ© dâaprĂšs des observations fausses ou superficielles qui ne pouvaient manquer dâaboutir Ă des conclusions nĂ©gatives. Le fluide, dit-il, Ă©chappant Ă tous les sens, son existence ne peut ĂȘtre dĂ©montrĂ©e que par ses effets curatifs dans le traitement des maladies, ou par ses effets momentanĂ©s sur lâĂ©conomie animale. » â Les preuves du premier ordre abondaient au traitement public comme dans les traitements particuliers; mais la nature, au dire du rapporteur, guĂ©rissant fort souvent les malades sans le secours des mĂ©decins, ces preuves ne prouvent rien , et tous les malades rendus Ă la santĂ© par les crises magnĂ©tiques fussent probablement arrivĂ©s au mĂȘme but sans le secours de ces crises.... DĂ©testable sophisme qui mĂ©rite Ă peine dâĂȘtre rĂ©futĂ©. Quoi ! Bailly croit Ă la mĂ©decine, il Ă©voque lâexpĂ©rience des siĂšcles qui a fixĂ© les hommes de lâart et sur la marche des maladies et sur les meilleurs moyens de 186 CINQUIĂME LEĂON, les traiter, et il nie la possibilitĂ© de constater lâutilitĂ© dâun procĂ©dĂ© nouveau! Cependant il est, en mĂ©decine, quelques remĂšdes efficaces les mĂ©decins disent hĂ©roĂŻques.!; en 1784, il y en avait au moins deux le mercure et le fer. Bailly, jâen suis certain, ne se fĂ»t pas prononcĂ© contre la spĂ©cificitĂ© de ces deux mĂ©taux. Or, comment Ă©tait-on parvenu Ă se fixer sur lâefficacitĂ© du mercure et du fer? Par lâexpĂ©rience, sans doute. Eh bien, messieurs les commissaires, ayez donc la raison et la loyautĂ© dâexpĂ©rimenter aussi le magnĂ©tisme. Mais non, câest un parti pris, et il est bien dĂ©cidĂ© que les seules preuves de lâexistence du fluide magnĂ©tique sont ses effets instantanĂ©s sur lâorganisme humain. En consĂ©quence, pour sâassurer de ces effets, les commissaires font des Ă©preuves i° Sur eux-mĂȘmes 1 ; 2° Sur sept malades; 3 ° Sur quatre personnes; 4 ° Sur une sociĂ©tĂ© assemblĂ©e chez Franklin; 5 ° Sur des malades assemblĂ©s chez M. Jumelin ; 6° Avec un arbre magnĂ©tisĂ©; 7 0 Enfin, sur diffĂ©rents sujets. Les rĂ©sultats de ces expĂ©riences sont gĂ©nĂ©ralement la confirmation des effets observĂ©s au traitement public; câest-Ă -dire que certains sujets ont des crises, tandis que dâautres 11âĂ©prouvent rien ou ne paraissent rien Ă©prouver. La mĂȘme proposition leJluide nâexiste pas, car il Ă©chappe Ă tous les sens, se reproduit * Nous avons prouvĂ© lâinutilitĂ© de cette expĂ©rience. RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME DE 1784 . 187 dâailleurs naturellement aprĂšs chaque expĂ©rience, et le rapporteur conclut ainsi Les commissaires ayant reconnu que ce fluide magnĂ©tique animal ne peut ĂȘtre perçu par aucun de nos sens, quâil nâa eu aucune action ni sur eux-mĂȘmes, ni sur les malades quâils lui ont soumis 1 ; sâĂ©tant assurĂ©s que les pressions et les attouchements occasionnent des changements rarement favorables dans lâĂ©conomie animale, et des Ă©branlements toujours fĂącheux dans lâimagination ; ayant enfin dĂ©montrĂ© , par des expĂ©riences dĂ©cisives, que lâimagination sans magnĂ©tisme produit des convulsions, et que le magnĂ©tisme sans imagination ne produit rien ; iis ont conclu, dâune voix unanime, sur la question de lâexistence et de lâutilitĂ© du magnĂ©tisme, que rien ne prouve lâexistence dâun fluide magnĂ©tique animal ; que ce fluide sans existence est par consĂ©quent sans utilitĂ©; que les violents effets que lâon observe au traitement public appartiennent Ă lâattouchement, Ă lâimagination mise en action, et Ă cette imagination machinale qui nous porte, malgrĂ© nous, Ă rĂ©pĂ©ter ce qui frappe nos sens; et en mĂȘme temps ils se croient obligĂ©s dâajouter, comme une observation importante, que les attouchements, lâaction rĂ©pĂ©tĂ©e de lâimagination pour produire des crises, peuvent ĂȘtre nuisibles; que le spectacle de ces crises est Ă©galement dangereux, Ă cause de cette imitation dont la nature semble nous avoir fait une loi, et que, par consĂ©quent, tout traitement public oĂč les moyens du * Les crises oĂč Ă©taient tombĂ©s quelques-uns de ces malades furent ttrihdĂ©es Ă lâimagination. 188 CINQUIĂME LEĂON, magnĂ©tisme seront employĂ©s, ne peut avoir Ă la longue que des effets funestes. A Paris, ce 11 aoĂ»t 1*784. SignĂ© B. Franklin, MajaĂŒlt , Le Roy, Sallin, Bailly, dâArcet, de Bory, Guillotin, Lavoisier. » Les termes de cette conclusion me paraissent fort remarquables; car lâattouchement, l'imagination et cette imitation machinale, etc., donnant lieu Ă des phĂ©nomĂšnes si extraordinaires que les commissaires nâauraient pu, de leur aveu, sâen faire une idĂ©e sans les voir, nâimpliquaient-ils point un ordre de choses assez nouvelles en physiologie pour mĂ©riter lâattention? En gĂ©nĂ©ralisant la cause de ces faits Ă©tranges, les commissaires seraient infailliblement arrivĂ©s Ă admettre lâexistence du magnĂ©tisme, dont il importait beaucoup moins de rechercher lâagent physique que de constater les effets. Bailly et ses collĂšgues ont procĂ©dĂ© en physiciens dans leurs observations; mais nullement en physiologistes et bien moins encore en philosophes. De lĂ lâinsignifiance de leur rapport et les contradictions quâil prĂ©sente. Aussi fut-il, dĂšs le jour de son apparition, lâobjet de critiques sĂ©rieuses auxquelles on se garda bien de rĂ©pondre. Le R. P. Scobardi, fin comme un jĂ©suite, ce que les vrais jĂ©suites ne peuvent lui pardonner, a rĂ©sumĂ© dans une page charmante toutes les objections que provoquait le compte rendu de la commission, voici comment il sâexprime Voulant Ă©viter lâembarras de concilier les faits positifs avec les opinions nĂ©gatives et contradictoires de RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME DE 1784 . 189 chacun des membres de la commission, on Ă©tablit sagement en principe i° Que les commissaires ne feraient point de questions aux personnes soumises aux Ă©preuves; 2 ° Quâils ne prendraient pas le soin de les observer ; 3° Quâils ne seraient pas assidus aux expĂ©riences ; 4° Quâils y viendraient de temps en temps et quâils rendraient compte de ce quâils auraient vu isolĂ©ment Ă la commission assemblĂ©e. Pouvait-on mieux sây prendre pour que tout manquĂąt?.... et cependant, en dĂ©pit de ces prĂ©cautions minutieuses, certains phĂ©nomĂšnes arrĂȘtĂšrent tout court nos observateurs. Que faire alors? De deux choses lâune se taire, ou aborder franchement la question pour avoir lâair de la rĂ©soudre et passer soigneusement Ă cĂŽtĂ©. Câest ce dernier parti que prirent les mĂ©decins. Ici nous sommes forcĂ©s de citer leurs paroles Nous avons cru ne pas fixer notre attention sur des cas rares, insolites, extraordinaires , qui paraissaient contredire toutes les lois de la physique.... parce que ces cas Ă©tant le rĂ©sultat de causes compliquĂ©es, varia- blĂ©s, cachĂ©es, etc., il n'y a rien Ă conclure de ces faits . » Nous le demandons avec confiance Ă nos vĂ©nĂ©rables supĂ©rieurs est-il possible de rĂ©unir autant de science et de naĂŻvetĂ©? Câest Ă lâaide de semblables procĂ©dĂ©s que les rapporteurs purent disserter tout Ă leur aise sur les propriĂ©tĂ©s de lâimagination, de la chaleur, de lâimitation, de la tristesse, du frottement, de la gĂȘne, des convulsions, etc., et dĂ©clarer que le magnĂ©tisme Ă©tait fort dangereux, aprĂšs avoir Ă©puisĂ© 190 CINQUIĂME LEĂON. tous les artifices de la dialectique pour prouver quâil nâexistait pas 1 ! » Outre le rapport de Bailly, qui fut rĂ©pandu dans le public avec la plus grande profusion, les commissaires rĂ©unis de lâacadĂ©mie des sciences et de la facultĂ© de mĂ©decine en firent un autre quâott tint secret et qui fut adressĂ© au ministre. Dans celui-ci, les commissaires sâoccupent uniquement des dangers que peut entraĂźner la pratique du magnĂ©tisme animal sous le rapport des mĆurs. Ce rapport est remarquable par la finesse dâobservation comme par le manque absolu dâesprit philosophique quâil rĂ©vĂšle dans ses auteurs; câest-Ă -dire que les commissaires voient le fait avec justesse, lâanalysent avec sagacitĂ© dans ses moindres dĂ©tails, et, malgrĂ© cela* ne saisissent jamais ni la cause qui le produit, ni le corollaire qui en dĂ©coule. En un mot, ils observent avec art; mais il leur manque un peu de jugement, un peu de causalitĂ© , dirait un phrĂ©nologiste, pour fĂ©conder leurs observations. Je vais vous soumettre, en y mĂȘlant mes rĂ©flexions, quelques fragments de leur rĂ©cit. Les commissaires ont reconnu que les principales causes des effets attribuĂ©s au magnĂ©tisme animal sont lâattouchement, lâimagination, lâimitation. » â MĂȘme systĂšme, comme vous le voyez , que dans le rapport de Bailly. Lâimagination et lâimitation sont encore considĂ©rĂ©es comme des causes premiĂšres, tandis quâavec un peu de rĂ©flexion on ne tarde pas Ă reconnaĂźtre que les paroxysmes de ces deux facultĂ©s sont des effets et non * Rapport confidentiel, etc., p. a3. RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME DE 1784. 191 des causes. Lâattouchement lui-mĂȘme nâest quâun moyen de transmission. Mais comment lâattouchement opĂšre-t-il sur lâimagination? voilĂ ce quâil aurait fallu se demander et ce que les commissaires nâont pas fait.â Ils ont observĂ© quâil y avait toujours beaucoup plus de femmes, que dâhommes en crise. Cette diffĂ©rence a pour premiĂšre cause la diffĂ©rente organisation des deux sexes. Les femmes ont en gĂ©nĂ©ral les nerfs plus mobiles, leur imagination est plus vive, plus exaltĂ©e. » â Dites donc plus exaltable. â11 est facile de la frapper, de la mettre en mouvement! » âNous sommes dâaccord. â Cette grande mobilitĂ© des nerfs, en leur donnant des sens plus dĂ©licats et plus exquis, les rend plus susceptibles des impressions de l'attouchement. » â Quel grossier matĂ©rialisme ! â En les touchant dans une partie quelconque, on pourrait dire quâon les touche Ă la fois partout. » â Et quand les crises arrivaient sans attouchement? â Cette grande mobilitĂ© des nerfs fait quelles sont plus disposĂ©es Ă lâimitation. Les femmes, comme on lâa dĂ©jĂ fait remarquer, sont, semblables Ă des cordes sonores parfaitement tendues Ă lâunisson. Il suffit dâen mettre une en mouvement toutes les autres Ă lâinstant le partagent. » â Enfin nous y voilĂ ! tout Ă lâheure câĂ©tait lâattouchement, maintenant câest lâimitation, et ees deux causes, si diffĂ©rentes, produisent les mĂȘmes effets. DĂ©terminez donc Ă la fois ce quâelles ont de commun!.... HĂ©las! les mĂ©decins ne jugent guĂšre quâavec les yeux. Ils ont beau rapprocher les faits, la chaĂźne qui unit ces faits entre eux leur Ă©chappe Ă©ternellement , si elle est invisible . Mais revenons au rap* port 192 CINQUIĂME LEĂON. a Cette organisation fait comprendre pourquoi les femmes ont des crises plus frĂ©quentes, plus longues, plus violentes que les hommes, et câest Ă leur sensibilitĂ© de nerfs quâest dĂ» le plus grand nombre de leurs crises. Il en est quelques-unes qui appartiennent Ă une cause cachĂ©e, mais naturelle,Ă une cause certaine des Ă©motions dont toutes les femmes sont plus ou moins susceptibles, et qui, par une influence Ă©loignĂ©e, en accumulant ces Ă©motions, en les portant au plus haut degrĂ©, peut contribuer Ă produire un Ă©tat convulsif quâon confond avec les autres crises. Cette cause est lâempire que la nature a donnĂ© Ă un sexe sur lâautre, pour lâattacher et lâĂ©mouvoir. Ce sont toujours des hommes qui magnĂ©tisent les femmes; les relations alors Ă©tablies ne sont sans doute que celles dâune malade Ă lâĂ©gard de son mĂ©decin, mais ce mĂ©decin est un homme; quel que soit lâĂ©tat de maladie, il ne nous dĂ©pouille point de notre sexe, il ne nous dĂ©robe pas absolument au pouvoir de lâautre; la maladie en peut affaiblir les impressions,sans jamaisles anĂ©antir. Dâailleurs la plupart des femmes qui vont au magnĂ©tisme ne sont pas rĂ©ellement malades; beaucoup y viennent par oisivetĂ© et par amusement; dâautres, qui ont quelques incommoditĂ©s, nâen conservent pas moins leur fraĂźcheur et leur force; leurs sens sont tout entiers; leur j eunesse a toute sa sensibilitĂ©. Elles ont assez de charmes pour agir sur le mĂ©decin; elles ont assez de santĂ© pour que le mĂ©decin agisse sur elles alors le danger est rĂ©ciproque. La proximitĂ© longtemps continuĂ©e, lâattouchement indispensable â erreur, â la chaleur individuelle communiquĂ©e, les regards confondus, sont les voies connues de la nature et les moyens quâelle APPORTS SUR LE MAGNĂTISME DE 1784 . 193 a prĂ©parĂ©s de tout temps pour opĂ©rer immanquablement â erreur Ă©norme la communication des sensations et des affections.»âIl faut avouer quâils sont bien Ă©tranges ces moyens de la nature sâils sont seulement ce quâils paraissent. Quoi! il suffit que des hommes et des femmes se regardent ou se touchent pour sâaimer! Que dis-je ! nos commissaires sont bien autrement explicites. VoilĂ , certes, des merveilles plus incroyables que le magnĂ©tisme Les mĂ©decins commissaires,prĂ©sents et attentifs au traitement, ont observĂ© avec soin ce qui sây passe. Quand cette espece de crise se prĂ©pare, le visage sâenflamme par degrĂ©s, lâĆil devient ardent, et câest le signe par lequel la nature annonce le dĂ©sir. On voit la femme baisser la tĂȘte, porter la main au front et aux yeux pour les couvrir; sa pudeur habituelle veille Ă son insu, et lui inspire le soin de se cacher. Cependant la crise continue et lâĆil se trouble câest un signe non Ă©quivoque du dĂ©sordre total des sens. Ce dĂ©sordre peut nâĂȘtre point aperçu par celle qui lâĂ©prouve, â il faut admettre, pour le croire, que les femmes sont bien stupides!âmais il nâa point Ă©chappĂ© au regard observateur des mĂ©decins. DĂšs que ce signe a Ă©tĂ© manifestĂ© les paupiĂšres deviennent humides; la respiration est courte, entrecoupĂ©e; la poitrine sâĂ©lĂšve et sâabaisse rapidement; les convulsions sâĂ©tablissent, ainsi que les mouvements prĂ©cipitĂ©s et brusques ou des membres ou du corps entier. Chez les femmes vives et sensibles, le dernier degrĂ©, le terme de la plus douce des Ă©motions, est souvent une convulsion \ A cet Ă©tat succĂšdent la 1 II est bon de rappeler ici comment Bailly dĂ©crit ce terme de ht plus douce des Ă©motions les convulsions sont caractĂ©risĂ©es par 13 194 CINQUIĂME LEĂON. langueur, lâabattement, une sorte de sommeil des sens qui est un repos nĂ©cessaire aprĂšs une forte agitation. La preuve que cet Ă©tat de convulsion , quelque extraordinaire quâil paraisse Ă ceux qui lâobservent, nâa rien de pĂ©nible,uâa rien que de naturel pour celles qui lâĂ©prouvent, câest que, dĂšs quâd est cessĂ©, il nâen reste aucune trace fĂącheuse; le souvenir nâen est pas dĂ©sagrĂ©able, les femmes sâen trouvent mieux et nâont point de rĂ©pugnance Ă le sentir de nouveau. Comme les Ă©motions Ă©prouvĂ©es sont les germes des affections et des penchants, â paradoxe! elles en sont le terme â on sent pourquoi celui qui magnĂ©tise inspire tant dâattachement; attachement qui doit ĂȘtre plus marquĂ© et plus vif chez les femmes que chez les hommes, tant que lâexercice du magnĂ©tisme nâest confiĂ© quâĂ des hommes, etc., etc. » On conçoit trĂšs-bien quâun pareil exposĂ© amĂšne cette conclusion Le traitement magnĂ©tique ne peut ĂȘtre que dangereux pour les mĆurs. » Mais une autre dĂ©duction quâil nâest pas aussi aisĂ© de prĂ©voir est celle-ci Rien nâempĂȘche que chez lui Mesmer comme chez M dâEs- lon, les convulsions ne deviennent habituelles, et quâelles ne se rĂ©pandent en Ă©pidĂ©mies dans les villes; quâelles ne sâĂ©tendent aux gĂ©nĂ©rations futures. »â Quelleseon- tradictious! Que de science et de naĂŻvetĂ©! comme dit le R. P. Scobardi, ou plutĂŽt quelle mauvaise loi! Dieu les mouvements prĂ©cipitĂ©s, involontaires, de tous les membres et du corps entier, par le resserrement Ă la gorge, par des soubresauts des hypocondres et de lâĂ©pigastre, par le trouble et lâĂ©garement des yeux, par des cris perçants, des pleurs, des hoquets, des rires immodĂ©rĂ©s. » Rien nâest plus vrai que le plaisir touche de prĂšs h la douleur ! RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME DE 1784 . 195 merci! les commissaires se sont expliques clairement, â trop clairement pour leur honneur; âles convulsions quâils ont dĂ©crites nâont rien de fĂącheux physio- logiquement parlant. Comment donc peut-il se faire quâaprĂšs un pareil aveu de leur part ils osent exprimer la crainte de voir ces convulsions se perpĂ©tuer dans les races futures? Ou bien ils ont fait du cynisme eu pure perte, ou bien ils terminent leur rapport par une folie sans nom. Cependant, je veux bien accepter dans les deux cas, le prĂ©tendu rĂ©sultat de leurs observations. â Ne reste-il pas constant, dans une hypothĂšse comme dans lâautre, que le moyeu nâest pas en rapport avec la violence de lâeffet produit? Sans doute, le magnĂ©tisme et ce cĂŽtĂ© de la question sera examinĂ© par nous provoque quelquefois lâamour dont il est le grand moteur. Mais si cet amour peut entraĂźner Ă la longue la participation des sens, il commence invariablement par une attraction morale dont la spontanĂ©itĂ© et la violence prouvent lâagent qui lâa produite. Câest le contraire que les commissaires ont vu! jâen suis fĂąchĂ© pour eux, et je veux bien leur faire lâhonneur de croire sincĂšre une erreur aussi dĂ©plorable. En dĂ©finitive, le rapport secret fut digne en tout point du rapport public. Celui-ci, quoique vigoureusement rĂ©futĂ© par des partisans Ă©clairĂ©s du magnĂ©tisme, ne laissa pas que de produire dans le monde une impression dĂ©favorable. Il eĂ»t mĂȘme complĂštement discrĂ©ditĂ© Mesmer et sa doctrine, sâil nâavait eu pour contre-poids un autre rapport, rĂ©digĂ© dans un sens tout diffĂ©rent par un des savants les plus Ă©minents de lâĂ©poque. Antoine Laurent de Jussieu, le cĂ©lĂšbre botaniste, 4 96 CINQUIĂME LEĂON, une de nos gloires nationales, avait Ă©tĂ© dĂ©signĂ© pour faire partie de la commission Mauduyt. La scission quâil fit avec ses collĂšgues *, et dont il refusa de signer le rapport, est un des faits qui honore le plus son caractĂšre et son talent dâobservateur. Quel courage ne lui fallut-il pas pour protester publiquement contre les opinions, presque unanimes, dâune acadĂ©mie dont il Ă©tait membre! Mais une vĂ©ritable conviction ne calcule ni les dangers, ni lâĂ©tendue des sacrifices. De Jussieu avait dâailleurs une immunitĂ© certaine dans lâimmense autoritĂ© de son nom. Le jugement que cet homme cĂ©lĂšbre a portĂ© du magnĂ©tisme restera comme un monument dans les fastes de la science; mais ce jugement est loin dâĂȘtre sans appel, car il Ă©tait prĂ©maturĂ©. Avec son goĂ»t pour les observations dĂ©licates et approfondies, avec cet esprit gĂ©nĂ©ralisateur qui lâa placĂ© si haut parmi nos naturalistes, de Jussieu, cinquante ans plus tard, eĂ»t fait peut-ĂȘtre pour le magnĂ©tisme ce quâil a fait pour la botanique ; il lâeĂ»t systĂ©matisĂ©. Malheureusement, ce qui lui manquait de documents pour arriver Ă ce but lâinduisit en erreur. Il se trompa, nous le pensons du moins, sur la nature intime du magnĂ©tisme, quâil confondit avec la chaleur; mais sâil erra dans ses consĂ©quences, on ne saurait trop admirer lâordre et lâhabiletĂ© dâanalyse qui distinguent ses prĂ©misses. Parmi les faits Ă exposer, dit-il, jâen distinguerai de quatre ordres i° les faits gĂ©nĂ©raux et positifs, dont on ' Mauduyt, Andry et Caille. RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME DE 1784 . 1!7 ne peut rigoureusement dĂ©terminer la vraie cause; 2° les faits nĂ©gatifs, qui constatent seulement la non action du fluide contestĂ©; 3° les faits, soit positifs, soit nĂ©gatifs attribuĂ©s Ă la seule imagination; 4° les faits positifs qui paraissent exiger un autre agent. x° La description que donne de Jussieu des effets gĂ©nĂ©raux ne diffĂšre pas essentiellement de celle quâen fait Bailly, mais elle se prĂȘte fort peu aux inductions scabreuses si astucieusement dĂ©veloppĂ©es dans le rapport secret. Quelques-uns, dit de Jussieu, croient sentir lâinfluence du doigt ou de la baguette Ă des distances considĂ©rables, le pouvoir de lâĆil qui les fixe, et lâaction de la corde ou de la chaĂźne qui unissent le cercle des malades. Les corps quâon leur prĂ©sente dans une certaine direction ont pour eux une odeur particuliĂšre qui devient diffĂ©rente dans une direction opposĂ©e. Les effets internes ne pouvant ĂȘtre vĂ©rifiĂ©s par lâobservateur, je passe Ă ceux qui sont extĂ©rieurs et que jâai vus plus ou moins souvent. Les premiĂšres sensations et les plus frĂ©quentes sont des bĂąillements que lâon attribue au dĂ©veloppement de la chaleur, mais qui peuvent Ă©galement dĂ©pendre dâune cause morale. En continuant le traitement avec ou sans contact, on ne produit rien de plus sur les uns; la mĂȘme impression dĂ©veloppĂ©e et augmentĂ©e chez quelques autres, et principalement chez les femmes, occasionne successivement de lâagitation , des mouvements convulsifs, passagers ou durables, dâabord lĂ©gers, puis plus graves, quelquefois un rire peu naturel, quelquefois le sommeil ou la perte des seus. TantĂŽt la personne est stationnaire, tantĂŽt elle parcourt la salle dâun air Ă©garĂ©; le pouls, ordinai- 198 CINQUIĂME LEĂON, renient rĂ©glĂ©, sâaccĂ©lĂšre quelquefois dans les grandes diverses sensations portent dans ce traitement le nom de crise qui finit simplement parla cessation des symptĂŽmes, ou se termine par des larmes, de la moiteur, de la sueur, des crachats, des vomissements , des Ă©vacuations par les selles et par les urines. » â Ces rĂ©sultats sont trĂšs-significatifs. Les derniers, surtout, prouvent quâil se passait dans le corps des malades une action aussi rĂ©elle quâanormale, et qui partant supposait une cause non moins rĂ©sultats, au reste, funestes ou salutaires je conçois sur ce point le partage des opinions nâavaient rien dâimmoral; mais la cause incontestable qui les produisait, quelle Ă©tait-elle?Voici lâopinion du rapporteur Le rĂ©sumĂ© de ces faits de Jussieu en rapporte un grand nombre en offre plusieurs qui doivent appartenir Ă une cause physique; les autres pourront ĂȘtre attribuĂ©s Ă un fluide inconnu ou Ă lâinfluence de lâimagination; et , jusquâĂ ce que le fluide soit dĂ©montrĂ©, la derniĂšre opinion devra prĂ©valoir, comme plus ancienne et mieux prouvĂ©e. » 2° Faits nĂ©gatifs. De Jussieu, en homme de sens, leur consacre Ă peine quelques lignes Une jeune personne, dit-il, Ă©pileptique et privĂ©e de raison, magnĂ©tisĂ©e en prĂ©sence des commissaires pendant une heure et par divers procĂ©dĂ©s, nâa Ă©prouvĂ© aucun effet. Le mĂȘme rĂ©sultat a eu lieu sur cinq malades du traitement dâĂ©lectricitĂ© de M. Mauduyt, qui ont Ă©tĂ© touchĂ©s chacun pendant un quart dâheure, et sur une partie des malades de M, dâEslon, qui se soumettaient tous les jours, pendant quelques heures, Ă son traitement. RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME DE 1784 . 199 Plusieurs des personnes que jâai touchĂ©es hors des salles, en diverses occasions, pour satisfaire leur curiositĂ©, nâont ressenti aucune impression. Jâai Ă©tĂ© magnĂ©tisĂ© moi-mĂȘme plusieurs fois, et toujours sans succĂšs. Sans insister ici sur les observations de ce genre, faciles Ă multiplier, on pourra conclure de celles-ci que le fluide, sâil existe, nâa pas sur la plupart des hommes, soit sains, soit malades, une action qui puisse se manifester par des signes sensibles. » â Cette conclusion, trĂšs-simple, est en mĂȘme temps parfaitement juste. Plusieurs malades, Ă ma connaissance, se sont ingĂ©rĂ© Ă diverses reprises dâassez fortes doses du purgatif Leroy et nâen ont absolument rien Ă©prouvĂ©. Qui sâaviserait dâen induire que ce drastique violent nâest pas mĂȘme un laxatif? personne-assurĂ©ment, parce que tout le monde a le sens commun lorsqu'il nây a pas en jeu des intĂ©rĂȘts personnels. Mais les dĂ©tracteurs du magnĂ©tisme! il nâest pas dâabsurditĂ© dont ils ne se soient fait des arguments. â JusquâĂ prĂ©sent, en magnĂ©tisme , il nây a pas de faits nĂ©gatifs, il nây a que des faits nuis, câest-Ă -dire qui ne prouvent rien. 3° Faits dĂ©pendants de F imagination. Lâhistoire, les traitĂ©s de mĂ©decine et lâobservation journaliĂšre offrent des preuves multipliĂ©es de lâinfluence de lâimagination sur nos organes. La doctrine du magnĂ©tisme nâen rejette aucune; mais, suivant elle, lâimagination concourt avec le fluide. Suivant ses adversaires, lâimagination agit seule, etson action suffit sans lâaddition dâun nouvel agent. Jâai observĂ© soit en particulier, soit avec les autres commissaires, plusieurs faits qui semblent favoriser la seconde opinion. » 200 CINQUIĂME LEĂON. Cette distinction entre les faits magnĂ©tiques proprement dits et les effets de lâimagination prouve les incon- ve'nients dâune thĂ©orie prĂ©maturĂ©e , comme lâĂ©tait celle de Mesmer, et qui nâembrasse pas dans leur ensemble les phĂ©nomĂšnes sur lesquelsel le repose. Si, moins prĂ©occupĂ© de son fluide universel, Mesmer avait pris comme nous, pour point de dĂ©part, lâinfluence quâun homme exerce sur soi-mĂȘme avant de lâexercer sur les autres, cet axiome incontestable eĂ»t tout dâabord mis sa doc- triue Ă lâabri de toutes objections sĂ©rieuses. La nature essentielle de lâimagination ne nous est pas plus connue que celle des autres facultĂ©s morales, dont la volontĂ© semble la rĂ©sultante ; mais nous savons fort bien quâainsi que cette derniĂšre elle rĂ©agit puissamment, suivant son degrĂ© dâactivitĂ© dans chacun de nous, sur tous nos actes organiques. Lâimagination, en un mot, est une sorte de volontĂ© dont nous nâavons pas toujours la conscience , et qui, lorsquâelle acquiert une certaine prĂ©pondĂ©rance, finit par troubler Ă notre insu toutes nos fonctions. Câest ainsi du moins que je mâexplique la mauvaise santĂ© habituelle desaliĂ©nĂ©s, lorsque toutefois cette mauvaise santĂ© nâest pas elle-mĂȘme la cause premiĂšre des troubles moraux qui ont lieu. Si les facultĂ©s morales, en effet, agissent sur les organes, les organes, Ă leur tour, rĂ©agissent sur ces facultĂ©s. Par quel intermĂ©diaire sâeffectue cette action'rĂ©ciproque? câest ce que personne ne dira jamais dâune façon positive; mais enfin, si ces relations de lâesprit avec le corps nâimpliquent pas nĂ©cessairement lâexistence dâun fluide, il sâen faut bien plus encore quâelles en interdisent lâhypothĂšse. Cela posĂ©, vous comprendrez sans peine que , pendant le cours RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME UE 1784 . 201 dâune expĂ©rience magnĂ©tique, l'imagination de lâindividu qui est lâobjet de cette expĂ©rience puisse sâexalter au point de lui faire Ă©prouver des sensations vives et diverses tandis quâil ne ressentira rien de lâaction Ă©trangĂšre dirigĂ©e sur lui. Or, que prouvent, en derniĂšre analyse,ces prĂ©tendus rĂ©sultats nĂ©gatifs dont on a fait tant bruit? rien, absolument rien, sinon que la folle du logis, comme disent les poĂštes, en est restĂ©e la maĂźtresse, et que, malgrĂ© le magnĂ©tisme comme le comprenait Mesmer, lâimagination continue Ă agir sur les organes, ce qui nâest nullement Ă©trange. Ainsi, les faits dĂ©pendants de Vimagination rentrent, comme les faits nĂ©gatifs , dans la catĂ©gorie de ceux qui ne peuvent ĂȘtre allĂ©guĂ©s ni pour ni contre le magnĂ©tisme. Voici, dâailleurs, les principaux que rapporte de Jussieu 1° Pour connaĂźtre lâeffet magnĂ©tique dâune premiĂšre impression magnĂ©tique, je voulus magnĂ©tiser le premier une malade nouvelle qui paraissait susceptible dâĂ©prouver des sensations. La premiĂšre sĂ©ance ne produisit rien ; sur la fin de la seconde, elle eut des soubresauts, dâabord lĂ©gers et rares, qui augmentĂšrent assez promptement dâintensitĂ© et de nombre, sans occasionner de douleur. Le troisiĂšme jour, les mĂȘmes mouvements reparurent dĂšs le commencement de lâopĂ©ration, et durĂšrent longtemps, quoique sur la fin jâeusse interrompu lâaction magnĂ©tique. Je sortis de la salle; ils cessĂšrent peu aprĂšs, au rapport des mĂ©decins prĂ©sents. RentrĂ© au bout dâun quart dâheure, je les vis recommencer avec la mĂȘme force sans le secours dâaucun des procĂ©dĂ©s usitĂ©s. Je sortis de nouveau, et bientĂŽt ils se calmĂšrent. La malade, voulant prendre lâair sur une ter- 202 CINQUIĂME LEĂON. rasse,fut reprise des mĂȘmes mouvements eu me voyant dans la cour. RetirĂ©e dans la salle et devenue plus tranquille, elle se disposa Ă sâen aller; mais me retrouvant encore au bas de lâescalier, elle eut un nouvel accĂšs et fut obligĂ©e dâentrer dans une salle infĂ©rieure oĂč je la laissai. Quelques jours aprĂšs, je revis cette femme; elle avait Ă©tĂ© touchĂ©e dans lâintervalle par dâautres mĂ©decins et avait eu les mĂȘmes soubresauts, mais non renouvelĂ©s de la mĂȘme maniĂšre. Ma prĂ©sence ne produisit point celte fois sur elle les effets observĂ©s prĂ©cĂ©demment; sâils nâĂ©taient point un jeu concertĂ©, comme je ne puis le croire en me rappelant la nature et la force des mouvements, ils dĂ©pendaient certainement dâune imagination fortement excitĂ©e. » De Jussieu rapporte ensuite les expĂ©riences faites chez Mauduyt, sur trois personnes, par les commissaires rĂ©unis i° Une femme pusillanime, redoutant le magnĂ©tisme, dont on lui avait racontĂ© les effets, refusant de sây soumettre, Ă©tant magnĂ©tisĂ©e contre sa volontĂ© pendant peu de temps, annonçait-par frayeur beaucoup de sensations, et presque toutes consĂ©quentes aux questions qui lui Ă©taient faites. CalmĂ©e ensuite par la cessation des mouvements, distraite par dâautres objets et magnĂ©tisĂ©e sur le dos Ă son insu et sans contact, pendant un quart dâheure, elle nâa rien Ă©prouvĂ©.» Je le crois volontiers ; chatouillez le pied dâun malade pendant quâon lui fait lâamputation dâun bras, il ne sâapercevra pas du chatouillement. Aussi de Jussieu ajoute-t- il Ce fait est peu concluant, parce que la frayeur agissait trop puissamment et pouvait faire douter RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME DE 1784. 203 les sensations Ă©noncĂ©es; les suivants sont plus intĂ©ressants 2 ° Un homme ayant un cĂŽtĂ© du corps Ă demi paralysĂ©, Une constitution trĂšs-irritable, un esprit Ă demi Ă©garĂ©, une imagination inquiĂšte, un sommeil trĂšs- interrompu,avait essayĂ© infructueusement lâĂ©lectricitĂ©, .qui augmentait en lui le spasme au lieu de calmer scs maux. On le magnĂ©tisa sans lui expliquer le but de Icette opĂ©ration qui ne lui Ă©tait pas connue. Dâabord ;il plaisanta sur lâappareil des procĂ©dĂ©s; bientĂŽt il dit jsentir sur les parties magnĂ©tisĂ©es de lĂ©gers effets correspondant aux mouvements exĂ©cutĂ©s devant lui. Instruit ensuite du nom et de lâobjet de cet appareil, il consentit Ă se laisser bander les yeux. DĂšs lors, il divagua sur les effets, annonça des sensations sur les points du corps que lâon ne magnĂ©tisait pas, mĂȘme lorsquâon h Ă©tait dans une inaction complĂšte, et dĂ©signa rarement les parties magnĂ©tisĂ©es. Les mĂȘmes rĂ©sultats eurent lieu dans une seconde expĂ©rience pareille Ă la premiĂšre; on opĂ©rait dâabord par attouchement, ensuite sans contact. Cet homme ne perdit point connaissance, et aucune de ses sensations ne se manifesta par des signes extĂ©rieurs que nous ayons pu saisir. » De Jussieu sâabstient de toute rĂ©flexion sur ce fait qui nâen mĂ©rite aucuue. Ce que je vous ai dit des effets si connus de lâimagination lâexplique suffisamment. 3° Un autre homme se plaignait de faiblesse dâestomac et dâaccĂšs de nerfs assez frĂ©quents. Il connaissait le magnĂ©tisme, dont il avait dĂ©jĂ une fois Ă©prouvĂ© lâaction, et il dĂ©sira renouveler lâĂ©preuve. MagnĂ©tisĂ© 204 CINQUIĂME LEĂON', dâabord comme le precedent , il eut Ă©galement des sensations correspondant Ă nos mouvements, mais plus marquĂ©es, accompagnĂ©es de larmes, soupirs^ dĂ©faillance, somnolence, Ă©missions dâhumeur par les Ă lui, il se laissa bander les yeux. Ma-t gnĂ©tisĂ© sans contact, ou mĂȘme non magnĂ©tisĂ©, il Ă©prouva les mĂȘmes effets avec celte diffĂ©rence remarquable quej sur le total des expĂ©riences faites alors sur lui, le tiers seulement offrit une correspondance entre lâaction ma-j gnĂ©tique et la sensation Ă©noncĂ©e. La perte de connaissance, survenue Ă la suite, nous rĂ©duisit Ă observer les sensations apparentes. Elles annonçaient un Ă©tat de gĂȘne qui, trois fois de suite parut alternativement se calmer et se renouveler lorsquâon touchait successivement le haut de la poitrine et de lâestomac. Nous nous dĂ©cidĂąmes Ă ĂŽter le bandeau pour faire cesser lâaccĂšs. Gomme il durait encore, on promena devant lui le; doigt de haut en bas, suivant la doctrine du rnagnĂ©-i tisme, qui assigne Ă ce mouvement la propriĂ©tĂ© de dissiper le malaise, en rĂ©pandant dans tout le corps le fluide concentrĂ© dans une partie. LâaccĂšs finit peu aprĂšs, et quoique le malade attribuĂąt cette cessation au dernier procĂ©dĂ© magnĂ©tique, nous crĂ»mes pouvoir nous dispenser de porter le mĂȘme jugement. Une seconde expĂ©rience faite quelques jours aprĂšs, de la mĂȘme maniĂšre et sur la mĂȘme personne, offrit plusieurs diffĂ©rences les premiĂšres impressions furent moins vives et moins nombreuses; il y eut une moindre correspondance entre les sensations avouĂ©es et les opĂ©rations; la somnolence fut plus longue; lâattouchement, qui avait paru diminuer lâĂ©tat de gĂȘne dans la sĂ©ance prĂ©cĂ©dente, RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME 1E 178i. 205 manqua son effet dans celle-ci, le malade revint Ă lui sans le secours du procĂšde indiquĂ© comme calmant. De ces divers faits rĂ©unis, ajoute de Jussieu,on peut conclure que lâimagination prĂ©venue, mise en dĂ©faut, iexcitĂ©e par diverses causes rĂ©unies, agit avec assez ide force sur lâhomme pour produire en lui les plus grands effets sans le secours dâaucun agent extĂ©rieur. » â Câest ce que nous avons Ă©tabli dĂ©jĂ . 4° Faits indĂ©pendants de l'imagination. Voici, sans contredit, la partie intĂ©ressante et significative du rapport de de Jussieu ; car, ainsi que cet observateur en fait la remarque judicieuse, un seul fait positif qui dĂ©montrerait Ă©videmment lâexistence dâun agent extĂ©rieur dĂ©truirait tous les faits nĂ©gatifs qui constatent seulement sa non action. Or, je vous laisse Ă juger la valeur des observations suivantes PlacĂ© dâun cĂŽtĂ© du baquet vis-Ă -vis une femme dont lâaveuglement, occasionnĂ© par deux taies fort Ă©paisses, avait Ă©tĂ©, un mois auparavant, constatĂ© par les commissaires, je la vis pendant un quart dâheure entier fort tranquille, paraissant plus occupĂ©e du fer du baquet, dirigĂ© sur ses yeux,que de la conversation des autres malades. Dans le moment oĂč le bruit des voix Ă©tait suffisant pour mettre son ouĂŻe en dĂ©faut, je dirigeai, Ă la distance de six pieds, une baguette sur son estomac, que je savais trĂšs-sensible. Au bout de trois minutes, elle parut inquiĂšte et agitĂ©e ; elle se retourna sur sa chaise, assura que quelquâun, placĂ© derriĂšre ou Ă cĂŽtĂ© dâelle, la magnĂ©tisait, quoique jâeusse pris auparavant la prĂ©caution dâĂ©loigner tous ceux qui auraient pu rendre lâexpĂ©rience douteuse. Ses inquiĂ©tudes se dissi- 206 CINQUIĂME le çon. pĂšrent presque aussitĂŽt aprĂšs lacessatiou de tnes mouve- ments;et elledevinl tranquille comme auparavant, sur- toutquandon lui eut certifie quâelle nâavait derriĂšre elle ni malade ni mĂ©decin. Quinze minutes aprĂšs, saisissant les mĂȘmes circonstances, je renouvelai lâĂ©preuve, qui offrit exactement le mĂȘme rĂ©sultat. Toutes les prĂ©cautions possibles en pareil lieu nâavaient point Ă©tĂ© nĂ©gligĂ©es. JâĂ©tais assurĂ© que la malade nâavait retirĂ© dâautre avantage de son traitement que dâentrevoir confusĂ©ment certains objets Ă quelques pouces de distance. Le jour tombait de cĂŽtĂ© sur elle et sur moi. Je ne pouvais me mĂ©fier ni des malades occupĂ©s de tout autre objet ni des mĂ©decins nouvellement admis Ă suivre le traitement, et qui cherchaient seulement Ă voir des effets. Un des chefs de la salle Ă©tait prĂ©sent, mais toujours Ă cĂŽtĂ© de moi, gardant le silence, et me laissant -opĂ©rera mon grĂ©. Lâheure avancĂ©e ne me permit pas de faire une troisiĂšme Ă©preuve qui aurait peut-ĂȘtre augmentĂ© la conviction. » â La conviction de qui, loyal de Jussieu? Ignoriez-vous donc quâil est certaines tĂȘtes si malheureusement organisĂ©es que la vĂ©ritĂ© ne peut y tenir? Le hasard , ce dieu ridicule inventĂ© par lâorgueil et la folie, eĂ»t expliquĂ© votre troisiĂšme Ă©preuve comme il fit des deux premiĂšres. â Le hasard, est le dernier argument de la sottise ou de la mauvaise foi les gens honnĂȘtes et sensĂ©s ne lâinvoquent presque jamais 1 . La crise dâuue autre malade Ă©tait un spasme gĂ©nĂ©- 1 Je vis un jour un somnambule tire Ă travers le couvercle dâune boĂźte fermĂ©e un des quarante mille mots de la langue française. Un membre fort connu de lâAcadĂ©mie de mĂ©decine, qui Ă©tait prĂ©sent ii lâexpĂ©rience , nâhĂ©sita point Ă attribuer ce phĂ©nomĂšne au hasard. RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME DE 1784. 207 ral, accompagnĂ© de perte passagĂšre des sens, sans aucun mouvement violent. La tĂȘte Ă©tait portĂ©e en avant, les yeux fermĂ©s, les bras repliĂ©s en arriĂšre et Ă©tendus sur les cĂŽtĂ©s, les mains ouvertes, les doigts trĂšs-Ă©cartĂ©s. Mon doigt, en contact sur son front, entre les yeux, paraissait la soulager un peu. Si je le retirais doucement, la tĂȘte, quoique nâĂ©tant plus en contact, le suivait machinalement dans toutes sortes de directions, et venait se reporter contre lui. Si, aprĂšs avoir ainsi dirigĂ© sa tĂȘte dâun cĂŽtĂ© je prĂ©sentais mon autre main Ă un pouce de distance de sa main opposĂ©e, elle la retirait prĂ©cipitamment avec le signe dâune impression vive. Les mouvements ont Ă©tĂ© rĂ©pĂ©tĂ©s trois ou quatre fois en dix minutes; mais au bout de ce temps, le spasme diminuant, la sensibilitĂ© ne fut plus la mĂȘme. Remise de cet Ă©tat, la malade ignorait ce qui sâĂ©tait passĂ© '. Les moindres mouvements magnĂ©tiques faisaient sur une autre malade une impression si vive que, lorsquâon promenait plusieurs fois le doigt Ă un demi- pied de son dos, sans quâelle pĂ»t le prĂ©voir, elle Ă©tait prise sur-le-champ de mouvements convulsifs et de soubresauts rĂ©pĂ©tĂ©s qui lui annonçaient lâaction exercĂ©e et duraient autant que cette action. Mon premier et unique essai sur cette malade produisit le mĂȘme effet dont jâavais Ă©tĂ© tĂ©moin quatre ou cinq fois. a Les salles de traitement contenaient plusieurs autres malades de diffĂ©rents sexes et de constitutions plus plus ou moins irritables, qui Ă©prouvaient aussi, mais moins vivement, lâeffet prĂ©cĂ©demment Ă©noncĂ©, surtout * Cette malade Ă©tait endotmie, sinon en somnambulisme. 208 CINQUIĂME LEĂON, lorsquâils avaient Ă©tĂ© excitĂ©s par des attouchements sur lâestomac. Si on agitait, Ă leur insu, le cĂźoigt sur leur tĂȘte ou le long de leur dos sans les toucher, et mĂȘme Ă quelque distance, iis sautaient souvent avec vivacitĂ© en tournant la tĂȘte pour voir la personne placĂ©e derriĂšre eux. Ce mouvement involontaire et imprĂ©vu Ă©tait excitĂ© surtout par les mĂ©decins nouvellement admis, qui, avant dâexĂ©cuter ouvertement les procĂ©dĂ©s indiquĂ©s, restant hors du cercle des malades, essayaient par derriĂšre, et avec mĂ©fiance, la propriĂ©tĂ© de lâagent quâon leur avait fait connaĂźtre enhardis par le succĂšs, ils passaient ensuite Ă une pratique plus Ă©tendue. Jâavais produit dâabord assez frĂ©quemment cet effet; mais pouvant soupçonner, ou que les malades pressentaient mon action, on que la sensation aurait eu lieu sans moi, je mâarrĂȘtais longtemps auprĂšs dâeux, attendant le moment favorable pour lâĂ©preuve ; elle me rĂ©ussissait presque toujours. Lorsque je nâagissais point, le tressaillement nâavait pas lieu. Le mĂȘme effet, produit par dâautres, sâest manifestĂ© quelquefois sur les malades dont jâoccupais lâattention par des attouchements opposĂ©s. Ces faits sont peu nombreux et peu variĂ©s, parce que je nâai pu citer que ceux qui Ă©taient bien vĂ©rifiĂ©s et sur lesquels je nâavais aucun doute. Ils suffiront pour faire admettre la possibilitĂ© ou existence dâun fluide, ou agent, qui se porte de lâhoinme Ă son semblable et exerce quelquefois sur ce dernier une action sensible. » Il est Ă regretter que de Jussieu nâait pas rapportĂ© un plus grand nombre dâexpĂ©riences analogues Ă celles 209 RAPPORTS SUR LE MAGNĂTISME RE 1784 . qui prĂ©cĂšdent. Cependant, si lâon tient compte du mĂ©rite de cet observateur, dont la sagacitĂ© Ă©galait la bonne foi, ces expĂ©riences sont plus que suffisantes pour Ă©tablir clairement un ordre de faits dâun intĂ©rĂȘt immense et se dĂ©robant aux principes jusquâalors adoptĂ©s par les physiologistes. Aussi, de Jussieu a-t-il cru devoir faire entrer dans son rapport une thĂ©orie de ces faits; thĂ©orie dĂ©fectueuse sans doute, parce quâelle ne pouvait alors ĂȘtre complĂšte, mais qui nĂ©anmoins me paraĂźt supĂ©rieure Ă celle de Mesmer. Je vais donc vous en donner la substance, en mâefforçant de ne pas altĂ©rer lâenchaĂźnement des propositions qui la constituent. Suivant de Jussieu Le corps humain est soumis Ă lâinfluence de diffĂ©rentes causes, les unes internes et morales, telles que lâimagination; les autres externes et physiques, comme le frottement, le contact, et lâaction dâun fluide Ă©manĂ© dâun corps semblable. Les derniĂšres causes peuvent se rĂ©duire Ă une seule, plus simple et plus universelle. Lâaction gĂ©nĂ©rale des corps, Ă©lĂ©mentaires ou composĂ©s, dont nous sommes entourĂ©s. Cette action est uniforme, et souvent insensible. Plus vive lorsquâelle agit par le frottement que lorsquâelle sâexerce par simple contact, elle ne sâopĂšre Ă distance que sur certains sujets susceptibles de ressentir les plus lĂ©gĂšres impressions. Mais comment cette triple action sâopĂšre-t-elle? quel est le principe qui sâinsinue ainsi dans les corps? De Jussieu pense que ce principe est la chaleur et voici de quelle maniĂšre il dĂ©veloppe cette hypothĂšse A lâexemple de Locke et de Condillac, que peut-ĂȘtre U 210 CINQUIĂME LEĂON, il aurait dĂ» citer, il admet dâabord dans les corps animes deux principes celui de la matiĂšre et celui du mouvement. Ce dernier, suivant lui, doit ĂȘtre regardĂ© comme lâagent immĂ©diat de toutes les fonctions animales. DirigĂ© par des lois immuables ou altĂ©rĂ© quelquefois par des causes Ă©trangĂšres, il tend toujours Ă suivre lâimpression primitive et gĂ©nĂ©rale qui lui a Ă©tĂ© donnĂ©e; mais il est souvent dĂ©tournĂ©, altĂ©rĂ©, repoussĂ© par les corps soumis Ă son action. Cherchant toujours Ă se mettre en Ă©quilibre, il sâinsinue dans les uns et il sâĂ©chappe des autres, en raison de sa quantitĂ© contenue en chacun dâeux. Mobile par essence, il se fixe en devenant partie dâeux-mĂȘmes; mais, dĂ©gagĂ© ensuite, il reprend sa premiĂšre nature pour aller se fixer dans dâautres corps. Câest ainsi que les ĂȘtres, mus par ce principe , le donnent et le reprennent continuellement. Principe de mouvement dans la naturee entiĂšre, il devient celui de la chaleur animale dans les corps vivants; de lĂ cette correspondance marquĂ©e entre les variations de lâatmosphĂšre et lâĂ©tat de nos organes. >' De Jussieu nâattache, au reste, quâune importance mĂ©diocre, Ă cette conception dâun agent particulier, principe de lĂ chaleur animale ; et il consentirait aisĂ©ment Ă ce quâon ne vĂźt dans cet agent quâune modification de lâĂ©lectricitĂ© ou du fluide magnĂ©tique minĂ©ral. J.,a matiĂšre introduite dans le corps animal, dit-d , et transformĂ©e en sa substance, change pour ainsi dire de nature en devenant organique; de mĂȘme, le principe actif, qui dans lâair est simplement Ă©lectrique, reçu dans le corps animal modifiĂ© par son union avec la RAPPORTS SUU LE MAGNĂTISME IE 1784. 211 matiĂšre, et par lâimpression organique, y prend une autre forme et diverses propriĂ©tĂ©s seeondaires, eu restant nĂ©anmoins assujetti aux lois primitives.» La principale de ces lois est celle de lâĂ©quilibre, Ă laquelle le fluide Ă©lectrique obĂ©it constamment lorsquâil est abandonnĂ© Ă lui-mĂȘme. PoussĂ© par cette force impĂ©rieuse, ce fluide se jette avec impĂ©tuositĂ© sur les corps privĂ©s dâĂ©lectricitĂ©, et sâĂ©chappe avec le mĂȘme effort de ceux dans lesquels il est accumulĂ©. Cet effort, exercĂ© du centre Ă la circonfĂ©rence, forme autour de ces derniers une atmosphĂšre Ă©lectrique, dĂ©montrĂ©e par les expĂ©riences, sensible au tact, et plus ou moins Ă©tendue, selon la quantitĂ© et lâactivitĂ© du fluide contenu, selon la forme du corps qui le contient. Elle est plus circonscrite autour des surfaces unies; elle se porte plus loin au-devant des prolongements aigus, et câest prĂ©cisĂ©ment par ces derniers que la communication est mieux Ă©tablie. RĂ©pandu dans lâair sans sâunir Ă lui, ayant avec lâeau la plus grande affinitĂ©, ce fluide est saisi par les vapeurs Ă©levĂ©es de terre; condensĂ© dans les nuages, il y forme de grands mĂ©tĂ©ores; ramenĂ© sur la terre avec lâeau de la pluie, il la pĂ©nĂštre et y porte la vie et la fĂ©conditĂ©. » De Jussieu suppose que le mĂȘme principe, modifiĂ© dans les corps organiques, doit suivre Ă peu prĂšs les mĂȘmes lois; câest-Ă -dire quâil tendra sans cesse Ă se mettre en Ă©quilibre dans des diffĂ©rents ĂȘtres en contact ou rapprochĂ©s les uns des autres, et dont chacun, suivant sa constitution particuliĂšre, sera plus ou moins apte Ă lâattirer ou Ă le retenir. Tout ĂȘtre vivant, dit-il, est un vĂ©ritable corps Ă©lectrique, constamment imprĂ©- 212 CINQUIĂME LEĂON. guĂ© de ce principe actif, niais non pas toujours eu mĂȘme proportion. Les uns en ont plus, et les autres moins; de lĂ , en partie, cette diffĂ©rence, soit dans les tempĂ©raments, soit dans les constitutions journaliĂšres. » De Jussieu prend peut-ĂȘtre ici la cause pour lâeffet; mais sa rĂ©flexion nâen dĂ©note pas moins une rare perspicacitĂ©; il continue ainsi 3 mocritePDâoĂč venait cette image? car, suivant DĂ©mo- crite, les images Ă©manent des corps solides qui ont une forme certaine. QuâĂ©tait-ce donc que le corps de Marius? âCelui, rĂ©pondra DĂ©mocrite, quâil avait autrefois, car tout est plein dâimages. â Câest donc lâimage de Marius qui me suivait prĂšs dâAttina * ? » Que signifie ce commentaire sur le corps rĂ©el ou fictif de Marius, puisque son frĂšre ne prĂ©tendait pas que ce dernier fĂ»t sorti de sa tombe pour lui parler? Quand jâĂ©tais proconsul en Asie, lui dit Quintus, comme pour le convaincre, il me sembla vous voir Ă cheval au bord dâun fleuve. Vous y tombĂątes avec votre cheval; mais, tout Ă coup, vous reparĂ»tes Ă lâautre rive, montĂ© sur le mĂȘme cheval; nous nous embrassĂąmes 2 . » CicĂ©ron avoue le fait Oui, dit-il, mais comme vous pensiez a moi, vous crĂ»tes me voir sortir du fleuve. C'est que nous gardions tous deux, dans notre Ăąme, des traces de ce qui nous occupait avant notre sommeil 3 . » a Mais je vous ai vu Ă cheval , rĂ©pliqua Quintus, vous tombiez dans le fleuve avec votre cheval. â Oui, mais vous pensiez Ă moi, je pensais Ă vous, il y avait sympathie, et vous avez cru me Mais le fait en lui-mĂȘme, si nettement dĂ©terminĂ©, mais la chute dans le fleuve; mais le cheval, qui ne pensait pas plus Ă Quintus que celui-ci ne pensait Ă lui, et qui nâavait certainement pas laissĂ© de traces dans * De la divination, liv. n, S 48- a Id., § 28 . * Id., § 48 . 364 NEUVIĂME LEĂON. son amei... Quintus a-t-il vu tout cela, oui ou non? â AssurĂ©ment CicĂ©ron divague, et il le sent bien, car il ajoute Il est vrai quâil se joint Ă votre songe lâidĂ©e du cheval que je montais, et qui, dâabord englouti avec moi, reparut avec moi sur lâautre rive. Mais.... croyez-vous quâil se trouvĂąt quelque vieille assez insensĂ©e pour ajouter foi aux songes sâils nâof- fraient quelques hasards de ce genre? » Ce dernier trait, messieurs, peint lâauteur du TraitĂ© sur la divination, livre qui a pourtant servi de modĂšle Ă tant dâouvrages du mĂȘme genre que nous nous dispenserons de rĂ©futer. Laissant de cĂŽtĂ© dĂ©sormais la partie dogmatique, je vais consacrer le reste de cette leçon Ă lâexamen rapide des principaux faits de somnambulisme dont le monde sâest occupĂ©. Je dis seulement des principaux, car ces faits sont innombrables; vous ne pouvez manquer de le comprendre. Mais il en est parmi ceux dont jâai avons entretenir qui ont exercĂ© sur les destinĂ©es humaines une influence considĂ©rable. En vous exposant dans ma deuxiĂšme leçon lâhistoire du magnĂ©tisme, je nâai pu mâempĂȘcher de vous citer les lois de MoĂŻse qui frappaient les pythies et ceux qui les consultaient. Les quelques versets de XExode et du DeutĂ©ronome que je vous ai rapportĂ©s renferment Ă peu prĂšs ce que nous possĂ©dons de plus prĂ©cis sur lâhistoire du somnambulisme chez les Egyptiens et les HĂ©breux. Ces pythies, dont il est question dans les versets, Ă©taient, selon toute apparence, des somnambules magnĂ©tiques; mais nous ne savons sâil en Ă©tait de mĂȘme Ă e Samuel, que SaĂŒl alla consulter pour savoir HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 365 ce quâĂ©taient devenues les Ăąnesses de son pĂšre, Ă©garĂ©es depuis plusieurs jours', et des quatre cents prophĂštes quâAchab, roi dâIsraĂ«l, rassembla pour apprendre dâeux sâil devait faire la guerre pour prendre Ramotb en Galaad 2 . Samuel et les prophĂštes dâAchab, que lâĂcriture dĂ©signe sous le nom de voyants, Ă©taient peut- ĂȘtre des extatiques. Deleuze, dans son MĂ©moire sur la prĂ©vision, a traitĂ© en philosophe chrĂ©tien la question des grands prophĂštes et des faux prophĂštes. Les premiers, selon lui, Ă©taient rĂ©ellement inspirĂ©s de lâesprit divin, tandis que les faux prophĂštes nâĂ©taient que des somnambules. Câest- Ă -dire que les uns et les autres voyaient lâavenir, mais les premiers seulement pouvaient prĂ©dire avec certitude les Ă©vĂ©nements les plus Ă©loignĂ©s, et notamment celui quâils avaient mission dâannoncer aux hommes. Quant Ă moi, jâadopte aveuglĂ©ment les opinions de Deleuze sur ce sujet dĂ©licat, et, dans la crainte dâĂȘtre conduit par une discussion trop indĂ©pendante Ă dâautres conclusions que les siennes, je mâempresse dĂ©placer la question sur un terrain moins pĂ©rilleux en vous parlant des oracles. Les oracles sont aux thĂ©ogonies paĂŻennes ce que les prophĂštes sont au christianisme. Ils eurent, comme eux, pendant des siĂšcles, un caractĂšre sacrĂ© que respectĂšrent les philosophes de la GrĂšce. Dieu, dit Socrate, ne se manifeste pas immĂ©diatement Ă râhomme câest par lâentremise des esprits que les dieux commercent avec les hommes et leur 1 Rois, liv. iii, cliap. y. * Id., chap. 33. 366 NEUVIĂME LEĂON. parlent, soit pendant la veille, soit pendant le sommeil *. » Lâorigine des oracles se perd dans la nuit des temps. Celui de Jupiter Ammom, dans la Libye, et celui de Dodoue, en GrĂšce, passent pour les plus anciens 2 ce dernier, suivant Macrobe, existait dĂ©jĂ quatorze cents ans avant JĂ©sus-Christ 3 . Cependant Plutarque qui vivait dans le premier siĂšcle de lâĂšre chrĂ©tienne, avance que lâoracle de Delphes comptait alors plus de trois mille ans dâexistence *. Si, dâun autre cĂŽtĂ©, lâon en croit les poĂštes, Cassandre chez les Troyens, et, dans le Latium, Nicostrate ou Carmente, mĂšre dâEvandre, sont les plus anciens oracles connus. Enfin, la sybille de Cumes, suivant Virgile, prĂ©disait dĂ©jĂ dans la Campanie lorsquâon y aborda s . Au surplus, la question dâanciennetĂ© est ici tout Ă fait oiseuse; car, si la nature humaine nâest pas changĂ©e depuis la crĂ©ation du monde, il est plus que probable quâil y eut de tout temps des extatiques, et partant des oracles. Le grand nombre de ceux dont lâhistoire nous a conservĂ© le souvenir prouve dâailleurs combien Ă©tait gĂ©nĂ©rale la foi quâils inspiraient au beau temps de la GrĂšceet connaissait alors, indĂ©pendamment de ceux que jâai nommĂ©s dĂ©jĂ , les oracles de Jupiter * Platon, Banquet, t. VI, p. 298. * Strabon, liv. xvii, t. III, p. 117. 5 Macrobe, Saturnales , liv. 1, chap. 28. 4 Plut., Des oracles de la-pythie, p. 184. â ĂneĂŻde, lib. vx. HISTOIRE DU SOMNAMBĂŒLISME. 367 Olympien Ă AgĂ©sipolis, de Vulcain Ă HĂ©liopolis, dâApollon Ă Claros, de Mars dans la Thrace, de VĂ©nus Ă Aphaca, dâEsculape Ă Epidaure, Ă EgĂ©e et Ă Rome, de SĂ©rapis et dâIsis en Ăgypte, de Trophonius et dâAm- phiaraĂŒs en GrĂšce, de Mopsus en Cilicie, etc., etc. Mais le plus cĂ©lĂšbre de tous Ă©tait sans contredit celui de Delphes, sur lequel saint Basile, OrigĂšne et saint ChrysostĂŽme nous ont conservĂ© les dĂ©tails les plus intĂ©ressants. Il est impossible, aprĂšs avoir lu ces PĂšres, de ne pas reconnaĂźtre le somnambulisme, et prĂ©alablement lâaccĂšs dâhystĂ©rie qui si souvent le prĂ©cĂšde et le dĂ©termine dans les fureurs de la pythie, si bien dĂ©crites par Virgile. Saint Basile sâexprime ainsi Vous parlerai-je de la pythie? la pudeur mâarrĂȘte; elle devrait me fermer la bouche. Il est pourtant nĂ©cessaire que je rĂ©vĂšle ses indĂ©cents mystĂšres pour faire connaĂźtre et la turpitude des prĂȘtres et la folie de ceux qui les consultaient. La pythie, donc, Ă©tait forcĂ©e de sâasseoir sur le trĂ©pied dâApollon, les jambes Ă©cartĂ©es. Le mauvais esprit se glissait par les parties sexuelles, et remplissait la pythie de fureur 1 . CâĂ©tait alors que ses cheveux se dressaient, quâelle se dĂ©battait violemment, rendait lâĂ©cume par la bouche et profĂ©rait des mots pleins dâivresse et de folie. » OrigĂšne 2 et saint ChrysostĂŽme 3 rapportent le fait de la mĂȘme maniĂšre et presque dans les mĂȘmes termes. Dicitur ergo ipso, pythia mulier queedam sedere in Apollinis tripode deduclis cruribus ; inde malus spiritus deorsum reddilus, et per gĂ©nitales ejus partes transiens, furore mulierem implere. S. Basil., supra prima Epistol. ad Corinthios. * Narratur valem illam desidere super foramen specus caslalii, 368 NEUVIĂME LEĂON. Mais quel Ă©tait cet esprit malin malus spiritus qui sâintroduisait dans le corps de la prĂȘtresse? Ă©videmment une exhalaison du sol, une vapeur volcanique, un gaz, peut-ĂȘtre un sulfure dâhydrogĂšne, et plus vraisemblablement de lâacide carbonique, dont il existe encore aujourdâhui des rĂ©servoirs naturels dans le voisinage de plusieurs volcans, et notamment dans la fameuse grottedu Chien, prĂšs de Pouzzoles. Ce gaz, ou cette vapeur, en pĂ©nĂ©trant dans lâutĂ©rus des jeunes femmes quâon exposait cĂ son influence, dĂ©terminait chez elles lâexaltation frĂ©nĂ©tique et les symptĂŽmes bizarres que dĂ©crivent les historiens ; mais ceci demande explication. LâhystĂ©rie, maladie trĂšs-frĂ©quente de nos jours comme elle le fut peut-ĂȘtre dans tous les temps, estime affection nerveuse particuliĂšre aux femmes, et dont le siĂšge est la matrice. Les mĂ©decins modernes sont fixĂ©s sur ce point, et Broussais affirme, dans son Cours de pathologie gĂ©nĂ©rale, avoir soignĂ© une hystĂ©rique chez laquelle ou dĂ©terminait infailliblement lâaccĂšs en pinçant le col utĂ©rin. Un trĂšs-grand nombre dâexpĂ©riences faites il y a quelques annĂ©es Ă lâhospice de lâOursine ont prouvĂ©, en outre, que lâintroduction dans la matrice dâun liquide irritant ou simplement astringent, tel que la dĂ©coction et ascendentem indc spirilum per muliebre gremium recipere, quo repleta profert ista prĆclara et divina, ut putantur, oracula. Okig. contr. Cels., lib. vii. 3 Dicitur pythia insedere Iripodi quandoque Apollinis , ac qui- dem cruribus apertis; sicque malignum spirilum inserere, in corpus ejus penetranlem, ipsam implere Jurorc. S. Ciirvsostomus, Homel. 20, in Cor. 22. HISTOIKK DU SOMNAMBULISME. 360 de noix de galle, donne lieu instantanĂ©ment aux accidents hystĂ©riques les mieux caractĂ©risĂ©s. De simples injections dâeau froide ont meme suffi plusieurs fois pour produire le mĂȘme effet. â Le gaz qui se dĂ©gageait sous le trĂ©pied sacrĂ© agissait donc Ă la maniĂšre de ces corps Ă©trangers. Il nâest pas Ă©tonnant, dit M. le comte Abrial, que la pythie sentant les premiĂšres atteintes de celte vapeur malfaisante, cherchĂąt Ă sây soustraire en quittant le trĂ©pied, mais les prĂȘtres Ă©taient lĂ qui lây retenaient malgrĂ© elle. De lĂ tous les symptĂŽmes quâon attribuait Ă la prĂ©sence du dieu, qui Ă©tait censĂ© la dompter la poitrine oppressĂ©e, lâĆil Ă©garĂ©, la bouche Ă©cumante. Si, malheureusement, on ne gardait pas de mesure dans lâintroduction de la vapeur, lâĂ©tat de la pythie devenait affreux. On en a vu succomber, dâautres rester deux ou trois jours Ă se remettre. BientĂŽt on reconnut quâune seule pythie ne pouvait suffire Ă des expĂ©riences si dangereuses, on en multiplia le nombre L » Lorsque la pythie Ă©tait descendue du trĂ©pied, elle tombait dans une langueur profonde qui se dissipait peu Ă peu, aprĂšs quoi elle reprenait ses sens et oubliait ses prophĂ©ties. Les oracles de Delphes nâĂ©taient donc que des hystĂ©riques; tous les mĂ©decins en conviendront; mais ils ne manqueront pas dâobjecter, en mĂȘme temps, que lâhvs- tĂ©rie nâĂ©tant pas toujours accompagnĂ©e dâextase ou de somnambulisme ces deux mots, pour nous,sont dĂ©sormais synonymes les influences de lâantre sacrĂ©, tout en expliquant les Jureurs des prĂȘtresses, ne rendent pas 1 Annales du magnĂ©tisme, n° xxx. *24 370 NEUVIĂME LEĂON, compte de leurs visions. Or, Ă cela je rĂ©pondrai i° que nous ignorons ce que devient lâhystĂ©rie lorsque la cause qui la provoque agit sans interruption pendant un temps plus ou moins long ; 2 ° que cette cause Ă©tant ici dâune nature spĂ©cifique, il pouvait en rĂ©sulter des effets particuliers; 3° enfin, que, selon toute probabilitĂ© , les prĂȘtres dâApollon choisissaient leurs sujets et ne conservaient pour lâusage public de leur culte que ceux dont la constitution rĂ©pondait Ă ses exigences. Diodore de Sicile nous fait connaĂźtre comment lâoracle de Delphes fut dĂ©couvert, et son rĂ©cit concorde avec nos conjectures Cet oracle, dit-il, fut trouvĂ© par des chĂšvres. Il sâĂ©tait formĂ© une ouverture dans la terre, lĂ oĂč est aujourdâhui le temple. Quelques chĂšvres sâen Ă©tant approchĂ©es, on fut Ă©tonnĂ© de leur voir faire des sauts extraordinaires et rendre des sons plus extraordinaires encore. Un pĂątre curieux veut connaĂźtre la cause de ce prodige il avance sa tĂȘte sur lâouverture, et aussitĂŽt, saisi dâune fureur divine, il se met Ă prĂ©dire lâavenir. Le bruit sâen rĂ©pand; tout le monde accourt, chacun veut essayer sâil obtiendra la vertu prophĂ©tique. Le succĂšs est constant. Mais il arriva bientĂŽt que des prophĂštes trop avides furent victimes de leur curiositĂ© et pĂ©rirent par la force de la vapeur. Ce fut alors quâon imagina de confier le sort de lâoracle Ă une femme '. » Enfin, HĂ©rodote ajoute que bientĂŽt, au lieu dâune, on en choisit plusieurs 2 . 1 Diodore, Devila Alexandri. * HĂ©rodote, Erato. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 371 Ainsi, le trouble prophĂ©tique ou le somnambulisme qui, Ă Delphes, sâemparait de la pythie, nâavait rien que de naturel, puisque lâĂ©manation qui le produisait agissait sur les profanes aussi bien que sur elle-mĂȘme, sur les animaux comme sur les hommes, et ce fut lorsque cette vapeur se perdit dans la terre que lâoracle cessa , ainsi que Plutarque et CicĂ©ron en ont fait la remarque. Au surplus, lâantre de Delphes nâĂ©tait pas le seul qui communiquĂąt le don de prophĂ©tiser, et lâon voyait naĂźtre des oracles partout oĂč les prĂȘtres dĂ©couvraient des rĂ©servoirs dâacide carbonique je persiste dans cette hypothĂšse formĂ©s par la nature dans des terrains volcaniques dont le temps a aujourdâhui Ă©puisĂ© les Ă©manations. Tel Ă©tait lâantre de Trophonius, oĂč descendit le jeune Titnaxâque pour consulter le dieu et recevoir ses communications en songe. Le prĂȘtre qui le conduisait eut soin de le faire coucher sur le sol, pour le rendre plus accessible Ă lâinfluence du gaz, qui, plus lourd que lâair atmosphĂ©rique, en occupe toujours les couches infĂ©rieures. Timarque reçut alors un violent coup au cerveau, sorte dâĂ©tourdissement apoplectique qui prĂ©cĂ©da son soiĂŻimeil. Strabon parle dâune caverne du mĂȘme genre, quâil place entre FralcĂšs et NĂ©pĂ©, et qui Ă©tait consacrĂ©e Ă Pluton et Ă Junon, dont elle surmontait le temple. Les malades se rendaient Ă lâentrĂ©e de cette caverne; les prĂȘtres allaient y dormir pour eux, et revenaient ensuite leur indiquer les remĂšdes quâils avaient vus en songe. Si les malades voulaient consulter eux-mĂȘmes, on les conduisait plusieurs fois dans lâantre oĂč lâon finissait par les laisser plusieurs jours sans nourriture; 372 NEUVIĂME LEĂON, aprĂšs quoi ils sâendormaient du sommeil prophĂ©tique, et lâen recueillait, pour les leur rapporter, les paroles quâils prononçaient. Ce lieu, ajoute Strabon , Ă©tait inaccessible et mortel Ă tous ceux qui y pĂ©nĂ©traient sans lâassistance des prĂȘtres. Chaque annĂ©e, lâon cĂ©lĂ©brait une fĂȘte prĂšs de cet antre sacrĂ©. Des jeunes gens nus et frottĂ©s dâhuile donnaient la chasse Ă un taureau quâils forçaient dây entrer. Parvenu Ă un certain endroit, lâanimal tombait mort 1 , ce qui sâexplique aisĂ©ment le taureau, comme les profanes qui sâaventuraient sans guides, Ă©tait asphyxiĂ© en arrivant au fond de la caverne, oĂč lâacide carbonique nâĂ©tait plus mĂȘlĂ© dâair respirable. Le hasard qui fit dĂ©couvrir les Ă©manations gazeuses et leur merveilleux effet, conduisit sans doute les prĂȘtres paĂŻens Ă chercher dans dâautres agents des propriĂ©tĂ©s analogues. VoilĂ donc comment ils reconnurent que certaines eaux jouissaient aussi bien que les vapeurs de Delphes, de Trophonius, etc., de la vertu dâinspirer lâesprit prophĂ©tique. Jamblique parle en ces termes de la fontaine de Co- lophone Il est reconnu par tout le monde, que lâoracle de Colophone rend ses rĂ©ponses par lâeau. Il est constant, en effet, quâil y a dans un antre souterrain une fontaine de laquelle boit le prophĂšte. AprĂšs que toutes les formalitĂ©s prescrites ont Ă©tĂ© remplies pendant plusieurs nuits et que le prophĂšte a bu de cette eau, il vaticine, rendu invisible Ă tous les assistants. On reconnaĂźt bien aisĂ©ment par lĂ que cette eau est divinatrice 5 . » 1 Strabon, liv. xiv. * Jamblique, De mysleriis, sect. in, c. aa. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 373 On reconnaĂźt aussi, ajouterons-nous, que cette invisibilitĂ© du prophĂšte nâĂ©tait quâune charlatanerie bien aisĂ©e Ă pratiquer au fond dâun antre. Mais tel Ă©tait lâusage des prĂȘtres du paganisme ils cherchaient constamment Ă dĂ©guiser la vĂ©ritĂ©, en donnant aux choses les plus simples le prestige du merveilleux. Quelle Ă©tait la composition de lâeau sacrĂ©e de Colo- phone? Devait-elle Ă ses propriĂ©tĂ©s naturelles ou aux ingrĂ©dients quâon y mĂȘlait lâaction quâelle exerçait sur les centres nerveux? câest ce que nous ignorons. Nous savons, Ă la vĂ©ritĂ©, que les eaux gazeuses portent au cerveau, et dĂ©terminent mĂȘme chez quelques personnes dĂ©licates une sorte dâivresse passagĂšre, qui nâest pas sans rapport avec lâextase; mais cette circonstance ne suffirait pas pour nous rendre compte des oracles de Colophone, si les auteurs ne nous apprenaient que le prophĂšte, tout en buvant lâeau divine, se prĂ©parait pendant plusieursnuits Ă en subir lâinfluence. Cette prĂ©paration consistait peut-ĂȘtre Ă garder lâabstinence, pratique usitĂ©e, comme nous lâavons vu, dans lâantre deTropho- nius. Or, on sait aujourdâhui quâune diĂšte rigoureuse, continuĂ©e pendant plusieurs jours , prĂ©dispose singuliĂšrement aux visions et aux hallucinations, câest-Ă -dire Ă un Ă©tat dâexaltation cĂ©rĂ©brale qui diffĂšre peu de lâextase. Pline le naturaliste confirme la vertu prophĂ©tique de lâeau de Colophone, mais sans parler de lâinvisibilitĂ© du prophĂšte, et en ajoutant quâun usage trop frĂ©quent de cette eau pouvait abrĂ©ger la vie * Colophone in Clarii Apollinis specie lacuna est, cujus potu mirareddunturoiacula, bibentium breviore vila.» Plin., lib. il, c. io5. 374 NEUVIĂME LEĂON. Lâorateur Aristide, dans lâĂ©loge quâil fait du puits dâEsculape, Ă Pergame, dit aussi quelques mots des fontaines sacrĂ©es qui communiquaient le don de prophĂ©tie 1 . Enfin SĂ©nĂšque parle, dans ses Questions naturelles, du fleuve Lyncestius, et de plusieurs lacs dont les eaux rendaient furieux ou endormaient ceux qui en avaient bu. Ces eaux, dit-il, ont une force semblable Ă celle du vin, mais plus active; car de mĂȘme que lâivresse, tant quâelle subsiste est une dĂ©mence qui se termine par lâassoupissement, de mĂȘme la force sulfureuse de cette eau a quelque chose de pĂ©nĂ©trant qui transporte lâesprit de fureur ou lâaccable par le sommeil 2 . » VoilĂ , messieurs, des tĂ©moignages dont la gravitĂ© ne saurait nous laisser de doute sur lâexactitude des faits. Mais quant Ă la vĂ©ritable nature de ces faits eux-mĂȘmes, câest-Ă -dire quant aux causes qui les produisaient, nous ne pouvons que nous livrer Ă des conjectures. Existait-il rĂ©ellement des eaux narcotiques ou enivrantes, qui, sans aucune prĂ©paration , dĂ©terminaient le somnambulisme? Les prĂȘtres dâEsculape, indubitablement initiĂ©s au magnĂ©tisme, avaient-ils aussi le secret de magnĂ©tiser lâeau des fontaines? Enfin, y mĂȘlaient-ils, dans des proportions convenables, certains spĂ©cifiques dont lâeffet leur Ă©tait connu?... Ce qui, dans ces temps reculĂ©s, Ă©tait dĂ©jĂ pour les profanes un mystĂšre impĂ©nĂ©trable, doit, Ă plus forte raison, en rester un pour nous. Au surplus, tous les oracles nâĂ©taient pas inspirĂ©s ou mis en crise par des agents extĂ©rieurs. 11 y avait parmi eux des individus sujets Ă des accĂšs de som- ' Aristid., OpĂ©ra, tom. I, p. 447- s Senec., Quest. natur., lib. h, cap. io3. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 375 nambulisme spontanĂ© et quelquefois mĂȘme volontaire. Telle Ă©tait, apparemment, la sibylle de Cumes, que Tacite fait arriver Ă Rome, sous le rĂšgne de Tarquin, lâan du monde 34^5 *. Tous les visionnaires ou les crisiaques de lâantiquitĂ© nâĂ©taient pas indistinctement considĂ©rĂ©s comme des oracles; mais tous, nĂ©anmoins, avaient aux yeux du vulgaire un caractĂšre sacrĂ© auquel plusieurs ont dĂ» une grande partie de la renommĂ©e qui leur a survĂ©cu. Socrate est le plus cĂ©lĂšbre des extatiques de la GrĂšce. Platon, son Ă©loquent interprĂšte, ne nous laisse aucune incertitude sur la nature de ses crises. Elles le prenaient subitement, lâisolaient du monde extĂ©rieur, et câest alors quâil croyait entendre la voix dâun dieu ou dâun gĂ©nie qui lâinstruisait des pĂ©rils dont il Ă©tait menacĂ© et lui rĂ©vĂ©lait lâavenir. Socrate, au siĂšge de PolidĂ©e, eut une de ces crises qui dura douze heures, pendant lesquelles il demeura debout, immobile, au milieu dâune plaine et sous un soleil brĂ»lant. Ces accĂšs dâextase, selon toute apparence, se renouvelaient frĂ©quemment Laissez Socrate oĂč il est, dit AristodĂšme dans le Banquet ; il lui arrive souvent Ă e, sâarrĂȘter ainsi en quelque endroit quâil se trouve; vous le verrez bientĂŽt, si je ne me trompe; ne le troublez pas, et ne vous occupez pas de lui 2 . » Socrate avait nettement la conscience de ce qui se passait en lui pendant ses crises, car voici comment il en parle 1 Tacite, Hist., liv. i. 4 Platon, Banquet. 376 .NEUVIĂME Il me semble, mon cher Criton, que jâentends tout ce que je viens de dire, et le son de toutes ces paroles rĂ©sonne si fort Ă mes oreilles quâil mâempĂȘche dâentendre ce quâon me dit dâailleurs » Socrate, enfin, sans prĂ©voir exactement le retour de ses accĂšs, sentait quâils Ă©taient provoquĂ©s en lui parla nature des choses dont il sâoccupait, ou par les lieux oĂč il Ă©tait Ecoute-moi donc en silence, dit-il Ă PhĂšdre, car ce lieu a quelque chose de divin, et si les nymphes qui lâhabitent me causaient, dans la suite de mon discours, quelque transport frĂ©nĂ©tique, il ne faudrait pas tâen Ă©tonner 2 . » Ee gĂ©nie familier de Socrate a Ă©tĂ© lâobjet de commentaires nombreux. Parmi les critiques de cet homme cĂ©lĂšbre, ceux-ci ne virent que des hallucinations dans ses pressentiments, que ceux-lĂ traitaient de jongleries. Câest par pur hasard, disent les derniers, que Socrate allant souper chez AndroclĂšs, refusa de prendre la rue des Coffretiers, sous prĂ©texte quâil avait pressenti lâarrivĂ©e dans cette rue dâune troupe de pourceaux couverts dâordures, qui y passĂšrent en effet quelques moments plus tard; et câest encore par hasard quâĂ la bataille de DĂ©limn il eut la fantaisie de se sĂ©parer seul des fuyards, qui, en suivant la route quâil Ă©vita, tombĂšrent dans la cavalerie ennemie. Socrate, messieurs, nâĂ©tait ni un fou ni un charlatan ; câĂ©tait simplement.... un extatique. Le somnambulisme eut dans les premiers temps 4 Platon , Criton. 1 Id., PhĂšdre. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 377 de notre histoire le caractĂšre sacrĂ© que lui avait donnĂ© lâantiquitĂ© grecque. Les druidesses } que lâon consultait dans les occasions difficiles, Ă©taient entourĂ©es de vĂ©nĂ©ration chez tous les peuples des Gaules et de la Germanie. DouĂ©es de talents singuliers, dit un ancien gĂ©ographe , elles guĂ©rissent les maladies rĂ©putĂ©es incurables, connaissent lâavenir et lâannoncent aux hommes '. » Les druidesses Ă©taient donc consultĂ©es pour les maladies comme pour les affaires publiques. Elles vivaient dans la retraite, nâĂ©taient visitĂ©es que par les prĂȘtres ou par leurs parents, et recevaient des prĂ©sents en Ă©change de leurs conseils. La cĂ©lĂšbre VellĂšda, que M. de Chateaubriand fait figurer dans ses Martyrs, se tenait renfermĂ©e dans une haute tour dont elle ne sortait presque jamais. CâĂ©tait, nous dit Tacite, un de ses proches les plus distinguĂ©s qui allait la consulter, et qui rapportait sa rĂ©ponse comme celle dâun oracle ou dâun dieu 2 . Les druidesses Ă©taient-elles des extatiques ou des somnambules magnĂ©tisĂ©es par les druides? cette question se dĂ©robe avec tant dâautres sous le voile mystĂ©rieux qui couvrit toujours le culte de nos ancĂȘtres; mais les notions que les druides avaient certainement du magnĂ©tisme tendraient Ă me faire opiner dans le sens de la seconde hypothĂšse. Si le somnambulisme, aprĂšs avoir rendu dâĂ©minents services Ă lâantiquitĂ©, nâa laissĂ© dans le moyen Ăąge que de dĂ©plorables souvenirs, câest que le caractĂšre surnaturel que lui avaient conservĂ© lâignorance et la super- * Pomponius Meta, De situ orbis, t. III, c. 6. 3 Tacite, Hist., liv. iv. 378 NEUVIĂME LEĂON. stition ne pouvait sâharmoniser avec le dogme du christianisme. Lâempereur ThĂ©odose, Ă la fin du iv e siĂšcle, avait proscrit le culte des idoles, et les oracles cessĂšrent lorsque les lois eurent fermĂ© les temples paĂŻens. Alors les visions des extatiques nâĂ©tant plus sanctifiĂ©es par lâautoritĂ© du sacerdoce, ces malheureux se virent flĂ©tris par lâopinion publique qui, aprĂšs avoir adorĂ© en eux les interprĂštes de la DivinitĂ©, crĂ»t dĂ©couvrir dans leurs convulsions lĂ©s manifestations de lâesprit du mal. Il y eut pourtant, de loin en loin, quelques rares exceptions en faveur de personnes dont les vertus et la puretĂ© ne permettaient aucun genre de suspicion dĂ©shonorante. NĂ©anmoins comme on Ă©tait dans la nĂ©cessitĂ© de faire intervenir en pareils cas quelque puissance surnaturelle , ce fut la main de Dieu quâon crut voir Ă la place du gĂ©nie des tĂ©nĂšbres. Jeanue dâArc et sainte ThĂ©rĂšse eurent donc leur place exceptionnelle entre les sorciers et les possĂ©dĂ©s. Rappelons-nous, toutefois, que la premiĂšre, avant dâĂȘtre rĂ©habilitĂ©e par quelques Ă©crivains qui devançaient leur siĂšcle, fut brĂ»lĂ©e comme sorciĂšre; mais, cent ans aprĂšs, on canonisait dans sainte ThĂ©rĂšse les rĂ©vĂ©lations et les apparitions quâon avait condamnĂ©es comme Ćuvres du dĂ©mon dans la vierge de Vaucouleurs. â Toute lâhistoire du moyen Ăąge est dans ces deux biographies. DĂšs lâĂąge de treize ans, dit Jeanne dâArc, une voix se fit entendre Ă moi dans le jardin de mon pĂšre. Elle Ă©tait Ă droite, du cĂŽtĂ© de lâĂ©glise, et accompagnĂ©e dâune grande clartĂ©. Jâen eus peur dans les commencements. Mais je reconnus que câĂ©tait la voix dâun ange qui HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 379 mâa bien gardĂ©e depuis et qui mâa appris Ă bien me conduire et Ă frĂ©quenter lâĂ©glise. CâĂ©tait saint Michel '. » Le miracle , comme vous voyez, se prĂ©parait de loin , car il ne sâagissait pas encore de sauver Charles VII et la France. Remarquez, dâailleurs, comment les choses se passent La jeune fdle voit une grande clartĂ© en mĂȘme temps quâelle entend la voix; double hallucination qui caractĂ©rise lâexaltation cĂ©rĂ©brale et lâexpansion du sens interne. Quelques pieuses rĂ©miniscences font le reste. Cinq ans aprĂšs, une nouvelle crise a lieu; mais, cette fois, les prĂ©occupations de sa patrie et les dangers qui la menacent vont servir dâaliment aux facultĂ©s de lâextatique. Elle entend une voix qui lui dit Que Dieu a grandâpitiĂ© du peuple de France et quâil faut quâelle aille pour le sauver; quâelle trouvera Ă Vaucouleurs un capitaine qui la conduira, sans obstacle au roi 1 2 . » Le 12 fĂ©vrier 1428, jour mĂȘme du funeste combat de Rouvray-Saint-Denis, Jeanne dit Ă messire Robert de Beaudricourt, gouverneur de Vaucouleurs, que le roi a eu grand dommage devant OrlĂ©ans,.et au- rait encore plus si elle nâĂ©tait menĂ©e devant lui. » Lâexactitude de cette nouvelle anticipĂ©e dĂ©cide Beaudricourt Ă envoyer Jeanne au roi 3 . Le lendemain, au moment de son dĂ©part, quelques 1 Notice des manuscrits de la BibliothĂšque du roi, t. III, p. 36. 2 Jd., 3og. s Histoire de Jeanne dâArc, par Lebrun des Charmettes, t. I, p. 336. 380 NEUVIĂME LEĂON, personnes demandant Ă Jeanne comment il Ă©tait possible quâelle osĂąt entreprendre ce voyage Ă travers la foule de gens armĂ©s qui battaient le pays, elle rĂ©pondit quâelle trouverait le chemin libre. En effet, il ne lui arriva aucun accident, non plus quâĂ ceux qui lâaccompagnaient pendant ce voyage, qui dura onze jours, en pays ennemi, Ă la fin de lâhiver et sur une route de cent cinquante lieues coupĂ©e de riviĂšres profondes Au moment oĂč elle entra chez le roi, un homme Ă cheval qui la vit passer demanda Ă quelquâun Est-ce pas lĂ la Pucelle? Comme on lui rĂ©pondit affirmativement, il dit en reniant Dieu jarnidieu, que, sâil lâavait seulement une nuit, elle ne le quitterait pas vierge. Jeanne lâentendit, et, tournant la tĂȘte Ha, en mon Dieu! tu le renyes, dit-elle, et si prĂšs de ta mort! » Environ une heure aprĂšs, cet homme tomba dans lâeau et se noya 2 . Le mois suivant, Jeanne Ă©tant Ă Poitiers, dit aux docteurs qui Ă©taient chargĂ©s de lâexaminer i° Que les Anglais seraient battus et lĂšveraient le siĂšge quâils avaient mis devant OrlĂ©ans; a° que le roi serait sacrĂ© Ă Reims; 3° que la ville de Paris serait rendue Ă lâobĂ©issance du roi; 4° que le duc dâOrlĂ©ans reviendrait dâAngleterre. â Toutes ces prĂ©dictions sâaccomplirent. Lors du siĂšge dâOrlĂ©ans, il avait Ă©tĂ© rĂ©solu quâon attaquerait le fort du pont de cette ville occupĂ© par les Anglais. Jeanne assura quâil serait pris, et quâon rentrerait dans OrlĂ©ans a la nuit, parle pont. ' Histoire de Jeanne dâArc, etc., p. 56o-5;,6. * ld., p. 3^4. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 381 Elle ordonna Ă tout le monde dâĂȘtre prĂȘt de bonne heure, et Ă son confesseur de ne pas la quitter le lendemain car, dit-elle, jâaurai plus de choses Ă faire que jamais, et il sortira demain du sang de mon corps, vers mon sein. » Le lendemain, en effet, le fort fut attaquĂ© dans lâaprĂšs-midi. Jeanne reçut une flĂšche Ă lâĂ©paule et le soir, enfin, le fort fut enlevĂ©, et lâon rentra dans OrlĂ©ans par le pont, dans la nuit, comme Jeanne lâavait prĂ©dit. Au siĂšge de Jargeau, Jeanne dit au due dâAlençon Avant, gentil due, Ă lâassaut! » Le duc, trouvant que câĂ©tait trop prĂ©cipiter lâattaque , Jeanne rĂ©pliqua Lâheure qui plaĂźt Ă Dieu est prĂȘte. Il faut agir quand Dieu veut agir, et Dieu agira '. » Pendant quâon attaquait, elle lui dit tout Ă coup Ah! gentil due, vous craignez! ne savez-vous pas que jâai promis Ă votre femme de vous ramener sain et sauf! » Quelques instants aprĂšs, elle avertit le duc de quitter la place ou il Ă©tait ; ce que le duc ayant fait, M. de Lude arriva, prit cette place et y fut tuĂ©. â Jeanne tenait sa promesse au duc elle venait de lui sauver la vie. AprĂšs la prise de Beaugency, les Français et les Anglais se trouvant en prĂ©sence dans les plaines de Jauville, quelques officiers tĂ©moignaient leur inquiĂ©tude sur le projet dâengager une action avec des troupes infĂ©rieures en nombre Ă celles de lâennemi. Le duc dâAlençon demanda Ă Jeanne, en prĂ©sence de Aolice citc'e, p. 322 . 382 NEUVIĂME LEĂON. Dunois et autres, ce quâil fallait faire Avez-vous de bons Ă©perons? rĂ©pondit-elle. â Quoi donc! lui dirent- ils, est-ce que nous tournerons le dos? â Non, non ! sâĂ©cria Jeanne; mais les Anglais ne se dĂ©fendront pas, ils seront vaincus; il faudra prendre des Ă©perons pour courir aprĂšs eux. Le gentil roi aura aujourdâhui la plus grande victoire quâil a eue pieça , et mâa dit mon conseil que les Anglais sont tous nĂŽtres. » Les Anglais prirent en effet la fuite presque sans sâĂȘtre dĂ©fendus. On fit un grand nombre de prisonniers, et Talbot lui-mĂȘme fut obligĂ© de se rendre 1429 . Pendant sa captivitĂ©, Jeanne prĂ©dit, le I er mars i43o, quâavant sept ans les Anglais abandonneraient un plus grand gage quâils nâont fait devant OrlĂ©ans et perdraient tout en France. » Et Paris fut effectivement repris par les Français le i4 avril i436. Je nâai rien fait, disait-elle, quâen vertu des rĂ©vĂ©lations que jâai reçues et des apparitions que jâai vues, et mĂȘme dans tout mon procĂšs je ne parle jamais que dâaprĂšs ce qui mâest rĂ©vĂ©lĂ© 1 . » Jeanne dâArc nâĂ©tait pas constamment en extase ; mais quand elle entendait la voix, elle Ă©tait dans une si grande joie quâelle dĂ©sirait toujours ĂȘtre dans cet Ă©tat '. Jâai peu connu de somnambules qui ne mâen ait dit autant. Je vous ai signalĂ©, messieurs, dans ma prĂ©cĂ©dente leçon, une des circonstances capitales du somnambulisme lorsque je vous ai dit Les sujets magnĂ©tisĂ©s, quand ils 1 Notice citĂ©e, p. 3'i6-32g. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 383 sont parvenus Ă un certain degrĂ© du sommeil lucide, paraissent jouir de deux ordres distincts de perceptions et de facultĂ©s, dont les unes sont subordonnĂ©es au jeu naturel des sens, tandis que les autres, dâessence toute spĂ©ciale, ne semblent avoir aucun rapport avec le systĂšme organique dont Ă©manent nos sensations habituelles. De lĂ , nĂ©cessairement, chez les somnambules lucides, une double sĂ©rie dâidĂ©es hĂ©tĂ©rogĂšnes, et qui ne peuvent, sans confusion, se produire simultanĂ©ment. Aussi les voyons-nous, pour ainsi dire, oublier tour Ă tour leur luciditĂ©, pour raisonner avec nous sur les choses quâils perçoivent sans elle, et les moyens dâinduction dont ils font usage, Ă©veillĂ©s, pour sâabandonner aux impressions caractĂ©ristiques de leur Ă©tat actuel. Or, jâajoute , et ceci mĂ©rite toute votre attention, quâĂ ces deux Ă©lĂ©ments du systĂšme psychique des somnambules un troisiĂšme se mĂȘle quelquefois vĂ©ritable superfĂ©tation de lâappareil oĂč sâĂ©labore la ' pensĂ©e, l 'hallucination constitue cet Ă©lĂ©ment anormal. Jâentends, par hallucination, la formation dans les sens ou dans la pensĂ©e dâune image dont le type nâest que dans lâimagination, ou , pour parler dâune maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, la perception dâĂȘtres ou de faits qui nâexistent nulle part. Presque tous les somnambules, et principalement les extatiques ce qui tient sans doute Ă lâextrĂȘme irritabilitĂ© de leur cerveau, sont sujets aux hallucinations. Il nâest mĂȘme pas rare quâils en aient pendant la veille, circonstance qui, si elle se prolongeait, constituerait lâaliĂ©nation mentale. 384 NEUVIĂME LEĂON. a Il est, dâailleurs, Ă remarquer que les hallucinations rĂ©sultant vraisemblablement de la surexcitation de certaines parties de lâappareil encĂ©phalique, se rapportent constamment, par la nature des choses quâelles reprĂ©sentent, aux facultĂ©s dominantes des individus qui les Ă©prouvent. Ainsi, pour Jeanne dâArc T.,es pieux instincts de cette fdle lui font entendre la voix dâun ange; mais la suite le prouva lâhĂ©roĂŻne de Vaucouleurs a lâhumeur belliqueuse, et cet ange est saint Michel, le dieu Mars des chrĂ©tiens. Je dois vous dire, enfin, que les hallucinations, sorte dâintermĂ©diaires aux idĂ©es naturelles et Ă lâinspiration somnambulique, forment, dans certains cas, le lien qui les unit Ă©manĂ©es des premiĂšres, elles influent sur la derniĂšre Ă©t dĂ©cident de la direction dans laquelle elle sâexercera. VoilĂ comment Jeanne dâArc, dĂšs lâinstant oĂč elle a entendu la voix de lâange exterminateur, ne voit plus que des combats, ne prĂ©dit plus que des victoires, et finit par devenir un grand capitaine de bergĂšre quâelle Ă©tait. Il faut donc admettre que les hallucinations aprĂšs sâĂȘtre formĂ©es des propensions naturelles et des prĂ©occupations de la veille, rĂ©agissent Ă leur tour sur ces derniĂšres et les changent quelquefois en vĂ©ritables nous Ă©tonnonsdoncpas si de nobles penseurs, aprĂšs sâĂȘtre Ă©vertuĂ©s pendant quinze ou vingt ans de leur vie Ă la recherche d'une vĂ©ritĂ©, ont fini, comme Paracelse, Agrippa, Cardan et Van Hehnont, par avoir des instants de vertige, ou plutĂŽt dâĂ©blouissement,pareils Ă ceux quâaurait infailliblement lâhomme qui sâobsti- HISTOIRE DE SOMNAMBULISME. 385 nerait Ă fixer le mĂȘme objet pendant une journĂ©e entiĂšre. Ce fut ainsi que lâillustre et malheureux auteur de Ici JĂ©rusalem dĂ©livrĂ©e, perdit, rĂ©ellement la raison dans la contemplation extatique de In femme quâil que ce sentiment unique absorbait son gĂ©nie, son exubĂ©rante imagination lui crĂ©ait un monde fictif dans lequel il sâĂ©gara pendant plusieurs annĂ©es. La plupart des folies ont la mĂȘme origine, car la folie souvent touche de prĂšs lâextase; elle nâen diffĂšre que par la prĂ©dominance de lâĂ©lĂ©ment fictif ou de lâhallucination. De tous les personnages historiques prĂ©cĂ©demment citĂ©s, il nâen est aucun Ă qui les rĂ©flexions que je viens dâĂ©mettre sâappliquent mieux quâĂ sainte ThĂ©rĂšse. Sainte ThĂ©rĂšse est, Ă mes yeux, la plus suave figure de cette longue galerie mystique que le moyen Ăąge nous a laissĂ©e. NĂ©e au commencement dâun siĂšcle chevaleresque et dĂ©vot sous le ciel ardeut de lâEspagne 2 et au milieu du peuple le plus fanatique de la terre, elle sentit, dĂšs son enfance 3 , bouillonner dans son Ăąme les passions 1 Le 28 mars i5i5. s A Avila Vieille-Castille. 5 DĂšs lâĂąge Ăźle sept, ans elle manifesta sa vocation pour la vie religieuse. Un de ses oncles la rencontra un jour marchant rĂ©solument sur les bords de la riviĂšre dâAdaya, et fuyant la maison paternelle, en compagnie de son jeune frĂšre Rodrigue. Lâoncle les arrĂȘta au passage et leur demanda oĂč ils allaient ainsi Chercher le martyre chez les Mores, » rĂ©pondirent-ils. â Nos jeunes pĂšlerins furent ramenĂ©s Ă Avila, oĂč ils se consolĂšrent en bĂątissant de petits ermitages dans le jardin de leur pĂšre. â Cette anecdote caractĂ©rise lâexaltation prĂ©coce de sainte ThĂ©rĂšse et lâun des sentiments innĂ©s qui dominĂšrent sa vie. 25 386 NEUVIĂME LEĂON. . 5Ăż5. s MaudĂ©, Apologie clĂ©s grands hommes accusĂ©s cle magie, ch. 1 5, 392 NEUVIĂME LEĂON, pus le conclure des derniĂšres paroles du Tasse â Eh bien! me dit-il en se retournant vers moi, ĂȘtes-vous dĂ©sabusĂ©? vos doutes sont-ils levĂ©s ? âNon, rĂ©pondis- je, ils se sont accrus de nouveau; jâai bien entendu des choses merveilleuses, mais je nâai vu personne. âLe Tasse, en souriant, me dit Vous en avez plus vu et entendu que peut-ĂȘtre....â Et il se tut '. » Le Tasse Ă©tait donc extatique. Dans lâĂ©pisode que raconte Manso, lâimagination exaltĂ©e du poĂšte avait fait tous les frais du mystĂ©rieux entretien; câĂ©tait elle qui lui prĂ©sentait le prĂ©tendu gĂ©nie; câĂ©tait elle qui composait les questions et les rĂ©ponses; de sorte que le Tasse nous fournit une nouvelle preuve de ce qui a Ă©tĂ© rĂ©pĂ©tĂ© si souvent des notions Ă©tonnantes que manifestent quelquefois sur les matiĂšres les plus abstraites les somnambules et les crisiaques. Cardan , de mĂȘme que le dominicain Savonarolla et une foule dâautres extatiques dont je mâabstiens de vous parler, ont fait des prĂ©dictions qui se sont rĂ©alisĂ©es. Il nâest pas Ă ma connaissance que le Tasse ait rien prĂ©dit, ftlais cette circonstance ne change nullement lâopinion que je me suis faite de ce quâon est convenu dâappeler sa folie. Lâimagination Ă©tant naturellement la facultĂ© dominante de ce magnifique gĂ©nie, les hallucinations devaient masquer dansscs extases les impressions quâil recevait du monde rĂ©el. Campanella, dominicain comme Savonarolla, esprit fort Ă©levĂ©, auquel des socialistes modernes les four - riĂšrisles me paraissent avoir empruntĂ© une bonne YJauso, Vitadi Tnssn, vol. Il, p. 188 . HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 393 partie de leur systĂšme, Campanella se flattait dâavoir aussi son gĂ©nie familier. Toutes les fois que je suis menacĂ© de quelque malheur, dit-il, jâentends entre le sommeil et la veille une voix qui me dit clairement Campanella! Campanella! cette voix, de temps en temps, ajoute dâautres paroles. Quant Ă moi, jâattends.... et je ne sais qui cela est *. » Je nâen finirais pas, messieurs, si je voulais vous rapporter tous les faits du mĂȘme genre qui fourmillent dans les chroniques du moyen Ăąge. En citant ceux qui prĂ©cĂšdent, je nâai pas choisi les plus curieux, mais les plus authentiques. 11 est dâailleurs Ă©vident que, malgrĂ© les disparates quâils offrent entre eux, ces faits ont des caractĂšres communs et Ă©manaient dâun mĂȘme principe. Câest ce principe que, depuis soixante ans, les magnĂ©tiseurs cherchent Ă dĂ©montrer. Ainsi que jâai dĂ©jĂ eu plusieurs fois lâoccasion de vous le dire, lâextase est contagieuse. Lâhistoire des possessions, celle des trembleurs des CĂ©vennes 2 et des convulsionnaires de Saint-MĂ©dard, nous fourniraient aisĂ©ment la preuve de cette assertion. Mais ces faits sont tellement connus que je regarde comme inutile de vous eu faire le rĂ©cit. Rappelons-nous seulement que les possessions, qui plus dâune fois commencĂšrent par dâignobles jongleries, finirent presque toujours par des atrocitĂ©s. Les misĂ©rables quâon payait pour se faire 1 Campanella, De sensu rcrum, lib. iu, c. io. 4 Vnj. Ă la seconde leçon, p. 44 et suiv., lâhistoire des Camisards, et Ă la fin de la septiĂšme, p. 288, pour ce qui concerne les convulsionnaires. 394 NEUVIĂME LEĂON, exorciser, lorsquâils ne prenaient pas eux-mĂȘmes leur rĂŽle au sĂ©rieux, troublaient par leurs contorsions les esprits faibles et dĂ©vots. Ce fut justement ce qui arriva lors du procĂšs fameux du diacre Urbain Grandicr. Les ursulines de Loudun, dont la supĂ©rieure et une autre seulement avec elle servaient dâabord de complices aux accusateurs de ce prĂȘtre dĂ©bauchĂ©, finirent toutes par ĂȘtre prises de convulsions vĂ©ritables, pendant lesquelles elles paraissaient jouir des facultĂ©s de l'extase. Presque toutes les cĂ©rĂ©monies dâexorcisme donnaient lieu Ă de semblables rĂ©sultats; les saturnales des paĂŻens Ă©taient moins rĂ©voltantes que ces cĂ©rĂ©monies. Mais le temps oĂč elles avaient lieu est aujourdâhui loin de nous ; la rĂ©volution de 8g a mis Ă la raison le diable et ses complices. Cette rĂ©volution qui a produit tant de bien et tant de mal me rappelle un fait dâextase bien diffĂ©rent des possessions; câest la prĂ©diction de Cazotte, queDeleuze a consignĂ©e dans son MĂ©moire sur la PrĂ©vision. Cazotte, Ă©crivain spirituel, dâhumeur paisible, quelquefois enjouĂ©e, mais toujours fantasque, Ă©tait douĂ© dâune sensibilitĂ© vive nous ne savons rien de plus sur son tempĂ©rament. Lâanecdote qui suit en fait Ă mes yeux un ĂȘtre exceptionnel, le type du visionnaire, câest-Ă - dire de lâhomme chez qui lâextase se produit sans trouble apparent et ne se rĂ©vĂšle que par les perceptions qui dâordinaire nâappartiennent quâaux somnambules lucides. Encore nâen ai-je jamais rencontrĂ© parmi ces derniers qui portassent aussi loin la facultĂ© de prĂ©vision Il me semble que câĂ©tait hier, et câĂ©tait cependant HISTOIRE DĂŒ SOMNAMBULISME. 395 au commencement de 1788. Nous Ă©tions Ă table chez un de nos confrĂšres Ă lâAcademie, grand seigneur et homme dâesprit. La compagnie Ă©tait nombreuse et de tout Ă©tat gens de cour, gens de robe, gens de lettres, acadĂ©miciens, etc.; on avait fait grande chĂšre comme de coutume. Au dessert, les vins de Malvoisie et de Constance ajoutaient Ă la gaietĂ© de la bonne compagnie cette sorte de libertĂ© qui nâen gardait pas toujours le ton on en Ă©tait alors venu dans le inonde au point oĂč tout est permis pour faire rire. Chamfort nous avait lu de ses contes impies et libertins, et les grandes dames avaient Ă©coutĂ©, sans avoir mĂȘme recours Ă lâĂ©ventail. De lĂ un dĂ©luge de plaisanteries sur la religion. Lâun citait une tirade de la Pucelle , lâautre rappelait ces vers philosophiques de Diderot Et des boyaux du dernier prĂȘtre Serrez le cou du dernier roi ; et dâapplaudir. Un troisiĂšme se lĂšve, et tenant son verre plein Oui, messieurs, s'Ă©cria-t-il, je suis aussi sĂ»r quâil nây a pas de Dieu, que je suis sĂ»r qu'HomĂšre est un sot, et en effet il Ă©tait sĂ»r de lâun comme lâautre. La conversation devient plus sĂ©rieuse; on se rĂ©pand en admiration sur la rĂ©volution quâavait faite Voltaire, et lâon convient que câest lĂ le premier titre de sa gloire Il a donnĂ© le ton Ă son siĂšcle, et sâest fait lire dans lâantichambre connue dans le salon.» Un des convives nous raconta, en pouffant de rire, que son coiffeur lui avait dit, tout en le poudrant Voyez-vous, monsieur, quoique je ne sois quâun misĂ©rable carabin, je nâai pas plus de religion quâun autre. Ou conclut que la 396 NEUVIĂME LEĂON. rĂ©volution ne tardera pas Ă se consommer, quâil faut absolument que la superstition et le fanatisme fassent place Ă la philosophie, et lâon en est Ă calculer la probabilitĂ© de lâĂ©poque et quels seront ceux, de la sociĂ©tĂ© qui verront le rĂ©gnĂ© de la raison. Les plus vieux se plaignaient de ne pouvoir sâen flatter, les jeunes se rĂ©jouissaient dâen avoir une espĂ©rance trĂšs-vraisemblable; et lâon fĂ©licitait surtout lâAcadĂ©mie dâavoir prĂ©parĂ© le grand Ćuvre, et dâavoir Ă©tĂ© le chef-lieu, le centre, le mobile de la libertĂ© de penser. Un seul des convives nâavait point pris part Ă toute la joie de cette conversation, et avait mĂȘme laissĂ© tomber tout doucement quelques plaisanteries sur notre bel enthousiasme. CâĂ©tait Cazotte, homme aimable et original, mais malhcurement infatuĂ© des rĂȘveries des illuminĂ©s. Il prend la parole, et du ton le plus sĂ©rieux Messieurs, dit-il, soyez satisfaits, vous verrez tous cette grande et sublime rĂ©volution que vous dĂ©sirez tant. Vous savez que je suis un peu prophĂšte; je vous le rĂ©pĂšte, vous la verrez. On lui rĂ©pond par le refrain connu, faut pas ĂȘtre grand sorcier pour ça. â Soit; mais peut-ĂȘtre faut-il lâĂȘtre un peu plus pour ce qui me reste Ă vous dire. Savez-vous ce qui arrivera de cette rĂ©volution , ce qui en arrivera pour vous tous tant que vous ĂȘtes ici, et ce qui en sera la suite immĂ©diate, lâeffet bien prouvĂ©, la consĂ©quence bien reconnue? â Ah! voyons, dit Condorcet avec son air et son rire sournois et niais, un philosophe nâest pas fĂąchĂ© de rencontrer un prophĂšte. â Vous, monsieur de Condorcet, vous expirerez Ă©tendu sur le pavĂ© dâun cachot, vous mourrez du poison que vous aurez pris, pour vous HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 397 dĂ©rober au bourreau, du poison que le bonheur de ce temps-lĂ vous forcera de porter toujours sur vous. Grand Ă©tonnement dâabord; mais on se rappelle que le bon Cazolte est sujet Ă rĂȘver tout Ă©veillĂ©, et lâon rit de plus belle. â Monsieur Cazotte, le conte que vous nous faites ici nâest pas si plaisant que votre Diable amoureux 1 . â Mais, quel diable vous a mis dans la tĂȘte ce cachot et ce poison et ces bourreaux? quâest-ce que tout cela peut avoir de commun avec la philosophie et le rĂšgne de la raison? â Câest prĂ©cisĂ©ment ce que je vous dis; câest au nom de la philosophie, de lâhumanitĂ©, de la libertĂ©; câest sous le rĂšgne de la raison quâil vous arrivera de finir ainsi, et ce sera bien le rĂšgne de la raison, car alors elle aura des temples, et mĂȘme il nây aura plus dans toute la France en ce temps-lĂ que des temples de la raison. â Par ma foi, dit Chamfort avec le rire du sarcasme, vous ne serez pas un des prĂȘtres de ces temps-lĂ . âJe lâespĂšre; mais vous, monsieur de Chamfort qui en serez un, et trĂšs-digne de lâĂȘtre, vous vous couperez les veines de vingt-deux coups de rasoir, et pourtant vous nâen mourrez que quelques mois aprĂšs. On se regarde et on rit encore. â Vous, monsieur Vieq dâAzyr, vous ne vous ouvrirez pas les veines vous-mĂȘme, mais vous vous les ferez ouvrir six fois dans un jour au milieu dâun accĂšs de goutte , pour ĂȘtre plus sĂ»r de votre fait, et vous mourrez dans la nuit. Vous, monsieur de NicolaĂŻ, vous mourrez sur lâĂ©chafaud; vous, M. Bailly, sur lâĂ©chafaud; vous, monsieur Roman de Cazotte. 398 NEUVIĂME LEĂON. de Malesherbcs, sur lâĂ©chafaud. â Ali! Dieu soit bĂ©ni, dit Roucher, il paraĂźt que monsieur nâen veut quâĂ lâAcadĂ©mie; il vient dâen faire une terrible exĂ©cution; et moi, grĂące au ciel.... âVous, vous mourrez aussi sur lâĂ©chafaud. â Oh ! câest une gageure, sâĂ©crie-t-on de toutes parts,il a jurĂ© de tout exterminer. â Non, ce nâest pas moi qui lâai jurĂ©. â Mais nous serons donc subjuguĂ©s par les Turcs et les Tartares? Encore.... â Point du tout, je vous lâai dit vous serez alors gouvernĂ©s par la seule philosophie, par la seule raison. Ceux qui vous traiteront ainsi seront tous des philosophes, auront Ă tout moment dans la bouche les mĂȘmes phrases que vous dĂ©bitez depuis une heure, rĂ©pĂ©teront toutes vos maximes, citeront tout comme vous les vers de Diderot et de la Pucelle. â On se disait Ă lâoreille Vous voyez bien quâil est fou car il gardait toujours le plus grand sĂ©rieux. Est-ce que vous ne voyez pas quâil plaisante, et vous savez quâil entre toujours du merveilleux dans ses plaisanteries. âOui,rĂ©pondit Chamfort, mais son merveilleux nâest pas gai; il est trop patibulaire; et quand tout cela arrivera-t-il? â Six ans ne se passeront pas que tout ce que je vous dis ne soit accompli. â VoilĂ bien des miracles et cette fois câĂ©tait moi- qui parlais, et vous ne mây mettez pour rien. â Vous y serez pour un miracle tout au moins aussi extraordinaire vous serez alors chrĂ©tien. Grandes exclamations. â Ah! reprit Chamfort, je suis rassurĂ©; si nous ne devons pĂ©rir que quand La- harpe sera chrĂ©tien , nous sommes immortels. â Pour ça, dit alors madame la duchesse de Gram- niSTOIRE DU SOMNAMBULISME. 399 mont, nous sommes bien heureuses, nous autres femmes, de nâĂȘtre pour rien dans les rĂ©volutions quand je dis pour rien, ce nâest pas que nous ne nous en mĂȘlions toujours un peu; mais il est reçu que lâon ne son prend pas Ă nous, et notre sexe.... âVotre sexe, mesdames, ne vous en dĂ©fendra pas cette fois; et vous aurez beau ne vous mĂȘler de rien, vous serez traitĂ©es tout comme les hommes, sans aucune diffĂ©rence quelconque. â Mais,quâest-ce que vous nous dites donc lĂ , monsieur Cazotte? câest la fin du monde que vous nous prĂȘchez. â Je nâen sais rien ; mais ce que je sais, câest que vous, madame la duchesse, vous serez conduite Ă lâĂ©chafaud, vous et beaucoup dâautres dames avec vous, dans la charrette du bourreau et les mains liĂ©es derriĂšre le dos. â Ah! jâespĂšre que dans ce cas-lĂ , jâaurai du moins un carrosse drapĂ© de noir. â Non, madame, de plus grandes dames que vous iront comme vous en charrette, et les mains liĂ©es comme vous. â De plus grandes dames! quoi! les princesses du sang?... â De plus grandes dames encore.âIci un mouvement trĂšs-sensible dans toute la compagnie, et la figure du maĂźtre se rembrunit on commençait Ă trouver que la plaisanterie Ă©tait forte. Madame de Grammont, pour dissiper le nuage, nâinsista pas sur cette rĂ©ponse, et se contenta de dire du ton le plus lĂ©ger Vous verrez quâil ne me laissera pas seulement un confesseur. â Non, madame, vous nâen aurez pas, ni vous, ni personne. Le dernier suppliciĂ© qui en aura un par grĂące, sera.... Il sâarrĂȘta un moment. â Eh bien ! quel est donc lâheureux mortel qui aura cette prĂ©rogative? âCâest la seule qui lui restera; et ce sera le roi de France. 400 NEUVIĂME LEĂON. tf Le maĂźtre de la maison se leva brusquement et tout le monde avec lui. Il alla vers M. de Cazotte, et lui dit avec un ton pĂ©nĂ©trĂ© âMon cher monsieur Cazotte, câest assez faire durer cette facĂ©tie lugubre. Vous la poussez trop loin, et jusquâĂ compromettre la sociĂ©tĂ© oĂč vous ĂȘtes et vous-mĂȘme. â Cazotte ne rĂ©pondit rien, et se disposait Ă se retirer, quand madame de Gram- mont qui voulait toujours Ă©viter le sĂ©rieux et ramener la gaietĂ©, sâavança vers lui â Monsieur le prophĂšte, qui nous dites Ă tous notre bonne aventure, vous ne dites rien de la vĂŽtre.âIl fut quelque temps en silence, et les yeux baissĂ©s. â Madame, avez-vous lu le siĂšge de JĂ©rusalem, dans JosĂšphc? â Oh! sans doute, qui est- ce qui nâa pas lu cela! Mais faites comme si je ne lâavais pas lu. âEh bien, madame, pendant ce siĂšge un homme fit sept jours de suite le tour des remparts, Ă la vue des assiĂ©geants et des assiĂ©gĂ©s, criant incessamment dâune voix sinistre et tonnante malheur a JĂ©rusalem, et le septiĂšme jour il cria malheur Ă JĂ©rusalem! malheur a moi-mĂȘme! et dans ce moment une pierre Ă©norme lancĂ©e par des machines ennemies lâatteignit et le mit en piĂšces. Et aprĂšs cette rĂ©ponse, M. Cazotte fit la rĂ©vĂ©rence et sortit Quand je lus cette prĂ©diction Ă©tonnante pour la premiĂšre fois, dit Deleuze, je pensai que ce nâĂ©tait qu'une fiction de Laharpe, et que ce critique cĂ©lĂšbre avait voulu peindre lâĂ©tonnement dont auraient Ă©tĂ© frappĂ©es les personnes les plus distinguĂ©es par leur rang, leurs 1 Laharpe, Ćuvres choisies et posthumes, 4 vol. in-8, Paris, 1806, p. 62. HISTOIRE DĂŒ SOMNAMBULISME. 401 fortune, si, plusieurs annĂ©es avant la rĂ©volution, on leur avait exposĂ© les causes qui la prĂ©paraient et les affreuses consĂ©quences qui en seraient la suite. Les informations que jâai prises depuis inâont fait changer dâopinion. M. le comte A. de Montesquiou mâayant assurĂ© que madame de Genlis lui avait dit plusieurs fois quâelle avait entendu raconter cette prĂ©diction Ă M. de Laharpe, je le priai de vouloir bien demander Ă cette dame de plus amples dĂ©tails. Voici ce quâelle lui rĂ©pondit Novembre 1825. Je crois avoir mis le trait de M. de Cazotte dans mes Souvenirs, mais je nâen suis pas sĂ»re. Je lâai entendu raconter cent fois Ă M. de Laharpe avant la rĂ©volution et toujours exactement comme je lâai vu imprimĂ© partout, et comme il lâa fait imprimer lui-mĂȘme. VoilĂ tout ce que je puis dire, certifier et signer. Comtesse de Genlis. Jâai vu aussi M. Cazotte fils qui mâa certifiĂ© que son pĂšre Ă©tait douĂ© au plus haut degrĂ© de la facultĂ© de prĂ©vision, et quâil en avait des preuves nombreuses '. M. Cazotte ne voudrait point cependant affirmer que la relation de Laharpe fĂ»t exacte dans toutes les ex- 1 Une des plus remarquables, est assurĂ©ment celle que donna Cazotte en rentrant chez lui le jour oĂč sa fille parvint Ă lâarracher des mains des brigands qui le conduisaient Ă lâĂ©chafaud. Au lieu de partager la joie de sa famille qui lâentourait, il annonça cpie dans trois jours il serait arrĂȘtĂ© de nouveau, et que cette fois il subirait son sort. â 11 pĂ©rit en effet le 2J septembre 1792, Ă lâĂąge de soixante- douze ans. 26 402 NEUVIĂME LEĂON, pressions, mais il nâa pas le moindre doute sur la rĂ©alitĂ© des faits. Je dois ajouter Ă©galement quâun ami deYicq dâAzyr, M. N., habitant de Rennes, mâa dit que ce mĂ©decin cĂ©lĂšbre Ă©tant allĂ© en Bretagne quelques annĂ©es avant la rĂ©volution lui avait racontĂ© en prĂ©sence de sa famille la prophĂ©tie de Cazotte. 11 paraĂźt que malgrĂ© son scepticisme, Yicq dâAzyr Ă©tait inquiet de cette prĂ©diction. Lettre sur le mĂȘme sujet adressĂ©e Ă M. Mialle par M. le baron de Lamothe-Langon. Vous me demandez, mon cher ami, ce que je puis savoir touchant la fameuse prĂ©diction de Cazotte, mentionnĂ©e par Laharpe. Je nâai lĂ -dessus quâĂ vous attester sur lâhonneur que jâai entendu madame la comtesse de Beauharnais rĂ©pĂ©ter plusieurs fois qu'elle avait assistĂ© Ă ce singulier fait historique. Elle le racontait toujours de la mĂȘme maniĂšre et avec lâaccent de la vĂ©ritĂ© ; son tĂ©moignage concordait avec celui de Laharpe. Elle parlait ainsi devant toutes les personnes de sa sociĂ©tĂ©, plusieurs vivent encore et pourront lâattester Ă©galement. Vous pouvez faire de cet Ă©crit lâusage que vous voudrez. Adieu, mon bon et ancien ami, je suis Ă vous dâun attachement inviolable. Baron de Lamotue-Langon. » Paris, le 18 dĂ©cembre i833. Quant Ă moi, que vous dirai-je de la prĂ©diction de Cazotte? â Rien, sinon que cet Ă©crivain, comme on se le rappela au milieu du festin oĂč il parlait, Ă©tait sujet Ă rĂȘver tout Ă©veillĂ© . DIXIĂME LEĂON. o EFFETS DIVERS ET CONSĂCUTIFS DĂŒ MAGNĂTISME. â DE SES APPLICATIONS. Messieurs, Si au lieu de vous prĂ©senter le magnĂ©tisme comme le nĆud qui rĂ©unit toutes les vĂ©ritĂ©s physiologiques et de dĂ©finir son Ă©tude la physiologie transcendante * , je lâavais simplement fait consister dans lâexpansion de la volontĂ© humaine, vous auriez le droit de mâaccuser aujourdâhui dâĂȘtre sorti de mon sujet, en dissertant longuement sur le somnambulisme. En effet, si la volontĂ© dâun homme dĂ©termine quelquefois chez un autre homme lâĂ©tat de somnambulisme, cet Ă©tat succĂšde aussi Ă dâautres causes bien diffĂ©rentes. Dans ces derniers cas, Ă la vĂ©ritĂ©, nous apercevons encore dans la sensibilitĂ© un des deux Ă©lĂ©ments de notre systĂšme; mais lâĂ©lĂ©ment contraire, lâactivitĂ©, nâest plus en jeu que dâune maniĂšre accessoire. En un mot, lâexaltation de lâappareil sensitif chez les somnambules, ne semble, au premier abord, quâun fait isolĂ©, primordial et parfaitement indĂ©pendant de toute influence voli- tive; dâoĂč lâon serait autorisĂ© Ă conclure que, pendant le sommeil lucide, le rapport entre les deux principes que nous avons donnĂ© pour base au magnĂ©tisme est Ă peu prĂšs anĂ©anti. 1 Yoy. PremiĂšre leçon, p. il±. 404 DIXIĂME LEĂON. Mais celte conclusion ne serait lĂ©gitime que si lâactivitĂ© vitale se renfermait exclusivement dans la volontĂ© humaine , et je crois vous avoir suffisamment dĂ©montrĂ© que lâactivitĂ© est partout. Chaque atome a la sienne; et lâinĂ©gale rĂ©partition de ce principe chez les ĂȘtres de lâunivers dĂ©termine la hiĂ©rarchie naturelle de ces derniers. Aussi dĂ©couvrons-nous dans les impressions du somnambule le mode spĂ©cial dâinfluence dĂ©volu Ă chacun de ces ĂȘtres, et nous essaierons de dĂ©montrer dans notre prochaine leçon que la cause mĂȘme du somnambulisme, quel que soit lâagent apparent qui le provoque, consiste toujours dans une certaine combinaison de ces influences ontologiques. Mesmer avait trĂšs-bien compris cette rĂ©ciprocitĂ© dâaction de tous les corps de la nature câest ce quâil nomme, dans sa thĂ©orie, le magnĂ©tisme universel. Nous pensons dâailleurs avec lui, un Jluide, câest- Ă -dire une substance dâune extrĂȘme subtilitĂ©, dont nous chercherons prochainement Ă dĂ©terminer la nature, est le moyen de ces impressions rĂ©ciproques. Divers effets du magnĂ©tisme sur les corps inanimĂ©s semblent prouver jusquâĂ lâĂ©vidence que ce fluide existe; et certaines expĂ©riences dont je vous ferai part me dĂ©terminent, en outre , Ă prĂ©sumer quâil joue un rĂŽle immense dans tous nos actes moraux, dans la formation de nos dĂ©es, de nos instincts et de nos sentiments, enfin dans la production du sommeil et des merveilleux phĂ©nomĂšnes qui lâaccompagnent quelquefois. Ces considĂ©rations sont donc plus que suffisantes pour justifier mes deux prĂ©cĂ©dentes leçons, dans lesquelles je nâai fait, en quelque sorte, que poser les termes EFFETS DIVERS DU MAGNĂTISME, ETC. 105 dâun problĂšme dont jâessaierai,en finissant, de dĂ©gager lâinconnu. Ce que jâai Ă vous dire aujourdâhui nâest encore que le complĂ©ment de ce que vous connaissez dĂ©jĂ ; seulement, les faits qui vont nous occuper, supposant nĂ©cessairement le concours et lâinfluence mutuelle de plusieurs individualitĂ©s, rentrent plus directement dans le domaine du magnĂ©tisme, dâaprĂšs lâidĂ©e gĂ©nĂ©rale que vous en avez actuellement. Mesmer, aprĂšs avoir adoptĂ© lâhypothĂšse de son fluide universel, pose un principe que lâexpĂ©rience a depuis largement corroborĂ© et dont le dĂ©veloppement me paraĂźt renfermer presque toutes les notions que nous avons du magnĂ©tisme. Ce principe est ainsi conçu Les courants conservent une partie du ton acquis dans le milieu quâils quittent, et forment par lĂ les mutuelles influences de deux corps qui agissent non- seulement sur la totalitĂ© de chacun dâeux , mais encore sur chacune de leurs parties, etc. 1 . » LâidĂ©e de cette modification du fluide par les divers corps quâil traverse est certainement une des conceptions les plus profondes et les plus justes qui se rencontrent dans la thĂ©orie de Mesmer. Il est, au reste, assez douteux quâen Ă©crivant cette proposition Mesmer ait compris toute lâextension dont Ă©tait susceptible le principe quâelle impliquait, et il est en outre prĂ©sumable quâil eĂ»t Ă©prouvĂ© quelque embarras Ă justifier son assertion par des faits aussi positifs que ceux qui la confirment aujourdâhui. Ainsi conçu, le fluide magnĂ©tique, ou le principe 1 Yoy. p. 225. 406 DIXIĂME LEĂON. matĂ©riel de la vie, concilie tout dâabord, dans lâunivers, une magnifique unitĂ© de cause avec une prodigieuse diversitĂ© dâeffets. Il sâaccorde, en outre, avec les conjectures infiniment rationnelles des physiciens, qui regardent comme primitivement identiques tous les fluides impondĂ©rables. Enfin il corrobore notre hypothĂšse dâune Ăąme universelle, sâindividualisant dans chacun des ĂȘtres, sâappropriant Ă leur nature, et conservant entre eux des rapports continus. Qui sait mĂȘme si ces parcelles de lâĂąine du monde, modifiĂ©es par la constitution essentielle et primordiale des corps, ne deviennent pas dans ceux de ces corps qui se rĂ©gĂ©nĂšrent les forces plastiques qui en perpĂ©tuent les espĂšces? Qui sait, enfin, si le germe fĂ©cond destinĂ© Ă devenir un homme nâest autre chose dans le principe quâune image de lâhomme qui lâa engendrĂ©; image qui, lentement amplifiĂ©e parla nature, est, longtemps avant de tomber sous nos sens, la synthĂšse Ă la fois complĂšte et rudimentaire de la vie animale. Cette opinion, je le comprends, doit vous sembler tĂ©mĂ©raire; mais peut-ĂȘtre y verrez-vous autre chose quâune rĂȘverie extravagante lorsque je vous aurai exposĂ© avec ordre les notions que nous possĂ©dons sur les propriĂ©tĂ©s du fluide. Les expĂ©riences qui nous les ont rĂ©vĂ©lĂ©es ne laissent dâailleurs aucun doute sur la rĂ©alitĂ© de ce fluide lui- mĂȘme, dont je dois avant tout vous prouver lâexistence. Si les commissaires de 1784 qui assistĂšrent au traitement public de dâEslon avaient apportĂ© Ă leur examen moins de prĂ©ventions et plus de bonne foi, sâils avaient surtout suivi les expĂ©riences avec un peu plus dâassiduitĂ©, ils auraient nĂ©cessairement fini par se convain- 407 EFFETS DIVERS DU MAGNĂTISME, ETC. cre i° que le magnĂ©tisme, pratiquĂ© dâaprĂšs la mĂ©thode alors en usage, exerçait sur les malades une action incontestable ; 2°quâun baquet rempli dâeau, de limaille de fer, ou de toute autre substance, conservait, aprĂšs avoir Ă©tĂ© magnĂ©tisĂ©, des propriĂ©tĂ©s particuliĂšres et agissait sur lâĂ©conomie Ă peu prĂšs de la mĂȘme maniĂšre que le contact ou lâaction directe du magnĂ©tiseur lui-mĂȘme. Cette derniĂšre observation, qui fixa particuliĂšrement lâattention du savant de Jussieu, anĂ©antissait Ă elle seule toutes les objections que fit Bailly dans son rapport Ă lâexistence du fluide. Aussi de Jussieu se garde- t-il bien de mettre en doute ce point capital. Pour lui, le fluide existe incontestablement; seulement il ne sâaccorde pas absolument avec Mesmer et dâEslon sur la nature essentielle de cet agent, dans lequel il croit simplement reconnaĂźtre la dâailleurs, que, dans cette hypothĂšse, de Jussieu ne sâĂ©loignait pas infiniment de la vĂ©ritĂ©, au moins telle que nous la concevons aujourdâhui. Je vais mĂȘme plus loin jâadmets trĂšs-volontiers que la chaleur et le fluide mes- mĂ©rien sont absolument identiques, si lâon consent Ă mâaccorder que la chaleur est susceptible de se manifester sous des aspects trĂšs-divers et avec une foule de propriĂ©tĂ©s quâon ne lui soupçonnait pas avant Mesmer. La question, au reste, nâest pas lĂ ; de Jussieu croyait au fluide; il en contestait, il est vrai, la nature, mais, avant tout, il y croyait, parce que, en homme raisonnable , il avait senti, dĂšs le principe, quâĂ la vue de ce qui se passait il nây avait pas moyen de nây pas croire. RĂ©sumons en quelques mots lâexpĂ©rience du baquet ou rĂ©servoir magnĂ©tique. 408 DIXIĂME LEĂON. * Un homme sâapproche dâun objet, il le touche, il le presse dans ses mains, il concentre pendant un instant son attention sur lui; aprĂšs quoi il sâĂ©loigne, ne songe plus Ă ce quâil vient de faire, et lâobjet quâil a touchĂ©, sans ĂȘtre sensiblement modifiĂ© dans sa forme, dans son aspect physique, a nĂ©anmoins acquis une propriĂ©tĂ© particuliĂšre quâil conservera jusquâĂ ce que dâautres contacts viennent Jâen dĂ©pouiller. Ajoutons, enfin, que les individus qui auront touchĂ© lâobjet en dernier lieu se seront eux-mĂȘmes magnĂ©tisĂ©s en le dĂ©magnĂ©tisant, de telle sorte que nous voyons un certain agent modificateur passer dâun homme Ă une chose, et de cette chose Ă dâautres hommes. Je vous le demande, messieurs, la singuliĂšre transmission de ce je ne sais quoi dâinconnu qui passe de mains en mains sans changer absolument de propriĂ©tĂ©s, ne vous fait-elle pas tout dâabord supposer lâexistence dâune substance physique dont les dĂ©positaires peuvent indiffĂ©remment abandonner une partie aux choses ou aux hommes? Cette substance, dans notre doctrine, est le fluide magnĂ©tique. Mesmer est lâinventeur des rĂ©servoirs magnĂ©tiques ; en dâautres termes, il a dĂ©couvert ou retrouvĂ© la possibilitĂ© de magnĂ©tiser les corps inertes grande dĂ©couverte, re- marquez-le bien, qui a servi de point de dĂ©part Ă toutes les recherches quâon a faites depuis sur le fluide, et sans laquelle nous serions encore rĂ©duits, touchant cet agent, aux plus vagues conjectures. Au surplus, le baquet magnĂ©tique ne fut pas plus tĂŽt dĂ©couvert quâentre les mains des disciples de Mesmer il se transforma de cent façons diffĂ©rentes. On magnĂ©- 409 EFFETS DIVERS DU MAGNĂTISME, ETC. tisa des siĂšges, des aliments, de lâeau, des chambres entiĂšres, mais surtout des arbres. Vous savez, par exemple, quelle juste cĂ©lĂ©britĂ© sâattacha Ă lâormeau sĂ©culaire de Buzancy, Ă lâombre duquel M. le marquis de PuysĂ©gur observa le premier les merveilles du somnambulisme. Les rĂšgles pratiques auxquelles fut assujettie presque jusquâĂ prĂ©sent la magnĂ©tisation des objets inanimĂ©s reposaient dâailleurs sur lâidĂ©e gĂ©nĂ©rale quâon avait du fluide. Pour magnĂ©tiser un arbre, dit Deleuze, on commence par lâembrasser pendant quelques minutes; on sâĂ©loigne ensuite, et lâon dirige le fluide vers le sommet, et du sommet vers le tronc, en suivant la direction des grosses branches. Quand on est arrivĂ© Ă la rĂ©union des branches, on descend jusquâĂ la base du tronc, et lâon finit par magnĂ©tiser Ă lâentour, pour rĂ©pandre le fluide sur les racines et pour le ramener de lâextrĂ©mitĂ© des racines jusquâau pied de lâarbre. Quand on a fini dâun cĂŽtĂ©, on fait la mĂȘme chose en se plaçant du cĂŽtĂ© opposĂ©. Cette opĂ©ration, qui est lâaffaire dâune demi- heure, doit ĂȘtre rĂ©pĂ©tĂ©e quatre ou cinq jours de suite. On attache Ă lâarbre des cordes pour servir de conducteurs. Les malades qui se rendent autour de lâarbre commencent par le toucher en sâappuyant sur le tronc. Ils sâasseyent ensuite Ă terre ou sur des siĂšges, ils prennent une des cordes suspendues aux branches et sâen entourent. La rĂ©union des malades autour de lâarbre entretient la circulation du fluide. Cependant il est Ă propos que le magnĂ©tiseur vienne de temps en temps renouveler et rĂ©gulariser lâaction. Il lui suffit, pour 410 DIXIĂME LEĂON, cela, de toucher lâarbre pendant quelques moments. Il dorme aussi des soins particuliers Ă ceux qui en ont besoin; et si, parmi les malades, il se trouve quelquâun qui Ă©prouve des crises, il lâĂ©loigne de lâarbre pour le magnĂ©tiser Ă part 1 . » Ainsi, mĂȘme encore au temps oĂč Deleuze Ă©crivait, le fluide Ă©tait considĂ©rĂ© comme un agent thĂ©rapeutique, Ă propriĂ©tĂ©s fixes et produisant Ă peu prĂšs dans tous les cas des effets uniformes. Il est, dâailleurs, bon de remarquer que cette maniĂšre de voir et dâagir rĂ©sultait moins dâune observation fausse que dâune observation incomplĂšte. On a dĂ©couvert depuis que, loin dâĂȘtre les mĂȘmes dans tous les cas, les propriĂ©tĂ©s du fluide magnĂ©tique varient jusquâĂ lâinfini, non-seulement avec la constitution et lâĂ©tat de santĂ© des magnĂ©tiseurs, mais encore avec les conditions morales dans lesquelles ils sont en opĂ©rant. Or, Ă lâĂ©poque oĂč MM. de PuysĂ©gur, Deleuze, etc., se livraient Ă la pratique du magnĂ©tisme, la thĂ©orie qui leur Ă©tait commune Ă©tablissait entre eux nĂ©cessairement une certaine uniformitĂ© de pensĂ©es et dâintentions qui, sans rien impliquer de contradictoire aux prĂ©ceptes actuellement admis, devient Ă nos yeux la raison de lâidentitĂ© des rĂ©sultats quâon obtenait alors. DĂšs le principe, nĂ©anmoins, on fut dans la nĂ©cessitĂ© dâadmettre que non-seulement tous les hommes ne possĂ©daient pas au mĂȘme degrĂ© la puissance magnĂ©tique, mais encore quâil y avait entre eux, sous le rapport de la qualitĂ© de leur action, des diffĂ©rences notables. Ceci, 1 Deleuze, Instruction pratique,p. Si. 4-11 EFFETS DIVERS DU MAGNĂTISME, ETC. en rĂ©sumĂ©, nâĂ©tait pas de nature Ă surprendre personne; les partisans de la thĂ©orie de Mesmer nây voyaient quâun corollaire trĂšs-simple de la proposition que je vous ai citĂ©e les courants conservent une partie du ton acquis dans le milieu quâils quittent. Mais aucun dâentre eux assurĂ©ment ne prĂ©voyait encore lâextension prodigieuse que donneraient le temps et lâexpĂ©rience Ă cette proposition. Je dois suivre lâordre et lâenchaĂźnement naturel des faits dans ce que jâai Ă vous dire Ă cet Ă©gard. Toute la physiologie, toute la mĂ©taphysique, la mĂ©decine et le magnĂ©tisme lui-mĂȘme tel quâil fut compris dâabord, me paraissent bouleversĂ©s de fond en comble par les expĂ©riences suivantes PremiĂšre expĂ©rience. En 1842, je magnĂ©tisais quelquefois une jeune dame qui, somnambule trĂšs-lucide, voulait bien se prĂȘter Ă des expĂ©riences qui ne la fatiguaient pas et qui Ă©taient pour moi dâun grand intĂ©rĂȘt. Un jour, je venais de lâĂ©veiller lorsquâelle se prend Ă me regarder avec un air dâinexprimable anxiĂ©tĂ©; elle se frotte les yeux, me regarde encore et finit par sâĂ©crier dâun ton qui exprimait Ă la fois la surprise et lâhorreur â Votre bras! votre bras gauche! mon Dieu! quâen avez-vous fait? vous nâavez plus quâun bras! Il y avait tant de naturel dans la voix de cette dame, tant de vĂ©ritĂ© dans sa physionomie que je ne doutai pas un instant de la sincĂ©ritĂ© de son trouble. Evidemment, elle Ă©tait dupe dâune hallucination. Un de mes M 2 DIXIĂME LEĂON, bras Ă©tait devenu invisible pour elle. Mais pourquoi le gauche plutĂŽt que le droit? pourquoi une partie de mon corps plutĂŽt que toute autre? cela me paraissait inexplicable, et depuis quatre ans que je magnĂ©tisais je nâavais rien vu de plus bizarre. â Calmez-vous, madame, lui disais-je, reprenez vos sens et regardez-moi. GrĂące Ă Dieu, jâai tous mes membres, et vous voyez bien que je vous prĂ©sente ma main gauche. â Non, vous ne lâavez plus, rĂ©pĂ©tait-elle avec hĂ©bĂ©tude. â Eh! touchez-la, madame. Et en mĂȘme temps ma main gauche prit la sienne. Alors son trouble augmenta. â Je sens, mais je ne vois pas.... Oh ! laissez-moi.,.. jâai peur! jâai peur! jâai trĂšs-peur!... Sa voix sâĂ©teignait en rĂ©pĂ©tant indĂ©finiment ces mots, et, la minute dâaprĂšs, elle dormait de nouveau paisiblement sur son fauteuil. â Eh bien, madame, pouvez-vous maintenant mâexpliquer..,. â Oui. A lâinstant oĂč vous mâavez Ă©veillĂ©e, par un mouvement spasmodique, et sans le vouloir, je vous ai serrĂ© la main gauche. â Et cela a suffi pour la rendre invisible Ă vos yeux? Que sâĂ©tait-il donc passĂ©? â Je ne voyais quâun lĂ©ger nuage blanc câĂ©tait une atmosphĂšre de fluide dont mon effort involontaire avait enveloppĂ© votre main. EmerveillĂ© de lâexpĂ©rience et trĂšs-satisfait de lâexplication , jâĂ©veillai la somnambule, qui, pour le coup, 413 EFFETS DIVERS DU MAGNĂTISME , ETC. me vit tout entier, ce qui parut la surprendre presque autant que lâavait effrayĂ©e mon apparente mutilation. Deuxieme expĂ©rience. Le hasard seul mâavait rendu tĂ©moin de lâexpĂ©rience qui prĂ©cĂšde; mais, dâaprĂšs lâexplication qui mâen Ă©tait donnĂ©e, il me paraissait probable que cet Ă©trange phĂ©nomĂšne dâinvisibilitĂ© dâun corps involontairement magnĂ©tisĂ© Ă©tait de nature Ă se reproduire sous lâinfluence dâun effort volontaire. Je mâempressai donc de vĂ©rifier ce fait, en prenant soin de lâentourer de circonstances qui lui donnassent toute la certitude dĂ©sirable. Dix bougies neuves de mĂȘme fabrique, et par consĂ©quent semblables entre elles, sont placĂ©es sur des flambeaux, tandis que, dans une piĂšce voisine, madame X... est endormie. Je prie cette dame de magnĂ©tiser une des bougies quâon lui apporte et quâelle serre dans sa main pendant une ou deux minutes. Lorsquâelle est Ă©veillĂ©e, les assistants lui prĂ©sentent successivement chacun des dix flambeaux. Toutes les fois que vient le tour de la bougie quâelle a touchĂ©e, madame X.... prĂ©tend ne pas la voir, et persiste mĂȘme Ă se croire lâobjet dâune mystification. TroisiĂšme expĂ©rience. Toutes les bougies sont allumĂ©es il est onze heures du soir. Les choses se passent exactement de la mĂȘme maniĂšre que prĂ©cĂ©demment, avec cette particularitĂ© remarquable que la flamme de la bougie magnĂ©tisĂ©e est elle-mĂȘme invisible. 414 DIXIĂME LEĂON. QuatriĂšme expĂ©rience. Madame X...., endormie de nouveau, magnĂ©tise, Ă ma priĂšre, quatre bougies au lieu dâune, qui restent seules allumĂ©es daus lâappartement. La somnambule, que jâĂ©veille alors, sâĂ©crie, en ouvrant les yeux, quâelle est dans lâobscuritĂ©, et lâincertitude de ses regards, qui nous cherchent vainement quoique nous soyons prĂšs dâelle, prouve quâen effet elle nây voit pas. Enfin , la lumiĂšre ne revient, pour elle, quâĂ lâinstant oĂč lâon allume inopinĂ©ment derriĂšre elle, une des bougie» quelle nâa pas touchĂ©es. AprĂšs avoir observĂ© ces faits dans lâordre oĂč je viens de les Ă©noncer, je me demandai naturellement sâil Ă©tait indispensable que lâobjet destinĂ© Ă devenir invisible fĂ»t magnĂ©tisĂ© par le somnambule , et sâil nâĂ©tait pas possible que lâaction du magnĂ©tiseur suppléùt Ă la sienne. Quelques essais, qui dâabord ne rĂ©ussirent pas jâignore par quelle raison, finirent par me donner la preuve du contraire. CinquiĂšme expĂ©rience. Un soir de janvier 1 843, une jeune malade, madame G...., est endormie, rue de la Victoire, n° ...., par M. ***, magistrat distinguĂ© de ina connaissance, dont je suis parvenu Ă faire un magnĂ©tiseur passionnĂ© dâincrĂ©dule quâil Ă©tait. Les choses se passent en prĂ©sence de cinq ou six curieux de notre intimitĂ©, mais dont pas un nâest instruit de ce que nous nous proposons de faire. Ces personnes Ă©tant assises autour de la somnambule, M, *** dirige tour Ă tour sur chacune 415 EFFETS DIVERS DĂŒ MAGNĂTISME, ETC. dâelles deux ou trois grandes passes longitudinales. Madame G...., quâil Ă©veille ensuite, nâaperçoit plus que lui et moi. Tout le reste de la chambre, oĂč elle paraĂźt persuadĂ©e dâĂȘtre seule avec nous deux, lui semble rempli, dit-elle, dâun nuage blanchĂątre qui lâoppresse, lâincommode, lui fait cligner les paupiĂšres et lâendort. Quelques-uns des tĂ©moins que ce nuage dĂ©robe Ă ses regards lui adressent la parole madame G.... est stupĂ©faite; ces voix fantastiques la confondent. Elle regarde encore et ne distingue toujours rien. â Câest prodigieux! dit-elle, je connais toutes ces voix, il me semble quâelles vibrent Ă mes oreilles, et pourtant je ne vois que vous deux, qui ne me parlez pas. OĂč sont donc ces messieurs? Et madame ***, quâest-elle devenue? Les voix lui rĂ©pondaient Nous voici, etc. Il est certain que je les entends. Dites-leur donc de se montrer, je vous en prie; cela me fait peur. M. ***, en bon magicien quâil est sans le savoir, rompt le charme pour la rassurer. A chacun de ses gestes, un des assistants reparaĂźt câest, pour la malade et pour nous-mĂȘmes, une vĂ©ritable fantasmagorie. Les expĂ©riences que je viens de dĂ©crire ne prouvent toutes quâun seul fait, mais elles le prouvent, Ă mon avis, dâune maniĂšre pĂ©remptoire câest que, positivement, il existe un fluide; câest que ce fluide est une substance matĂ©rielle se prĂ©sentant habituellement sous la forme dâune vapeur blanchĂątre et opaque. A la vĂ©ritĂ©, nous ne pouvons le voir dans notre Ă©tat ordinaire ; mais il est parfaitement distinct pour les somnambules et, qui plus est, pour les somnambules Ă©veillĂ©s, Ă lâin- 416 DIXIĂME LEĂON. stant oĂč leur sensibilitĂ© vient dâĂȘtre exaltĂ©e par le magnĂ©tisme 4 . Je dois, au reste, vous faire observer que ces sortes dâexpĂ©riences ne rĂ©ussissent pas constamment ; la prĂ©occupation des sujets qui sont prĂ©venus de ce quâon attend dâeux les fait souvent manquer rien nâest plus facile Ă concevoir. Sans quâils sâen aperçoivent, leur volontĂ© rĂ©agit autour dâeux, et magnĂ©tise ainsi des objets qui, lâinstant dâaprĂšs, leur deviennent invisibles, contre lâintention du magnĂ©tiseur. Ceci, et nous y reviendrons dans la suite, renferme Ă peu prĂšs tout le secret des mĂ©prises, quelquefois trĂšs-bizarres et jusquâĂ prĂ©sent inexpliquĂ©es, que commettent les somnambules. Les expĂ©riences dont il me reste Ă vous entretenir vont singuliĂšrement modifier lâidĂ©e gĂ©nĂ©rale que je viens de vous donner du fluide. Cette vapeur inerte, opaque et blanchĂątre, sĂ©journant comme un brouillard oĂč la main la dĂ©pose, se transformera dans un moment en un agent merveilleux, joignant Ă diverses propriĂ©tĂ©s mĂ©taphysiques celle de revĂȘtir toutes les formes, tous les aspects, toutes les couleurs, et de rĂ©aliser en quelque sorte la pensĂ©e quâil rĂ©flĂ©chit. Peu vous importe, au reste, que des somnambules ou des personnes Ă©veillĂ©es servent dĂ©sormais Ă nos dĂ©monstrations. Entre celles-ci et ceux-lĂ il nây a dâautre diffĂ©rence en faveur des derniers quâune sensibilitĂ© plus vive et qui rend capable dâimpressions plus dĂ©li- Jâai rĂ©pĂ©tĂ© avec succĂšs toutes les expĂ©riences prĂ©cĂ©demment dĂ©crites, sur une jeune fdle que je magnĂ©tisais frĂ©quemment, mais qui nâavait pas besoin prĂ©alablement dâĂȘtre endormie pour apercevoir le fluide et pour cesser de voir les corps quâil masquait. EFFETS DIVERS DĂŒ MAGNĂTISME, ETC. 417 Le somnambulisme, en un mot, sera pour nous, quand nous y aurons recours, une sorte de verre grossissant dont nous nous servirons pour apprĂ©cier des phĂ©nomĂšnes dĂ©licats dont les causes nous Ă©chapperaient sans son intervention. On sait dĂ©jĂ , depuis assez longtemps, quâil est possible de donneraux somnambules magnĂ©tiques des hallucinations de tous les sens, câest-Ă -dire quâĂ la volontĂ© du magnĂ©tiseur ils trouvent Ă des substances des propriĂ©tĂ©s quâelles sont loin dâavoir. Lâun croit savourer de lâorgeat en buvant un verre dâeau, ou, qui plus est, Seau-de- vie ; lâautre mange gravement une glace quâon lui prĂ©sente dans une tasse vide. Celui-ci est brĂ»lĂ© par une main tiĂšde, ou glacĂ© par la neige imaginaire dont le couvre un geste du magnĂ©tiseur. Dans tous ces cas, la sensation Ă©prouvĂ©e est complĂšte lâorgeat est suave, onctueux, parfumĂ©; la glace saisit le palais, agace les dents et remplit la bouche dâun frais arĂŽme de citron ou dâananas. La main changĂ©e en feu cause une douleur atroce, et la neige enfin fait frissonner. Presque tous les somnambules sont susceptibles dâĂ©prouver ces sensations factices, et plusieurs dâentre eux conservent mĂȘme cette facultĂ© pendant la veille voilĂ pourquoi la malveillance a tant de prise sur eux dans les expĂ©riences publiques et donne lieu si souvent Ă des mĂ©prises surprenantes qui corroborent lâincrĂ©dulitĂ© et dĂ©concertent la confiance des hommes les plus convaincus. Aujourdâhui ce fait est connu des magnĂ©tiseurs Ă©clairĂ©s; mais aucun dâeux, peut-ĂȘtre, jusquâĂ prĂ©sent, ne sâest posĂ© cette question 27 418 DIXIĂME LEĂON. Les sensations factices des somnambules Ă©manent- cllcs directement de la pensĂ©e du magnĂ©tiseur, ou peuvent-elles ĂȘtre aussi dĂ©terminĂ©es par les objets intermĂ©diaires qui garderaient, pour ainsi dire, lâempreinte de cette pensĂ©e? Un exemple me fera mieux comprendre Un somnambule demandant Ă boire, vous lui prĂ©sentez un verre dâeau ; il le porte Ă ses lĂšvres, mais aussitĂŽt le repousse avec horreur en sâĂ©criant C.âest du vinaigre !... En effet, vous avez voulu quâil trouvĂąt Ă lâeau la saveur de cet acide. Mais que sâest-il passe? avez-vous dĂ©naturĂ© par votre volontĂ© les perceptions du sujet, ou lâeau a-t-elle rĂ©ellement contractĂ© des propriĂ©tĂ©s qui, relativement Ă lui, la font ressembler Ă du vinaigre? en dâautres termes, est-ce sur le somnambule ou sur lâeau que vous avez agi? Ces deux hypothĂšses sont Ă©galement admissibles. La premiĂšre assimilerait les sensations factices Ă la pĂ©nĂ©tration de la pensĂ©e; rapprochement de phĂ©nomĂšnes qui, dans certains cas, semble logique; mais la seconde implique un ordre de faits Ă part dont la dĂ©monstration me paraĂźt une des plus belles acquisitions que la science du magnĂ©tisme ait faites depuis Mesmer. Cette dĂ©monstration est dâailleurs dâune extrĂȘme simplicitĂ© Vous magnĂ©tisez votre verre dâeau avec lâintention dĂ©lai donner la saveur du vinaigre; cette petite opĂ©ration terminĂ©e, vous laissez Ă©couler un temps plus ou moins long, un quart dâheure par exemple, pendant lequel vous vous occupez de toute autre chose, vous et votre somnambule; enfin, vous lui prĂ©sentez le verre, EFFETS DIVERS DĂŒ MAGNĂTISME, ETC. 419 ou, mieux encore, on le lui offre Ă votre insu. Il ne pense pas plus Ă vous que vous ne pensez Ă lui; il ignore ce que vous avez fait, et prend le verre, dans la ferme persuasion quâil ne contient que de lâeau, ce qui ne lâempĂȘche pas de sâĂ©crier encore, dĂšs que ses lĂšvres y ont touchĂ© Vous me trompez; câest du vinaigre ! Un jour, je magnĂ©tisai de lâeau avec lâintention de lui donner la saveur du jus de citron. Interrompu par une visite, jâĂ©veille ma somnambule et je passe dans une autre piĂšce. Lorsque je rentrai le verre Ă©tait vide. â Pour qui donc aviez-vous fait apporter cette limonade ? me dit madame ***, qui avait bu lâeau magnĂ©tisĂ©e. â Pour vous, lui rĂ©pondis-je en riant. â Vous voyez que je mâen suis doutĂ©, mais elle Ă©tait sans sucre et beaucoup trop acide. Je me rappelai quâen effet jâavais oubliĂ© le sucre. Comme ici ma pensĂ©e nâavait eu dâautre confident que moi-mĂȘme; comme en outre je nâavais pu agir directement sur lâesprit de la somnambule, puisquâĂ lâinstant oĂč elle buvait jâĂ©tais occupĂ© loin dâelle, cette expĂ©rience me parut dĂ©cisive, et mâaurait beaucoup surpris, si dĂ©jĂ je nâeusse Ă©tĂ© tĂ©moin de faits de mĂȘme nature et bien plus Ă©tonnants encore. La volontĂ© peut modifier de la mĂȘme maniĂšre, relativement Ă certaines personnes, les diffĂ©rentes propriĂ©tĂ©s des corps qui se rapportent Ă chacun de nos sens. Ainsi, je donnerai par la pensĂ©e, Ă tels ou tels objets, une couleur, une saveur ou une odeur autres que celles quâils ont; je leur donnerai mĂȘme, ce qui est 420 DIXIĂME LEĂON. plus incomprĂ©hensible, une pesanteur quâils nâont pas. Enfin , je fais plus encore non-seulement je modifie, mais je crĂ©e de toutes piĂšces un monde imaginaire qui sâanime autour de moi. Les expĂ©riences suivantes rĂ©sument Ă peu prĂšs ce que jâai vu de plus extraordinaire dans ce genre. SeptiĂšme expĂ©rience. Ătant assis au milieu de mon salon, je me reprĂ©sente, le plus nettement quâil mâest possible, une barriĂšre en bois peint qui sâĂ©lĂšverait devant moi Ă un mĂštre de hauteur. Lorsque cette image est bien arrĂȘtĂ©e dans mon cerveau, je la rĂ©alise mentalement au moyen de quelques gestes. Mademoiselle Henriette L., jeune somnambule dâune telle impressionnabilitĂ© que je lâendors en quelques secondes, est alors Ă©veillĂ©e dans la chambre voisine. Je la prie de mâapporter un livre qui doit ĂȘtre auprĂšs dâelle. Mademoiselle Henriette vient, en effet, ce livre Ă la main; mais, arrivĂ©e Ă lâendroit oĂč sâest Ă©levĂ©e ma barriĂšre imaginaire, elle sâarrĂȘte subitement. Je lui demande ce qui lâempĂȘche dâapprocher davantage '' â Ne le voyez-vous pas? dit-ellej; vous ĂȘtes entourĂ© dâune barriĂšre. â Quelle folie! approchez donc. â Je ne le peux pas, vous dis-je. â Comment donc la voyez-vous, cette barriĂšre? â Telle quâelle est apparemment, ....en bois rouge.... je la touche. Quelle singuliĂšre idĂ©e dâavoir mis cela dans ce salon ! 421 EFFETS DIVERS DU MAGNĂTISME, ETC. Jâessaie de persuader Ă mademoiselle Henriette quâelle est dupe dâune illusion, et, pour lâen convaincre, je la saisis par les mains et lâattire Ă moi; mais ses pieds sont collĂ©s au parquet ; le haut du corps se porte seul en avant ; enfin elle sâĂ©crie que je lui meurtris lâestomac contre lâobstacle qui lâarrĂȘte L HuitiĂšme expĂ©rience. Au commencement de fĂ©vrier 1844? j e conduisis mademoiselle Henriette dans une rĂ©union dâamis auxquels jâavais racontĂ© lâexpĂ©rience qui prĂ©cĂšde. Sous un prĂ©texte convenu dâavance,une dame emmĂšne la jeune fille hors de lâappartement. On dĂ©cide alors, sans ma participation, des objets dont ma volontĂ© doit lui offrir lâimage Ă son retour. Celui-ci veut des cornes de cerf sur la tĂȘte, celui-lĂ un bonnet de magicien; une daine me prie de la mĂ©tamorphoser en sultan , une autre en lĂ©opard, etc., etc. Lorsque toutes mes dispositions sont prises, avec une gravitĂ© qui me ferait passer pour fou si lâexpĂ©rience ne devait pas rĂ©ussir, mademoiselle Henriette rentre au salon. A peine la porte lui est-elle ouverte, quâelle recule de trois pas en sâĂ©criant â Oh! quelles vilaines gens! â Que voyez-vous? lui dis-je. â Un Turc, un magicien, un cerf, un tigre.... toute une mĂ©nagerie. 1 Cette expĂ©rience a Ă©tĂ© faite publiquement Ă mon cours, telle qu 5 elle est ici dĂ©crite. 422 DIXIĂME LEĂON. Quelques passes avaient fait les frais de cette Ă©trange mascarade. Lorsque jâai rĂ©tabli les choses dans leur Ă©tat naturel, ce qui est lâaffaire de quelques secondes, on demande une nouvelle Ă©preuve. Mademoiselle Henriette sort donc derechef, et je me remets Ă confectionner de nouveaux dĂ©guisements; mais, cette fois, rien ne rĂ©ussit. Mademoiselle Henriette, quâon vient de rappeler, voit des diables, des monstres, des objets hideux sans forme et sans nom, et je nâai rien figurĂ© de semblable. Lâimagination de la jeune fille agit Ă©videmment Ă la place de la mienne, et les ĂȘtres fantastiques quâelle dĂ©crit sont sortis de son cerveau. â Mais quelle lumiĂšre jette le rapprochement de ces faits sur la cause et la nature des hallucinations ! NeuviĂšme expĂ©rience. Madame G...., dont je vous ai parlĂ© dĂ©jĂ , est endormie par M. ***, son magnĂ©tiseur habituel. Cette dame est assise sur un canapĂ©, les deux pieds posĂ©s sur un tapis. Je dis aussi bas que possible Ă lâoreille de M. *** â Imaginez une marre dâeau devant elle; nous y ferons nager des cygnesâLe magnĂ©tiseur se met en devoir de creuser son Ă©tang. Mais ce que nous nâavions prĂ©vu ni lui ni moi, câest que madame G...., qui se voit envahie par lâeau, retire ses pieds, qui, dit- elle, sont dĂ©jĂ mouillĂ©s tous les deux, et reste, pour les maintenir en lâair, dans une position fatigante et si grotesque que nous ne pouvons nous empĂȘcher dâen rire. 423 EFFETS DIVERS DĂŒ MAGNĂTISME, ETC. AprĂšs que nous nous sommes un instant divertis des perplexitĂ©s de notre intĂ©ressante somnambule, M. *** se dispose Ă lâĂ©veiller; mais, auparavant, il mâattire Ă lâĂ©cart et me dit Ă lâoreille â Que faut-il lui faire voir en sâĂ©veillant? â Tout ce quâil vous plaira; je mâen rapporte Ă vous. â Un prĂ©cipice ? â Non ; avec son affection du cĆur, cela pourrait lâeffrayer et lui faire mal. â Un beau jardin? â A la bonne heure; le paradis terrestre. M. *** se met Ă rire. â Pourquoi pas? lui dis-je; je suis curieux de savoir lâidĂ©e que vous vous en faites. â Voulez-vous ĂȘtre Adam? â Je serai le serpent, si cela vous plaĂźt. â Bon lie grand fauteuil sera lâarbre du fruit dĂ©fendu. Je me demande Ă prĂ©sent par quelle singuliĂšre disposition dâesprit nous traitions avec cette lĂ©gĂšretĂ© la plus magnifique dĂ©couverte peut-ĂȘtre qui ait agrandi depuis deux mille ans le domaine de la physiologie; car le fait dont il est question me semble Ă©videmment destinĂ© Ă devenir un jour la vĂ©ritable pierre dâassise do la psychologie, et peut-ĂȘtre mĂȘme de toute la mĂ©taphysique. Cependant, M. ***, aprĂšs quelques minutes de recueillement, se met en devoir de rĂ©aliser lâEdeu quâil a conçu. â Quelle bouffonnerie! si nous sommes dans lâerreur, pensais-je en le regardant se livrer avec une 424 DIXIĂME LEĂON. imperturbable gravitĂ© Ă cette Ćuvre de magie. AssurĂ©ment, l'homme est perfectible; car, il y a trois siĂšcles, on nous eĂ»t brĂ»lĂ©s vifs, tandis quâaujourdâhui lâon se contenterait de se moquer de nous câest lĂ , du moins, un progrĂšs dans les mĆurs; mais dans la raison?...Les prĂ©jugĂ©s se remplacent, et voilĂ tout. Oui, les savants de notre siĂšcle de lumiĂšre nous prendraient pour deux fous sâils nous voyaient, et nous seuls peut-ĂȘtre nous approchons de la vĂ©ritĂ© suprĂȘme. âLa vĂ©ritĂ©, hĂ©las! Le puits que lâapologue lui a donnĂ© pour demeure est plus profond quâon ne le pense. Je crois sincĂšrement que les hommes nây descendent quâĂ lâinstant oĂč ils quittent ce monde. M. *** interrompit ces rĂ©flexions dĂ©sespĂ©rantes, auxquelles jâai eu bien des fois depuis lâoccasion de revenir. â Lâaffaire est faite, me dit-il; mais je nây songe plus, je nây veux plus songer. Si lâexpĂ©rience rĂ©ussit, ce sera dans le vide, dans lâair, dans lâespace enfin, que madame G.... verra lâimage qui, tout Ă l'heure, se formait dans ma tĂȘte, oĂč je vous jure quâelle nâest plus. â Tant mieux! nous nâen serons que plus sĂ»rs dâavoir dĂ©couvert le daguerrĂ©otype de la pensĂ©e.,.. Eveillez la somnambule, et si cela ne rĂ©ussit pas.... â Eli bien!.... nous serons discrets, voilĂ tout. M. *** Ă©veille donc notre jeune malade, qui commençait Ă sâimpatienter. Je nâose faire un pas, dans la crainte de renverser un arbre, de fouler une plate- bande ou de mettre le pied sur le. serpent. â Il me semble que le rĂ©veil se fait attendre plus longtemps 425 EFFETS DIVERS DU MAGNĂTISME, ETC. que de coutume. Enfin, madame G.... ouvre les yeux.... mais elle ne dit rien pas la moindre expression de surprise sur sa figure!â-Allons, lâexpĂ©rience est manquĂ©e, ou plutĂŽt elle Ă©tait impossible!.... Comment avons-nous eu lâextravagance de supposer le contraire?....â M. *** et moi, lâun et lâautre un peu confus, nous nous regardons comme eussent fait jadis deux augures.... en souriant. Cependant nous espĂ©rons encore. A un mouvement de madame G...., nos yeux se reportent vivement sur elle. Elle sâest levĂ©e! Il me semble que sa physionomie exprime lâĂ©tonnement et lâadmiration.... Enfin elle sâĂ©crie Quels beaux arbres! quels beaux arbres!.... Et dans un ravissement que jâessaierais vainement de dĂ©crire, M. *** et moi nous battons des mains comme deux insensĂ©s. â Câest inconcevable! câest inouĂŻ! câest prodigieux, etc. Il nây a pas dâadjectifs, de superlatifs, capables de rendre ce que nous Ă©prouvons. Mais ce nâest pas tout encore mes exclamations attirent sur moi les regards de madame G....; elle paraĂźt dâabord douter de ce quâelle voit; elle se pançhc et se fait un garde-vue de sa main pour mieux sâen assurer. â Quelle horreur! dit-elle enfin.... un homme nu! â M. *** avait rĂ©alisĂ© sa plaisanterie jusquâau bout, et je me trouvais, sans mâen douter, dans le dĂ©shabillĂ© naĂŻf de notre premier pĂšre.â Alors, de rire tous deux dâun rire homĂ©rique auquel la somnambule ne fait nulle attention. â Chose Ă©trange! lorsque je lui parle, elle paraĂźt mâentendre, et en mĂȘme temps ne pas comprendre le sens de mes paroles. â Jamais 426 DIXIĂME LEĂON. expĂ©rience ne fit sur moi une impression plus vive. Lorsque M. ***, un peu calmĂ©, eut enfin dĂ©truit son ouvrage et fait passer Madame G.... du paradis terrestre dans la chambre oĂč nous Ă©tions, nous prĂźmes congĂ© de cette dame. â Eh bien! me dit-il en me reconduisant, quâen pensez-vous? aprĂšs ce que vous venez de voir, ĂȘtes- vous matĂ©rialiste ou spiritualiste? â Je nâen sais rien encore ; voilĂ dix ans que je me fais celte question,... toujours avec lâespĂ©rance de mourir chrĂ©tien. â Mais , enfin, que dites-vous de cette merveilleuse expĂ©rience? â Ce que jâen disais tout Ă lâheure daguerrĂ©otype de la pensĂ©e. DâaprĂšs une communication que me fitM. le vicomte Duponceau, en 1842 , jâai consignĂ© dans mes Transactions, et depuis dans la seconde Ă©dition de mon Manuel 1 , un assez grand nombre de faits analogues Ă ceux que je viens de dĂ©crire. Parmi ces faits, deux surtout ont un caractĂšre tellement extraordinaire que je crois devoir vous les rapporter. DixiĂ©me expĂ©rience. Rosalie dort paisiblement, dans un fauteuil, du sommeil magnĂ©tique; son magnĂ©tiseur lui soulĂšve les pieds, puis passe sa main entre eux et le plancher. Ce signe, dâaprĂšs la demande qui lui en a Ă©tĂ© adressĂ©e, * P. a58 et suiv. 427 EFFETS DIVERS RU MAGNĂTISME, ETC. doit placer un tabouret sous les pieds de la somnambule. Effectivement, Ă partir de ce moment, les deux pieds de Rosalie restent en lâair comme sâils Ă©taient rĂ©ellement supportĂ©s par un objet placĂ© aurdessous dâeux. Lorsquâon leur imprime une forte pression, ils sont contraints dây cĂ©der, mais alors tout le corps suit le mouvement, et aussitĂŽt que lâaction cesse, les deux pieds se relĂšvent ensemble dans la position qui leur a Ă©tĂ© imposĂ©e par le magnĂ©tiseur. Câest Ă peu prĂšs lâeffet quâĂ©prouve une personne cahotĂ©e dans une voiture le point dâappui sur lequel repose les pieds sâexhausse et sâabaisse, sans que pour cela les rapports de position des diffĂ©rentes parties du corps entre elles en soient sensiblement altĂ©rĂ©es. AprĂšs ĂȘtre restĂ©e longtemps ainsi, sans tĂ©moigner aucune fatigue, Rosalie, Ă qui on demande pourquoi elle tient ses pieds Ă©levĂ©s, rĂ©pond Câest, parce que je les ai placĂ©s sur un tabouret. » Lorsque je lus pour la premiĂšre fois le rĂ©cit de cette expĂ©rience, je me demandai tout dâabord si la volontĂ© du magnĂ©tiseur avait agi directement sur la somnambule, ou si, dans lâespace qui sĂ©parait ses pieds du sol, il avait vĂ©ritablement dĂ©posĂ© Fimage dâun tabouret qui, en se rĂ©alisant dans lâesprit de Rosalie, avait dĂ©cidĂ© consĂ©cutivement de la position bizarre quâelle gardait sans en Ă©prouver de fatigue. OnziĂšme expĂ©rience. AprĂšs avoir magnĂ©tisĂ© Rosalie dans le salon de madame ***, je demande ce quâon dĂ©sire que je lui 428 DIXIĂME LEĂON. fasse voir. â Une petite fille, me rĂ©pond lâun des assistants. â Je mâapproche donc dâune chaise, et cherche en quelques passes Ă y fixer mon idĂ©e. Rosalie, que jâamĂšne en face de mon Ćuvre, aprĂšs un moment dâhĂ©sitation , finit par me dire â Je vois trĂšs-bien ; câest la petite Hortense. Rosalie Ă©tant renvoyĂ©e dans une autre piĂšce, je change la chaise de place pour quâelle ne puisse la reconnaĂźtre; mais jâhĂ©site et la pose dans plusieurs endroits diffĂ©rents avant de la fixer. Je vais ensuite rĂ©veiller la somnambule dans la chambre de madame ***, puis je rentre avec elle dans le salon. Quâaperçoit-elle bien Ă©veillĂ©e? non pas une petite fille, mais six, Ă mon grand Ă©tonnement. Vainement je cherche par des passes transversales Ă anĂ©antir ma crĂ©ation multiple; impossible. Curieux dâavoir lâexplication de tout ceci, je rendors Rosalie et lui demande le mot de lâĂ©nigme Pardi, monsieur, rĂ©pond la jeune fille, il ne fallait pas changer la chaise de place, je nâaurais vu quâun enfant, mais partout oĂč vous lâavez dĂ©posĂ©e, le fluide a passĂ© Ă travers et a formĂ© un enfant tout pareil Ă celui qui est au- dessus. » Que dire, messieurs, de cette pensĂ©e, qui une fois Ă©chappĂ©e du cerveau oĂč elle a pris naissance, va se multipliant dâelle-mĂȘme, se reproduisant mĂ©caniquement comme un dessin stĂ©rĂ©otypĂ©?âTel est le fait; jây crois sincĂšrement, mais quelles en sont les consĂ©quences ?.... De toutes les expĂ©riences que je viens de rapporter, il me paraĂźt rĂ©sulter clairement i° quâil existe dans lâhomme un fluide nerveux ou magnĂ©tique peu iin- 429 EFFETS DIVERS DD MAGNĂTISME, ETC. porte le nom quâon lui donne, mais agissant comme cause ou se manifestant comme effet dans tous nos actes volontaires, et probablement involontaires ; 2 ° que ce fluide se meut dans lâespace dâaprĂšs lâimpulsion que la volontĂ© ou lâimagination lui donne; 3° quâaprĂšs sâĂȘtre sĂ©parĂ© de nous, il conserve, indĂ©pendamment de nos voĂ»tions ultĂ©rieures, lâimage fidĂšle des pensĂ©es qui ont prĂ©sidĂ© Ă son Ă©mission; 4° que cette image peut Ă son tour se rĂ©flĂ©chir Ă notre insu dans lâespace et sây multiplier indĂ©finiment. Peut-ĂȘtre enfin devrais-je ajouter abstraction faite de tout effort volitif, de toute impression Ă©ventuelle, en un mot de toute pensĂ©e, ce fluide, en se rĂ©pandant incessamment autour de nous, y laisse en quelque sorte une contre-Ă©preuve de notre organisation, câest-Ă -dire lâempreinte de toutes nos facultĂ©s physiques et morales. 11 suit de laque, sâil Ă©tait possible dâĂ©liminer subitement de lâunivers tout ce que nous appelons matiĂšre, il resterait Ă la place du monde sensible un monde invisible pour nous, mais qui, pour lâĂąme du somnambule, serait semblable au premier. Telles sont donc, autant que nous pouvons en juger par des observations mĂ©diates, les principales propriĂ©tĂ©s du fluide. Mais, indĂ©pendamment de ces propriĂ©tĂ©s, il est prĂ©sumable quâil y en a dâautres dont nous ne nous faisons aucune idĂ©e. Nâest-il quâun intermĂ©diaire entre la matiĂšre et lâĂąme, ou bien est-il lâĂąme elle-mĂȘme? Câest ce que Dieu seul pourrait dire. Quant Ă moi, je crois sincĂšrement quâil est, non-seulement comme je lâai avancĂ© dĂ©jĂ , le moyen de nos impressions, mais la substance de toutes nos pensĂ©es. Je crois en outre quâil 430 DIXIĂME LEĂON. a a, par rapport Ă la durĂ©e, certaines propriĂ©tĂ©s corrĂ©latives Ă celles que nous lui soupçonnons par rapport Ă lâespace, et voilĂ comment je nâhĂ©site pas Ă lui attribuer un rĂŽle capital dans le mĂ©canisme des souvenirs et des pressentiments. Agent conservateur de nos impressions et de nos intuitions, le fluide serait ainsi pour chacun de nous une portion de ce monde archĂ©type, oĂč le prĂ©sent existe en germe longtemps avant de se rĂ©aliser, oĂč les effets du passĂ© se transforment en causes de lâavenir. Les philosophes, jâen suis certain, ont gĂ©nĂ©ralement delĂ libertĂ© morale de lâhomme et de la spontanĂ©itĂ© de ses voĂ»tions, une idĂ©e trop explicite. Ce nâest pas que je veuille me mettre en contradiction avec moi-mĂȘme, en niant aujourdâhui le libre arbitre que je vous ai prĂ©sentĂ©, dans ma premiĂšre leçon, comme le critĂ©rium de lâhumanitĂ©. Seulement, je prĂ©sume quâil est de nombreuses circonstances dans lesquelles nous ne croyons agir volontairement que parce que la raison qui nous dĂ©termine, ne tombant pas sous nos sens, se dĂ©robe ainsi Ă nos rĂ©flexions. Cela tient surtout Ă ce que, dans la succession de nos actes moraux, il existe souvent, entre la cause et lâeffet, une longue pĂ©riode dâinertie, pendant laquelle nous Ă©chappe le lien qui les unit. Le magnĂ©tisme seul, jusquâĂ prĂ©sent, a jetĂ© quelque lumiĂšre sur ce point obscur dâanthropologie. Un somnambule reçoit de son magnĂ©tiseur lâinjonction de faire telle chose, et par consĂ©quent dâavoir telle pensĂ©e Ă une heure plus ou moins Ă©loignĂ©e quâon lui assigne; on le rĂ©veille; il ne sait rien ni de ce quâil a fait ni de ce qui lui reste Ă faire; mais lâimpression de 431 EFFETS DIVERS DU MAGNĂTISME, ETC. lâordre quâon lui a donnĂ© nâen reste pas moins latente au fond de lui-mĂȘme, et Ă lâheure indiquĂ©e, un instinct fatal, irrĂ©sistible, se rĂ©veille en lui, et le dĂ©termine quelquefois malgrĂ© lui, et en dĂ©pit mĂȘme du sens commun. Un jour, par exemple, je dis Ă une somnambule Demain, Ă midi, vous allumerez un grand feu dans votre chambre câĂ©tait au mois de juillet, deux bougies sur votre guĂ©ridon, et vous mâattendrez ainsi, en brodant, jusquâĂ une heure. Jâarrivai chez elle Ă midi et demi. Elle brodait gravement au coin dâun feu clair, avec les deux bougies allumĂ©es sur la table. âDu feu! lui dis-je en entrant; vous avez froid en juillet ! â Mais non. â Pourquoi donc vous chauffez-vous? â Je ne sais pas. â Et pourquoi ces bougies? Elle me regarde avec hĂ©bĂ©tude, et ne rĂ©pond que par un mouvement dâĂ©paules qui signifie encore je ne sais pas. â Lorsque une heure sonna, elle Ă©teignit son feu et ses bougies, et jeta son ouvrage de lâair dâune personne qui a fini sa tĂąche. â Eh bien ! lui dis-je, vous ne travaillez plus? â Non ; il est une heure. â Câest quâordinairement vous cessez de broder Ă une heure? âPas ordinairement.... â Pourquoi donc aujourdâhui?.... Je ne sais pas , Ă©tait toujours son unique rĂ©ponse. Tous les magnĂ©tiseurs rĂ©pĂštent journellement des 432 DIXIĂME LEĂON. expĂ©riences de cette nature, dont je vous abandonne le commentaire. Mais je pense, quant Ă moi, que si cet empire fatal, que la volontĂ© dâun individu conserve sur les somnambules pendant les actions de leur veille, doit infailliblement donner lieu aux abus les plus dĂ©plorables, la philanthropie peut, de son cĂŽtĂ©, tirer parti de cette circonstance, en lâemployant comme moyen hygiĂ©nique Ă RĂGULARISER LA VIE MORALE ET PHYSIQUE des Sujets quâon endort; mais ceci rentre dans les applications du magnĂ©tisme, et câest par lĂ que nous allons terminer. Le principal objet de mes leçons Ă©tant de vous faire envisager le magnĂ©tisme dâun point de vue philosophique, câest-Ă -dire gĂ©nĂ©ral, je ne vous parlerai que trĂšs-briĂšvement de ses applications. Le fluide magnĂ©tique, suivant Mesmer, Ă©tait lâagent thĂ©rapeutique par excellence, ou plutĂŽt le seul agent quâon dĂ»t employer au traitement des maladies. On reconnaĂźtra par les faits, dit-il dans ses Propositions , que ce principe peut guĂ©rir immĂ©diatement les maladies des nerfs et mĂ©diatement les autres. » LâexpĂ©rience, en effet, a justifiĂ© cet aphorisme; mais, en mĂȘme temps, elle a prouvĂ© que Mesmer allait trop loin. Sâil peut ĂȘtre vrai en thĂ©orie quâil nây ait qu 'une santĂ©, qu 'une maladie, qu "un remĂšde, cette proposition est certainement un non sens en pratique. Dâailleurs, tout en admettant avec Mesmer une unitĂ© morbide, ce que nous savons aujourdâhui du fluide ne nous permet pas de le considĂ©rer comme unitĂ© thĂ©rapeutique, puisque les propriĂ©tĂ©s de ce principe varient, non-seulement dâhomme Ă homme, mais dâinstant en instant, dans un mĂȘme individu. Mais ces faits, au temps de 433 EFFETS DIVERS DU MAGNĂTISME, ETC. de Mesmer, Ă©tant encore inconnus, il Ă©tait rationnel de supposer la vie de tous les hommes assujettie aux lois immuables dâun agent commun, dont lâexistence Ă©tait au reste matĂ©riellement dĂ©montrĂ©e. Quoi quâil en soit, on se servait de cet agent comme on eĂ»t fait dâun ingrĂ©dient pharmaceutique, avec lâespoir dâen obtenir des rĂ©sultats gĂ©nĂ©raux, dont les symptĂŽmes Ă©taient dĂ©terminĂ©s Ă lâavance crises, et auxquels devait succĂ©der en dernier lieu, sans quâon sĂ»t bien au juste ni comment ni pourquoi, le rĂ©tablissement de la santĂ©. Ce quâil est bon dâobserver, câest que, nonobstant ces donnĂ©es vicieuses, le magnĂ©tisme, pratiquĂ© dâaprĂšs la mĂ©thode de Mesmer, produisait trĂšs-souvent les plus heureux effets. AppliquĂ© sans doute par des hommes de bonne constitution, il agissait alors comme tonique, ainsi que le remarque de Jussieu, et guĂ©rissait rapidement les maladies qui consistent dans la diminution de lâactivitĂ© vitale, câest-Ă -dire dans le dĂ©faut dâinnervation. Aussi voyons-nous les paralytiques, les scrofuleux et les personnes dĂ©bilitĂ©es ou atteintes de subinjlamma- tions, comme on dit aujourdâhui, figurer en premiĂšre ligne parmi les malades guĂ©ris dans les traitements publics '. Jâajoute enfin que lâĂ©branlement rĂ©itĂ©rĂ© du systĂšme nerveux, quâon dĂ©signait sous le nom de crise, constituait une sorte de mĂ©thode perturbatrice, qui, 'Certaines amauroses paralysies des nerfs optiques et les surditĂ©s qui consistent dans la paralysie du nerf acoustique, cĂšdent comme par enchantement Ă lâemploi du magnĂ©tisme. Jâen ai rapportĂ© plusieurs observations dans la 2 e Ă©dition de mon Manuel pra - tique du magnĂ©tisme animal. 28 434 DIXIĂME LEĂON, aujourdâhui encore, compte parmi les magnĂ©tiseurs un assez grand nombre de partisans, et dont lâusage, motns dangereux quâon ne le croirait dâabord, est frĂ©quemment salutaire Cependant on ne tarda pas Ă sâapercevoir que tout le monde nâĂ©tait pas indiffĂ©remment appelĂ© Ă pratiquer le magnĂ©tisme; car, sans parler de lâextrĂȘme fatigue que les personnes faibles ou mal portantes Ă©prouvaient en lâadministrant, on reconnut quâau lieu de soulager les malades, et bien loin dâĂȘtre salutaires, les soins donnĂ©s par ces personnes ne faisaient souvent quâaggraver le mal. De lĂ , il fallut donc conclure que le fluide avait, dans chaque individu, des qualitĂ©s particuliĂšres, dĂ©pendant de lâĂąge, du sexe, du tempĂ©rament, de la constitution, et surtout de la santĂ© de ces individus. Cette proposition est aujourdâhui si clairement dĂ©montrĂ©e que je nâhĂ©site pas Ă regarder le fluide comme le vĂ©hicule de toutes les maladies Ă©pidĂ©miques; ce qui nous expliquerait comment la plupart des affections non rĂ©putĂ©es contagieuses peuvent cependant le devenir, et par une autre voie que le contact immĂ©diat. PI us tard, enfin, on dĂ©couvrit que non-seulement le fluide rĂ©flĂ©chissait dans ses propriĂ©tĂ©s toutes les conditions physiques des personnes qui magnĂ©tisaient, mais encore quâil recevait dâune intention spĂšciale de ces personnes, des propriĂ©tĂ©s particuliĂšres. La bienveillance et les sentiments affectueux Ă©tant dĂšs lors considĂ©rĂ©s chez les magnĂ©tiseurs comme des ' Les mĂ©decins ont comme les magnĂ©tiseurs leur mĂ©thode perturbatrice elle consiste Ă administrer au hasard un vomitif ou un drastique violents.â La Providence faille reste. 435 EFFETS DIVERS DU MAGNĂTISME, ETC. facultĂ©s aussi indispensables quâune bonne santĂ©, on comprit que le magnĂ©tisme devait ĂȘtre une mĂ©decine de famille, Ă lâusage seulement des gens honnĂȘtes et charitables. â PratiquĂ© dans ces conditions, le magnĂ©tisme agit souvent, mĂȘme dans les cas les plus graves, avec une puissance qui, plus dâune fois, a semblĂ© miraculeuse. Il est dâailleurs Ă©vident quâainsi conçu, il est indistinctement applicable Ă toutes les maladies guĂ©rissant immĂ©diatement, comme le disait Mesmer, les affections nerveuses et mĂ©diatement les autres. Remarquez, en effet, que toutes les fonctions de la vie organique sont essentiellement subordonnĂ©es Ă lâappareil nerveux. Câest lui qui dispense dans lâĂ©conomie le mouvement et la sensibilitĂ©. Suivant le degrĂ© dâactivitĂ© dont la nature lâa douĂ© dans chacun de nous, il accĂ©lĂšre ou ralentit le cours de nos humeurs. Il est donc, dans lâĂ©tat normal, le rĂ©gulateur de la santĂ©, et, dans lâĂ©tat de maladie, lâĂ©lĂ©ment sur lequel il importe par-dessus tout au mĂ©decin de diriger son action. Or, il me paraĂźt Ă©vident que le magnĂ©tisme est le modificateur par excellence de lâappareil nerveux. Mais si les effets salutaires quâil dĂ©termine dans lâorganisme sont Ă la fois dĂ©montrĂ©s par lâexpĂ©rience et par la thĂ©orie, son influence sur lâesprit est encore plus incontestable. 11 est donc permis de se demander sâil nây aurait pas quelque moyen de lâutiliser Ă lâamĂ©lioration morale, sinon de lâespĂšce, du moins des individus qui ressentent le mieux son action. Puisque la volontĂ© dâun magriĂ©liseur agit encore sur lâorganisation morale dâun somnambule longtemps 436 DIXIĂME LEĂON. aprĂšs que celui-ci est rentrĂ© clans la vie rĂ©elle ; puisque cette volontĂ© peut lui inculquer des idĂ©es quâil nâeĂ»t pas eues de lui-mĂȘme, nâest-il pas vrai quâelle doit avoir aussi la puissance de modifier ses idĂ©es habituelles, et au besoin dâen changer le cours?Câest, en effet,ce qui a lieu. Et remarquez que je nâentends pas seulement ici par idĂ©es les conceptions intellectuelles, mais les instincts, les sentiments, toutes les volitions de lâĂąme. Quelques faits intĂ©ressants ont Ă©tĂ© dĂ©jĂ consignĂ©s dans les annales de la science pour encourager les efforts des magnĂ©tiseurs intelligents qui voudraient sâengager dans cette voie philanthropique. Un jeune ouvrier des environs dâAmiens, honnĂȘte garçon dâailleurs, avait contractĂ© depuis assez longtemps la dĂ©plorable habitude de sâenivrer. Cet homme Ă©tait le premier Ă condamner ses excĂšs, dont il rougissait le lendemain; chaque fois, il jurait de ne plus y retomber; mais, comme tous les buveurs, il oubliait ses serments. Or, un jour quâil souffrait beaucoup dâune nĂ©vralgie dentaire, il vint se confier aux soins charitables de M. Azeronde, dâAmiens, qui le magnĂ©tisa et le mit en somnambulisme. Pendant son sommeil il avoua ses dĂ©bauches et son dĂ©sir de se corriger, et M. Azeronde conçut alors lâidĂ©e de le guĂ©rir de son ivrognerie en mĂȘme temps que de sa douleur. Le succĂšs fĂ»t complet. Le somnambule, en sâĂ©veillant, avait horreur du vin, et dix expĂ©riences consĂ©cutives consolidĂšrent si bien celte heureuse aversion que depuis deux ans cet ouvrier ne boit que de lâeau pure. â Jâavoue quâĂ la place de M. Azeronde, je me serais montrĂ© moins rigoureux et jâaurais permis lâeau rougie. Mais peut-ĂȘtre 437 EFFETS DIVERS DU MAGNĂTISME, ETC. le magnĂ©tiseur, ne prĂ©sumant pas assez de son art et de ses forces, nâavait exigĂ© le plus que dans lâespĂ©rance dâobtenir le moins. A la suite de cette belle observation, jâai rapportĂ© moi-mĂȘme, dans mes Transactions, le fait assez curieux dâun peintre hambourgeois, dont je parvins en trois sĂ©ances Ă rectifier lâaccent allemand. Circonstance assez Ă©trange! ce jeune homme fut le dernier Ă sâapercevoir du changement complet survenu en quelques jours dans sa maniĂšre de prononcer. En rĂ©sumĂ©, il est pour moi hors de doute que le magnĂ©tisme, mĂȘme lorsquâil ne produit pas le somnambulisme, peut devenir entre des mains habiles un puissant moyen dâĂ©ducation. Les idĂ©es et les sentiments sâinfiltrent, pour ainsi dire, avec le principe de la vie, et se communiquent Ă la longue par le simple contact presque aussi sĂ»rement que par leurs voies habituelles de transmission LâPlaton rapporte quâAristide avançait dans lâĂ©tude de la sagesse par cela seul quâil Ă©tait dans la mĂȘme maison que Socrate, mais quâil avançait encore plus quand il pouvait ĂȘtre dans la mĂȘme chambre; et toutes les fois que Socrate lui parlait, Aristide sentait quâil profitait davantage de ses leçons lorsque ce philosophe avait les yeux sur lui que lorsquâil regardait ailleurs; mais le progrĂšs Ă©tait bien plus grand encore lorsquâAristide Ă©tait assis auprĂšs de lui et quâil le touchait. 1 Voy. dans l 'ExposĂ© des cures opĂ©rĂ©es par le magnĂ©tisme, t. I, p. 416, les observations curieuses rapportĂ©es par M. MialleĂ ce suje ONZIĂME LEĂON. THĂORIE GĂNĂRALE DU MAGNĂTISME. Messieurs , Le magnĂ©tisme est une des grandes forces de la nature sâil nâen est la force unique jâai lâespoir de vous lâavoir fait comprendre. AprĂšs vous avoir prĂ©sentĂ© la systĂ©matisation de cette puissance, considĂ©rĂ©e comme principe de la vie universelle, il nous reste Ă en rechercher lâessence et les lois; en dâautres termes, aprĂšs avoir Ă©tabli le systĂšme, nous allons essayer dâen dĂ©duire la thĂ©orie. Si le mot systĂšme, dâaprĂšs la dĂ©finition que jâen ai donnĂ©e dans ma premiĂšre leçon, dĂ©signe dans le langage scientifique une sĂ©rie de rapports dĂ©terminĂ©s entre des ĂȘtres ou des faits, il faut entendre par thĂ©orie une explication toujours hypothĂ©tique et purement conventionnelle de la maniĂšre dont sâĂ©tablissent ces rapports et de la cause qui les entretient. Ainsi, pour le magnĂ©tisme Une certaine rĂ©ciprocitĂ© dâaction perpĂ©tuelle entre tous les ĂȘtres de lâunivers, et subordonnĂ©e Ă la double facultĂ© dâagir et de sentir inĂ©galement rĂ©partie dans chacun dâeux, entretient entre ces ĂȘtres des relations 439 THĂORIE GĂNĂRALE DU MAGNĂTISME, plus ou moins Ă©videntes, lointaines ou cachĂ©es; voilĂ le systĂšme. Mais un agent unique est le moyen de ces relations. Quelle est la nature intime, quelles sont les lois de cet aU MAGNĂTISME. 445 2 ° Tous ces corps ont une forme, dont la raison est absolument inconnue. 3° Tous paraissent ĂȘtre pĂ©nĂ©trĂ©s dâune substance, ordinairement invisible, toujours impondĂ©rable, mais distincte et sĂ©parable de leur propre substance câest le fluide Ă©lectrique. â Le calorique et la lumiĂšre ne sont peut-ĂȘtre que des manifestations particuliĂšres de ce fluide; mais cela nâest pas dĂ©montrĂ©, et aucune spĂ©culation scientifique ne peut encore ĂȘtre assise sur cette supposition. 4° Le fluide Ă©lectrique, rĂ©pandu certainement dans lâatmosphĂšre, et probablement dans lâespace, a pour rĂ©servoirs spĂ©ciaux le globe terrestre et les ĂȘtres qui vivent, vĂ©gĂštent ou gravitent Ă sa surface. 5° Les physiciens le considĂšrent comme un composĂ© de deux Ă©lĂ©ments douĂ©s de propriĂ©tĂ©s contraires, susceptibles dâĂȘtre isolĂ©s, se sĂ©parant, mĂȘme quelquefois naturellement, mais tendant continuellement Ă se rĂ©unir. 6° CombinĂ©s entre eux dans les corps, les deux Ă©lĂ©ments Ă©lectriques ne deviennent manifestes que dans le cas oĂč, par suite sans doute de la prĂ©dominance eu quantitĂ© de lâun dâeux, relativement Ă lâautre, il nâ-y a pas neutralisation complĂšte de leurs propriĂ©tĂ©s respectives.â LâĂ©lĂ©ment prĂ©dominant, ou plutĂŽt le corps qui le recĂšle, exerce alors autour de lui une action particuliĂšre, dont la tendance paraĂźt ĂȘtre de rompre Ă son profit les combinaisons analogues, en sâemparant dâune portion de lâĂ©lĂ©ment contraire. 7° Il rĂ©sulte de lĂ que les corps dans lesquels prĂ©dominent des Ă©lĂ©ments Ă©lectriques opposĂ©s sâattirent, tan- 446 ONZIĂME LEĂON. dis quâun effet inverse a lieu dans le cas contraire il y a rĂ©pulsion entre ces derniers. 8° Les corps simples ou composĂ©s qui prĂ©sentent soit habituellement, soit Ă©ventuellement, cette prĂ©dominance dâun des deux Ă©lĂ©ments Ă©lectriques sont dits corps Ă©lectriques ou Ă©lectrisĂ©s. â 11 nâen est quâun petit nombre dans lesquels lâĂ©tat neutre paraĂźt exister ordinairement. 9 ° LâĂ©tat Ă©lectrique des corps se caractĂ©rise ou plutĂŽt se manifeste dâautant plus vivement quâils sont mis en contact mĂ©diat avec dâautres corps Ă©lectrisĂ©s en sens contraireâcâest sur ce principe quâest fondĂ©e la thĂ©orie de la pile voltaĂŻque. â Mais je dis en contact mĂ©diat , car un contact trĂšs-intime entraĂźne une combinaison de substance, et par suite une neutralisation plus ou moins absolue. â Telle est la cause infiniment probable de toutes les combinaisons chimiques. io° LâaffinitĂ© entre deux corps est dâautant plus grande que leur Ă©tat Ă©lectrique est plus prononcĂ© toujours en sens contraire. âIl en est qui ne peuvent ĂȘtre mis en contact sans sâunir immĂ©diatement tels sont par exemple le potassium et VoxjgĂ©ne. ii° Certaines substances paraissant neutres, câest- Ă -dire insensibles Ă toute espĂšce dâĂ©lectromĂštre, sâĂ©lectrisent pourtant au contact dâautres substances Ă©galement neutres en apparence. ! 2 ° I/Ă©tat Ă©lectrique de la plupart des corps se modifie et change de nature lorsquâils sont rapprochĂ©s dâautres corps ; je mâexplique telle substance qui est Ă©lectro-positive relativement Ă telle autre, pourra devenir Ă©lectro-nĂ©gative relativement Ă une troisiĂšme. THĂORIE GĂNĂRALE DU MAGNĂTISME. 447 â Il est Ă prĂ©sumer que, dans ces sortes de rapprochement, il y a Ă©change dâune partie des Ă©lĂ©ments Ă©lectriques et, par suite, modification de leur quantitĂ© relative dans chacun des agrĂ©gats mis en prĂ©sence. â Les chimistes ont dĂ©terminĂ© expĂ©rimentalement au moyen de la pile ces propriĂ©tĂ©s relatives des cinquante-quatre Ă©lĂ©ments connus, quâils ont classĂ©s dâaprĂšs cette loi. i 3° La distance fait cesser rapidement les manifestations de Y affinitĂ© dont la cause est dĂ©terminĂ©e dans les propositions prĂ©cĂ©dentes; mais il est peu probable quâelle lâanĂ©antisse entiĂšrement. Je crois, au contraire, que lâaffinitĂ© subsiste, comme lâatlraction planĂ©taire, Ă toutes les distances imaginables le fluide neutre qui remplit lâespace serait, dans cette hypothĂšse, le vĂ©hicule de son influence.âTous les ĂȘtres de la nature seraient donc continuellement entre eux en rapport dâaffinitĂ© ou de rĂ©pulsion. i4° Toute combinaison chimique qui a pour rĂ©sultat la condensation des matiĂšres combinĂ©es met en libertĂ© une certaine quantitĂ© de fluide Ă©lectrique. â Ce phĂ©nomĂšne sâaccompagne quelquefois dâun dĂ©gagement de chaleur et de lumiĂšre dâautant plus apparent que la combinaison est plus rapide, sâeffectue sur des niasses plus considĂ©rables et donne lieu Ă des produits dâune plus grande densitĂ©. i5° Il est Ă prĂ©sumer que le fluide Ă©lectrique, soit Ă lâĂ©tat neutre, soit avec prĂ©dominance dâun de ses Ă©lĂ©ments constituants, est modifiĂ© par la substance propre des corps dont il remplit les interstices. â On comprend ainsi comment, par suite dâune sorte dâassimila- 448 ONZIĂME LEĂON. tion dont le mystĂšre est impĂ©nĂ©trable, le fluide Ă©lectrique devient dans lâhomme le fluide magnĂ©tique. Telles sont, messieurs, les quinze propositions au moyen desquelles je vais essayer dâexpliquer la plupart des phĂ©nomĂšnes dont la description a fait lâobjet de mes leçons prĂ©cĂ©dentes. Formation et dĂ©veloppement des ĂȘtres organisĂ©s, et de lâhomme en particulier. Tout ĂȘtre organisĂ© provient dâun germe qui porte en soi les conditions de formes arrĂȘtĂ©es; ce germe est peut-ĂȘtre, dans lâorigine, une de ces images que nous avons vues, dans ma prĂ©cĂ©dente leçon, créées par la pensĂ©e. Cette image ici serait formĂ©e indĂ©pendamment de la volontĂ© de lâĂȘtre producteur et par les seules forces de la nature. Une vapeur invisible, in- saissable, constituerait donc la premiĂšre Ă©bauche de tout ĂȘtre organique. Mais cette vapeur, ou plutĂŽt ce fluide, rĂ©sultat dâune combinaison consommĂ©e pendant lâacte gĂ©nĂ©rateur, et dĂ©posĂ© dans un milieu convenable, ne tarde pas Ă fixer dans son rĂ©seau des molĂ©cules de matiĂšres, et lâĂȘtre rĂ©el est commencĂ©. Quoique cette thĂ©orie nous explique Ă la fois la reproduction des vĂ©gĂ©taux, la fĂ©condation des Ćufs dans les animaux ovipares aussi bien que la fĂ©condation directe dans les espĂšces supĂ©rieures, jâavoue quelle repose sur des donnĂ©es tellement conjecturales et si peu susceptibles de vĂ©rification que jây attache peu dâimportance. Remarquez, nĂ©anmoins, que cette THĂORIE GĂNĂRALE DU MAGNĂTISME. thĂ©orie satisfait infiniment plus lâesprit que ne le font les spĂ©culations incohĂ©rentes et purement imaginaires des physiologistes, Y aura sĂ©minales, les animalcules spermatiques, etc., etc. Remarquez, enfin, quâelle fait rentrer dans lâordre des phĂ©nomĂšnes naturels le miracle de certaines fĂ©condations rĂ©putĂ©es impossibles par les mĂ©decins, qui se trompent probablement eu regardant comme indispensable Ă la production dâun germe lâintroduction dans la matrice dâune liqueur fĂ©condante. Quoi quâil en soit, je le rĂ©pĂšte, jâabandonne mes rĂȘveries sur ce point au ridicule dont messieurs des facultĂ©s nous accablent si volontiers. Mais,quelque idĂ©e quâon se fasse du mystĂ©r ieux mĂ©canisme de la conception, je soutiens quâune fois lâembryon formĂ©, les lois chimiques sont suffisantes pour rendre compte de ses dĂ©veloppements ultĂ©rieurs. Je pense, au reste, quâenvisagĂ©e dans son ensemble, la vie intra-utĂ©rine ne diffĂšre en rien de celle qui commence Ă la naissance; je nâai donc Ă Ă©tablir entre elles aucune distinction. La vie mĂȘme des vĂ©gĂ©taux, pour lâobservateur qui possĂšde lâart de gĂ©nĂ©raliser ses idĂ©es, ne diffĂšre pas essentiellement de celle des animaux. Pour que le germe dâune plante ou lâembryon dâun animal se dĂ©veloppent convenablement, il faut quâin- dĂ©pendamment de lâintĂ©gritĂ© de leur propre organisation, ils soient placĂ©s lâun et lâautre dans des milieux appropriĂ©s Ă leur destination respective. Mais relativement Ă tous les ĂȘtres organiques, ces milieux doivent, avant tout, prĂ©senter certaines conditions gĂ©nĂ©rales qui consistent premiĂšrement dans une tempĂ©rature plus ou moins Ă©levĂ©e, secondement dans lâhumiditĂ© nĂ©cessaire 29 450 ONZIĂME LEĂON, Ă la dissolution prĂ©alable des substances inorganiques propres Ă ĂȘtre assimilĂ©es. âCes deux conditions sont Ă peu prĂšs indispensables Ă la combinaison chimique de tous les corps solides. â Je nâai, dâailleurs , pas besoin de faire observer combien ici lâexpĂ©rience concorde avec la thĂ©orie. Chacun sait que le soleil et la pluie font germer les graines, et que la nature a pourvu dâune maniĂšre plus efficace encore aux besoins des animaux en les plongeant dans le liquide nutritif que contient lâĆuf oĂč ils sont conçus '. A mesure que se dissolvent les substances environnantes, les molĂ©cules du germe vĂ©gĂ©tal, en raison de lâĂ©tat Ă©lectrique qui leur est dĂ©volu, attirent Ă elles celles de ces substances qui sont Ă©lectrisĂ©es en sens contraire, et se combinent avec ces derniĂšres. De lĂ rĂ©sultent des molĂ©cules de nouvelle formation plus composĂ©es que les molĂ©cules primitives, mais qui, ainsi quâelles, ont aussi leurs tendances Ă©lectriques ou leurs affinitĂ©s. Dâautres combinaisons succĂšdent donc aux premiĂšres, dâautres encore Ă celles-lĂ , et ainsi indĂ©finiment. La mĂȘme chose, exactement, a lieu pour les germes des animaux.âTout auimal, lâhomme, par exemple, peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un agrĂ©gat rĂ©gulier de molĂ©cules Ă©lectrisĂ©es et se combinant sans cesse avec les molĂ©cules des corps assimilables que la digestion et la respiration dĂ©posent continuellement dans Je torrent des humeurs. 1 On sait que tontes les espĂšces animales, y compris lâhomme, se reproduisent par des Ćufs. 451 THĂORIE GĂNĂRALE DU MAGNĂTISME. De ces diverses considĂ©rations dĂ©coulent plusieurs consĂ©quences quâil importe dâĂ©noncer i° Des combinaisons incessantes qui ont lieu dans les corps organiques rĂ©sulte dans ces corps un dĂ©gagement perpĂ©tuel des fluides impondĂ©rables; 2 ° Ce dĂ©gagement sera dâautant plus prononcĂ© que les substances combinĂ©es seront plus abondantes et plus nombreuses ; enfin, quâen se combinant elles se condenseront davantage; 3° Tout ĂȘtre organique peut ĂȘtre envisagĂ© comme un corps mou qui se solidifie et dont un certain degrĂ© de solidification est le terme nĂ©cessaire. â La chaleur animale, la coloration des tissus et la formation des centres nerveux ont leur raison dans ces derniers principes; câest ce que je vais tĂącher de vous faire comprendre. Formation des centres nerveux. LâactivitĂ© de la vie dĂ©pend Ă©videmment i°De la rapiditĂ© avec laquelle sâopĂšrent les combinaisons de la substance propre de lâĂȘtre avec les substances assimilables; a 0 De la multiplicitĂ© des Ă©lĂ©ments combinĂ©s; 3° De la diffĂ©rence de densitĂ© que prĂ©sentent ces Ă©lĂ©ments avant et aprĂšs leur union chimique ou physiologique ; ce qui pour nous est la mĂȘme chose. Dâun autre cĂŽtĂ©, la longĂ©vitĂ© est proportionnelle 1° A la lenteur des mĂȘmes combinaisons; 2 ° Au degrĂ© de densitĂ© que les ĂȘtres peuvent acquĂ©rir saus cesser de vivre. 452 ONZIĂME IEĂON. Ainsi, les plantes herbacc'es ne vivent ordinairement quâune annĂ©e, tandis que les plantes ligneuses et trĂšs-dures, telles que le buis, ou bien les grands arbres Ă bois compacLe, comme le chĂȘne, rĂ©sistent pendant plusieurs siĂšcles. Si quelques animaux Ă sang blanc et Ă corps mou passent pour ĂȘtre susceptibles dâune certaine longĂ©vitĂ©, câest que leurs combinaisons intestines ne sâeffectuent quâavec une lenteur extrĂȘme. Jâai dit que le degrĂ© de la chaleur animale et la coloration des tissus Ă©taient subordonnĂ©s aux divers degrĂ©s de lâactivitĂ© vitale. Un raisonnement aussi simple que spĂ©cieux me semble justifier cette assertion , fondĂ©e dâailleurs sur lâexpĂ©rience. Toute combinaison donnant lieu Ă un composĂ© binaire, ternaire, etc., plus dense que chacun des Ă©lĂ©ments combinĂ©s, sâaccompagnant dâun dĂ©gagement de calorique et de lumiĂšre, il est clair que ces deux impondĂ©rables abonderont surtout, Ă lâĂ©tat libre, dans les corps oĂč se condensent incessamment de grandes masses de matiĂšre. VoilĂ donc comment, dans les animaux, la chaleur naturelle varie de o Ă 34 degrĂ©s, et la couleur du blanc diaphane au rouge noir. De mĂȘme que la chaleur et la lumiĂšre, lâabondance, et par suite la centralisation du fluide Ă©lectrique , paraĂźt se proportionner Ă lâactivitĂ© vitale. Mais le dĂ©veloppement des centres nerveux est-il la cause ou la consĂ©quence de cette centralisation ? câest ce quâil nâest pas aisĂ© de dĂ©cider. Toujours est- il quâentre les deux choses la concordance est Ă©vidente, et lâon est, pour ainsi dire, forcĂ© dâadmettre THĂORIE GĂNĂRALE DĂŒ MAGNĂTISME, 453 que si lâaction des centres nerveux sur lâĂ©conomie est la cause excitante de lâactivitĂ© vitale, ils sont eux-mĂȘmes alimentĂ©s par le produit de cette excitation. LâembryogĂ©nie nous apprend, au reste,que lâhomme et les autres mammifĂšres commencent Ă se former par le cerveau et la moelle Ă©piniĂšre. Aussi lâanalyse chimique de ces organes y fait-elle dĂ©couvrir les premiers Ă©lĂ©ments qui ont dĂ» entrer dans leur composition le soufre et le phosphore , quâon retrouve Ă©galement dans les Ćufs des oiseaux, et qui vraisemblablement font partie de lâĆuf humain. AussitĂŽt organisĂ©s, les centres nerveux deviennent les rĂ©cipients du fluide dĂ©gagĂ© pendant le cours des combinaisons fluide sây accumule, sây modifie peut-ĂȘtre, y contracte des attributs nouveaux, et, suivant la portion de lâappareil oĂč il sĂ©journe ou circule, il concourt Ă des fonctions dâun ordre dâautant plus Ă©levĂ© que la source qui le fournit est plus abondante et que les organes oĂč il se concentre sont mieux appropriĂ©s Ă leur destination. AprĂšs la naissance, les centres nerveux sont en communication, au moyen des sens, avec le monde extĂ©rieur. Tous les ordres de perception y convergent. A lâaboutissant de chacun dâeux rĂ©sident les facultĂ©s mentales qu'ils ont pour objet dâalimenter au front, lâintelligence; Ă la base du cerveau, les instincts; Ă lâocciput, les affections; enfin, au-dessus de tout cela, la justice, lâespĂ©rance, la vĂ©nĂ©ration et la charitĂ©, derniĂšres mais trop rares manifestations de la puissance crĂ©atrice et conservatrice de lâhomme. 454 LEĂON. Des instincts, des sympathies et de l'amour. Il y a dans la nature telles choses qui nous plaisent et telles autres qui nous dĂ©plaisent â pourquoi? Nous mangeons avec plaisir de tels mets,nous buvons avec plaisir de telles boissons, tandis que dâautres mets, dâautres boissons, quoique gĂ©nĂ©ralement estimĂ©s, nous rĂ©pugnent invinciblement â pourquoi? Parmi les personnes que nous voyons pour la premiĂšre fois, il y en a qui nous inspirent de la sympathie, dâautres de lâantipathie â pourquoi ? Un amour violent, comme une aversion insurmontable, se dĂ©veloppent, dans certains cas, instantanĂ©ment, sans ĂȘtre motivĂ©s, le premier par la beautĂ©, la seconde par la laideur des objets qui les inspirent â pourquoi ? Enfin , le magnĂ©tisme corrobore ces sentiments, qui dâordinaire sâattĂ©nuent dans une longue et entiĂšre cohabitation. â Toutes ces questions peuvent ĂȘtre rĂ©solues Ă la fois. Lâhomme est, aussi bien que le minĂ©ral, Ă©lectro- positif ou Ă©lectro-nĂ©gatif, relativement Ă tous les ĂȘtres de la nature, parce que, avant tout, l'homme est un corps, un composĂ© chimique. â Cela est rigoureusement , mathĂ©matiquement vrai. Mais je vais plus loin lâhomme a , comme tout corps minĂ©ral, simple ou composĂ©, ses affinitĂ©s et ses rĂ©pulsions relatives, câest-Ă -dire quâil est Ăšlectro-po- silif par rapporta telle substance ou Ă tel individu, et Ă©lectro-nĂ©gatif par rapport Ă telle autre substance 455 THĂORIE GĂNĂRALE DU MAGNĂTISME, ou Ă tel autre individu. Ces affinitĂ©s ou ces rĂ©pulsions sont plus ou moins vives, plus ou moins constantes, parce que le corps humain se modifie avec les maladies et les annĂ©es. Mais il en est de si prononcĂ©es quâelles sont presque irrĂ©sistibles sans lâintervention de la morale, des lois et de la volontĂ©, tel homme serait peut- ĂȘtre Ă telle femme ce que l 'oxygĂšne est au potassium y mais si les lois et la morale sont faites pour rĂ©primer ces attractions fatales, on ne les voit pas sâopposer Ă ces unions monstrueuses que de prĂ©tendues convenances font contracter en dĂ©pit dâune aversion con- gĂ©niale, et dont je nâai pas besoin de vous dire la raison. De ce que deux ĂȘtres ont lâun pour lâautre une extrĂȘme affinitĂ©, il doit y avoir entre eux complĂšte opposition dans leurs goĂ»ts particuliers. En effet, la prĂ©dominance en chacun dâeux dâun des Ă©lĂ©ments Ă©lectriques les porte instinctivement vers les choses oĂč prĂ©domine lâĂ©lĂ©ment contraire. Or, lâexpĂ©rience de tous les jours est dâaccord avec ces principes lâamour, dit-on, vit de contrastes qui de nous nâa vĂ©rifiĂ© la justesse de cet adage vulgaire? Lâhabitude est le correctif de tous les goĂ»ts extrĂȘmes; mais elle naĂźt de la satiĂ©tĂ© et nâengendre lâindiffĂ©rence quâa prĂšs la satisfaction frĂ©quemment rĂ©itĂ©rĂ©e des dĂ©sirs auxquels elle succĂšde. Lâhabitude, en effet, rĂ©sulte de la neutralisation des contraires par les contraires, mis en rapports intimes en un mot, câest lâĂ©quilibre. â Aussi le mariage est-il aux hommes, la plupart du temps, ce que la combinaison est aux substances inorganiques. Dans les deux cas, lâaffinitĂ© cesse 458 ONZIĂME LEĂON. Ă lâinstant oĂč se forme lâunion quâelle provoque; et, dans les deux cas Ă©galement, elle renaĂźt Ă la sĂ©paration des Ă©lĂ©ments combinĂ©s. â Soyez certains, messieurs, quâon pourrait suivre jusquâĂ lâinfini ces sortes de rapprochements qui ne sont pas seulement des comparaisons, mais qui impliquent Ă mes yeux, nonobstant la bizarrerie quâils ont sans doute aux vĂŽtres, la double manifestation dâun fait identique *. 3e ne peux terminer cette analyse des sentiments affectueux sans vous dire un mot dâune circonstance qui mâa longtemps embarrassĂ©, parce quâelle me semblait en contradiction avec les lois gĂ©nĂ©rales de lâaffinitĂ©. Lorsque deux corps inorganiques sâattirent et tendent Ă se combiner, nous prĂ©sumons quâils prennent tous deux une part Ă©gale Ă cette attraction. Or, il nâest que trop prouvĂ© que les lois intimes de lâorganisation humaine excluent souvent cette rĂ©ciprocitĂ©. Comment donc expliquerons-nous par des rapports Ă©lectro-magnĂ©tiques lâamour non partagĂ©? En vĂ©ritĂ©, rien nâest plus simple une organisation puissante ne saurait ĂȘtre captivĂ©e par les aspirations dâun ĂȘtre faible qui donne cent fois moins quâil ne reçoit. VoilĂ pourquoi, dans les rapports magnĂ©tiques, le rĂŽle passif est toujours dangereux, parce que le magnĂ©tiseur ne partage pas les impressions quâil fait Ă©prouver. Remarquez, dâailleurs, que je nâentends pas ici par organisation puissante celle de lâhomme musculeux qui rĂ©siste au travail * A combien de mĂ©nages les chimistes qui adopteront nos idĂ©es, ne seront-ils pas en droit dâappliquer la loi des doubles dĂ©compositions. THĂORIE GĂNĂRALE DĂŒ MAGNĂTISME. *57 et porte de lourds fardeaux. Toute la force, en magnĂ©- tisme,est dans le systĂšme nerveux. Ses manifestations sont lâampleur du cerveau, la vivacitĂ© des impressions, lâĂ©nergie de la volontĂ©, de lâintelligence et des sentiments. Voltaire, Byron, NapolĂ©on, etc., inspirĂšrent autour deux tous les genres dâaffections, sans en partager sĂ©rieusement aucune. Des perceptions. â De la pensĂ©e. â Des hallucinations. Le fluide, qui pĂ©nĂštre tous les corps de la nature et qui en Ă©mane continuellement, est modifiĂ©, comme je vous lâai dit, par la substance propre de ces corps, de telle façon quâil en reprĂ©sente les types aux sens dĂ©licats des somnambules et des crisiaques. Or, ce qui se passe dans ces derniers avec conscience du fait se passe en nous Ă notre iusu. Par suite des rapports Ă©lectro-magnĂ©tiques qui existent entre les images formĂ©es par le fluide ambiant et le double Ă©lĂ©ment du fluide cĂ©rĂ©bral, celui-ci se met en mouvement et forme avec prĂ©dominance de lâĂ©lĂ©ment contraire des images semblables aux premiĂšres telle est la nature de la sensation. Les images cĂ©rĂ©brales sâaccumulant et se conservant indĂ©finiment, ne tardent pas Ă rĂ©agir les unes sur les autres, et de cette rĂ©action rĂ©sulte une sensation nouvelle câest la pensĂ©e. Enfin, une surexcitation Ă©ventuelle, faisant jaillir hors du cerveau une des images conservĂ©es, celle-ci 458 ONZIĂME LEĂON. O rĂ©impressionne les sens exactement comme ferait lâobjet rĂ©el quâelle reprĂ©sente câest lâhallucination. Remarquez, au reste, que, dâaprĂšs ce qui a Ă©tĂ© dit dans la prĂ©cĂ©dente leçon, le fluide cĂ©rĂ©bral conservant aussi bien lâempreinte des propriĂ©tĂ©s mĂ©taphysiques des corps que celle de leurs propriĂ©tĂ©es physiques, il en faudrait conclure que tous nos actes moraux sont les fruits de ses rapports ou de ses combinaisons soit avec le fluide extĂ©rieur, soit avec les portions de lui-mĂȘme dont il est isolĂ©. * Lorsque nous dirigeons notre attention sur un objet, une partie de notre fluide cĂ©rĂ©bral entre en action et se met en rapport avec celui de lâobjet qui nous impressionne. Plus lâobjet est considĂ©rable ou plus lâattention est vive, et plus est grande la quantitĂ© de fluide absorbĂ© par lâacte cĂ©rĂ©bral auquel nous nous livrons. Une attention extrĂȘme absorbe donc, pour ainsi dire, tout ce quâil y a en nous de principe vital, et, comme il en est de mĂȘme Ă©videmment Ă legard de la rĂ©flexion, rien nâest plus facile que de concevoir comment de grands efforts intellectuels peuvent entraĂźner aprĂšs eux lâinsensibilitĂ© physique, et en dernier lieu lâextase. On conçoit Ă©galement que la multiplication des idĂ©es, la puissance dâattention et de rĂ©flexion Ă©tant nĂ©cessairement subordonnĂ©es Ă lâabondance du fluide cĂ©rĂ©bral, toutes nos facultĂ©s morales se proportionnent i° au volume relatif des centres nerveux, a 0 Ă la rapiditĂ© des combinaisons qui fournissent le fluide. Enfin, on comprend sans peine, et lâexpĂ©rience ici vient au-devant du raisonnement, comment toutes les Ă©motions vives, les excĂšs, lâabus des rapports 459 THĂORIE GĂNĂRALE DU MAGNĂTISME, sexuels, etc., portent prĂ©judice Ă lâintelligence et aux sentiments en mĂȘme temps quâĂ la sautĂ©. Du sommeil. Le sommeil, vous ai-je dit dans ma septiĂšme leçon *, est un phĂ©nomĂšne d âexcitation cĂ©rĂ©brale. Il est impossible de rien imaginer de plus paradoxal en apparence que cette proposition. Aussi ai-je pu mâapercevoir de lâĂ©tonnement quâelle vous causa. NĂ©anmoins, quelque Ă©trange quâelle vous paraisse, je vais entreprendre de la justifier. Si les impressions rĂ©itĂ©rĂ©es de la veille nâĂ©puisent pas, Ă proprement parler, le fluide cĂ©rĂ©bral, elles ne laissent pas que dâen absorber une certaine quantitĂ©. Il est dâailleurs indubitable que ce fluide se dissipe continuellement dans lâatmosphĂšre, surtout chez les personnes nerveuses et par les temps humides lâhomme, en un mot, peut ĂȘtre comparĂ© Ă une bouteille de Leyde qui se dĂ©charge Ă la longue si on lâabandonne Ă elle-mĂȘme. Le fluide nerveux a donc besoin dâĂȘtre frĂ©quemment renouvelĂ©. Je ne sais si cette derniĂšre expression est ici dâune grande justesse et sâil nâest pas certaines portions de lâagent nerveux qui ne se renouvellent jamais. Quoi quâil en soit, la digestion, lâaction de lâair et lâexercice rĂ©parent journellement les pertes quâen subit la masse totale. Or, remarquez ce point dâune importance extrĂȘme câest prĂ©cisĂ©ment Ă lâinstant oĂč lâexercice et la digestion ont saturĂ© l'Ă©conomie dâune quantitĂ© notable de fluide nouveau que la tĂȘte sâappesantit, que les idĂ©es * Voyez p. 29a. 460 ONZIĂME LEĂON. deviennent confuses et que le besoin du sommeil se fait sentir. Câest quâen effet ce fluide, rĂ©cemment dĂ©gagĂ©., afflue vers le cerveau. Il y pĂ©nĂštre sans ĂȘtre encore appropriĂ©, assimilĂ© pour ainsi dire Ă la substance animale câest du fluide Ă©lectrique tel que le recĂšlent les minĂ©raux. Le premier effet quâil produit est une sorte de neutralisation des idĂ©es et de tous les actes nerveux. BientĂŽt le corps sâaffaisse, la sensibilitĂ© sâamortit et le sommeil commence. Il est Ă remarquer que le corps humain est organisĂ© de telle façon que les moindres variations dans les causes dĂ©terminent dans les effets des diffĂ©rences trĂšs- grandes, ou du moins trĂšs-apparentes. Si, par exemple, le travail de la digestion ou de lâassimilation sâopĂšre sur des aliments trop copieux ou trop chargĂ©s dâĂ©lectricitĂ©, comme le sont vraisemblablement les alcooliques et les essences, si, en un mot, il y a surabondance dans la production du fluide, le sommeil nâa plus lieu et se trouve remplacĂ© par une exaltation dĂ©sordonnĂ©e et maladive, Ă laquelle il finit nĂ©anmoins par succĂ©der lorsque le dĂ©gagement du fluide excĂ©dant a ramenĂ© lâĂ©tat normal. Lorsque les causes dâexcitation que je viens de mentionner se dĂ©veloppent assez lentement pour ne pas dĂ©terminer un trouble subit, le sommeil se manifeste; mais il est Ă la fois agitĂ© et profond, et câest alors surtout que surviennent les rĂȘves, la somniloquie, puis enfin le somnambulisme. Dans des cas assez rares, une vĂ©ritable explosion Ă©lectrique fait cesser tout Ă coup lâexaltation qui entre- 461 THĂORIE GĂNĂRALE DU MAGNĂTISME. tient lâinsomnie, en neutralisant par la combinaison de ses Ă©lĂ©ments une partie du fluide cĂ©rĂ©bral ; câest certainement un phĂ©nomĂšne de ce genre qu'Ă©prouve M. Emile G.... * lorsquâil croit entendre chaque soir, avant de sâendormir, la dĂ©tonation dâune arme Ă feu. Il est donc dĂ©montrĂ© quâun certain degrĂ© d 'excitation cĂ©rĂ©brale est indispensable au sommeil. Cela est si vrai que, chez les sujets maigres, nerveux, Ă©puisĂ©s par des veilles, par des Ă©tudes forcĂ©es, un exercice violent, des excĂšs ou lâabstinence, des excitants provoquent cet Ă©tat. Le cafĂ©, par exemple, qui ordinairement est pour moi un vĂ©ritable poison tant il mâagite et mâĂ©nerve, pris Ă doses modĂ©rĂ©es, me fait dormir par les temps humides. Les personnes robustes, et surtout douĂ©es dâembonpoint, ont dâhabitude le sommeil facile, et leur santĂ© est beaucoup moins que celle des autres hommes altĂ©rĂ©e par les vicissitudes atmosphĂ©riques. Cela tient Ă ce que la graisse Ă©tant mauvais conducteur de tous les impondĂ©rables, ces personnes perdent moins que ne le font les autres par la pĂ©riphĂ©rie. Lâexcitation des sens ou de la pensĂ©e, considĂ©rĂ©e comme cause dâinsomnie, nâa pas besoin dâĂȘtre expliquĂ©e. Lâinstant le plus favorable aux travaux intellectuels est Ă©videmment celui qui succĂšde immĂ©diatement au rĂ©veil, puisque câest durant le sommeil que sâĂ©laborent ou se rĂ©parent les instruments de la pensĂ©e. Voyez septiĂšme leçon, p. 28 t. 462 ONZIĂME LEĂON. Du mode dâaction prĂ©sumable de certains mĂ©dicaments, etc. LâĂ©tat physiologique ou pathologique que les mĂ©decins dĂ©signent sous le nom d 'agitation consiste probablement dans une prĂ©dominance extrĂȘme dâun des deux Ă©lĂ©ments Ă©lectriques. Or, ne pourrait-il pas se faire que les mĂ©dicaments rĂ©putĂ©s antispasmodiques, mĂ©dicaments excitants pour lâhomme Ă lâĂ©tat normal, ne produisissent le calme dans le cerveau quâen y dĂ©veloppant une certaine quantitĂ© de lâĂ©lĂ©ment contraire? Y aurait-il des mĂ©dicaments essentiellement Ă©lectropositifs, et dâautres, essentiellement Ă©lectro-nĂ©gatifs? Enfin, les toxiques violents, tels que lâacide prussique qui lue comme la foudre , ne produiraient-ils leurs effets terribles quâen dĂ©veloppant instantanĂ©ment une trĂšs-grande quantitĂ© de lâun ou de lâautre dâun des deux Ă©lĂ©ments? Ces questions nâont jamais Ă©tĂ© posĂ©es, et sont probablement trĂšs-loin encore dâĂȘtre rĂ©solues. , Du magnĂ©tisme pratique. Lâapplication du magnĂ©tisme constitue rĂ©ellement la transfusion du principe vital, mais avec des circonstances accessoires trĂšs-variables, suivant les cas. Lorsque lâopĂ©ration commence, le rapport sâĂ©tablit. Si les Ă©tats Ă©lectro-magnĂ©tiques des deux individus se trouvent essentiellement contraires; si en mĂȘme temps ces individus sont forts et nerveux lâun et lâautre, lâeffet est trĂšs-marquĂ©. 11 y a dâabord attraction, puis neutralisation du principe dominant du magnĂ©tisĂ© par lâĂ©lĂ©- THĂORIE GĂNĂRALE DO MAGNĂTISME. 463 ment contraire du magnĂ©tiseur dâoĂč rĂ©sulte chez le premier un calme dĂ©licieux qui, dans certains cas, est partagĂ© par le second. Mais bientĂŽt les deux Ă©lĂ©ments de celui-ci passent Ă la fois dans l'autre, qui, tout en conservant son calme, sent ses forces augmenter et toutes ses fonctions vitales prendre une activitĂ© nouvelle. Il perçoit aussi quelquefois les pensĂ©es de son magnĂ©tiseur; ce qui nâa pas besoin dâexplication. Lorsque, au contraire, il y a dans chacun des deux individus prĂ©dominance du mĂȘme Ă©lĂ©ment magnĂ©tique, la rĂ©pulsion est la consĂ©quence de leur premier rapport. Si pourtant la puissance relative du magnĂ©tiseur est considĂ©rable, il finit par inonder en quelque sorte le magnĂ©tisĂ© du double Ă©lĂ©ment de son principe vital; le calme alors se rĂ©tablit un peu, et les choses se passent Ă peu prĂšs comme prĂ©cĂ©demment, Ă cela prĂšs toutefois quâil nây a jamais de ces sensations agrĂ©ables dont jâai parlĂ©, et quâĂ lâinstant oĂč lâon dĂ©magnĂ©tise, la rĂ©pulsion et le malaise renaissent avec le rĂ©tablissement des rapports naturels. Le sommeil, lorsquâil a lieu, se produit, dans les deux cas, de la mĂȘme maniĂšre la cause qui le dĂ©termine est, comme Ă la suite de lâexercice ou de la digestion, lâafflux vers le cerveau dâune grande quantitĂ© de fluide nerveux. â Le somnambule ne doit sa luciditĂ© et toutes ses facultĂ©s merveilleuses quâĂ la surabondance du fluide dont il est saturĂ© câest une forte pile voltaĂŻque. Je nâai pas besoin de dire quelle charitĂ©, quel dĂ©vouement , quelle abnĂ©gation exige la pratique du nia- 464 ONZIĂME LEĂON. gnĂ©tisme. MagnĂ©tiser, câest donner ses forces, sa santĂ©, sa vie. Un de mes honorables confrĂšres, M. Chapelain , Ă la suite dâun traitement qui avait exigĂ© de sa part de longs et pĂ©nibles efforts, se trouva, dit-on, dans un tel Ă©tat dâĂ©puisement, quâil fut plusieurs mois Ă se rĂ©tablir. Ce quâon Ă©prouve en pareil cas consiste dans un abattement gĂ©nĂ©ral, accompagnĂ© dâinsomnie, de bourdonnements dans les oreilles et dâun affaiblissement considĂ©rable des facultĂ©s intellectuelles. En mĂȘme temps les tissus se dĂ©colorent, la chaleur du sang diminue, et tous les symptĂŽmes dâune vĂ©ritable consomption finiraient par se dĂ©clarer si lâon nây portait remĂšde, et surtout si lâon continuait Ă pratiquer le magnĂ©tisme \ ' Toutes les Ă©motions rĂ©itĂ©rĂ©es ont exactement les mĂȘmes effets; voilĂ pourquoi lâonanisme est si fatal Ă la santĂ© et aux progrĂšs intellectuels des malheureux enfants qui sây livrent. ĂIN. RELATION dâun CAS HEUREUX DâAMPUTATION DE LA CUISSE, PENDANT lâĂtat DE MESMERISME, CHEZ UN MALADE QUI nâeUT PAS CONSCIENCE DE CE QUI sâĂTAIT PASSĂ. PAU W. TOPIIAM. Lue le 22 novembre 1842 Ă la SociĂ©tĂ© royale mĂ©dicale et chirurgicale de Londres. Messieurs, En faisant le dĂ©tail des circonstances relatives au cas important que jâai lâhonneur de communiquer Ă cette savante SociĂ©tĂ©, je mâabstiendrai entiĂšrement de remarques prĂ©liminaires quelconques sur la cause supposĂ©e des effets que jâai produits. Je donnerai encore Ă cet Ă©tat le nom de mesmĂ©risme, parce que ce terme nâimplique aucun principe, et touche seulement aux phĂ©nomĂšnes et non Ă leur cause spĂ©cifique. Il ne mâappartient pas de rechercher quel peut ĂȘtre lâagent au moyen duquel le mesmĂ©risme exerce son influence sur le patient; si câest par quelque moyen qui nous soit dĂ©jĂ familiĂšrement connu sous un autre nom, ou par un moyen totalement nouveau pour notre expĂ©rience. La plupart des hommes, en entendant parler de quelque phĂ©nomĂšne nouveau, sâefforcent, Ă lâaide de leurs 30 466 RELATION IâĂŒN CAS HEUREUX propres raisonnements, dâen connaĂźtre la cause, au lieu dâen constater la vĂ©ritĂ© par lâexpĂ©rience seule; de lĂ une croyance ou une nĂ©gation. Les phĂ©nomĂšnes Ă©tonnants du magnĂ©tisme ont souvent aussi justifiĂ© cette observation. Câest pourquoi je me bornerai aux faits, et seulement Ă ceux que je pourrai personnellement affirmer. James Wombell, ĂągĂ© de quarante-deux ans, homme laborieux, dâun caractĂšre calme et tranquille, souffrait depuis six ans environ dâune affection douloureuse du genou gauche. Le 21 juin dernier, il fut admis Ă District-hospital, Ă Wellow, prĂšs Allerton Nolhs, nâĂ©tant plus capable de travailler et souffrant beaucoup. On reconnut bientĂŽt que lâamputation de la cuisse, au-dessus de lâarticulation du genou, Ă©tait inĂ©vitable; et on proposa par hasard de la faire, si cela Ă©tait possible, pendant le sommeil magnĂ©tique. Je vis Wombell le g septembre pour la premiĂšre fois. Il Ă©tait Ă lâhĂŽpital, assis sur son lit, seule position quâil pĂ»t tenir. Il se plaignait dâune grande douleur au genou, et dâune grande excitabilitĂ© et dâune perte de force provenant dâune inquiĂ©tude permanente et cĂźe la privation de sommeil; en effet, il nâavait pas dormi, pendant les trois semaines prĂ©cĂ©dentes, plus de deux heures sur soixante-dix. Au premier essai de mesmĂ©risme, qui mâoccupa trente- cinq minutes, le seul effet produit fut lâocclusion des paupiĂšres, avec animation du visage et sommeil magnĂ©tique; et, quoique parlant et Ă©veillĂ©, Wombell nâaurait pu ouvrir les paupiĂšres avant une minute et demie. Mon essai du lendemain fut plus heureux, et en DAMPUTATION DE LA CUISSE. 467 vingt minutes il sâendormit. Je continuai Ă le magnĂ©tiser chaque jour, le 18 exceptĂ©, jusquâau 24 septembre, sou impressionnabilitĂ© augmentant chaque jour, de telle sorte que, le 23 , le sommeil fut produit en quatre minutes et demie. La durĂ©e du sommeil Ă©tait variable il se prolongeait gĂ©nĂ©ralement pendant une demi-heure, quelquefois pendant une heure, et rarement pendant une heure et demie. Mais, Ă deux exceptions prĂšs essai de converser avec lui, il fut invariablement Ă©veillĂ©, quoique sans surprise, par la douleur violente de son genou, laquelle revenait subitement Ă certains intervalles. La troisiĂšme fois que je le vis, il Ă©tait dans une grande angoisse, et en Ă©tait rĂ©duit aux larmes. Je commençai Ă faire des passes longitudinales sur le genou malade; en cinq minutes il se sentit, par comparaison, Ă lâaise, et, en continuant Ă le magnĂ©tiser, il Ă©tait, dix minutes aprĂšs, endormi comme un enfant. Non-seulement ses bras, mais la jambe malade elle-mĂȘme, pouvaient ĂȘtre pincĂ©s avec violence, sans produire une sensation quelconque; et cependant cette jambe Ă©tait si sensible Ă la douleur dans son Ă©tat ordinaire, quâelle ne pouvait supporter dans le reste de son Ă©tendue la couverture la plus lĂ©gĂšre. Il dormit, cette nuit, sept heures sans interruption. AprĂšs lâavoir magnĂ©tisĂ© pendant dix Ă douze jours, on aperçut un grand changement dans son extĂ©rieur. Le teint de la santĂ© reparut, il devint frais, se sentit beaucoup plus fort, Ă©tait dispos de corps et dâesprit, donnait bien, et recouvra son appĂ©tit. Le 22 septembre, il apprit pour la premiĂšre fois la nĂ©cessitĂ© dâune amputation prochaine. La communi- 468 RELATION DĂN CAS HEUREUX cation lui parut tout Ă fait inattendue, et lâaffecta considĂ©rablement. Ce jour-lĂ , jâessayai, contre sa volontĂ©, lâexpĂ©rience du mesmĂ©risme, procĂ©dant par contact avec la main, le chargeant dâappliquer spĂ©cialement son esprit Ă prĂ©venir mon influence. Pendant lâaction, il regardait de temps en temps autour lui, agitant ses yeux lorsquâil les sentait sâappesantir, et en douze minutes et demie il passa au sommeil magnĂ©tique. Les deux ou trois jours prĂ©cĂ©dents, il avait reçu lâinfluence en six minutes. Il mâapprit plus tard quâil avait, Ă plusieurs reprises, essayĂ© de suivre lâavis quâil venait de recevoir, et la grande souffrance quâil avait Ă©prouvĂ©e; mais il avait bientĂŽt senti une influence irrĂ©sistible, et alors il avait perdu toute conscience. Cependant la prĂ©occupation de la perte de sa jambe, troubla, cette nuit, son sommeil naturel. Le jour suivant, il fut encore endormi en quatre minutes et demie, sous lâinfluence de mon toucher, quoique je le trouvasse inquiet, tourmentĂ©, et par consĂ©quent malade. Je mâabsentai Ă cette Ă©poque, et ne pus voir Wom- bell jusquâau 28. Il paraissait en bonne santĂ© et de bonne humeur; son sommeil naturel Ă©tait profond et rĂ©gulier; et sa douleur mitigĂ©e et amoindrie. Il Ă©tait alors convaincu que lâopĂ©ration pouvait ĂȘtre convenablement essayĂ©e pendant le sommeil magnĂ©tique, et, avec son consentement positif, elle fut fixĂ©e au samedi suivant. Le samedi matin, i el octobre, je magnĂ©tisai encore Wombell, comme les deux jours prĂ©cĂ©dents. Cela se fit en prĂ©sence de MM. William Ward, Sq. de Wel- low lâopĂ©rateur, et de deux autres chirurgiens; câĂ©tait, 469 dâasiputation de cuisse. comme je croyais que cela arriverait, afin quâune premiĂšre magnĂ©tisation tendĂźt Ă rendre le sommeil plus profond quand on magnĂ©tiserait de nouveau pour lâopĂ©ration, et aussi pour le jeter dans lâĂ©tat dans lequel il devrait ĂȘtre quand le temps en serait venu. Il dormit une heure, et fut Ă©veillĂ© par un essai de conversation avec lui. Je fis voir alors le pouvoir que jâavais dâagir sur lâun de ses membres, alors mĂȘme quâil Ă©tait tout Ă fait Ă©veillĂ©. A ma demande, il Ă©tendit alternativement ses deux bras. En faisant deux ou trois passes sur chacun dâeux, mais sans contact, je les fixai tellement, que, des Ă©paules jusquâau bout des doigts, ils devinrent aussi roules et aussi inflexibles que des barres de fer, ne pouvant ĂȘtre flĂ©chis que par une force mĂ©canique assez puissante pour lĂ©ser le membre; et cependant, se relĂąchant instantanĂ©ment et tombant sur les cĂŽtĂ©s, par le seul effet de mon souffle. Sa jambe droite Ă©tait Ă©galement affectĂ©e, et on apportait souvent un soulagement immĂ©diat Ă sa douleur, en faisant de semblables passes sur le cĂŽtĂ© malade. Quoique la sensibilitĂ© Ă la douleur fĂ»t diminuĂ©e pendant la veille dans les membres affectĂ©s, je ne la trouvais totalement disparue que dans le sommeil magnĂ©tique. A une heure et demie, nous nous rendĂźmes Ă la chambre de Wombell pour faire les prĂ©paratifs nĂ©cessaires. DâaprĂšs les douleurs quâil Ă©prouvait par le mouvement, on regarda comme impossible, sans des tortures inutiles, de le placer sur une table. En consĂ©quence, on plaça sur une plate-forme temporaire le le lit trĂšs-bas sur lequel il reposait. Dix minutes aprĂšs avoir Ă©tĂ© magnĂ©tisĂ©, on le porta vers la partie 470 RELATION DĂN CAS HEUREUX inferieure du lit, Ă lâaide des draps qui Ă©taient sous lui. Le mouvement excita nĂ©anmoins cette douleur qui lâavait si souvent empĂȘchĂ© de dormir antĂ©rieurement, ce qui avait encore lieu en ce moment. Il y avait quelque chose dâhorrible dans la douleur produite par lâĂ©tat dĂ» genou; car je lâavais vu pincer Ă peu de distance, dans dâautres parties de la jambe malade, pendant le sommeil magnĂ©tique, sans quâil en fĂ»t troublĂ©, ou quâil en eĂ»t la conscience. Pour Ă©viter dĂ©sormais un mouvement nĂ©cessaire quelconque, on plaça la jambe dans la position la plus convenable quâil pĂ»t supporter. BientĂŽt aprĂšs il dĂ©clara que la douleur avait cessĂ©; puis je le magnĂ©tisai de nouveau pendant quatre minutes. Un quart dâheure aprĂšs, je dis Ă M. Ward quâil pouvait commencer lâopĂ©ration. Je mis alors doucement deux doigts de chaque main sur les paupiĂšres fermĂ©es de Wombell, et les tins de la sorte jusquâĂ ce quâil fĂ»t profondĂ©ment endormi. M. Ward, aprĂšs avoir jetĂ© un coup dâĆil attentif sur le malade, plongea profondĂ©ment son couteau au centre du cĂŽtĂ© externe de la cuisse, jusquâĂ lâos alors il fit une large incision autour de lâos, jusquâau point opposĂ© Ă la partie interne de la cuisse. Le silence, en ce moment, Ă©tait terrible on nâentendait que la respiration calme dâun homme endormi; car celle de tous paraissait comme suspendue. La position de la jambe fut plus incommode quelle ne paraissait, pour faire la seconde incision ; et lâopĂ©rateur nâaurait pu la faire avec la mĂȘme facilitĂ© que la premiĂšre. Peu aprĂšs la seconde incision, on entendit un gĂ©missement du malade, qui continua par intervalle jusquâĂ la fin. Cela me donna lâidĂ©e dâun rĂȘve 4-71 dâamputation de ta cuisse. agitĂ©, car le sommeil continua aussi profond quâaupa- ravant. Le calme de son visage ne changea pas un instant; toute lâĂ©conomie resta sans contrainte dans un repos et une tranquillitĂ© parfaite; on ne vit pas un muscle ou un nerf se contracter. Vers la fin de lâopĂ©ration, comprenant le sciement de lâos, la ligature des artĂšres, et lâapplication des bandages, â ce qui dura un peu plus de vingt minutes, â il resta comme une statue. BientĂŽt aprĂšs lâablation de la jambe, le pouls, devenant petit Ă cause de la perte de sang, on lui versa dans la bouche un peu dâeau-de-vie et dâeau quâil avala sans le savoir. Pendant quâon appliquait le dernier bandage, je fis remarquer Ă lâun des chirurgiens et Ă un autre gentleman prĂ©sent, le tremblement particulier des paupiĂšres fermĂ©es dont il a dĂ©jĂ Ă©tĂ© parlĂ©. Finalement, quand tout fut achevĂ©, et que Woinbell Ă©tait sur le point dâĂȘtre enlevĂ©, son pouls se trouvant encore trĂšs- petit, on lui administra un peu de sel volatil et dâeau; cela Ă©tant trop piquant et Ăącre, le malade sâĂ©veilla graduellement et avec calme. Dâabord il ne prononça pas un mot, et, pendant quelques instants, il parut tout troublĂ© et hors de lui-mĂȘme ; mais, aprĂšs avoir jetĂ© les yeux autour de lui, il sâĂ©cria Je bĂ©nis Dieu de trouver tout cela fini ! » On lâemporta alors dans une autre chambre ; et, le suivant immĂ©diatement, je lui demandai, en prĂ©sence de lâassemblĂ©e, de nous dire ce quâil avait senti ou su aprĂšs avoir Ă©tĂ© magnĂ©tisĂ©. Sa rĂ©ponse fut Je ne sais rien de plus, et je n'ai ressenti aucune douleur du tout. Une fois jâai Ă©prouvĂ© comme si jâentendais une sorte de craquement. Je demandai si cela Ă©tait douloureux? Il rĂ©pli- 472 RELATION DCN CAS HEUREUX qua Pas du tout, je n'ai senti aucune douleur, et n ai rien su jusquâĂ ce que jâai Ă©tĂ© Ă©veillĂ© par cette liqueur forte le sel volatil . Le craquement Ă©tait sans cloute le sciement de lâos de la cuisse. On le laissa tranquille et Ă lâaise, et Ă neuf heures du soir on le trouva dans le mĂȘme Ă©tat je le magnĂ©tisai de nouveau Ă cette heure en une minute trois quarts, et il dormit une heure et demie. Je puis ajouter de plus que le lundi suivant, le premier pansement de la plaie fut fait pendant le sommeil magnĂ©tique. A ce pansement, ordinairement accompagnĂ© de beaucoup de douleur et de cuisson, le malade ne sentit rien; il dormit longtemps aprĂšs son accomplissement; il ne connaissait pas lâintention de M. Ward; et, aprĂšs avoir Ă©tĂ© Ă©veillĂ©, il nâavait pas la conscience de ce qui avait Ă©tĂ© fait. Le rĂ©cit de M. W. Ward, important Ă cause de son observation personnelle et des soins quâil a donnĂ©s avant et aprĂšs lâopĂ©ration , a pu heureusement ĂȘtre ajoutĂ© au mien , afin de rendre complĂšte de la sorte la narration de ce cas; je le donne sans une syllabe de commentaires. W. Toi>ham. Middle-Temple, 25 octobre 1842. AprĂšs la communication prĂ©cĂ©dente, M. W. Ward, Sq. prit la parole en ces termes Messieurs, me trouvant partie intĂ©ressĂ©e dans la prĂ©sentation du MĂ©moire qui vient dâĂȘtre lu devant votre savante SociĂ©tĂ©, jâai senti quâen ma qualitĂ© de membre de votre profession et dâopĂ©rateur dont il a Ă©tĂ© 473 dâaMPDTATION DE LA CUISSE. parlĂ©, quelques observations de ma part devaient nĂ©cessairement ĂȘtre ajoutĂ©es Ă celles qui viennent de vous ĂȘtre prĂ©sentĂ©es par mon ami, M. Topham. Les circonstances au milieu desquelles lâopĂ©ration a Ă©tĂ© faite sont si neuves quâelles devront fournir un large champ Ă la discussion; si les membres de notre profession auxquels jâai lâhonneur dâadresser ces observations veulent dĂ©libĂ©rer avec calme, et, sans prĂ©vention, examiner le sujet, qui si lâexpĂ©rience ultĂ©rieure confirme les prĂ©visions auxquelles on est raisonnablement autorisĂ© dâaprĂšs le rĂ©sultat heureux du prĂ©sent essai mĂ©rite lâattention bienveillante des chirurgiens, lesquels ont pour objet, de tout temps, de sâappliquer Ă lâĂ©tude dâadoucir les douleurs poignantes qui sont lâhĂ©ritage de lâhumanitĂ©. » I! sâagissait, dans le cas sur lequel on vient dâappeler dĂ©jĂ lâattention de la SociĂ©tĂ©, dâune ulcĂ©ration trĂšs-Ă©tendue des cartilages du genou existant depuis quatre ans et demi cette ulcĂ©ration Ă©tait la consĂ©quence dâune inflammation nĂ©gligĂ©e de la membrane synoviale, inflammation produite par une lĂ©sion et dans le principe traitĂ©e par un charlatan, mais qui a Ă©tĂ© connue de moi trois ans seulement environ avant lâadmission du malade Ă lâhĂŽpital du district Ă Wellow. Supposant alors que lâulcĂ©ration avait commencĂ© par les cartilages, jâordonnai le repos absolu et le traitement ordinaire, auquel le malade se soumit seulement pendant dix jours. A celte Ă©poque, et malgrĂ© toutes les remontrances de ma part, il retourna, encore estropiĂ©, Ă ses occupations habituelles agriculture. 11 tomba alors entre les mains dâautres chirurgiens 474 RELATION DâUN CAS HEUREUX dont le traitement Ă©tait moins sĂ©vĂšre et le pronostic moins grave que le mien. Je le vis frĂ©quemment, et lui parlai quelquefois de la perte Ă©ventuelle de sa jambe sâil continuait Ă sâen servir. Sa derniĂšre espĂ©rance se fondait sur une promesse de guĂ©rison par les ventouses, ce qui ne produisit aucun soulagement. Il de» manda alors Ă ĂȘtre admis Ă lâhĂŽpital. A cette Ă©poque, la maladie avait fait beaucoup de progrĂšs, le moindre mouvement de lâarticulation sâaccompagnait de la plus cruelle douleur; ses nuits Ă©taient presque entiĂšrement sans sommeil, Ă cause des soubresauts douloureux de la jambe; son pouls Ă©tait vif et rapide; sa face constamment marquĂ©e de la rougeur du phthisique ; sa langue Ă©tait sale, et son appĂ©tit nul. Il Ă©tait actuellement retenu dans son lit, sans pouvoir supporter une position horizontale. Lâarticulation Ă©tait soutenue par un appareil lĂ©ger; des cataplasmes, des fomentations, etc., Ă©taient appliquĂ©s; on surveillait sa santĂ© gĂ©nĂ©rale; on lui ordonna des opiats, de la quinine, du vin, etc., pour le mettre dans un Ă©tat convenable pour lâopĂ©ration qui paraissait inĂ©vitable, quoique sans aucun avantage apparent. Mais ayant entendu dire que M. Topham allait venir dans le voisinage, je pris la rĂ©solution de le prier dâessayer les effets du magnĂ©tisme sur le malade; dans lâintention, non-seulement de calmer le systĂšme nerveux, mais, si cela Ă©tait possible, de lui procurer un tel degrĂ© dâinsensibilitĂ© Ă la douleur quâil nâeĂ»t pas la conscience de lâopĂ©ration elle-mĂȘme, dĂ©sirant, depuis longtemps, voir lâaccomplissement de ce rĂ©sultat, comme le summum bonum du magnĂ©tisme. Cependant je fus, Ă cette Ă©poque, obligĂ© de rentrer dâamputation de la cuisse. 475 chez moi Ă cause dâune indisposition; mais je recevais chaque jour un rapport des progrĂšs faits sur mon malade. Lors de mon rĂ©tablissement, 27 septembre, trois semaines environ aprĂšs le commencement de la magnĂ©tisation , je fus autant Ă©tonnĂ© que satisfait de voir lâamĂ©lioration de lâĂ©tat de cet homme. Il avait alors le teint de la santĂ© beaucoup plus quâauparavant; ses nuits Ă©taient plus calmes et plus tranquilles ; son appĂ©tit Ă©tait revenu; et, en fait, son Ă©tat Ă©tait tel que, si je 11âavais pas su lâhistoire antĂ©rieure, beaucoup de doutes se seraient Ă©levĂ©s dans mon esprit sur la convenance de faire une amputation immĂ©diate de la jambe. II est vrai quâil y avait encore de la douleur au plus lĂ©ger mouvement de lâarticulation, et de plus quelques soubresauts pendant la nuit, mais il ne paraissait plus souffrir dans sa santĂ© gĂ©nĂ©rale, qui se trouvait, au contraire, singuliĂšrement amĂ©liorĂ©e; nĂ©anmoins, je restai convaincu i nonobstant tous ces avantages en sa faveur, quâil y avait encore une maladie trop grave pour penser Ă une guĂ©rison finale. Comme jâĂ©tais tout Ă fait dĂ©terminĂ© Ă ne pas mettre de retard Ă lâablation de la cuisse, pendant que le malade Ă©tait sous lâinfluence magnĂ©tique, Ă moins que je ne fusse convaincu de sa guĂ©rison, et comme il y avait avantage Ă le voir dans cet Ă©tat, qui toutefois nâĂ©tait pas sous lâinfluence de la pleine volontĂ© du malade, le 29 septembre je priai M. Tophatn de le magnĂ©tiser, et fus enchantĂ© de trouver si grande lâimpressionnabilitĂ© du malade. Quand il dormait si je peux employer ce terme, sa respiration Ă©tait normale; son pouls tranquille, Ă 80 environ; son rĂ©veil Ă©tait lent et 476 RELATION DâĂŒN CAS HEUREUX graduel et saus le moiudre soubresaut; enfin, je le trouvai insensible Ă la piqĂ»re dâune Ă©pingle. En de telles circonstances, je ne vis aucun sujet de crainte ou dâhĂ©sitation; ayant obtenu le consentement du patient, ou plutĂŽt Ă sa propre demande, faite avec instance, je fixai le samedi suivant, i' r octobre, pour le jour de lâopĂ©ration. Le malade comme cela a dĂ©jĂ Ă©tĂ© dit fut placĂ© avec son lit sur une plate-forme, et, bien quâil fĂ»t considĂ©rablement excitĂ© parce quâil entendait les cris dâun autre patient sur lequel jâavais pratiquĂ© une opĂ©ration longue et douloureuse, dans une chambre contiguĂ«, il fut promptement mis en Ă©tat de sommeil magnĂ©tique; mais, comme je dĂ©sirais le placer dans la position ordinaire, les jambes Ă©tendues Ă lâextrĂ©mitĂ© du lit, on essaya de lâentraĂźner avec ses draps, ce qui lui occasionna tellement de douleur quâil fut Ă©veillĂ©. Je me trouvai alors quelque peu embarrassĂ©, parce que son membre, se trouvant en contact avec le lit, Ă©tait dans une position trĂšs-dĂ©favorable pour lâopĂ©rateur; mais Ă©tant arrivĂ© Ă ce point, je ne voulais pas troubler ce premier essai de diminuer lâhorreur et la douleur dâune opĂ©ration capitale, quoique, je dois le confesser, je nâeusse pas de confiance dans le succĂšs. Le malade fut de nouveau endormi auparavant, un chirurgien qui se trouvait lĂ Ă©leva la jambe de deux pouces environ au-dessus du matelas, en appuyant le talon sur son Ă©paule et soutenant lâarticulation avec sa main, promettant, en outre, si le malade sâĂ©veillait, de lâentraĂźner aussitĂŽt en bas, de maniĂšre Ă permettre Ă la jambe de sâĂ©tendre au delĂ de lâextrĂ©mitĂ© du lit. 477 d'amputation de la cuisse. Quelques minutes aprĂšs, M. Topliam dit quâil Ă©tait prĂȘt ayant alors appliquĂ© le tourniquet la position dĂ©favorable du malade enlevant la possibilitĂ© de comprimer lâartĂšre, je procĂ©dai Ă lâaccomplissement de lâopĂ©ration, comme cela a Ă©tĂ© dĂ©crit. AprĂšs avoir fait le lambeau antĂ©rieur sans que le malade donnĂąt le moindre signe de connaissance, je me trouvai dans la nĂ©cessitĂ© de faire le postĂ©rieur en trois temps. Le premier en divisant une portion du lambeau sur le cĂŽtĂ©, puis une portion semblable du cĂŽtĂ© opposĂ©. Ce procĂ©dĂ© qui Ă©taiL plus long et douloureux que le procĂ©dĂ© ordinaire Ă©tait devenu nĂ©cessaire pour pouvoir passer le couteau sous lâos et achever ainsi le lambeau, parce que je nâaurais pas pu en abaisser suffisamment le manche, sans les deux incisions latĂ©rales. AprĂšs ce qui a dĂ©jĂ Ă©tĂ© si bien dĂ©crit par M. Tophain , jâai Ă peine besoin dâajouter que le tremblement extrĂȘme ou lâaction rapide des fibres musculaires divisĂ©es fut moindre que de coutume, et quâil nây eut pas beaucoup de contraction des muscles eux-mĂȘmes; je dois dire aussi quâĂ deux ou trois reprises, je touchai l'extrĂ©mitĂ© divisĂ©e du nerf sciatique sans augmenter en quoi que ce soit ce lĂ©ger gĂ©missement plaintif dĂ©crit par M. Topham, et qui donna Ă toutes les personnes prĂ©sentes lâidĂ©e dâun sommeil troublĂ©. Le malade se trouve remarquablement bien, et depuis samedi dernier il sâest mis sur son sĂ©ant pour prendre son repas. â H y a trois semaines quâil est opĂ©rĂ©; il nâa pas Ă©prouvĂ© un seul symptĂŽme fĂącheux, ni mĂȘme cette excitation nerveuse que lâon observe si frĂ©quemment chez les malades qui ont subi des opĂ©ra- 478 RELATION DâUN CAS HEUREUX tions douloureuses et qui prĂ©alablement ont Ă©prouvĂ© des chagrins intĂ©rieurs. En dissĂ©quant lâarticulation, les lĂ©sions confirmĂšrent pleinement mon diagnostic. Les cartilages du fĂ©mur, du tibia, de la rotule, avaient Ă©tĂ© entiĂšrement absorbĂ©s, exceptĂ© dans un point extrĂȘmement rĂ©trĂ©ci, couvrant une partie de la rotule. Il y avait une ulcĂ©ration profonde avec carie des extrĂ©mitĂ©s des os, et spĂ©cialement du condyle interne du fĂ©mur, qui avait entiĂšrement perdu sa forme peu de lymphe coagulĂ©e se trouvait Ă©panchĂ©e en plusieurs points Ă la surface de la membraue synoviale, et lâarticulation contenait une certaine quantitĂ© de pus noirĂątre. Mon intention nâest pas dâabuser du temps prĂ©cieux delĂ SociĂ©tĂ© pour me poser devant elle comme le champion du. magnĂ©tisme en gĂ©nĂ©ral câest une tĂąche pour laquelle je me sens complĂštement incapable. Depuis longtemps jâĂ©tais sceptique, et depuis longtemps jâĂ©tais Ă la recherche dâun cui bono, quand, il y a quelques mois, je trouvai, grĂące Ă M. Elliotson, lâoccasion de voir par moi-mĂȘme la possibilitĂ©, avec cet agent, de produire le coma, de rendre les muscles rigides, et de causer jusquâĂ un certain point lâinsensibilitĂ© Ă la douleur. Je vis, et je fus convaincu que mon opposition Ă©tait mal fondĂ©e le rĂ©sultat de cette conviction a Ă©tĂ© cet essai flatteur et heureux, rĂ©ponse suffisante pour ceux qui ne croient pas seulement quâon puisse retirer le moindre avantage du magnĂ©tisme, car on trouvera dĂ©sormais peu dâopposants, mĂȘme des plus passionnĂ©s, qui oseront lui refuser la facultĂ© de produire le coma. De plus, ce fait fut observĂ© dans un tempĂ©rament trĂšs- 479 DâAMPUTATION DE IA CUISSE. cĂąline, non pas seulement, comme on le suppose souvent, chez une femme jeune et trĂšs-nerveuse, mais mĂȘme chez un laboureur de quarante-deux ans et de la plus grande insensibilitĂ©. Je nâai certes pas besoin dâajouter que lâexcitabilitĂ© nerveuse, dans lâacception commune de ce mot, est presque entiĂšrement Ă©trangĂšre Ă cette classe dâhommes. Il faut faire observer aussi que lâimpressionnabilitĂ© Ă©tait si grande que le coma se dĂ©veloppait promptement dans les circonstances les plus dĂ©favorables par exemple, au milieu des douleurs de sa maladie, lorsquâil employait sa volontĂ© pour empĂȘcher autant que possible ce coma, et quand il fut sur la table, la crainte de lâopĂ©ration devant les yeux. Quoique cette seule expĂ©rience dont nous venons de faire lâhistoire devant la SociĂ©tĂ© soit Ă peine suffisante pour laisser complĂštement la question dans le silence, nâest-elle pas dâune nature suffisamment encourageante pour en demander une rĂ©pĂ©tition immĂ©diate par ceux de noi confrĂšres Ă qui les institutions splendides de la mĂ©tropole offrent si souvent de pareilles occasions? 29 octobre 1842. W. Ward, Sq. TABLE DES MATIERES. PREMIĂRE LEĂON. o Aperçu gĂ©nĂ©ral. â Nature et dĂ©finition du magnĂ©tisme. . 1 DEUXIĂME LEĂON. Histoire du magnĂ©tisme... 25 TROISIĂME LEĂON. Suite du mĂȘme sujet. â Opinions des anciens sur le fluide. â PremiĂšres thĂ©ories magnĂ©tiques. â Renaissance de ces thĂ©ories au x\ siĂšcle... 82 QUATRIĂME LEĂON. Mesmer et ses dĂ©mĂȘlĂ©s avec les corps savants. 128 CINQUIĂME LEĂON. Rapports de 1784. 175 SIXIĂME LEĂON. ThĂ©orie de Mesmer. 217 SEPTIĂME LEĂON. Effets produits par le magnĂ©tisme. 251 HUITIĂME LEĂON. Du somnambulisme. 293 NEUVIĂME LEĂON. Histoire du somnambulisme. 353 DIXIĂME LEĂON. Effets divers du magnĂ©tisme. â De ses applications.... 403 ONZIĂME LEĂON. ThĂ©orie gĂ©nĂ©rale du magnĂ©tisme. 438 Relation dâun cas heureux dâamputation delĂ cuissepen-» dant lâĂ©tat de mesmĂ©risme. . 465 - $\ ?} âąâąâą - âą / t, -, r *; v *, r â - - - » ' 1 " ' = 4? * j v ' 1 ^ ' ** jjp " ^ K x* A *, \ i ' Wt, ^ âą - ' , .;k?> âąw? âąâą?'*- âą;!» âąVĂ 'âą ÂŁE fV* ;^g[ĂŻr^ tir,* '-A'"-r^'' Ăź .*"*; ^V*/ - mW^] iSWStf^*Ăżi?* &L%*n S*- ^ia** r Skr~.'. Ăź.!5fcrV ,,.ÂŁâą a 1 ; '- v ĂJrtL,^ Vv.^ .ĂźWWrf^ Mfc ĂźtsTi^ 5 âą.- SnW; Y?* r-Ă» 1 . 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ï»żAprĂšs avoir rĂ©solu le premier niveau du jeu, nous passons logiquement aux solutions de 94% Niveau 2. Il faut un ticket 30% MĂ©tro 24% Bus 18% CinĂ©ma 13% Train 4% Concert 3% Avion 1% Parking 1% Loto PremiĂšre chose que je fais le matin 37% DĂ©jeuner 19% Douche 14% Aller aux toilettes 7% Sâhabiller 6% RĂ©veil 5% Se brosser les dents 3% SâĂ©tirer 3% TĂ©lĂ©phone Photo dâune Ardoise 46% Ăcole 19% Craie 13% Ardoise 7% Dessin 5% Enfant 4% Couleur Notre avis Les rĂ©ponses sont identiques sur Android et IOS cette fois. On a juste vu quâon pouvait inscrire regarder son tĂ©lĂ©phone » sur Iphone au lieu de tĂ©lĂ©phone ». Pour le second thĂšme, on aurait pu penser aussi Ă Ă©teindre le rĂ©veil » ou allumer la tĂ©lĂ©vision ». Rapelons tout de mĂȘme que les rĂ©ponses ci-dessus est le rĂ©sultat dâun sondage. Pas de difficultĂ© particuliĂšre ici. On peut passer au niveau 3 de 94%.
premiere chose que je fais le matin 94